samedi 31 décembre 2011

Bonne et heureuse année 2012 !

Après quelques jours d’absence, De la Terre à la Lune est de retour pour vous souhaiter, en compagnie des six astronautes de l’ISS, une excellente année 2012 !


Il est de coutume dans la blogosphère, du moins à en juger ici et , de profiter de l’occasion pour évoquer ensemble les grands moments qui ont marqué l’année 2011 et revenir sur les billets les plus appréciés.

Je suis d’autant plus heureux de faire cela que ce blog fête – à quelques jours près – ses premiers six mois d’existence, soit désormais 74 messages plus quelques gazouillis sur Twitter.

Mes statistiques sont sans doute trop biaisées – la faute aux nombreuses images que j’ai la faiblesse d’utiliser – pour me permettre une analyse fine des goûts du lectorat. Aussi me contenterai-je de rappeler les principaux thèmes sur lesquels j’ai écrit cette année, qu’il s’agisse de séries ou de simples billets :
1) Ainsi de la mythique navette spatiale disparue dans un ciel d’été et dont la fin du programme a coïncidé avec mes premiers pas dans la blogosphère (1, 2, 3, 4) ;
2) De même pour le X-37B dont le survol mystérieux de notre planète continuera en 2012 d’attirer notre attention ;
3) Lancer ses propres satellites, un rêve de hacker ? Bien plus que cela, la preuve de l’émergence possible d’un autre espace, non pas seulement commercial comme on l’a souvent dit en 2011, mais plus largement… non-étatique et terrien (1, 2, 3, 4, 4bis, 5) ;

4) Le 11 septembre : 10 ans après. Difficile de passer à côté. Mais l’occasion était trop belle pour laisser filer la question toujours pertinente de l’effet du 9-11 sur l’évolution de la politique spatiale américaine (1, 2). Sans oublier l’aspect plus géo-culturel (3)…
5) … en l’occurrence un dada à moi dont j’ai tâché de rendre compte comme à travers l’analyse de la série événement Game of Thrones (1, 2, 3, 4) ;
6) Je retenterai très prochainement. En attendant, il y a toujours la possibilité de revenir sur quelques films ayant marqué l’année (ici et ) ;
7) La mode est au cyber, mais la stratégie spatiale constitue elle aussi un chantier en friche. Au moment où la Chine publie son dernier Livre Blanc et alors que la Russie doute, il n’est peut-être pas inutile de revenir sur les principes de stratégie spatiale (et ils sont nombreux) ;
8) Avec les sondes jumelles GRAIL sur le point d’entrer dans l’orbite sélène, la question d’un retour de l’homme sur la Lune est sans doute d’actualité. Aussi faut-il en comprendre les enjeux (1, 2, 3, 4) ;
9) Avec Pléiades en pleine moisson d’images aussi extraordinaires les unes que les autres, on rappellera les 50 du CNES ;
10) Enfin, il n’est pas de fin d’année sans son bilan spatial. Année noire pour les uns, Annus Horibilis pour les autres. Preuve, espérons le, que 2012 ne peut que faire mieux, d’autant plus que la NASA est déjà là pour nous rassurer.
Merci aux lecteurs, chaque jour plus nombreux, et à tous ceux qui m’ont prodigué leurs conseils et leur soutien. Une bonne année à tous !

vendredi 23 décembre 2011

[MAJ] Bilan spatial 2011 (2) Année anniversaire, année charnière ?

Source.
Une fois cette comptabilité effectuée (voir Mise à Jour), nous pouvons en venir – sans bien entendu prétendre à l’exhaustivité – aux faits marquants de cette année (voir également, pour les curieux, le flop et le top de l’année). Ils ne sont pas tous estivaux !

De fait, la fin de la navette spatiale, de même que les accidents russes de l’été dernier et l’incertitude qui en a résulté par rapport à la desserte de l’ISS, ont déjà fait l’objet de précédentes séries de billets. Qui plus est, maintenant que ces inquiétudes-là se sont évaporées alors que deux nouveaux équipages internationaux ont déjà fait route vers l’ISS, l’année 2011 peut être analysée avec plus de sérénité. 

Avec le recul, c'est-à-dire en essayant d’embrasser l’année dans son intégralité, le grand angle devient alors plus facile à saisir.

Rappelons en effet que 2011 a commencé sous le signe de la nostalgie. Comme je vous en avais fait part il y a quelques mois et aussi plus récemment, nous avons fêté cette année un triple anniversaire. 1) Russe tout d’abord, avec les 50 ans du premier homme envoyé dans l’espace. 2) Américain ensuite, avec le cinquantenaire du discours de Kennedy et le début du programme Apollo qui a conduit 12 astronautes à marcher sur la Lune. 3) Sans oublier, Français enfin, soit l’anniversaire des 50 ans du Centre national d’études spatiales (CNES) dont vous pouvez encore suivre le déroulement des festivités sur le site internet et sur twitter #LeCNESa50ans

Or comme lors de chaque anniversaire, l’heure est certes aux célébrations, mais également aux interrogations. Et elles sont nombreuses ! C’est d’ailleurs dans cette perspective qu’il convient à mon avis d’analyser les événements de cet été, plus quelques autres qui ont marqué cette année. 

1) Ainsi, la navette spatiale vieille de 30 ans et tirant sa révérence, pour symbolique que cela puisse paraître, ne devient dans le contexte plus global de la politique spatiale américaine qu’un élément parmi d’autres. En effet, le nouveau programme spatial défini par l’administration Obama cherche à implanter une double rupture : 
- Technologique, imaginer les nouveaux modèles sur lesquels créer le nouvel âge de l’aérospatial. Cela se traduit par la recherche de nouvelles technologies et l’investissement massif dans la capacité de vol routinier en direction de l’orbite basse (LEO)

- Psychologique, penser l’innovation plutôt que la simple répétition. Cela se traduit par la remise en cause de l’évidence géographique (la nouvelle frontière spatiale) au profit de la LEO via l’essor de l’espace dit commercial, sans oublier non plus l’abandon – au moins partiel – du vieux rêve d’un retour sur la Lune pour l’étape suivante : Mars.  

