C’est entouré de neuf astronautes français que Michel
Drucker a célébré mardi 27 mars les 50 ans de la conquête spatiale au cours
d’une émission spéciale de 2h15 diffusée sur France 2. Cette « Nuit dans
l’espace » s’inscrit dans la continuité des émissions thématiques
(« Une Nuit sur le Charles de Gaulle », « Une Nuit sous les
mers », « Au cœur de l’armée de terre, de l’air, etc. ») organisées, selon les propres mots du producteur, dans le but de « faire connaître de manière
divertissante les institutions aux téléspectateurs français, sans que cela soit
ennuyeux ».
Le pari est semble-t-il réussi. « On était, estime le blog Un autre regard sur la Terre, dans la catégorie des très bonnes émissions
de vulgarisation ». « Michel
Drucker et ses invités sont parvenus à expliquer de manière à la fois simple et
rigoureuse le fonctionnement de la fusée Ariane, les préparatifs d’un lancement
à Kourou, la mise en orbite d’un satellite, la vie dans la station spatiale
internationale, le rôle des satellites pour la défense, l’entraînement au
centre des astronautes européens, etc. »
De fait, même si
l’espace anecdotique et l’espace rêvé ont occupé une grande place lors de
l’émission, quelques bons mots ont été dits sur l’espace utile et l’espace des
applications. La présence sur le plateau des neuf spationautes français (Jean-Loup
Chrétien, Patrick Baudry, Michel Tognini, Jean-Pierre Haigneré, Jean-François
Clervoy, Claudie Haigneré, Jean-Jacques Favier, Léopold Eyharts et Philippe Perrin),
plus le petit dernier, Thomas Pesquet, et les nombreux collègues européens
venus en renfort (dont le Hollandais André Kuipers pour une conversation à
28 000 km/h en impesanteur depuis la station spatiale internationale),
justifie d’ailleurs en elle-même le visionnage de l’émission !
Financée à hauteur de 50% (400 000€) par les acteurs du
spatial français (Astrium, Safran, Thales, Arianespace, CNES), et d’ailleurs
enregistrée sur le site d’Astrium des Mureaux, cette émission visait à « faire connaître le travail qu'ils
font, d'informer les députés qui votent les budgets pour la recherche pour
l'espace, d'expliquer aux Français à quoi cela sert et, enfin, de donner envie
aux jeunes, notamment ingénieurs, de s'investir dans l'espace plutôt que
d'aller dans la finance » et de « valoriser et rendre forte la marque 'espace' dans une grande émission ».
Cependant, et dans cette perspective, j’aurais sans doute apprécié qu’une plus
grande visibilité soit directement accordée à ces acteurs. C’est notamment le
cas du CNES qui n’a malheureusement eu droit qu’à quelques minutes en fin
d’émission ; et je ne suis pas certain que le téléspectateur ait saisi de
quoi il en retournait ni même qu’on fêtait là le cinquantenaire du spatial
français (sur la visibilité du CNES, voir ce précédent
billet). A noter toutefois que le ministère de la défense – la France,
troisième puissance spatiale – a réussi à placer un reportage très intéressant
en toute fin de soirée. Reconnaissons également la difficulté de la
tâche : aussi bien la richesse du sujet que le nombre d’acteurs impliqués
rendent ce genre d’émission difficile à organiser.
Venons-en maintenant au point qui a beaucoup préoccupé les
« fanas » d’espace : la présence des « personnalités du
showbiz », ces chanteurs, acteurs, etc., incarnées ce soir là par Shy’m,
Christophe Willem, Nathalie Simon et Mireille Darc, plus quelques autres sur le
plateau. Pour ma part, je dois reconnaître être parti avec quelques préjugés
mais avoir été – sauf intermèdes musicaux et promo – agréablement surpris par
l’excellente prestation des intervenants et la très bonne tenue des reportages.
Je dis cela d’autant plus sérieusement que je suis convaincu
par la nécessité d’un rapprochement entre les acteurs du spatial et les
célébrités en tout genre. J’ai ainsi trouvé le vol
parabolique de Shy’m dans l’avion Zéro-G très bien vu. Le reportage a
constitué un moment fort de l’émission et restera sans doute d’autant plus longtemps dans
l’esprit des téléspectateurs que la chanteuse est apparue enthousiasmée par son expérience.
