mercredi 28 septembre 2011

Stratégie spatiale. Voir, savoir, connaître…

Rappelez-vous, en août dernier, les Russes perdaient le contact avec l’un de leur tout nouveau satellite de communication à 300 millions de dollars l’unité (le dénommé Express-AM4 construit par Astrium) suite à une défaillance de la fusée Protoss. La suite de l’histoire est plus cocasse puisque ce sont les Américains qui, les premiers, ont retrouvé le satellite perdu sur une orbite improbable.

Autre moment, autre histoire. La semaine dernière, un satellite américain UARS (« Upper Atmosphere Research Satellite ») de près de 6 tonnes faisait la Une des journaux après que la NASA a annoncé qu’il était en train de tomber de façon non contrôlée sur la Terre. Vendredi dernier, c’était chose faite. Mais, contre toute attente, la NASA était incapable de dire où les morceaux du satellite se trouvaient. Bref, l’Agence américaine a perdu de vue le plus gros débris américain jamais retombé sur Terre depuis trente ans.

Où est-ce que je veux en venir ? Tout simplement à ce que j’avais annoncé il y a quelques jours dans un précédent billet : la « connaissance de la situation spatiale » est un principe stratégique préalable digne d’attention.
Les Américains le savent, eux qui parlent depuis au moins le Rapport Rumsfeld de 2001 (p. 16, 29) de « Space Situational Awareness » (SSA) pour désigner toutes les menaces d’origine humaine susceptibles d’avoir pour cible les Etats-Unis. Il s’agit des possibilités ASAT adverses, mais aussi des débris et enfin de la surveillance de l’espace dans le cadre d’opérations internationales de transparence. Ils en parlent d’ailleurs toujours comme le montre la dernière National Security Space Strategy qui plaide, de manière controversée, pour « improve our ability to attribute attacks ». Dans ce domaine, les Etats-Unis dominent clairement. Cela n’est pas innocent car la SSA est, bien que de manière non exclusive, un préalable à l’arsenalisation de l’espace : il faut connaître la position de l’ennemi avant de l’attaquer.
Le système GRAVES
Les Européens s’y mettent également. Pour eux, toutefois, la SSA, que nous avons donc traduit comme la « connaissance de la situation spatiale », est beaucoup plus large : il s’agit de la prise en compte, à côté des menaces humaines, des « menaces astronomiques » (débris, astéroïde, météorologie de l’espace, etc.). Une interprétation fort différente – et très intéressante – si nous la comparons à la vision américaine. Enfin, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis, l’Europe ne dispose pas encore d’une capacité SSA totalement autonome. La France dispose certes d’un système de radar appelé GRAVES (Grande Réseau Adapté à la Veille Spatiale) et opérationnel depuis 2005. (Il aurait réussi, dit-on, à observer le test ASAT chinois de 2007.) Mais d’importants efforts restent encore à fournir au niveau européen. Après Ariane et Galileo, l’accès à une SSA indépendante serait en tout cas une évolution logique.

Ce dernier point nous amène à dire que cette problématique est également connue de Jean-Luc Lefebvre puisque nous pouvons considérer que « il est stratégique pour une puissance qui se veut indépendante de disposer de moyens autonomes pour détecter, identifier et classifier tous les objets spatiaux pouvant représenter une indiscrétion, un risque ou une menace » (p. 172). Nous pouvons donc parler de « principe stratégique préalable » dans le sens où « la connaissance de la situation spatiale doit être le prérequis de toute stratégie prenant en compte le fait spatial. Le premier investissement à consentir n’est donc pas en orbite, mais au sol, dans des moyens de surveillance de l’espace » (p. 234). 

Il faut tout simplement « connaître ce qui se passe dans l’espace » (p. 231).

Pour aller plus loin, je vous conseille la lecture de deux études, l’une de l’IFRI : Laurence Nardon, « Space Situational Awareness and International Policy », 2007 ; l’autre de l’ESPI : Wolfgang Rathgeber, « Space Situational Awareness (SSA) for Europe. A First Important Step », 2008. A propos du livre de Jean-Luc Lefebvre, un entretien est disponible sur le blog d’Olivier Kempf.

lundi 26 septembre 2011

L’espace militaire américain dévoile un peu plus ses secrets. 50 ans d'espionnage américain.

La NRO (National Reconnaissance Office), en charge aux Etats-Unis de la conduite des programmes d’espionnage spatiaux, n’a été officiellement reconnue qu’en 1992, soit trente et un ans après sa création. Ses activités restent toutefois difficiles à cerner. De fait, si l’on connaît « bien » les deux programmes spatiaux civil (NASA) et militaire (Pentagone), le troisième programme, lui, est demeuré relativement secret, caché dans l’ombre d’organismes eux-mêmes secrets (la NRO et la NSA). (Un quatrième programme pourrait être présenté, celui qui poursuit les recherches sur les armes spatiales.)

Mais parfois, ici et là, le secret est levé, comme en 1995 lorsque le président Clinton prend la décision de rendre publique une partie du programme des satellites de reconnaissance CORONA (officiellement connu sous le nom de Discoverer). Depuis, le reste est peu à peu dévoilé. Ainsi le 17 septembre dernier, ce sont deux programmes de satellites clandestins datant des années 1960s qui sont déclassifiés : GAMBIT et HEXAGON.