- Dernier exemple significatif en date, la création de la nouvelle entreprise spatiale privée baptisée Stratolaunch Systems. Savant mélange entre le lanceur Falcon 9 (le lanceur de SpaceX) et le WhiteKnightTwo (l’avion porteur utilisé par Virgin Galactic), le projet associant plusieurs entreprises spatiales a pour ambition de lancer d’ici 2016 une fusée depuis un énorme avion porteur 10 km au dessus du sol. A l’origine de cette initiative, quelques grands noms : Paul Allen, co-fondateur de Microsoft, Burt Rutan, fondateur de Scaled Composites et Mike Griffin, ancien administrateur de la NASA.

2) Du côté russe, les interrogations sont d’autant plus fortes que la parité avec l’ancien ennemi américain semblait avoir été atteinte avec la fin de la navette spatiale. Pourtant les bourdes n’ont cessé de s’accumuler depuis décembre 2010. A la perte de satellites et à l’explosion d’un vaisseau Progress, s’est en effet ajouté l’abandon du programme d’exploration martienne Phobos-Grunt qui n’a pas réussi à quitter l’orbite terrestre et dont la sonde s’est finalement désintégrée dans l’atmosphère terrestre. 

- Cela explique le ton peu amène employé par le président Medvedev à l’égard des responsables du spatial russe. Plus largement, cela montre aussi la difficulté qu’éprouve aujourd’hui le secteur spatial russe, fortement malmené durant les années 1990, face aux velléités de changements et à la nécessité d’une modernisation. De fait, malgré quelques poches de qualité qui résistent, la crise des années 1990 est très loin d’être résorbée alors que le déclin scientifique de la Russie se poursuit comme l’expliquait encore très récemment le Washington Post.

- Reste la fusée Soyouz qui, entre autres Ariane et prochains tirs Vega, permet à Arianespace de conclure l’année sur un bilan compétitif très satisfaisant avec un carnet de commandes dépassant les 4 milliards et demi d’euros. Pour cause, passé du froid sibérien aux tropiques, le Soyouz a encore démontré sa grande fiabilité le 16 décembre dernier en procédant au lancement, depuis Kourou, de cinq satellites militaires français et un satellite chilien. Si les quatre petits satellites ELISA (Electronic Intelligence Satellite) permettront à la France de tester une capacité d’écoute électromagnétique (ROEM) partagée uniquement par les Etats-Unis, la Russie et la Chine, Pleiades 1 renforcera quant à lui nos capacités d’observation en fournissant des images d’une très grande résolution (voir les premières images ici). Rappelons en outre que le premier Soyouz avait mis en orbite deux satellites de la constellation européenne Galileo. 

3) Mais s’il y a interrogation, c’est aussi parce que 2011 illustre, peut-être plus que 2003, la montée en puissance du spatial chinois. 

- Non seulement la Chine est parvenu cette année à mettre en orbite un petit laboratoire, mais elle a aussi réussi à obtenir la capacité de rendez-vous orbital comme la manœuvre conduite entre Tiangong-1 et Shenzhou-8 peut en témoigner. Désormais, la Chine pourra poursuivre son programme spatial sur une plus grande échelle. D’ores et déjà, deux missions Shenzhou sont annoncées pour début 2012. 

- Enfin, contrairement à ce que j’avais laissé entendre dans mon précédent billet introductif (voir MAJ), la Chine a finalement dépassé pour la première fois les Etats-Unis en termes de lancements avec 19 tirs effectués cette année (un échec seulement) contre 18 pour les Américains (un échec aussi). La mise en orbite surprise du satellite d’observation ZY 1C hier a en effet bousculé mes conclusions peut-être trop hâtives. A noter que l’an passé, les Etats-Unis et la Chine avaient tous les deux procédé à 15 lancements. 

4) Alors 2011 année charnière ? Pari américain, modernisation russe, affirmation européenne et accélération chinoise : tout y est, bien qu’à des degrés différents et selon des efforts variables. Ainsi, les relations spatiales sino-américaines seront celles qui détermineront certainement tout le reste comme le montre ce récent article de la revue Nature. Elles s’inscriront de fait dans un ensemble plus vaste traduisant l’ascension militaire chinoise et le déclin relatif américain…
Le porte-avion chinois vu par un satellite QuickBird.
MAJ : La série noire qui frappe le spatial russe depuis bientôt un an se poursuit. Ce matin, un lanceur Soyouz-2 n’est pas parvenu à mettre en orbite le cinquième satellite de communication militaire Meridian. Reste à savoir comment va réagir Globalstar dont plusieurs satellites doivent être lancés le 28 décembre prochain... Pour plus d’info, voir LeMonde.fr et BBCNews.

mercredi 21 décembre 2011

[MAJ] Bilan spatial 2011 (1) Un peu de comptabilité

2011 étant sur le point de finir et afin de savoir quelles bonnes résolutions formuler pour 2012, peut-être l’occasion est-elle venue de dresser une sorte de premier bilan. Voici donc en deux temps la synthèse de l’année spatiale 2011. Et tout d’abord, un peu de comptabilité :

A l’exception de la Russie dont trois derniers lancements restent encore à faire, le compte est bon pour toutes les autres puissances spatiales. A la date du 21 décembre, le Space Launch Report relève 81 lancements dont 5 échecs. Qui plus est, 7 vols habités – le dernier ayant décollé cet après-midi même, cf. photo – ont eu lieu cette année, tous des succès. En 2010, le nombre de lancements était de 74, dont 4 échecs. 