Si jamais le tourisme spatial veut devenir une réalité –
c’est-à-dire si les sociétés concernées (Astrium en
fait partie) veulent non seulement susciter l’intérêt, mais aussi convaincre
les gens, leur prouver que le spectacle vaut le prix du billet et que la sûreté
n’est pas à un problème – alors il lui faudra obtenir l’aide des
« stars ». Ces dernières sont certainement le mieux placées pour
indiquer le chemin, je tente le jeu de mots, des étoiles. Elles incarnent un premier
pas vers la démocratisation de l’accès à l’espace. Selon un expert, « If
there's more interest, there are more customers. If there are more customers,
there's more technical development. It's a positive feedback loop, and
obviously that's good ». Virgin Galactic l’a compris et l’a
d’ailleurs vite intégré à sa stratégie marketing. Récemment l’entreprise de
Richard Branson n’a ainsi pas hésité à rendre public la vente
d’un billet à l’acteur Ashton Kutcher, qui plus est son 500e. Qu’attendons-nous
donc pour mettre Justin
Bieber en orbite ?
Reste une déception. Cette « Nuit dans l’espace »
n’a malheureusement pas
réussi à séduire le public français qui lui a préféré les programmes des
trois autres grandes chaînes (TF1, F3 et M6). L’émission n’est parvenue à
attirer que 1 831 000 personnes, soit 7,4% de part de marché, loin
derrière Docteur House et ses 7,82 millions de téléspectateurs. C’est bien peu
pour une première partie de soirée sur la chaîne publique.
Loin de moi l’idée que l’espace ne parvient pas à mobiliser
cependant. J’en veux pour preuve le succès du tweetup organisé hier
soir lors de l’amarrage de l’ATV à l’ISS. Je n’ai pas de comparaison
disponible, mais les chiffres absolus
parlent d’eux-mêmes. Et bravo à l’Europe de l’espace !
Le ministre en charge de l’espace, Laurent Wauquiez, a
présenté jeudi dernier la Stratégie
spatiale française : un document (.pdf)
de vingt pages qui, tout en rappelant les grands principes guidant la politique
spatiale française depuis 50 ans, vise à reformuler les relations entre les
pays membres de l’Agence spatiale européenne – notamment en ce qui concerne la
règle du « juste retour » géographique – quelques semaines avant les
élections présidentielles, et un peu
moins de huit mois avant la conférence ministérielle de l’ESA qui décidera des
prochains programmes à financer (la moindre des décisions à prendre concernera
la suite à donner à l’ATV à laquelle nous avions déjà fait référence ici).
Une rubrique
internet très complète a même été ouverte à l’occasion.
Tout comme le Président Nicolas Sarkozy qui appelait fin
2011 à « une politique industrielle
européenne plus claire » et à moins de « naïveté » de la
part des Européens, Laurent Wauquiez a revendiqué la préférence européenne en matière
d’accès à l’espace. La vérité toutefois est que « [n]ous ne pouvons pas nous payer en Europe le luxe de dupliquer
inutilement nos compétences ». Aussi la France souhaite-elle assouplir
les règles de retour géographique, c’est-à-dire financier, industriel et
social, de l’ESA par une « application
mesurée des règles de concurrence de l’UE ». Il faut en effet
maintenir à tout prix l’expertise technologique française et parfois préférer la
compétence à la nationalité. Pour cela, le ministre a annoncé la création d’un
comité de concertation de la politique spatiale « mis en place pour faciliter cet échange d’informations entre la
puissance publique et l’industrie spatiale » (voir détails ici).