De fait, l’exposition publique de trois satellites-espions (le KH-7 GAMBIT, le KH-8 GAMBIT 3 et le KH-9 HEXAGON) a constitué le clou du spectacle des célébrations des 50 ans de la NRO. HEXAGON (en opération durant les 1970-1980s) est sans doute le plus impressionnant : de la taille d’un bus, long de 18m, large de 3m, il est le plus gros satellite-espion jamais lancé par les Etats-Unis dans l’espace. D’où son surnom, « Big Bird ».
HEXAGON Spy Satellite ExplainedGiant HEXAGON Spy Satellite RevealedHEXAGON Spy Satellite: Rear ViewHEXAGON Spysat Rear Engine ViewNRO's HEXAGON Spysat Flight Profile
GAMBIT est à peine plus ancien. Beaucoup moins gros (4,5m de long pour 1,5m de large), cette série de satellites avait une durée de vie bien moindre (en moyenne 6 jours contre 124 pour HEXAGON) mais une résolution similaire (moins d’un mètre). Tout comme HEXAGON, GAMBIT utilisaient des films dont le retour sur terre se faisait via des capsules récupérées au vol par des avions spécialisés. 
Close-Up View of a GAMBIT Spy SatelliteKH-7 GAMBIT Spy Satellite: Side ViewThe KH-7 GAMBIT Spy Satellite: Rear ViewGAMBIT 3 Spy Satellite Flight Profile
Pour en savoir plus, je conseille la lecture de Jacques Villain, Satellites espions. Histoire de l’espace militaire mondial, Paris, Vuibert, 2009.

jeudi 22 septembre 2011

Pourquoi être allé sur la Lune ?


Il y a un peu plus de 50 ans, le 25 mai 1961, le président John F. Kennedy annonçait devant le Congrès américain sa décision d’envoyer des hommes sur la Lune d’ici la fin de la décennie. Ainsi commençait la plus grande mobilisation humaine et financière jamais réalisée aux Etats-Unis en temps de paix. En l’espace de deux ans, la NASA allait voir son budget augmenter de 400% passant de USD 1,1 milliards à près de USD 5,7 milliards. Le nombre d’employés de la NASA était multiplié par trois en 5 ans atteignant 34 500 en 1965. Quant au nombre d’emplois dépendant de l’espace, il passait de 36 500 en 1960 à 376 000 en 1965.

Pourquoi les Etats-Unis ont-ils décidé d’aller sur la Lune ? La question semble d’autant plus pertinente aujourd’hui que l’histoire d’Apollo est « polluée » par le mythe et la nostalgie. Il faut dire que le cinéma hollywoodien n’hésite pas à faire sienne l’aventure qui a culminé avec l’atterrissage sur la Lune (NB : « alunissage » n’est pas propre en français) d’Apollo 11 en 1969. Certes, nous avions l’excellent Apollo 13, mais…

… qu’on en juge plutôt : déjà, en juin dernier, Transformers III choisissait d’expliquer la décision d’aller sur notre satellite par la découverte d’un vaisseau extra-terrestre sur « la face cachée de la Lune », et la fameuse « course à Lune » par le désir commun des deux Grands de s’approprier les secrets des Aliens. Or, désormais, nous avons aussi l’explication quant à la fin du programme Apollo. Encore que je vous laisse découvrir la surprise : le film sort le mois prochain.

Alors répétons-nous, pourquoi les Etats-Unis ont-ils décidé d’envoyer des hommes sur la Lune ? Bien que 308 pages soient nécessaires pour y répondre, j’essaierai de vous épargner les détails. Retenez toutefois que l’histoire de la décision de Kennedy de 1962 vient d’être (re)écrite par le meilleur historien de l’espace américain, John Logsdon, dans son dernier ouvrage, John F. Kennedy and the Race to the Moon (2010). Pour les plus curieux, une brève recension – écrite par votre serviteur – est disponible sur le blog de relations internationales e-IR, en anglais.

Ce que dit Logsdon peut être résumé de la façon suivante : 

1) Kennedy n’est pas arrivé au pouvoir avec une vision pour l’espace et l’Amérique. Ce n’est pas que l’espace ne l’intéressait pas (une grande partie de sa campagne était fondée sur l’existence d’un « missile gap »). Même s’il est vrai, par ailleurs, qu’il a préféré mettre en avant le vice-président pour ces questions là. Mais davantage parce que pour lui l’essentiel était sur Terre, c'est-à-dire que le plus important demeurait la relation entre les Etats-Unis et l’URSS. Logsdon a donc le mérite de montrer que l’approche privilégiée par Kennedy n’était pas la compétition, mais la coopération. Pour lui, l’espace pouvait incarner un terrain d’entente neutre entre les deux Grands. Dans ce cadre là, la Lune offrait un excellent catalyseur capable ensuite d’étendre un climat de confiance aux questions véritablement dignes d’intérêt, celles de sécurité et de nucléaire (crise de Cuba). En 1963, malgré les plans de la NASA et le projet Apollo alors en pleine phase de lancement, Kennedy n’avait par exemple pas hésité à tendre la main à l’URSS lors d’une tribune à l’ONU.

2) Kennedy n’a pas pris la décision d’aller sur la Lune avec l’idée explicite de détourner la course aux armements entre les deux Grands vers une destination que l’on qualifierait d’« inoffensive », car n’impliquant « que » le prestige. Au contraire, ce que la décision de 1962 montre, c’est que Kennedy n’est pas un visionnaire ou un idéaliste mais un décideur pragmatique. De fait, l’époque de la guerre froide n’est pas entièrement déterminée par le dilemme de sécurité et la crainte de l’apocalypse. Ce qui importe, c’est aussi l’idéologie, c’est l’image, c’est la perception que les autres – les nations décolonisées, les pays du Tiers monde – ont de vous. Or l’espace, parce qu’il incarne plus que tout autre chose la supériorité technologique, voire l’excellence culturelle et morale, d’un pays, d’un système, est ici très important. Kennedy ne pouvait pas laisser l’URSS gagner cette bataille là.

3) Je dis « la » décision de Kennedy d’aller sur la Lune. Mais il y a en réalité eu plusieurs décisions, confirmant jour après jour la tendance que le premier discours avait laissé percevoir, celle d’aller sur la Lune… seul ! Compétition ou coopération ont longtemps constitué un dilemme pour l’administration Kennedy. Pour cette raison, Logsdon parle d’un modèle rationnel qui s’appliquerait parfaitement à cet exemple de prise de décision. Kennedy a compris qu’il y avait un problème ici-bas – les perceptions tant internationales que domestiques vis-à-vis des Etats-Unis – et que la solution se trouvait là-haut – trouver une entreprise suffisamment puissante pour captiver l’imagination du monde mais aussi suffisamment lointaine pour laisser à l’Amérique le temps de se préparer… et de gagner. La solution, c’est aller sur la Lune. Après l’échec de la baie des cochons et l’humiliation provoquée par le vol de Gagarine, les Etats-Unis étaient au plus bas. Avec la Lune, ils disposaient d’un objectif avec lequel ils pouvaient rivaliser d’égal à égal avec l’URSS.