Selon les prévisions, nous devrions nous attendre à une accélération pour les années à venir. Euroconsult estime à 1 145 le nombre de satellites à lancer entre 2011 et 2020, soit une augmentation de 51% en comparaison avec la décennie précédente. La demande restera avant tout gouvernementale avec 777 satellites prévus au cours de dix prochaines années. 80% de ces commandes seront d’origine américaine, russe, européenne, chinoise et indienne.

C’est donc sans surprise que nous retrouvons cette année la même hiérarchie que pour 2010. La Russie est première avec, sauf erreur, 30 lancements effectués. Les Etats-Unis et la Chine sont à nouveau à égalité avec 18 lancements. Enfin, l’Europe est au bas du podium avec 5 lancements, suivis par l’Inde (3) et le Japon (3), sans oublier la très ambitieuse Iran (1) et le consortium Space Launch (2) revenu d’outre-tombe.


A suivre...

MAJ : La mise en orbite surprise du satellite d’observation chinois ZY 1C me conduit à revoir rapidement ces conclusions. Sauf nouvel imprévu, la Chine dépasse cette année et pour la première fois les Etats-Unis en termes de lancements, avec 19 tirs effectués (un seul échec) contre 18 seulement (un échec aussi). Ce tir signe également un nouveau record puisque l’an passé la Chine n’avait effectué que 15 lancements (à égalité avec les Etats-Unis). Les Russes restent toutefois bien devant avec 33 lancements, dont 3 échecs partiels ou totaux. 

dimanche 18 décembre 2011

Trois films récents

Egea a accepté il y a quelques jours de publier sur le blog la critique comparée de trois films américains récents. Je propose maintenant ce texte aux lecteurs de Terre à la Lune. Vous y trouverez notamment les liens hypertextes qui ont malheureusement sauté dans la version précédente. Bonne lecture !
A montage of six characters, each with a different response, mostly related to the pandemic.

Pour Olivier Kempf, le nouveau film de George Clooney, les Marches du Pouvoir, sorti en octobre dernier, n’est « [p]as mal, mais moins éblouissant que l'exercice de l'Etat : bref, une bonne machine américaine ». Le propos pourra sembler un peu rapide. Il n’en constitue pas moins une bonne entrée matière pour la comparaison que je vous propose ici. Partant de l’idée que ce film est très « américain », au sens du public qu’il vise comme du sujet qu’il traite, nous essayerons de le confronter à deux autres productions hollywoodiennes récentes : j’ai nommé, Contagion de Steven Soderbergh (novembre 2011) et Apollo 18 de Gonzalo López-Gallego (septembre 2011).

Il est vrai que cette perspective n’est pas habituelle. Pour preuve, la sortie simultanée de L’Exercice de l’Etat (octobre 2011), de même que le « renouveau » plus général du film politique français, ont non seulement pris le pas sur les autres comparaisons possibles mais semblent également avoir imposé une grille de lecture particulière sur Les Marches du Pouvoir qui ont en quelque sorte « pâti », sauf commercialement à l’évidence, de cette conjoncture. Ainsi, peu ont finalement remarqué que de politique, nulle mention n’était faite : « Et la politique dans tout ça? La politique au sens de l’action publique, de la possibilité de faire quelque chose qui influe sur le sort de ses concitoyens, en bien ou en mal. Disparue, pas même mise en question, mais placée d’emblée hors champ, hors sujet. »

Or voilà un paradoxe. Parmi l’ensemble des réalisateurs des trois productions que j’ai sélectionnées, Clooney est sans doute le plus susceptible d’inspirer un film politique. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui, aux Etats-Unis, du moins à gauche, n’hésitent plus à parler ouvertement de Clooney comme « our Ronald Reagan ». Et ne s’est-il pas justement attribué le rôle d’un candidat à la nomination Démocrate dans ce film qu’il a à la fois co-écrit et dirigé ? 

Encore faut-il remarquer que le gouverneur Mike Morris – le personnage interprété par Clooney – n’apparaît que rarement à l’écran. Ses convictions, ses principes et ses compromis tragiques sont certes traités mais restent toujours en arrière plan. Et pour cause, l’histoire est centrée sur Stephen Myers (Ryan Gosling), le jeune adjoint du directeur de campagne qui est persuadé que son candidat est le bon, celui dont l’Amérique a besoin. Les choses changent lorsqu’il met la main sur des informations susceptibles de bouleverser toute la campagne des primaires. Il doit alors choisir entre sa carrière et ses principes. L’hésitation ne sera que de courte durée.

Ce faisant, les Marches du Pouvoir ne s’avèrent être qu’une ultime reprise d’un thème classique : les individus, y compris ceux en apparence idéalistes, font ce qu’ils doivent faire pour s’imposer, même si cela signifie aller à l’encontre de leurs principes. Toutefois, il n’y a rien de politique – entendue comme Démocrates vs. Républicains, Gauche vs. Droite – dans cela. Et pour cause, le secret que Myers découvre est tout sauf idéologique. Morris n’est pas un affreux « socialiste » qui tromperait le citoyen américain. Non, ce qui intéresse, c’est le scandale. Le spectateur ne peut dès lors tirer qu’une seule conclusion : ceux au gouvernement ne sont pas là pour changer les choses ;  ils sont là parce qu’ils ont un appétit insatiable et corrupteur pour le pouvoir…

… ou est-ce bien le cas ? C’est ici que la comparaison avec le nouveau film de David Soderbergh est intéressante. De prime abord, Contagion apparaît comme le « globalisation thriller » du moment. Tout commence avec une femme d’affaire américaine (Gwyneth Paltrow) qui contracte un virus à Hong Kong. Déjà deux minutes, et voilà qu’elle décède. Qui sera le suivant parmi le casting des célébrités : Matt Damon, Kate Winslet, Marion Cotillard ? Or justement, rien à voir avec le film catastrophe classique dans lequel un virus emporte la moitié de l’humanité, les zombies s’occupant du reste. Comme le montre le même commentateur, « Contagion is less a thriller than a medical procedural that takes us step by step from the beginning of an epidemic to its end ». Dès lors, il n’est pas étonnant d’entendre les spectateurs parler d’ennui et les critiques évoquer un navet juste « bon pour la santé ». 

