lundi 28 novembre 2011

Pourquoi revenir sur la Lune ? It’s the space economy, stupid (2)


The human race is remarkably fortunate in having so near at hand a full-sized world with which to experiment: before we aim for the planets, we will have had the chance of perfecting our astronautical techniques on our own satellite…the conquest of the Moon will be the necessary and inevitable prelude to remote and still more ambitious projects.
Arthur C. Clarke, 1951

Aujourd’hui que l’exploration martienne fait à nouveau beaucoup parler d’elle, qu’il s’agisse des malheurs de la sonde russe Phobos-Grunt ou du lancement du futur rover géant de la NASA – une coïncidence ayant principalement pour raison l’alignement des planètes – ou encore du retour – peut-être plus révélateur – de l’expérience Mars 500, doit-on en oublier pour autant qu’entre la Terre et la planète rouge se trouve la Lune ? Nous le ferions que celle-ci se rappellerait à notre bon souvenir, comme en témoigne le précédent billet sur les justifications « politiques » d’une nouvelle « course à la Lune ». Or d’autres aspects doivent certainement être pris en compte.

Grosso modo, deux modèles existent pour l’exploration spatiale. 1) Le premier peut être qualifié de « modèle Apollo ». Il fait évidemment référence au programme du même nom qui a reposé, c’est un rappel, sur l’idée selon laquelle l’humanité – ou au moins l’Amérique – pouvait s’épargner quelques étapes (une station orbite par exemple) et directement atteindre son but lunaire. Certes l’objectif a été atteint, la mission accomplie, mais l’intérêt, lui, reste à discuter alors que l’homme a cessé de marcher sur la Lune moins de trois ans après y avoir posé le pied pour la première fois. Pis, la plupart des brillantes avancées technologiques effectuées (la fusée Saturn V notamment) ont été « oubliées ».  Bref, c’est « Kennedy ». C’est aussi Bush père (« The Space Exploration Initiative »), Bush fils (« Vision for Space Exploration ») et aujourd’hui Obama.

2) Le second modèle est celui de la « navette spatiale ». Cette dernière est en effet représentative d’une philosophie opposée puisque sa création « post-Apollo » s’inscrivait dans une logique globale d’appropriation graduelle de l’espace : d’abord une navette, ensuite une station spatiale orbite, puis une base lunaire, etc. Il a fallu que la politique s’en mêle pour sa logique soit pervertie même si la construction de l’ISS a été l’occasion de sa renaissance. Vous l’aurez compris, le modèle est incrémental et cumulatif, on fait étape par étape. Bref, c’est « Von Braun ». Et c’est aussi Arthur C. Clarke comme en témoignent la citation ci-dessus et le film 2001 : L’Odyssée de l’espace

Dans cette dernière perspective, qu’est-ce que la Lune sinon une chance exceptionnelle pour la Terre et l’humanité, un marche pied naturel vers les étoiles ? Car il s’agit ici du premier argument en faveur d’un retour sur notre satellite naturel : la proximité. Si nous reprenons à l’envers l’argument devenu doxa aujourd’hui aux Etats-Unis (« We’ve been there before. Buzz has been there », il y a déjà « six American flags on the Moon »), notons que, outre d’être proche, la Lune est aussi accessible… puisque nous y sommes déjà allés. En conséquence, toutes les activités lunaires – surtout si elles sont robotiques dans un premier temps – se feront quasiment en temps réel par rapport à la Terre. Nulle autre destination spatiale n’offre de telles conditions. 
En outre, et c’est le second argument, la Lune bénéficie de ressources énergétiques et minières en quantité suffisante pour qu’elle puisse intéresser l’humanité (on pense à l’Hélium 3, cf. le film Moon). C’est d’ores et déjà le cas comme le prouvent les nombreuses sondes aujourd’hui envoyées par les grandes puissances spatiales afin de scanner notre satellite. Serge Grouard reconnaît lui aussi la pertinence de l’argument économique pour justifier l’exploration lunaire lorsqu’il écrit que « Le raisonnement repose sur une automacité : puisque l’espace recèle a priori des richesses, l’exploitation de ces richesses est une certitude dont seule la date reste encore indéterminée ». Mais son avis diverge quant à l’intérêt même de l’exploration spatiale car « le bon sens nous laisse penser qu’il restera beaucoup plus facile de produire sur Terre plutôt que dans l’espace ».
Il manque à Grouard la prise en compte de la variable psychologique. Tout l’opposé de James D. Spudis pour qui « the space economy » est à la fois économique au sens que lui prête Grouard, c'est-à-dire la rentabilité, mais aussi visionnaire dans ses aspects à la fois techniques (la Lune est un laboratoire technologique) et plus philosophiques (l’espoir de faire de l’humanité une espèce multiplanétaire). Dans ces conditions, pourquoi faut-il dès aujourd’hui s’intéresser au système Terre-Lune ? Spudis propose neuf raisons, ainsi qu’un plan, faisant de lui – à ma connaissance – le partisan le plus féroce de l’option 2 dite de la « navette ». 