4) Cela n’empêche pas Apollo de représenter beaucoup d’autres choses. Tout d’abord, Kennedy n’avait certainement pas idée de l’immense impact qu’aurait Apollo sur l’économie et la société des Etats-Unis. Si la décision a été prise en haut – surtout pour des raisons de politique étrangère – elle a été appliquée par d’autres. Au premier rang, James Webb, l’administrateur de la NASA, un Démocrate tendance New Deal pour qui Apollo était aussi un gigantesque programme de relance (éducation, développement, etc.). La même chose vaut pour le vice-président Johnson qui appliquera au sein de sa nouvelle administration un programme « socialiste » de « Great Society ». Plus largement, l’entreprise était trop vaste pour empêcher la formation de « pork barrel politics » bénéficiant à tel ou tel membre du Congrès et sa région d’origine (le choix de la Floride, Texas, ou Californie pour abriter les centres spatiaux). Enfin, Apollo, c’est aussi l’incarnation d’une philosophie libérale occidentale (avec la volonté et les moyens, l’homme peut dominer la nature) tout particulièrement à l’aise aux Etats-Unis, puisque s’ajoute un idéal messianique, etc.

5) Pour terminer, Apollo a marqué l’histoire de l’humanité, mais rien ne garantissait son succès final. A ce propos, si personne n’a encore réussi à relancer l’espace civil aux Etats-Unis sur un objectif aussi ambitieux (Mars a plusieurs fois été évoqué : mais de Bush père à Bush fils, le résultat est nul ; on attend encore de voir pour Obama), c’est aussi parce qu’Apollo a bénéficié d’une situation hors du commun. Outre le contexte plus général de la guerre froide, il faut se souvenir que c’est l’assassinat de Kennedy qui a installé une bonne fois pour toute Apollo dans le paysage politique américain. Le nouveau président Johnson (outre d’être d’ailleurs un fanatique de l’espace) ne pouvait pas remettre en cause un programme qui incarnait l’héritage spirituel de son prédécesseur et son don à l’Amérique. La même chose vaut pour Nixon (et explique sans doute le besoin d’être toujours faster, higher, stronger avec la navette spatiale). Cette remarque est d’autant plus importante que les Etats-Unis subissent alors de plein fouet le reflux de la guerre du Vietnam. 

Bref, un livre à lire !

lundi 19 septembre 2011

Game of Thrones (4) Une approche critique

Pour cette dernière étude de la saison 1 de Game of Thrones sous le prisme (introductif) des RI, je vous propose 3 thèmes minoritaires non encore traités : a) l’opposition barbare/civilisation, b) un monde de femmes, c) bâtards, prostitués et paysans. Ce billet sortira en effet du paradigme hégémonique (réalisme, libéralisme, constructivisme) pour s’essayer (très) brièvement à ce que les autres approches de RI proposent comme lecture du monde. Il se voudra donc « critique » dans le sens où il ne prendra pas comme objet d’étude les rapports de force entre grandes puissances ou le rôle des élites-décideurs. Et dès lors, je me risquerai aussi à prendre appui sur les livres, peut-être plus que sur la série.

a) GoT est-il raciste ?

Comme le Seigneur des Anneaux avant lui, GoT joue sur l’opposition barbarie/civilisation. Prenez les Dothraki. Nu, tribal, nomade, tatoué, le peuple auquel est confiée la jeune femme blonde Daenerys est tout sauf civilisé. Mariée au puissant chef de clan Khal Drogo (joué par l’acteur originaire d’Hawaï, Jason Momoa), l’héritière de la dynastie royale chassée du pouvoir en Westeros (la civilisation) doit affronter un monde tenant à la fois des Huns, des Mongols et des Indiens d’Amérique (la barbarie).
Khal Drogo and Daenerys Game of Thrones
De fait, les Dothraki ressemblent à une peuplade primitive incapable de penser l’innovation ou même la pensée abstraite, et donc la culture et la politique. Chez eux, le gouvernement est brutal par définition et seule la force est reconnue. De l’honneur ou du devoir, nulles traces. Il en est de même de la monarchie héréditaire. Un Khal (un chef local) se doit d’être fort et ne songe – pour le prouver – qu’à piller et à conquérir. 

Il s’agit en bref de sauvages précapitalistes superstitieux (ils ont peur de la mer et ne comprennent le monde qu’à travers des métaphores équestres) qui ne possèdent pas même d’équivalent pour « merci » dans leur langue (pour apprendre celle-ci et comprendre comment se construit l’opposition barbarie/civilisation, voir ici et , et encore la vidéo ci-dessous). Comme l’écrit Pablo de chez The Disorder of Things : « Their language has the harsh intonations familiar from other racialised constructions, like Klingons without technology. Oh, and they’re quite swarthy ». Des barbares stéréotypés vous dis-je !


Pour autant, il est difficile d’affirmer que GoT est raciste. Plus qu’une histoire, GoT est avant tout un univers. Mon avis – de lecteur – est d’ailleurs que George Martin est plus à l’aise dans le rôle d’architecte que dans celui d’écrivain. Ainsi, ce monde alternatif est crédible car plusieurs cultures différentes s’y côtoient. Si, pour arriver à ce résultat, GoT prend le risque de partir sur des extrêmes, il évite aussi en partie la formation de comparaison désobligeante étant donné l’absence de perfection morale chez l’un comme chez l’autre. Personne ne peut être sauvé : il n’y a ni bon ni mauvais !