A ce sujet et concernant l’espace militaire, le rapport indique
vouloir « faire jouer, chaque fois
que possible, la dualité des systèmes spatiaux ». Cette annonce prend
place quelques jours après la visite, le 6 mars, du ministre de la Défense,
Gérard Longuet, sur les sites d’Astrium et de Thales de Toulouse durant
laquelle a été réaffirmée l’importance des liens entre la défense et le
spatial, et ce alors que EADS a déplacé son siège social dans la capitale
occitane. Lors d’une allocution sur « la politique spatiale de
défense et sa relation à la filière industrielle », à la chambre de
commerce et d'industrie (CCI) de Toulouse, le ministre a ainsi plaidé pour « plus de synergies entre le civil et le militaire
». Pour une revue (Hélios, etc.) de ce qui a été dit – pensez-vous : il a
même été question de la base de Francazal – les détails sont ici et là. Je saisis aussi
l’occasion pour mentionner l’existence d’un tout nouveau et très intéressant dossier
« espace militaire » sur le site du
ministère.
Il n’est pas dans mes intentions de faire dans ce
billet le bilan du premier mandat Sarkozy concernant le spatial, le Livre Blanc, etc. Tout au plus rappellerai-je
brièvement et pour finir quelques-uns des grands moments, qu’il s’agisse
d’événements ou de grandes publications, qui ont été consacrés au spatial
durant ces cinq dernières années.
Ainsi des deux discours prononcés par Nicolas
Sarkozy au Centre spatial Guyanais le 11 février 2008 et au centre CNES de
Toulouse le 22 novembre dernier (voir ici)
pour fixer les grands axes de la politique spatiale française. Ainsi également
de la très spéciale année 2011 : au cinquantenaire de la création du CNES, se
sont ajoutés le lancement réussi du premier Soyouz guyanais, de même que la
mise en orbite des deux premiers satellites de la future constellation Galileo.
Outre l’adoption en 2008 d’une loi relative aux opérations
spatiales, je n’oublie pas non plus le rapport remis au Premier ministre en mai 2009 par
MM. Yannick d'Escatha, Laurent Collet-Billon et Bernard Bigot, respectivement
président du CNES, délégué général pour l’armement et directeur général du CEA,
sur l’avenir de la filière européenne des lanceurs spatiaux (.pdf).
Plus récemment, une réflexion, intitulée « Une ambition spatiale pour
l’Europe. Vision française à l’horizon 2030 », a également été conduite
sous l’autorité du Centre d’analyse stratégique (.pdf).
Mais
si la France parvient à concrétiser ses rêves d’espace, c’est aussi grâce aux
hommes qui incarnent l’effort spatial au quotidien : ceux-là même qui ont
« fait de la conquête spatiale une réalité » et que le président avait
salués pour leur « travail patient, visionnaire et minutieux,
rigoureux à l'extrême ». Ce modeste billet
vise à rappeler que cette soirée leur est consacrée.
France 2 et Michel Drucker vous proposent en effet de passer
« une
nuit dans l’espace » ce soir à partir de 20h35. L’animateur vedette de
France 2 y célèbrera les 50 ans de la conquête spatiale française et européenne
au cours d’une émission exceptionnelle. On ne nous épargnera sans doute pas quelques fioritures. Toutefois, étant donné la diversité des lieux et des acteurs engagés (CNES, Astrium, CIE, etc.), le propos devrait être intéressant et vivant, concret et pratique. Vous pourrez
notamment entendre les témoignages des neuf spationautes français : Jean-Loup
Chrétien, Patrick Baudry, Jean-Pierre Haigneré, Claudie Haigneré, Michel
Tognini, Léopold Eyharts, Philippe Perrin, Jean-Jacques Favier et Jean-François
Clervoy. André Kuipers, actuellement à bord de l’ISS, sera également de la
partie.
Cela fait désormais un peu plus d’un an que l’U.S. Air Force possède
un « avion spatial militaire » en orbite. Difficile de donner la
définition exacte de ce que doit être un « avion spatial » sinon qu’il
s’agit du rêve absolu : le Saint-Graal lui-même.
On tombe généralement d’accord pour désigner une capacité de
transport humain, capable non seulement d’être lancée en orbite
rapidement et à la demande, mais également d’y manœuvrer de façon
extensive. De ce point de vue, le X-37B Orbital Test Vehicle (OTV) n’est pas à proprement parlé un avion spatial, mais plutôt, comme Jean-Luc Lefebvre
le fait observer, « un drone aérospatial » (p. 208). Reste que
l’entreprise Boeing a indiqué vouloir construire un X-37C plus grand
(180%) capable de prendre à son bord six membres d’équipage.