Pourtant il y a un intérêt réel dans ce film, et il n’est pas que pédagogique. Car ici, non seulement le gouvernement n’est pas corrompu, mais il est même efficace. Le trait ne serait-il pas un peu forcé ? Le film précédent a en effet laissé au spectateur songeur une tout autre vision, d’autant plus que celui-ci est naturellement méfiant envers ses gouvernants comme l’indiquent les sondages américains et français. Mais la surprise est tout aussi forte du côté d’Hollywood comme en témoigne le New York Times : « in the 1970s it was the government that played the villain while this time it’s on the side of right ».

De fait, pour Dan Drezner, « Soderbergh does not bother with the anti-government paranoia that […] earlier films possessed in their DNA. Instead, the treatment of the Centers for Disease Control, Department of Homeland Security, and World Health Organization officials is fair. They are depicted as flawed but well-meaning bureaucrats, getting some decisions right and some wrong ». Joshua Keating partage ce sentiment. « Steven Soderbergh's very good new film Contagion can […] be read as an argument for the necessity of strong states and government intervention in an era of global threats ». 

Dire que les gouvernements ne peuvent pas tout faire ne doit donc pas revenir à dire qu’ils ne peuvent rien faire. Voilà qui pourrait être une leçon de Contagion. Encore que Soderbergh en profite pour glisser une autre critique. Une question reste en effet en suspens : si les gentils sont les bureaucrates, qui est donc le méchant ? Eh bien, il s’agit tout simplement d’un blogger interprété par Jude Law qui, détectant le virus avant tout le monde, en profite pour s’enrichir. Non seulement son ascendant sur les gens est du plus mauvais genre (comme le dit un personnage : « Blogging is not writing. It's graffiti with punctuation » !!), mais encore répand-il des rumeurs tout aussi dangereuses au sein de la population crédule. 

En exprimant sa foi dans les institutions et le gouvernement, Contagion ne pouvait de fait que s’opposer aux théories du complot dont le succès dépend justement de la méfiance des populations envers le Big Government et dont Internet permet aujourd’hui la diffusion massive. Tel est d’ailleurs le thème du dernier film de Gonzalo López-Gallego sorti cet été après une campagne virale longue de plusieurs mois.

Prenant la forme d’un documentaire, le film raconte comment le fameux programme américain de vol habité en direction de la Lune a survécu, contrairement à ce que l’histoire officielle prétend, à Apollo 17. En 1974, une mission spatiale secrète est envoyée sur le sol sélène sous le prétexte – fallacieux – d’y installer un dispositif d’espionnage militaire. D’étranges phénomènes ne manquent cependant pas de se produire. Aux restes ensanglantés d’une expédition soviétique également secrète, s’ajoutent la rencontre des deux astronautes américains avec des formes bizarres cachées dans les roches lunaires et qui s’avèrent être le premier contact extra-terrestre jamais fait par l’homme, mortel qui plus est, et par voie de conséquence l’abandon par la hiérarchie militaire et le gouvernement américain. « In space no one can hear you scream » indiquait déjà Alien, en 1979. 

Pour le critique, « Despite all its flaws, Apollo 18 deserves credit for the things it does get right ». Au-delà du réalisme et du jeu des détails que les passionnés d’espace ne manqueront pas d’apprécier, Apollo 18 impressionne par l’utilisation qu’il fait de la « théorie du complot ». 1) Celle-ci est tout d’abord une expérience à continuer en dehors de la salle de cinéma. Les spectateurs sont ainsi invités par deux fois – au début et à la fin – à découvrir la vérité « vraie » du programme Apollo en allant sur un site www.lunartruth.com. Qui plus est, la conclusion ouverte s’achève sur un avertissement sinistre (« Apollo missions brought 840 pounds of lunar rock samples back to earth. Hundreds were given away to dignitaries of foreign countries. Many of those "gifs" were stolen or are now missing ») qui paraît également prémonitoire aujourd’hui que nous apprenons la gestion lamentable de la NASA !

2) Si la thèse du complot fait montre ici d’une puissance inégalée, c’est aussi via le renversement original qu’elle opère. En effet, loin des thèses habituelles qui depuis quarante ans sèment le doute parmi 6% des Américains, le film s’appuie sur l’idée selon laquelle le programme d’expédition Apollo a bel et bien conduit des hommes à marcher sur la Lune. Tout comme pour le dernier Transformers, ce sont désormais les motivations véritables qui sont interrogées et non pas tant la réalité des faits eux-mêmes (« There is a reason we’ve never gone back to the moon »). Pourquoi être allé sur la Lune dans le cas de Transformers III. Pourquoi ne pas y être resté dans le cas présent. Dans ces conditions, les théories du complot se complexifient et gagnent en diversité, tout en suscitant aussi des discours contradictoires et peut-être mutuellement destructeurs.