Reste que Khal Drogo émerge peu à peu de son trou bestial grâce au potentiel civilisateur érotique de sa nouvelle compagne, Daenerys. A l’image de ce mauvais film qu’est La Guerre du feu (Jean-Jacques Annaud, 1981), la civilisation passe par l’apprentissage du sexe. A noter qu’il s’agit d’un cliché de la littérature depuis au moins les aventures sumériennes de Gilgamesh et notamment la rencontre entre la bête Enkidu et la courtisane. D’ailleurs idem pour Les Mille et une Nuit qui ne raconte pas autre chose. Bref, la civilisation naît – physiquement et moralement – du féminin !

b) Quelle place pour les femmes ?

De fait contrairement à d’autres livres de fantasy dont l’univers reste essentiellement masculin, GoT met en avant le rôle des femmes. Et ce qui est vrai de cette première saison le sera encore davantage des prochaines à mesure que de nouveaux personnages féminins prendront place. Mais George Martin ne fait pas pour autant dans le féminisme. Certes, les femmes d’Etat intelligentes et fortes sont nombreuses : Cersei et Catalyn par exemple, peut-être Sansa et Lysa à la fin de la saison. Mais celles-ci ne sont pas des personnages féministes dans le sens où elles essaient (encore) de s’intégrer dans une hiérarchie masculine. 

Un modèle inverse pourrait être celui développé par Arya qui, tout en cherchant à prendre un rôle masculin (elle ne cesse de répéter qu’elle ne veut pas être une « lady » et préfère le maniement des armes à celui des aiguilles à coudre), ne nie pas son propre sexe pour autant (« I am not a boy, I am Arya Stark of Winterfell »). En réalité, passer pour un garçon est davantage une stratégie de survie (à la fois temporaire et désespérée) imposée par la dureté de la situation qu’un trait de personnalité.

Nous avons déjà eu l’occasion d’analyser le rôle de séductrice joué par Daenerys en relation avec les Dothraki. A la fois ingénue et diabolique (tropisme de la femme mi-ange mi-démon), protégée par l’amitié des femmes qui l’entourent et par le respect d’hommes puissants, elle incarne un personnage d’autant plus ambivalent que la fin de la série se termine sur son apothéose. Tel le phénix, sa naissance signe, non pas l’apparition d’une nouvelle Vénus sortie des eaux, mais plutôt celle d’une femme harpie née et fécondée par le feu. Un monstre féminin vengeur n’ayant pour cacher sa nudité que trois dragons – l’équivalent de l’arme absolu dans GoT
Game of Thrones Episode 7File:Daenerys and dragon.jpg
Dans le livre, Catalyn, la femme de Eddard Stark, n’est pas très différente de Daenerys lorsque celle-ci pousse son mari à suivre un agenda d’émancipation des esclaves et une politique plus progressiste. Dans la série toutefois, Catalyn n’est plus aux manettes. Le personnage a été entièrement remodelé : il ne donne plus de conseils tactiques, mais adopte plutôt les contours archétypaux de la femme cloîtrée dans le domaine domestique et restant à la maison (immobilité) en attente du mari agissant (mobilité), si communs aux films hollywoodiens. Reste à savoir comment la télévision fera évoluer ce personnage central.

Quant à Sersei, le rôle dans lequel la première saison semble la confiner est celui de la mère tant possessive qu’ambitieuse pour l’avenir de ses enfants. Mais Sersei est, là encore, un personnage beaucoup plus complexe – ce que les livres mettent en avant, puisque de nombreux passages sont narrés selon son point de vue. La relation incestueuse qu’elle entretient avec son frère jumeau en témoigne tout particulièrement. S’y projette en effet une personnalité trouble à la fois frustrée (= être un homme, comme son frère à qui elle ressemble physiquement, et hériter ainsi du respect et du nom de son père) et dominatrice (= rester une femme et montrer qu’elle est aussi forte que les hommes qu’elle parvient, grâce à sa grande beauté, à subjuguer et à dominer, dont le frère en question).

c) Féminisme et post-colonialisme : les oubliés 

En Relations internationales, les thèmes qui viennent d’être traités peuvent servir d’illustration aux théories « critiques » dites féministes et post-colonialistes. Les théories féministes qui ont commencé à véritablement proliférer au début des années 90 ont cherché à produire une alternative au discours dominant (« mainstream » et « manstream ») centré sur les hommes, les Etats et la guerre. L’analyse post-colonialiste prolonge cette remise en cause des Relations internationales telles que pensées de manière traditionnelle en ajoutant à la critique de la masculinité sous-jacente des théories la reconnaissance de leur caractère occidentalo-centré.
Dans ces conditions, toute discussion genrée de GoT doit examiner les deux perspectives, en tenant compte à la fois des femmes et des hommes, mais aussi des dominants comme des dominés. Dans la continuité des analyses que nous venons de donner relatives à la place des femmes et à la dialectique barbare/civilisation, disons rapidement que, grosso modo, trois autres séries de personnage ont un rôle non négligeable :

Tout d’abord, il y a les bâtards dont l’existence en tant qu’institution (les bâtards non-légitimés ont pour nom de famille la région dans laquelle ils naissent : par exemple, snow pour le Nord enneigé et stone pour la région montagneuse du Vale) est fondamentale pour expliquer les relations entre les hommes et les femmes, notamment lorsque les hommes sont les représentants de grandes familles. 

John Snow est l’exemple parfait, déchiré entre ses ambitions (ne pas trahir son sang, ses origines : il est un des fils de Stark) et son statut de marginal (ne pas sortir du rang : il n’est pas le fils de Catalyn et celle-ci n’oublie de le lui rappeler). La différence est d’autant plus importante qu’elle est en quelque sorte naturalisée : son compagnon est un loup albinos, alors que ses (demi-)frères et sœurs ont des loups de couleur sombre ; son seul avenir est le Night’s Watch, c’est-à-dire une armée dont le modèle se situe entre la Légion étrangère (nouvelle identité) et la méthode de recrutement que certains disent être celle de l’armée américaine (les plus pauvres, les marginaux, les dominés).
Parmi les bâtards, je rangerai aussi la figure du nain Tyrion Lannister (joué par Peter Dinklage, récemment récompensé par un Emmy) que son père rejette à la fois pour sa difformité et pour le rôle qu’il a joué dans la mort de sa mère lorsque celle-ci l’a mis au monde (« All dwarves are bastards in their father's eyes »). Ce personnage, très important dans la saga, doit constamment jouer avec les préjugés de sa société. Son nanisme est d’autant plus intéressant qu’il n’est pas intégré dans une logique fantastico-raciale comme chez Tolkien et consorts. 