A la vérité nous ne savons pas grand-chose de cette mini-Shuttle
réutilisable lancée le 5 mars 2011 de la base de Cape Canaveral à bord
d’une fusée Atlas V. Cela explique sans doute l’appétit vorace du public
pour la moindre information susceptible de dévoiler un peu le mystère.
Il faut dire que les spéculations ne manquent pas, y compris en provenance de grands sites d’information comme BBC,
qu’il s’agisse d’espionner le nouveau laboratoire orbital chinois
Tiangong-1, de neutraliser les satellites ennemis ou de patrouiller
l’orbite basse sinon la galaxie.
1) Des origines
L’OTV a derrière lui une longue carrière passée dans les mains de différentes entités gouvernementales et commerciales.
Il a ainsi vu le jour en 1998 autour du projet X-40 Space Maneuver Vehicle
géré en commun par l’USAF et Boeing. A la fin des années 1990, le
programme est recueilli par la NASA et réapparaît sous la forme
légèrement augmentée (120%) du X-37A. Quatre années et 493 millions de
dollars plus tard, le projet est transféré à la DARPA puis classifié. Il
ne refait son apparition qu’en 2006 dans ce qui est devenu depuis lors
sa maison, l’USAF.
Le premier X-37B, OTV-1, est lancé le 22 avril 2010 depuis Cape
Canaveral (Floride) et atterrit de manière autonome le 3 décembre de la
même année sur la base de Vandenberg AFB (Californie) après avoir passé
224 jours en orbite. Le second vol a lieu courant mars 2011. A ce jour,
OTV-2 est toujours en orbite. Le record a beau être dépassé de 156 jours
: toujours aucun signe de retour à l’horizon. Il peut du reste demeurer
en orbite aussi longtemps qu’il lui plaira, du moment que le carburant
ne vient pas à manquer, la chose dépendant en réalité de la nature de sa
mission.
2) Un drone à la recherche d’une mission
Aucune information précise ne circule concernant le contenu de sa
mission. Tout au plus savons-nous qu’il s’agit d’un véhicule
expérimental chargé de « demonstrate technologies for a reliable, reusable, unmanned space test platform ». Il est toutefois possible de tirer quelques conclusions des éléments qui nous sont connus et que Boeing partage sur son site.
Primary Mission: Experimental test vehicle Prime Contractor: Boeing Height: 9 feet, 6 inches (2.9 m) Length: 29 feet, 3 inches (8.9 m) Wingspan: 14 feet, 11 inches (4.5 m) Launch Weight: 11,000 pounds (4,990 kg) Orbit Range: Low-Earth Orbit, 110 — 500 miles above Earth (~ 200 – 800 km) Power: Gallium Arsenide Solar Cells with lithium-Ion batteries Launch Vehicle: United Launch Alliance Atlas V (501)
Le X-37B remplirait ainsi deux missions. 1) La première concerne les
technologies contenues à l’intérieur de l’appareil lui-même. En cela, le
X-37B se rapprocherait du X-37A original utilisé par la NASA.
L’objectif semble reconnu par l’USAF, soit le test de la technologie de
rentrée atmosphérique : l’OTV est après tout conçu pour retourner sur
Terre par ses propres moyens.
2) La seconde mission n’a pas été révélée officiellement mais étant
donné la capacité définie ci-dessus il est probable que des
sous-systèmes soient expérimentés dans l’espace pour être inspectés à
leur retour sur terre. Il peut s’agir de panneaux solaires, senseurs et
autres technologies satellitaires destinés un jour à équiper la future
génération de satellites. C’est également ce que l’on peut déduire de sa
présence en LEO – l’orbite utilisée par les satellites d’observation –
et de l’existence d’une soute de la taille d’un plateau de pickup.