Reste que celle-ci, pour rationnelle qu’elle soit, présuppose un engagement dans la durée et une patience difficilement conciliables avec la réalité et le besoin de résultats hic et nuncCertes « It’s the space economy, stupid ! », et l’argent, plus que l’excitation, doit être au fondement d’un programme spatial sérieux. Ou pas ? Car malgré cette logique, il n’est pas impossible que Mars passe avant. Finalement, le débat ne doit pas se concentrer exclusivement sur un seul déterminant, qu’il soit économique/technique ou politique, mais plutôt tâcher de prendre en compte toutes les variables en jeu. Tel est justement l’objet de la série que je vous propose et qui comprendra deux autres billets…

A suivre…
Les illustrations proviennent du magazine bien connu Collier’s (1888-1957) à travers la publication, avec la coopération de Von Braun, de la série « Man Will Conquer Space Soon! », vous pouvez les retrouver ici.

mardi 22 novembre 2011

50 ans du CNES : discours du chef de l’Etat à Toulouse

Le président de la République s'est rendu à Toulouse (Haute-Garonne), mardi 22 novembre 2011, au Centre National d'Études Spa ...
Source
Le chef de l’Etat s’est aujourd’hui mis dans la peau du général de Gaulle, cinquante ans après la création, décidée par ce dernier, le 16 décembre 1961, du Centre national d’études spatiales (CNES). Dans le contexte de la Guerre froide, la mission originelle du CNES est alors de donner à la France le rang de grande puissance spatiale à parité avec l’URSS et les Etats-Unis. Pour cela, le développement d’une capacité de lancement autonome – objectif atteint en 1965 avec la fusée Diamant A et son satellite Astérix, et, plus fortement encore, en 1979 avec le premier tir effectif de la fusée Ariane – est primordial. La chose est encore vraie aujourd’hui comme le prouvent la référence à Ariane 6, et le propos suivant de Nicolas Sarkozy, « La maîtrise des lanceurs nous a offert un accès libre et […] indépendant à l’espace. Je tiens à vous confirmer mon attachement à préserver, à toute force, cette capacité d’accès ».
Mais l’enjeu posé par Galileo n’est guère différent. « Il faut que l’Europe ne baisse pas la garde dans le domaine spatial » avons-nous donc entendu. « L'Europe a besoin de grands projets fédérateurs. Son horizon ne peut se limiter à la gestion à court terme des difficultés du moment. Même si les temps sont durs, je dirais qu'ils sont très durs, l'Europe ne doit pas renoncer à investir dans son avenir ». Il faut donc « une politique industrielle européenne plus claire » et moins de « naïveté » de la part des Européens. Au niveau français, le Président a donc rappelé que l’espace est « une priorité » comme en témoigne l’augmentation du budget civil de 16% entre 2007 et 2012, passant de 1,4 à 1,6 milliards d’euros. Dans le cadre du Grand Emprunt, ce sont aussi 500 millions d’euros qui vont être alloués aux projets spatiaux car « ce serait folie que de ne pas donner à cette filière les moyens de se développer ». D’autant plus que « un euro investi dans l'espace crée près de 20 euros pour le reste de l'économie ».
Nicolas Sarkozy visite le centre national d'études spatiales (CNES), mardi à Toulouse.
S’il a été aussi question aujourd’hui de la concurrence grandissante de la Chine et de l’Inde, le discours de Kourou de 2008 faisait également référence à l’objectif de « domination sans partage de l’espace » des Etats-Unis. Dans les deux cas, en 2008 comme en 2011, nous retrouvons une constante de la politique française, assez bien décrite par Michèle Alliot-Marie dans Le chêne qu’on relève en 2005,
Pour un pays qui entend être un acteur stratégique de premier plan sur la scène mondiale, le statut de puissance spatiale est donc aussi indispensable que celui de puissance nucléaire. Refuser que l’espace soit le monopole d’un seul, c’est contribuer à instaurer l’équilibre de demain entre puissances et à prévenir les tentations de l’unilatéralisme (p. 183).
… succinctement résumée dans un entretien accordé, en 2003, à Air & Cosmos : « L'espace représente le même enjeu aujourd'hui que la dissuasion nucléaire dans les années soixante », et donc reproduite encore aujourd’hui par le chef de l’Etat, l’idée selon laquelle,
Si l’espace est pour nous une priorité, c’est parce qu’il n’y a pas de souveraineté française en ignorant cet enjeu de l’espace.