Existent aussi les prostitués toujours présentes en arrière fond, qu’elles soient courtisanes, tenancières de bordels ou simples filles de joie. Certaines jouent même un rôle important (Ros, Shae, ou Tysha, l’ancien amour de Tyrion). Enfin, il y a tous les autres, demeurés à l’ombre du « game of thrones » : péons et villageois victimes de la guerre et de la famine, mercenaires à la recherche d’argent facile, espions à la solde des uns et des autres, soldats déracinés, eunuques, esclaves, membres des différents clergés, fanatiques, etc. Autant d’individus dont la présence, bien que secondaire, est sans cesse rappelée (émeutes urbaines, jacqueries, guerres de religion, etc.).

*~*

Ainsi s’achève cette rétrospective consacrée à la série télévisée/saga littéraire Game of Thrones selon l’angle des principales théories des relations internationales. Je vous rappelle quels en étaient les épisodes : 


Y a-t-il quelque chose à rajouter ?

samedi 17 septembre 2011

Stratégie spatiale. Et si demain… ?

Dans Los Angeles 2013 (Escape from L.A., 1996), Snake Plissken (Kurt Russel) active un EMP (electromagnetic pulse) lancé depuis l’espace en direction de la Terre par une constellation de satellites. En choisissant de « shut down the Earth », le héros sait que « everything we’ve accomplished in the past five hundred years would be finished, our technology, our way of life, our entire history, we will have to start all over again »

Ce faisant, le film se termine (le fameux appel « Welcome to the human race » adressé directement au spectateur) là où commence une autre œuvre majeure de la science fiction : Ravage (1943) de René Barjavel. Après la disparition de l’électricité et le naufrage de la société industrielle, l’humanité – prise par surprise – doit alors se réinventer…
Peut-être l’analogie est-elle à même de percevoir l’enjeu que pose la question de la « résilience spatiale ». Quel impact si les satellites disparaissaient demain ? Jean-Luc Lefebvre va jusqu’à évoquer un scénario apocalyptique à la John Carpenter : « le nombre d’applications civiles utilisant un satellite sans que l’utilisateur en ait conscience est considérable, à tel point qu’une journée sans satellite se vivrait comme un cauchemar faisant régresser d’un demi-siècle les sociétés occidentales les plus évoluées ! » (p. 118)
Fichier:Steamtop.jpg
Un ordinateur victorien (inspiration Steampunk)
Pour cause, autant les applications spatiales répondaient hier à une demande d’experts, autant aujourd’hui se sont-elles répandues partout : les satellites répondent aux besoins de tous les utilisateurs et leur usage s’est étendu dans les villes et les campagnes (guidage des tracteurs), chez les particuliers (télévision ou haut-débit) comme chez les professionnels (génie civil, recherche, industrie, défense…). En résumé, « Une journée sans satellite perturberait grandement le fonctionnement des sociétés à l’économie avancée » (p. 231)

Troisième principe stratégique complémentaire selon la classification de Jean-Luc Lefebvre, la résilience spatiale peut donc se définir comme « la volonté et la capacité d’un pays, de la société et des pouvoirs publics à résister aux conséquences de défaillances majeures ou de la destruction d’un grand nombre de moyens spatiaux, puis à rétablir rapidement la capacité de la société et des pouvoirs publics à fonctionner normalement, ou à tout le moins dans un mode socialement acceptable » (p. 261).

A noter que sans avoir recours à une imagination débordante, un tel scénario est parfaitement envisageable : qu’il s’agisse de la conséquence d’actions agressives d’origine humaine (ce que les Américains qualifient de « Pearl Harbor spatial ») ou de catastrophes d’origine naturelle, mais à dimension cosmique (tempête solaire, météorites, etc.). Dans ces conditions, les puissances spatiales s’essayent à trouver des solutions : durcissement des satellites, redondance des systèmes, etc. 

Mais aussi, tout simplement, prise de conscience de cette vulnérabilité afin que les populations ne se trouvent pas surprises tant elles ignorent souvent l’ampleur de la dépendance de nos sociétés à l’égard du spatial. Pour preuve, ce JT Fiction produit par le CNES dont voici la première vidéo (1/10) :


Un monde sans satellite ?... 01/10 par CNES

vendredi 16 septembre 2011

Trouvé « Tatooine » nous avons !

%22Star+Wars%22+%3a+Tatooine+existe+vraiment+!
Lire ici.
Dans Star Wars, épisode IV : Un Nouvel Espoir, le jeune héros Luke Skywalker contemple le double coucher de soleil de sa planète natale… le tout, sur un fond de musique devenu fameux et qui n’a fait que rendre la scène encore plus extraordinaire !
A real-life Tatooine planet with two suns was discovered by NASA's Kepler telescope.
Ici.
Or désormais nous savons où se trouve cette planète. Après les planètes de type Arrakis, le télescope Kepler de la NASA vient de découvrir un monde similaire à celui créé par George Lucas en 1977, appelé Kepler-16b. Les astronomes à l’origine de la découverte n’ont en effet pas tardé à faire le rapprochement lorsqu’ils ont compris qu’ils avaient affaire à une exo-planète tournant autour d’une étoile binaire. Pour autant, la comparaison s’arrête là : la planète est inhabitable ; faite de gaz, elle est aussi extrêmement froide.