Le X-37B collecterait donc quelques données susceptibles d’intéresser
l’armée de l’air. De fait, il n’est pas inintéressant de remarquer que
le programme a été sauvé par l’USAF alors que la NASA menaçait de
l’abandonner. Cela prouve que l’appareil a une certaine utilité. Et le
X-37B ne serait pas aussi utile s’il n’avait pas ce coffre arrière. Un
détail d’autant plus crucial dans le contexte post-navette spatial. Pour
autant, cela ne signifie pas que ce drone spatial soit prévu pour
rester.
Ce qui importe dès lors, c’est autant ce que l’on a mis à l’intérieur, que ce à quoi le X-37 ressemblera lorsqu’il retournera sur la terre. Voilà la vraie question : pourquoi l’USAF a-t-elle besoin de le voir revenir ?
3) Un outil extravagant ?
… et voilà donc aussi le cœur du problème. Une telle mission justifie-t-elle les coûts engagés ? Le fait qu’il soit un drone (i.e.
inhabité) n’empêche pas le X-37B de tendre vers l’avion spatial. A ce
niveau là, la différence importe peu : l’appareil est réutilisable, ce
qui revient à dire qu’il est cher, et surtout cher à lancer (le coût du
lancement d’une fusée Atlas V est estimé à 100 millions de dollars). Des
alternatives moins dispendieuses existent certainement : pourquoi ne
pas envisager par exemple une capsule de type Orion munie d’un parachute ?
Aurait-on alors manqué quelque chose ? Y a-t-il d’autres utilités capables de faire pencher la balance ?
- Une plateforme pour déployer de petits satellites rapidement ?
Le scénario s’inscrit dans un programme ORS (Operationally Responsive Space)
et semble donc séduisant mais 1) le X-37 est dépendant d’un EELV (Atlas
V, Delta IV), peu susceptible à l’heure actuelle de répondre au critère
de lancement rapide à la demande, 2) le X-37B n’a pas assez de place
pour prendre en voiture un nombre suffisamment grand de (petits)
satellites, 3) le X-37B n’est certainement pas capable d’échapper à la
SSA (space situational awareness) de l’adversaire, 4) les alternatives traditionnelles sont plus crédibles et surtout plus abordables en comparaison.
- Un véhicule utilisé pour réparer les astronefs amis ?
Là encore, remarquons que 1) le X-37B navigue beaucoup trop bas en
altitude pour pouvoir aborder la plupart des satellites concernés, 2) le
X-37B n’a de toute façon qu’une petite soute peu susceptible de
convenir à la plupart des satellites/composants militaires (pour prendre
un exemple la Shuttle, capable de contenir deux X-37B, était
limitée à cet endroit là), 3) et du reste, récupérer un petit satellite à
moins de 20 millions de dollars ne fait pas sens économiquement
parlant.
- Un véhicule utilisé pour inspecter les astronefs ennemis ?
1) Le X-37, compte tenu de sa taille, ne manquera pas d’être détecté
s’il s’approche d’un appareil adversaire en mode ASAT, 2) la capacité
d’emport de la soute est trop faible, surtout s’il devient nécessaire
d’embarquer un bras robotique, 3) les alternatives sont plus crédibles :
plus petites et moins facilement détectables comme MiTEx ou XSS-11.
- Un bombardier spatial ?
1) Le X-37B est trop lent pour correspondre aux critères hyper-cinétiques inhérents au projet de Prompt Global Strike
(PGS), et devra donc embarquer un surplus d’explosifs conventionnels –
ce qui renforce le problème de la manœuvrabilité déjà limitée (ne
serait-ce que parce qu’il faut prendre en charge le carburant nécessaire
pour revenir sur terre), 2) le X-37B est trop peu manœuvrable/furtif
pour ne pas constituer une proie facile, 3) la soute n’est pas assez
grande pour contenir un armement intéressant, 4) quelques X-37B ne
suffiront pas à assurer un système de frappe planétaire rapide, 5) et
cela sans qu’il soit question des alternatives possibles de type CAV (Common Aero Vehicle), et sans bien sûr parler de la pertinence même du concept de PGS.
Bilan
Pour reprendre les mots de l’Union for Concerned Scientists,
une organisation il est vrai très sceptique/critique quant au concept
d’avion spatial, le X-37B est… un système extravagant sans mission
convaincante. Reste la technologie sur laquelle on ne peut que
s’émerveiller !