Nicolas Sarkozy au CNES le 22 novembre par CNES

Pour aller plus loin :



- Articles du Monde-AFP et de la Dépêche

- CNESMAG Les 50 ans du CNES


dimanche 20 novembre 2011

La stratégie (spatiale) d’Ender ?


J’ai récemment parcouru un livre de SF bien connu des fans du genre, j’ai nommé Ender’s Game de Orson Scott Card (La stratégie d’Ender en français). Bien que se situant dans une veine déjà bien exploitée, au moins depuis Starship Troopers de Robert A. Heinlein (1959), celle d’une espèce humaine aux prises avec l’ennemi ontologique par excellence, une civilisation extraterrestre de type insectoïde (« formics » ou « buggers ») menaçant sa survie dans le cadre d’une gigantesque guerre intergalactique, le livre surprend par son originalité et la diversité des thèmes utilisés.

A l’image de Starship Troopers, la réflexion sur l’outil militaire, le leadership et la conduite de la guerre est centrale. Et tout comme Starship Troopers avant lui, on peut noter que l’USMC (U.S. Marine Corps) recommande la lecture du livre – comme en témoignent les listes suivantes ici et – expliquant que « Ender’s Game is more than about the difficulty and excitement that competition provides in preparing for combat. There are lessons in training methodology, leadership, and ethics as well ». De fait, Ender’s Game intègre une pensée plus vaste d’ordre philosophique et éthique, tant sur l’utilisation des enfants soldats, que sur la politique, l’internet (voire le blogging, en 1985 !) ou encore la difficulté de communiquer et d’établir un dialogue en relations internationales intergalactiques, le tout dans le cadre d’une projection géopolitique intéressante et plausible.

Mais ce qui m’a surtout frappé, ce sont ces quelques lignes écrites par l’auteur en préface de l’édition de 1991 :  
How would you train soldiers for combat in the future? I didn’t bother thinking of new land-based weapons systems – what was on my mind, after Foundation, was space. Soldiers and commanders would have to think very differently in space, because the old ideas of up and down simply wouldn’t apply anymore.
Le fruit des spéculations d’Orson Scott Card est la « Battle Room » à l’intérieur de laquelle des humains – filles et garçons mélangés – s’entraînent dès le plus jeune âge à faire la guerre dans un environnement d’impesanteur. Cette invention, autour de laquelle l’auteur nous dit avoir construit son premier personnage et l’histoire englobant ce dernier, est intéressante. Après tout, et pour aller plus loin, comment peut-on comprendre la « guerre des étoiles » si nous ne prenons pas conscience des contraintes et des techniques très spécifiques du milieu spatial – mais aussi très différentes de ce dont nous, êtres humains, mammifères terrestres, avons naturellement l’expérience.