Reste que Kepler-16b n’est pas unique dans l’univers. L’avenir nous réserve certainement d’autres exemples de « Tatooine », y compris des planètes rocheuses susceptibles d’accueillir la vie. C’est d’autant plus vrai que le nombre d’exo-planètes ne cesse de grandir : 50 de plus cette semaine, dont 16 super-Terres, si l’on en croit les scientifiques de l’Observatoire européen de l’ESO au Chili. Ce qui porte la récolte à près de 600 exo-planètes connues aujourd’hui. A noter que la première exo-planète a été détectée en 1995 à l’Observatoire de Haute Provence et que 155 planètes extrasolaires étaient déjà connues en 2005.
Après les figurines LEGO, cette découverte  préparée plusieurs jours à l'avance sur internet  montre que la NASA poursuit son plan de communication dans le domaine du cinéma aussi. Encore une confirmation du principe stratégique selon lequel une puissance spatiale digne de ce nom doit savoir « entretenir une culture imaginaire tournée vers les étoiles ». Mais ces découvertes – les exo-planètes – peuvent aussi se rapporter, plus généralement, à la « connaissance de la situation spatiale » (SSA). Du moins telle que définie par l’UE, à savoir non pas tant d’un point de vue humain et militaire qu’astronomique et spatial : les astéroïdes, les tempêtes solaires, etc. Bref, aucun doute, il nous faudra revenir sur cette dernière notion, lui-même un principe stratégique préalable important !
… à suivre.

mardi 13 septembre 2011

Liens de la semaine (3) Être Américain dans l’ère post-9/11

Certains auront peut-être remarqué l’absence de l’habituel billet du lundi sur Game of Thrones. Veuillez m’en excuser, la série ne reprendra que la semaine prochaine. 11 septembre oblige…
Trouvé ici

En effet, le matraquage médiatique provoqué par l’anniversaire du 11 septembre n’empêche pas certains commentaires – j’espère que cela compte pour ici aussi – de sortir du lot. Mon florilège, en rang d’intérêt croissant, est donc : 

1) Médiatique 

Big Browser, le blog du Monde.fr, nous propose une sélection d’infographies interactives rendant compte de la commémoration du 11 septembre.

2) Economique

Après les annonces faites par Goldman Sachs en 2003 et constamment révisées depuis, le journal The Economist propose, non pas l’actualisation de la date exacte (2030, 2019, 2013 ?) de la « Grande Convergence », mais davantage une confirmation de la future domination économique de la Chine. D’ici 2030, la part occupée par l’économie chinoise dans le monde sera aussi importante que celle prise en 1970 par les Etats-Unis, et même plus grande que celle revendiquée par la Grande-Bretagne en 1870.

3) Politique

La citation politique est de « good old » Francis Fukuyama. Tout d’abord pour dire que les attentats du World Trade Center n’auront pas l’impact que certains leurs prédisaient :
Since 2001 the most important world-historical story has been the rise of China. This is a development whose impact will almost certainly be felt in 50 years' time. Whether anyone will remember Osama bin Laden and al-Qaida at that remove is a different matter.
… Ensuite pour affirmer que, malgré l’ascension de la Chine justement, la « fin de l’histoire » est toujours d’actualité :
Aujourd'hui comme il y a vingt ans, il n'y a pas meilleur modèle d'organisation politique que la démocratie libérale dans le cadre d'une économie de marché. Personne n'a envie de copier les modèles d'organisation politique iranien ou afghan. Le modèle chinois, dynamique économiquement, pourrait constituer une alternative mais politiquement, je ne pense pas qu'on puisse imiter ce système, fruit d'une histoire plurimillénaire. Par conséquent, je considère toujours qu'il n'y a pas d'alternative à la démocratie libérale de marché 
4) Psychologique

Du 11 septembre, c’est certainement le traumatisme subi par l’Amérique qu’il faut retenir. A ce sujet, l’analyse donnée par Roger Launius vaut la peine d’être longuement citée, ne serait-ce que parce qu’elle parle d’espace :  
At several levels there are intriguing parallels between the Sputnik crisis of 1957-1958 that Eisenhower faced and the aftermath of the terrorist attack on the United States made on September 11, 2001. […]
In both instances, these events signaled that the U.S. was not immune from serious challenge to its society and national power. One was a symbolic attack on American might, the other a literal attack. Both sparked a response that led to serious changes in the direction of the nation, and some might argue that in both instances some of the response was ill-conceived. […]
Both were surprises and evoked a public response of shock and then a steeling of resolve not to allow the challenge to go unmet. Feelings of insecurity and in some instances hysteria in Washington abounded in both cases. There was a sense that the nation as a superpower might be at risk and the response needed to be swift and decisive. […]
Interestingly, in both instances the president took criticism for failing to anticipate and react to the challenge, and thereby mitigating it or at least minimizing its impact. […] Eisenhower’s supposed complacency in failing to anticipate Sputnik, and his slowness to react afterward, tarred his administration and his image for a generation. Whether he deserved that criticism is questionable, but his failure to recognize the obvious concern of the public was shortcoming of consequence. Refusing to overreact served his and the nation’s long-term needs well. […]  President Bush, on the other hand, embraced the use of American power in the aftermath of 9/11 and engaged in actions that some believed an overreaction to the perceived threat, especially the invasion of Iraq in 2003.
4) Cinématographique 

Enfin, comment parler de la dernière décennie sans faire référence à Hollywood ? Tom Ricks se demande ainsi quels sont les films étiquetés « 11 septembre » qui ont marqué les dix dernières années :
So where are the memorable 9/11 movies? Is it that not enough time has passed? I can remember back in the 1970s when people were asking the same about the Vietnam war movies, and then a bunch came along, including Apocalypse Now, which is great but flawed, like many of the most interesting works of art.  
Je ne crois pas qu’il faille chercher très loin. Assez rapidement, il y a bien sûr 24 heures Chrono qui vient en tête. Certes, il s’agit d’une série, qui plus est réalisée avant les attentats. Pour autant, qui mieux qu’elle a pu incarner cette dernière décennie ? Outre d’avoir été diffusée pour la première fois en novembre 2001 et d’avoir pris fin en 2010 après 8 saisons, n’a-t-elle pas su représenter à l’écran le genre de questions éthiques soulevées par la lutte contre le terrorisme ?