Ce constat fait dire à Drezner que l’influence d’Internet est sans doute exagérée dans le film de Soderbergh. « Myths and rumors can spread on the Internet, but so can the corrections of those myths. In the end, someone like Krumwiede [i.e. Jude Law] would affect a very narrow, already paranoid subculture -- the larger effect would be minimal ». Il n’empêche que, des trois films présentés ici, Contagion s’avère certainement être le plus progressiste et le plus optimiste comme le souligne un critique déjà cité. Cette analyse, faite à la lecture du premier mandat Obama et de l’espoir auquel il ne semble pas avoir répondu, est sans doute recevable. Si Clooney joue sur le cynisme de la vie politique, Soderbergh croit encore que les gouvernements sont capables si ce n’est omnipotents… 

Apollo 18 et les autres théories complotistes auront donc toujours la possibilité de jouer sur les imperfections des gouvernements. Si la bêtise peut parfois être ignorée, il est toutefois difficile de rester stoïque devant l’ignorance et l’arrogance, surtout lorsqu’elles sont combinées. La rigth stuff elle-même ne peut y résister comme en témoigne l’ancien astronaute d’Apollo 11, Buzz Aldrin.


dimanche 11 décembre 2011

1955-2011 : Disneyland "in Space, in the Moon and Beyond"

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En attendant la suite de ma série sur le système Terre-Lune et la possibilité d’un retour de l’humanité sur notre satellite (épisodes 1, 2, 3), voici un intermède. Et qui de mieux placé pour nous divertir que le grand Walt Disney lui-même ? Mais au-delà de l’anecdote, ce billet cherche aussi à instruire. Ce dont nous allons traiter aujourd’hui est très sérieux puisqu’il s’agit rien moins que d’analyser les liens entre l’espace et l’imagination américaine.

Pour cela, il faut remonter au début des années 1950. L’âge spatial, stricto sensu, n’a alors pas commencé. Encore quelques années avant le lancement du premier satellite artificiel (1957), le premier homme en orbite (1961) et les premiers pas de l’humanité sur la Lune (1969). Pourtant des visionnaires pensent déjà à « des lendemains qui chantent » dans l’espace. Entre 1952 et 1954, le magazine américain Collier’s publie ainsi une série de numéros consacrés à l’exploration de l’espace. Les intervenants ne sont pas encore connus, mais leurs articles – Wernher von Braun et Willy Ley notamment – ou leurs dessins – Chesley Bonestell – font rapidement impression et laisseront une nombreuse postérité.
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Sans tous les citer, quelques titres valent la peine d’être rappelés. Ainsi, en mars 1952, le magazine titre « Man Will Conquer Space Soon ». En octobre 1952, l’étape suivante est franchie avec « Man on the Moon ». En 1953, l’exploration de l’espace est étudiée de manière plus méthodique comme en témoignent les numéros de février et juin consacrés à « World's First Space Suit » et à « The Baby Space Station: First Step in the Conquest of Space  ». Enfin, en avril 1954, la série s’achève sur la grande question : «  Can We Get to Mars? / Is There Life on Mars? »
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Pour les passionnés d’espace (space advocates ou space enthusiasts selon la dénomination américaine), ces premières années sont cruciales. En jeu, rien moins que faire comprendre à la population et aux décideurs américains que l’espace est chose sérieuse. Si les Européens n’ont pas le même problème après l’expérience traumatisante des V-2, les Américains n’ont pour eux que les images fantaisistes des années d’avant-guerre (Buck Rogers et autres Flash Gordon) afin de définir la « nouvelle frontière », un terme lui-même très connoté choisi avec soin par les partisans d’un programme spatial américain ambitieux.
Accéder aux informations sur cette image nommée Walt Disney Snow white 1937 trailer screenshot (12).jpg.(de gauche à droite) Heinz Haber, Wernher von Braun et Willy Ley
Reste que les articles et les illustrations de Collier’s, bien qu’essentiels, ne touchent pas un public suffisamment vaste. Pour cela, il faut investir la télévision, i.e. le cœur du foyer familial américain. C’est à Walt Disney qu’incombe cette tâche. Le fondateur de l’empire médiatique bien connu est en effet d’autant plus convaincu par l’espace qu’il est à la recherche de nouvelles idées pour son « parc à thèmes » dont une des sections doit s’appeler Tomorrowland. Trois épisodes de 40 minutes chacun sont donc réalisés entre 1955 et 1957 : Man in Space (1955), Man and the Moon (1955), et Mars and Beyond (1957).
Tomorrowland dans les années 1950 (source)
Je vous laisse maintenant savourer. A l’intérêt pédagogique qui aujourd’hui encore reste présent, s’ajoute une dimension historique non négligeable. Pour cause, voilà présentée la VISION américaine de l’espace. Celle reprise par exemple dans 2001 : l’Odyssée de l’espace, mais également celle plus officielle demeurée inchangée depuis son adoption en 1961 – comme l’illustrent les prises de position de la NASA ou les multiples propositions présidentielles de Kennedy à Obama. Précision : ces vidéos sont en anglais non sous-titré, mais de cette façon vous serez plus à même de surprendre l’accent très germanique de von Braun, l’ancien ingénieur de Peenemünde.

MAN IN SPACE

MAN ON THE MOON

MARS AND BEYOND

Une fois ces films vus, ce qui frappe, c’est l’écart existant entre la vision – la réalité  perçue et imaginée – et la réalité que nous vivons aujourd’hui. Le futur est-il encore pour demain ? La question est amusante, mais elle traduit un vrai problème : comment continuer à faire rêver si la vision n’est plus crédible ?

Preuve de ce changement de mentalités est encore une fois le parc Disneyland en Floride : l’attraction majeure et « ultra-réaliste » de Tomorrowland (Mission to Mars) a fermé ses portes en 1992 pour faire place à un thème plus fantaisiste dans lequel la crédibilité scientifique est ostensiblement abandonnée (ExtraTERRORestrial Alien Encounter).