Cette tentative est, pour moi, la principale force de l’ouvrage. De fait, elle le situe loin des poncifs du genre et des analogies couramment adoptées – qu’il s’agisse de la SF ou des traités de stratégie spatiale sérieux – pour tenter d’imaginer la « guerre des étoiles » du futur. On voit souvent s’exprimer dans des ouvrages ou articles américains la nécessité d’une approche mahanienne de la stratégie spatiale. Non pas qu’il s’agisse d’essayer d’appliquer à l’espace la théorie que Mahan a dessinée pour la puissance navale au XIXe siècle. Cela est, si ce n’est absurde, en tout cas très limité. Tout comme le sont également les tentatives d’appliquer les autres théoriciens au milieu spatiales, de Corbett à Douhet en passant par Mitchell, etc. Ce qui est perçu comme une nécessité vitale, c’est la construction d’une théorie de la puissance spatiale ayant la stature de la pensée de Mahan.

Pour le moment, malgré les quelques (bons) ouvrages parus sur la question, l’échec semble patent. 

Ce qui me fait justement revenir à la citation donnée plus haut. Si l’on veut penser espace, il faut garder à l’esprit les contraintes techniques et technologiques intrinsèques à ce milieu. Or l’exercice est d’autant plus difficile que 1) nous sommes abreuvés au quotidien par certaines attentes et perceptions, comme celles générées par les Star Wars et autres spectacles stellaires grandioses, et 2) que notre éducation – généralement : sciences sociales ou histoire – a eu tendance à éviter ce genre de formation (orbitologie, etc.). 3) Mais aussi faut-il avouer que :
Dans la guerre, tout est simple, mais le plus simple est difficile.
Clausewitz.

jeudi 17 novembre 2011

Festival : Des étoiles et des ailes


affiche-festival
Je signale un événement aérospatial important organisé ce weekend (c'est-à-dire du 17 au 20 novembre) à Blagnac, près de Toulouse : le festival de l’image et du livre « Des étoiles et des ailes ». Au programme :
De l’hélicoptère aux vols suborbitaux en passant par les avions et les fusées, toute la gamme des machines volantes inventées par l’homme pour se propulser dans les airs, sera évoquée lors de cette grande fête de l’aéronautique et de l’espace, déclinée sur le thème « Vols à toutes altitudes ». Organisée à Blagnac, dans et autour de l’aérogare de l’aviation d’affaires, totalement gratuite et ouverte à tous petits et grands, cette manifestation, qui a connu un réel succès lors de sa première édition, affiche de nouvelles ambitions.

mercredi 16 novembre 2011

Photo de la semaine : Des tropiques au froid sibérien : le retour de Soyouz

Le drame déclenché par l’échec du lanceur russe Soyouz l’été dernier – moins d’un mois après le dernier vol de la navette spatiale – est désormais fini. Même si un vaisseau cargo Progress est déjà allé ravitailler l’ISS avec succès, cette relève humaine, assurée le 14 novembre par une fusée Soyouz, a soulagé tout le monde. 

Qui plus est, à voir les trois astronautes en route pour l’ISS (deux Russes, un Américain) traverser un paysage enneigé avant d’embarquer dans leur capsule et décoller sous le blizzard, Roscosmos a montré plus que jamais l’avantage majeur que possédaient les fusées Soyouz par rapport à leurs homologues étrangers.
 
C’est d’autant plus vrai si l’on se rappelle les images du Soyouz guyanais décollant, lui, depuis l’équateur. Autre comparaison utile : rappelons, avec Christian Morel, que l’accident de la navette Challenger est dû à un problème de joints des fusées d’appoint dont le bon fonctionnement a été empêché par les très basses températures – absurdement non prévues par les ingénieurs – de la nuit précédant le lancement.
Expedition 29 Crew and Officials Pose in the SnowExpedition 29 Crew with Blue Parkas
Enfin, pour ceux qui n’auront pas vu la vidéo, je rappelle que les trois astronautes étaient accompagnés par un étrange Red Bird fièrement exhibé par la NASA (« Hey Red Bird, we knew we'd get you to space one way or another. Looked like a great launch »). Certainement un indicateur précieux du passage à l’impesanteur, si ce n’est un nouveau symbole d’une « culture imaginaire tournée vers les étoiles ».

Pour les images, ici et