Mais peut-être que l’approche consistant à chercher les films ayant pris pour base de scénario le 11 septembre ou ayant dû enlever les tours de leurs pellicules, bien qu’intéressante par ailleurs, ne soit pas la plus pertinente. Si l’on veut trouver le film labellisé « 11 septembre », alors il faut certainement étendre l’objet de recherche et visionner l’ensemble des productions parues dans la dernière décennie et dont le récit serait centré sur ce que c’est qu’être Américain après le « nine-eleven ».

Voici ma sélection spontanée, non définitive, ni même détaillée : ces « 11 » films, d’une manière ou d’une autre, abordent la question de l’identité des Etats-Unis et de lévolution de celle-ci au cours de dix dernières années…

Pearl Harbor, mai 2001 


Collateral Damage, février 2001


We were soldiers, mars 2002


Minority Report, juin 2002
A man wearing a leather jacket stands in a running pose. A flag with the PreCrime Department insignia stands in the background. The image has a blue tint, and many flashing lights. Tom Cruise's name stands atop the poster, and the film title, credits, and the tagline "Everybody Runs June 21" are on the bottom.

The Quiet American, septembre 2002


Fahrenheit 9/11, mai 2004


War of the Worlds, juin 2005
An alien hand holds Earth, that is engulfed in flame. A red weed surrounds the hand. Above the image is the film's title, WAR OF THE WORLDS and the main actor, TOM CRUISE. Below is the release date, JUNE 29, and the cast and crew credits.

Syriana, novembre 2005


Rendition, octobre 2007


Trilogie Jason Bourne (juin 2002, juillet 2004, août 2007)


Iron Man (mai 2008 et avril 2010)
Tony Stark is pictured center wearing a smart suit, against a black background, behind him are is the Iron Man red and gold armor, and the Iron Man silver armor. His friends, Rhodes, Pepper, are beside him and below against a fireball appears Ivan Vanko armed with his energy whip weapons.
Beaucoup valent la peine d’être commenter, qu’il s’agisse de l’objectif du réalisateur, du scénario lui-même ou de la réception critique et du contexte dans lequel le film s’inscrit. Pour ma part, je ne m’arrêterai rapidement que sur le premier : Pearl Harbor, sorti dans les cinémas en mai 2001, rediffusé après les événements du 11 septembre, est d’autant plus à sa place dans cette liste que je viens d’évoquer un autre traumatisme, à côté du 11 septembre et de Pearl Harbor…  Spoutnik. Pearl Harbor et Spoutnik, deux crises que l’Amérique remporte avec succès (1945 et 1989-1991) contre un ennemi clairement identifié (Japon et URSS). Le contraste est d’autant plus saisissant.

Et vous, quel film vous a-t-il le plus marqué ?

dimanche 11 septembre 2011

Une décennie plus tard (2) Quelles sont les conséquences du 11 septembre sur l’espace ?

Le « nine-eleven » et les événements qu’il a entraînés ont considérablement marqué la première décennie du XXIe siècle. Dix ans après, alors que le monde s’apprête à se remémorer les événements du World Trade Center, les interrogations sont loin d’être taries et nous étudions encore l’impact de ces attaques terroristes sur les relations internationales. Mais nous nous posons semble-t-il moins la question par rapport à l’espace extra-atmosphérique. 

Or, étant donné les plans américains concernant l’utilisation agressive du milieu spatial et l’objectif de « space dominance » telle que défini dans les années 1990, l’interrogation est certainement légitime. Quelles ont donc été les conséquences du 11 septembre sur l’évolution de l’espace ? Plus précisément, les attentats de New York ont-ils empêché le développement de l’arsenalisation de l’espace en concentrant l’attention des décideurs et du public sur l’Afghanistan, l’Irak et la guerre contre-insurrectionnelle, ou bien ont-ils au contraire servi d’aiguillon, ou, enfin, ont-ils été indifférents ? 

Contrairement à ce qui est souvent dit, ces événements n’ont pas signé la fin de l’unipolarité américaine. Au contraire, les années suivantes ont montré que la suprématie des Etats-Unis était plus que jamais totale. Ainsi, de l’impact du « nine-eleven », ce qui a surpris, c’est moins les attentats eux-mêmes, que la vigueur et l’envergure de la réaction américaine. Les guerres d’Afghanistan et d’Irak ont illustré de manière encore plus spectaculaire ce que l’Amérique avait déjà montré lors de la guerre du Golfe en 1991. Clairement, militairement parlant, « there is only one player on the field that counts » et il s’agit des Etats-Unis. 

1) La militarisation de l’espace : une tendance lourde confirmée
L’utilisation sans cesse plus grande de la guerre intelligente peut en témoigner. Le nouveau paradigme qui s’appuie sur la multiplication des capacités militaires grâce aux nouvelles technologies de l’information que confèrent les satellites d’observation, de télécommunications et de navigation – ce que les Américains qualifient de Révolution dans les Affaires Militaires (RMA) – a plus que jamais gagné en profondeur durant les années 2000. La militarisation de l’espace dont l’utilisation tactique était déjà bien avancée s’est ainsi accentuée de manière spectaculaire, qu’il s’agisse des tirs de missiles guidés par GPS ou de la quantité d’informations relayées par satellites.
Source
2) L’arsenalisation de l’espace : un effet 11 septembre ?

Si la place prise par l’espace dans la façon américaine de faire la guerre n’a pas diminué, mais s’est au contraire accentuée, la politique de « primauté » à laquelle était sous-entendue son utilisation n’a pas non plus changé. Même si l’espace n’a pas pour le président George W. Bush le même attrait qu’il a pu avoir pour d’autres de ses prédécesseurs, le contexte qui contribue à amplifier ce constat – la focalisation des Etats-Unis sur la menace terroriste – va en réalité en instrumentaliser l’usage.