Enfin, pour l’anecdote, sachez que la variante parisienne (Discoveryworld) a adopté un modèle steampunk plus proche – selon la direction américaine – des mentalités européennes et qui fait grand étalage des technologies à la Jules Vernes et H. G. Wells. D’où l’attraction Space Moutain, en forme de canon géant, dans laquelle les visiteurs s’installent dans un « obus » pour être lancés « de la Terre à la Lune » et au-delà – dans la seconde version – dans la galaxie. A ce sujet, j’en profite pour remercier une certaine personne sans qui ce travail de recherche au pays de Mickey n’aurait pu être conclu à son terme.

mercredi 7 décembre 2011

Pourquoi revenir sur la Lune ? La dimension militaire (3)


Bob, this is Gene, and I'm on the surface; and, as I take man's last step from the surface, back home for some time to come - but we believe not too long into the future - I'd like to just (say) what I believe history will record. That America's challenge of today has forged man's destiny of tomorrow. And, as we leave the Moon at Taurus-Littrow, we leave as we came and, God willing, as we shall return, with peace and hope for all mankind. "Godspeed the crew of Apollo 17." Gene Cernan, commandant de la dernière mission Apollo (traduction)

Cet astronaute a beau dire : de la guerre ou de la paix, nul ne sait de quoi l’espace de demain sera fait. Après tout, si un retour sur la Lune peut être motivé par le politique et le symbolique, de même que par l’argument économique, il n’est pas non plus impossible d’envisager que la prochaine expédition lunaire soit plus belliqueuse en intention que les précédentes.

Stratégie spatiale…

C’est d’ailleurs cet argument que choisit de reprendre Jean-Luc Lefebvre afin de justifier l’intégration de la Lune (i.e. le système Terre-Lune) à l’espace stratégiquement pertinent. Si ce dernier ne doit pas être limité à l’espace circumterrestre, c’est parce que « On peut très bien imaginer d’installer sur la Lune des armements menaçant la Terre et l’espace circumterrestre. Ce ne serait pas pour la domination de la Lune elle-même, mais bien pour le contrôle de la Terre et de sa périphérie » (p. 65-6).

Cette affirmation cherche en réalité à trancher une question importante que Serge Grouard n’avait pas non plus éludée. Dans un paragraphe intitulé « De l’utilité théorique de l’espace lunaire » (p. 39-43), l’auteur de La  guerre en orbite posait en effet comme principe la non-pertinence d’un système Terre-Lune. Pour lui, « l’espace lunaire n’est plus d’aucune utilité pour l’observation de la Terre, les télécommunications terrestres ou encore le tir ». En conséquence, « il ne fait pas partie du système terre-air-mer-espace circumterrestre car son éloignement et son immensité le détachent de notre système terrestre, créent le cloisonnement entre eux et offrent peu d’intérêt à agir depuis l’espace lunaire vers les quatre domaines terre-air-mer-espace circumterrestre » (p. 39).

L’auteur de Stratégie spatiale soutient le contraire. S’« il est vrai que l’éloignement de la Terre […] ne rend pas ce site très pratique pour l’observation et les télécommunications », en revanche, pour ce qui concerne le tir, « il est théoriquement concevable d’installer sur la Lune une arme à énergie dirigée de grande puissance qui menacerait les satellites présents dans l’espace circumterrestre, voire des cibles situées à proximité de la surface terrestre. En tant que point haut naturel, la Lune domine la Terre. L’exclusion de la Lune du théâtre stratégique terre-air-mer-espace circumterrestre restera une disposition conjoncturelle acceptable tant qu’aucun armement sélène ne sera en mesure de menacer la Terre, mais elle ne peut être posée comme principe » (p. 67).

Et Lefebvre d’ajouter que l’argument militaire est pertinent pour au moins deux raisons : 1) du point de vue offensif tout d’abord, comme en témoignent les citations relevées plus haut mais aussi l’idée psychologiquement puissante qu’une menace puisse exister sur un astre visible à l’œil nu depuis la Terre (p. 215) ; 2) du point de vue défensif ensuite, puisque la Lune, notamment sa face cachée, « peut également être envisagée comme base arrière, véritable sanctuaire difficile à atteindre par les armements terrestres et circumterrestres » (p. 68), refuge idéale « pour une civilisation cherchant un moyen ultime de survie en présence d’un danger mortel » (p. 215-6). Naturellement, on se situe ici dans le cadre d’une « analyse prospective » (p. 70) de « long terme », ou, à la limite, de « moyen terme » (p. 69).
La base lunaire de 2001 : Lodyssée de l'espace
… et effet de miroir
 
Pour ma part, j’avoue prêter une oreille beaucoup plus attentive aux justifications politiques d’un retour à la Lune – une sequel de ce que la guerre froide a pu offrir – qu’aux motivations économiques et – surtout – militaires que notre satellite pourrait inspirer. Serait-ce un manque d’imagination de ma part ? Mon scepticisme est plus sérieux. 

En effet, ces préoccupations me semblent refléter rien moins que ce qui a déjà été dit il y a quelques décennies. Ainsi, la peur très actuelle que la Chine puisse prendre possession d’une « red moon » et y installer une base militaire communiste menaçant la Terre résonne facilement avec les années 1950. « He who controls the moon controls the earth » pouvait-on alors dire en reprenant l’image classique du « high ground », passée du langage militaire bien terrien au vocabulaire spatial à la suite des interventions de quelques-uns comme Lyndon Johnson. Ainsi du film Destination Moon (1950) réalisé à partir d’une nouvelle de Robert A. Heinlein et dans lequel un personnage déclare à la 18e min :
We are not the only ones who know that the Moon can be reached. We’re not the only ones who are planning to go there. The race is on – and we’d better win it, because there is absolutely no way to stop an attack from outer space. The first country that can use the Moon for the launching of missiles... will control the Earth. That, gentlemen, is the most important military fact of this century.
Ou encore des illustrations terrifiantes accompagnant l’article au titre explicite « Rocket Blitz From the Moon » (1948) du magazine Collier’s (voir aussi ici).
Si ces projets n’ont jamais été réalisés, c’est tout simplement parce que la dissuasion est beaucoup plus efficace depuis la Terre. Les missiles y sont plus rapides et plus précis, et moins prévisibles si embarqués à bord de sous-marins. 

Reste que la vision imaginée d’une Lune militarisée fait toujours recette. Parmi les exemples les plus récents, citons donc le cas de George Friedman dans The Next 100 Years. A Forecast for the 21st Century. Le discours, actualisé, tient évidemment compte de l’apparition d’un espace circumterrestre militarisé voire – pour l’époque qu’il veut décrire – arsenalisé. Plantons le décor. 

2030 : les Etats-Unis construisent un système orbital de trois « Battle Stars » élaborée de façon à ce qu’il soit « invulnerable, that no other country has the ability to attack and destroy it » (p. 169). De fait, « The main Battle Star will be located in geosynchronous orbit over the equator near the coast of Peru. A second will be placed over Papua New Guinea, and a third over Uganda. The three will be arrayed at almost exact intervals, trisecting the earth » (p. 168).
Battle Star... Galactica
2045 : les Japonais (le « péril jaune » du XXIe siècle n’est pas chinois !) en manque d’hégémonie savent que, pour obtenir la victoire, « The key will be to deny the United States its command of space » (p. 185) et qu’il leur faut donc détruire les « Battle Stars ». Pour cela, « They would have to use unexpected means—weapons constructed in secret on the moon […]. The equivalent of Pearl Harbor in the twenty-first century would have to involve the principles of surprise in direction and means » (p. 187). C’est ainsi que, à l’abri de la face cachée de la Lune, les Japonais lancent plusieurs missiles en direction des stations spatiales américaines et parviennent à détruire celles-ci. 

Selon un commentateur, « While Friedman’s Battle Stars certainly resemble Star Trek rather than an Air War College study, the idea of the Battle Star actually reflects a reasonable extrapolation of current military space doctrine fairly accurately ». Sur le sujet, je ne feins pas d’hypothèse. Toutefois, mon propos sera ici de rappeler, non seulement combien l’exploration de l’espace et l’imagination sont liées, mais également que si l’imagination peut parfois constituer un guide valable – notamment lorsqu’elle est encadrée par une « méthode » géopolitique ou autre –, elle est aussi biaisée et mérite notre suspicion. Aussi faut-il poser à nouveau la question : pourquoi revenir sur la Lune ? 

… à suivre.

dimanche 4 décembre 2011

Quelques publications spatiales


L’auteur de ce blog signe dans le nouveau DSI un papier intitulé « La martialisation de l’espace : un concept sur mesure pour les Etats-Unis ? » A noter que je ne suis évidemment pas le seul et que je vous encourage à lire les autres articles. Vous aurez compris de l’intitulé que j’y discute stratégie spatiale, guerre dans l’espace et Etats-Unis à la lueur du dernier ouvrage de Jean-Luc Lefebvre dont j’ai déjà beaucoup parlé ici. Précisément, je soumets à la critique la notion nouvelle de « martialisation » (définie dans l’ouvrage comme une troisième voie entre « militarisation » et « arsenalisation », et dont je n’ai pas encore traité du cas dans ce blog) en appliquant une perspective d’internationaliste dans un cadre américano-centré. Mes remerciements vont à Joseph Henrotin, rédacteur en chef de DSI, de même qu’à Jean-Luc Lefebvre pour ses précieux conseils. (Sur l’espace, on regardera avec attention le hors-série n°15 consacré à la Chine.)
Décembre 2011

Pour ceux que l’espace intéresse, je signale également la publication d’un papier plus modeste dans le numéro de décembre de la RDN. Intitulé « Panorama économique du secteur spatial 2011 », ce texte s’appuie sur le récent rapport que l’OCDE a consacré à la question.

Enfin, je rappelle que je suis l’auteur – depuis août dernier – d’une note de veille espace que l’IRSEM a la gentillesse d’accueillir sur son site. Cette note, dont l’existence doit beaucoup au travail pionnier d’Alix Desforges, en est aujourd’hui à son septième numéro : on y parle, entre autres choses, des 50 ans du CNES et de l’exploration de Mars. Si le sujet vous intéresse, 1) tout d’abord, n’hésitez pas à me donner vos impressions et vos retours, ici ou par mail, 2) ensuite et surtout, profitez de l’occasion pour vous abonner à la Lettre de l’IRSEM. Une fois par mois, cette dernière vous propose un point sur des dossiers stratégiques d’actualité, des notes critiques sur des ouvrages, des synthèses de colloques et séminaires, de même que les événements, les partenariats et l’état de la recherche en cours à l’IRSEM.

Un petit mot pour finir, De la Terre à la Lune dispose depuis peu d’un fil Twitter @TerrealaLune (abonnement disponible à votre droite). Vous y trouverez l’actualité du blog et quelques infos glanées ici et là sur le net.

jeudi 1 décembre 2011

Du cyber et du reste : boules de billard, jeu d’échec, cyberpower

Nous avons eu droit mardi dernier à une conférence de très bonne tenue sur la « cyberstratégie : un nouveau domaine de la pensée stratégique ». Organisée par AGS et le Centre de Recherche des écoles de Coëtquidan, elle répond à la publication du deuxième cahier d’AGS, Stratégies du cyberespace, de même qu’aux très nombreuses réflexions dont la blogosphère s’est fait l’écho ces derniers mois. Ainsi, quatre tables-rondes ont ponctué la journée : 1) un champ stratégique à délimiter, 2) principes et modèles, 3) la « cyber » dans les opérations militaires, et 4) la cyber dans le domaine diplomatico-stratégique.