La guerre globale contre le terrorisme (GWOT) a certes pu empêcher la formulation rapide d’une politique spatiale dont la publication est renvoyée à 2006, soit 10 ans après celle présentée par l’administration Clinton, mais elle a aussi conduit à l’émergence d’une nouvelle vision pour l’Amérique dans l’espace. Pour cause, l’élection de novembre 2000, parmi les plus controversées, a vu arriver au pouvoir une équipe dominée par des néoconservateurs et d’anciens représentants d’administrations précédentes qui tous avaient en tête un changement spectaculaire de politique. 

Pour l’espace, l’exemple parfait est incarné par Ronald Rumsfeld. Secrétaire à la Défense sous Ford, membre fondateur du think tank néoconservateur Project for the New American Century, Rumsfeld est aussi l’auteur d’un Rapport remarqué, publié début 2001, et qui prévient les Etats-Unis d’un futur « Pearl Harbor de l’espace » et recommande l’arsenalisation américaine préventive de l’espace. Ronald Rumsfeld devient le nouveau secrétaire à la Défense de l’administration Bush et il saura influencer le nouvel occupant de la Maison Blanche, notamment en rapport avec son « dada » : la défense antimissile. Résultat, en 2002, Washington dit ne plus vouloir dépendre de Moscou ou du Traité ABM pour sa sécurité future.
File:George-W-Bush.jpeg
Contrairement à l’époque Reagan où l’Initiative de Défense Stratégique avait été contrée par un Congrès Démocrate soucieux de stabilité internationale, l’opposition aux plans spatiaux de l’administration Bush se trouve littéralement émasculée en 2001. Pour cause, tel est ici l’effet indirect que les attentats du 11 septembre 2001 ont eu sur l’espace. Bien que la plupart des programmes militaires spatiaux n’aient rien à voir avec la protection contre de futures attaques terroristes, les Démocrates craignent que leur refus ne soit perçu négativement par l’opinion en ces temps agités où le patriotisme et l’union nationale sont de 
rigueur.
Cruise Missile
Un exemple : le projet de Prompt Global Strike
3) L’arsenalisation de l’espace : des plans mais pas de fait accompli ?

Malgré tout, l’ensemble de cette nouvelle vision pour l’espace s’écroule assez rapidement. Dès le second terme de la présidence Bush, la nature plutôt limitée des menaces dans l’espace, de même que le coût sans cesse croissant du double engagement dans les deux guerres simultanées en Irak et en Afghanistan et dans la lutte globale contre le terrorisme, rendent le financement de l’arsenalisation spatiale problématique. A cela il faut ajouter le départ de Ronald Rumsfeld, le principal défenseur de la « space dominance » au sein de l’administration, et le retour sur le devant de la scène publique des préoccupations sur les conséquences négatives d’une telle politique spatiale.

L’heure est désormais au réalisme. Ce qui est vrai au niveau domestique l’est aussi au niveau international. Ainsi, les Etats-Unis doivent rapidement revoir leur position lorsqu’en 2003 la Chine devient la troisième puissance spatiale à placer un individu en orbite. Le signal est d’autant plus fort que la navette spatiale américaine est alors clouée au sol suite à l’accident de Columbia. Pour beaucoup, les Etats-Unis ont perdu la face. La pression de la Chine s’accentue encore lorsqu’elle décide en 2007 de procéder à un tir antisatellite (ASAT) contre un satellite météorologique usagé. Désormais, les Etats-Unis ne sont plus seuls dans l’espace et leurs plans doivent intégrer la réaction potentielle des autres puissances… mais aussi la possibilité de voir un jour l’espace devenir inaccessible à cause de la formation de débris.

Le 11 septembre n’a pas eu de conséquences dramatiques sur l’évolution de l’espace. Tout au plus a-t-il provoqué un durcissement du discours américain. De mon point de vue, la fin de la guerre froide a joué un rôle beaucoup plus important : en faisant des Etats-Unis l’unique superpuissance, elle a favorisé l’émergence d’une politique de type hégémoniste dont l’espace s’est fait le véhicule emblématique à travers une « space dominance » que le Président Clinton a été le premier à inaugurer. Dans ces conditions, l’évolution du spatial militaire sous Bush perd son caractère exceptionnel pour retrouver une place normale aux côtés des autres administrations. 

Dans cette logique encore, malgré l’élection d’une nouvelle présidence Démocrate en 2008, la remise en cause de cette stratégie paraît peu probable…

NB : Sur cette thèse, on peut lire mon mémoire de recherche.

jeudi 8 septembre 2011

Une décennie plus tard. Retour sur Le 11 septembre (1) Le point de vue spatial

Il y a bientôt 10 ans, les images des avions se précipitant sur les tours du World Trade Center faisaient le tour du monde. Ces derniers temps, à l’occasion des commémorations du 11 septembre, nombreux sont les médias, revues spécialisées, blogs, etc. à prêter leurs colonnes aux commentateurs divers.
World Trade Center Aftermath as Seen by IKONOS Satellite
Pour ma part, j’aborderai une perspective qui m’est chère… l’espace. Avant de consacrer un billet à l’impact du 11 septembre sur l’évolution du spatial américain, je préfère adopter le point de vue inverse consistant à regarder le 11 septembre depuis l’espace...

… tel est littéralement ce qu’ont pu faire les astronautes de l’ISS suspendus sur le balcon du monde 350 km au-dessus de la surface du sol. Des humains ont assisté là-haut à l’événement…
NASA Commemorates 9/11 Anniversary
Smoke Plume Rising from Manhattan  4
Credit: NASA

Mais le point de vue spatial est souvent satellitaire, c’est le cas des satellites de télédétection SPOT placés à 822 km d’altitude. Ici 2h après impact, on voit encore les flammes se dessiner à la base de ce qu’il reste des tours.
SPOT Satellite Images of World Trade Center Fires
SPOT Satellite Images of World Trade Center Fires
Credit: CNES/SPOT Image 2001

C’est aussi le cas du satellite d’observation à précision métrique IKONOS placé à 681 km d’altitude.