Bien que me situant pour ma part dans un tout autre « espace », je ne peux m’empêcher – néophyte que je suis – de produire une petite remarque. En effet, j’ai pu noter et apprécier les deux, trois références faites au dernier ouvrage de Joseph Nye, The Future of Power, dont un des chapitres est consacré au « cyberpower » (disponible ici). Cependant, et de manière assez paradoxale, ce colloque s’est, à quelques exceptions près, focalisé sur les rivalités des Etats (Chine et Etats-Unis principalement). Cet aspect est non seulement important, il est aussi d’actualité. Pour autant, il ne doit pas être exagéré. Selon Nye, « [cyberpower] is unlikely to be a game changer in the power transitions » (p. 151). 

Peut-être que cet auteur, considéré comme l’un des théoriciens de relations internationales les plus influents depuis les 20 dernières années, aurait mérité qu’on lui consacrât une place plus importante. Me semble en effet tout aussi intéressante l’analyse des conséquences sur les Etats de la nouvelle distribution de la puissance « in the global information age ». En conséquence, cela me suffit pour m’engouffrer immédiatement dans la brèche et profiter de ce prétexte pour décrire – grossièrement – quels sont les modèles de compréhension du monde existant aujourd’hui en RI. Bref, je propose ici une tentative de contextualisation et de mise en perspective du « cyberpower ». Je m’explique : 

Lorsque Joseph Nye parle de « cyberpower », c’est avant tout pour illustrer ce qu’il définit comme une des deux facettes – face à la forme traditionnelle, tant militaire qu’économique, de la transition de la puissance (power transition) telle que décrite, par exemple, par Paul Kennedy – du « futur de la puissance » pour le siècle à venir : à savoir sa diffusion (power diffusion). Précisément, l’ère de l’information dans laquelle nous nous trouvons, caractérisée par une très forte baisse des coûts des communications, a permis l’émergence de nouveaux types de joueurs concurrençant directement l’acteur étatique traditionnel sans pour autant le faire disparaître.

Quelles conclusions faut-il en tirer ?

De manière classique, les relations internationales (comme le nom l’indique) sont stato-centrées. Les interactions entre Etats, définis comme des entités souveraines, indépendantes et imperméables entre elles, y sont représentées à travers la métaphore des « boules de billard ». C’est le modèle que j’ai choisi pour illustrer le propos de ce blog comme le montre la bannière : des boules de différentes tailles et couleurs se percutent les unes les autres, de façon à ce que les plus lourdes et les plus rapides bousculent les autres, tout en ne touchant que leur périphérie extérieure. Une fois ce modèle de départ défini, il reste à savoir jusqu’à quel point il s’écarte de la réalité. Certains, y compris au sein du paradigme réaliste, considéreront le rôle joué par les individus, la bureaucratie ou les organisations étatiques. De ce point de vue, la boule de billard n’est plus appréciée seulement à travers sa périphérie mais également pour ce qui est de son noyau. 
Pour d’autres, la conclusion est plus extrême. Les transnationalistes prônent ainsi l’abandon pur et simple de l’image. Ils lui opposent en effet un modèle dit de la « toile d’araignée » (cobweb model). Plutôt que de s’en tenir aux relations diplomatiques officielles, les relations internationales sont ici conçues comme une gigantesque toile d’araignée caractérisée par de multiples activités et échanges – commerciaux, touristiques, financiers, migratoires, culturelles, etc. – couvrant toute la planète à la façon d’un filet sans tenir compte des frontières des Etats. En bref, avant que la mondialisation ne soit à la mode, ce modèle est décrit sur le mode cybernétique au sens de Karl Deutsh et de J. Burton : les interactions sont pensées dans le cadre d’une interdépendance inéluctable qui voit un événement frappant un endroit du monde se répercuter ailleurs, tout comme une vibration peut courir le loin d’une toile d’araignée. 

Comment ces deux approches peuvent-elles être conciliées ? Bertrand Badie parle de « détriplement » de la scène mondiale, appelant la formation d’un « jeu triangulaire » entre différentes allégeances. Plus proche des préoccupations réalistes, Joseph Nye préfère partir d’une image classique, celle du jeu d’échec, qu’il recommande d’utiliser à travers une approche tridimensionnelle (3-D). Sur l’échiquier du haut, la puissance militaire est unipolaire avec les Etats-Unis comme principale puissance. Sur l’échiquier du milieu, la puissance économique est multipolaire avec les Etats-Unis, mais aussi l’Europe, le Japon et la Chine, ainsi que quelques autres. Sur l’échiquier du bas enfin, soit le domaine des relations transnationales, les acteurs sont divers et variés (grandes banques comme terroristes ou hackers) et les problématiques tout aussi vastes (changement climatique comme épidémies), impliquant une puissance qui est diffuse. 
Et Joseph Nye de conclure : « The world is neither unipolar, multipolar, nor chaotic – it is all three at the same time » (p. 213). Dès lors aussi, « Cyberspace will not replace geographical space and will not abolish state sovereignty, but like the town markets in feudal times, it will coexist and greatly complicate what it means to be a sovereign state or a powerful country in the twenty-first century » (p. 121-2). Tout cela pour dire que, pour secondaire que puisse paraître ce petit billet par rapport aux préoccupations des cyberstratégistes, il me semble présenter un point de vue utile. 

De rajouter : 1) ceux désireux d’en savoir plus sur les deux premiers modèles, lire Dario Battistella, Théories des relations internationales, 2) quant au dernier modèle, je ne peux m’empêcher de citer le complice de toujours, Robert O. Keohane, pour qui :
Reading Nye's writing on world politics is like watching Joe DiMaggio play center field or Yo-Yo Ma play the cello: he makes the difficult look easy.
… n’oubliez donc pas de lire The Future of Power.