De la Terre à la Lune s’associe à la diffusion de ce manifeste signé par l’équipe de l’ISC et de Stratégiques, et cela autant par «solidarité stratégique » que pour personnellement rendre hommage au professeur Hervé Coutau-Bégarie (voir le billet AGS) à qui je dois, bien que je n’aie jamais pu le remercier de vive voix, un avis très favorable pour mon mémoire de fin d’études récompensé l’année passée.
Jérôme de Lespinois, Martin Motte, Olivier Zajec de
l’ISC
Suppléants d’Hervé Coutau-Bégarie
Cours de stratégie de l’Ecole de Guerre.
Résumé :
l’œuvre du professeur Coutau-Begarie est
immense et ses disciples sont nombreux. Ils s’attacheront à préserver
l’indépendance des deux vecteurs par lesquels il prenait sa part, éminente, du
débat stratégique, l’institut de stratégie comparée et la revue Stratégique.
Hervé Coutau-Bégarie, fondateur de
l’Institut de Stratégie Comparée et président de l’ISC-CFHM, est mort le 24
février 2012. La perte est affreusement cruelle pour sa famille, à la douleur
de laquelle nous nous associons de tout cœur. Mais le courage avec lequel il a
affronté la maladie nous montre, par delà le deuil, le chemin de la confiance
et de l’énergie. Cette disparition est une immense perte pour la pensée
stratégique. Là encore pourtant, l’espoir doit l’emporter sur la peine. L’œuvre
d’Hervé Coutau-Bégarie est bien vivante. Elle n’est pas derrière lui mais
devant nous. D’abord parce qu’il laisse une trentaine de livres à publier, les
uns de lui, d’autres dont il assurait la direction ou la codirection, d’autres
enfin qu’il avait retenus pour sa collection. Ensuite parce que nous n’avons
pas fini, à très loin près, de lire et de relire Hervé Coutau-Bégarie. C’est
tout un processus de réédition, de classement, d’études qui commence. Du
gigantesque corpus établi sur trois décennies, il s’agit maintenant d’extraire
un ensemble de textes canoniques par décantation des éléments contextuels.
L’œuvre d’Hervé Coutau-Bégarie, c’est
aussi la revue Stratégique et l’Institut de Stratégie Comparée, l’ISC,
une association indépendante à la fois soubassement des publications et
accélérateur de particules intellectuelles, qui a donné et doit continuer de
donner leurs chances aux jeunes talents. Le secret de cet institut, son
Président le révélait dans un texte qui apparaît rétrospectivement comme son
testament : « Une recherche stratégique qui n’a qu’un pôle
étatique est infirme ; elle a besoin d’un pôle associatif, plus réactif,
mieux capable de fédérer les multiples initiatives de petits groupes ou même
d’individus qui s’efforcent, avec de très faibles moyens, de faire vivre la
tradition de la pensée stratégique et historique française » - et de
rappeler que l’ISC, dans le seul premier semestre 2010, a publié pas moins de
6 ouvrages totalisant 3258 pages, soit bien plus – et de très loin - qu’aucun
organisme étatique travaillant sur le même créneau (article paru dans Stratégique
n°99, 2010).
Le savoir, la culture et la vision
d’Hervé Coutau-Bégarie nous manqueront. Mais l’élan qu’il a insufflé à la
recherche en stratégie peut continuer. L’Institut et la Revue, dont la qualité est
internationalement reconnue, évolueront. Maquette, diversification numérique,
cartographie, nouveaux partenariats français et étrangers, les chantiers ne
manquent pas, il les avait lui-même ébauchés. La Bibliothèque
stratégique, Hautes études stratégiques, Hautes études militaires et Hautes
études maritimes qui constituent les quatre collections dirigées par Hervé
Coutau-Bégarie chez Economica seront reprises et développées. Elles constituent
le corpus le plus important d’ouvrages relatifs aux questions stratégiques et à
l’histoire militaire en langue française et continueront à publier des opus
ayant vocation à enrichir une réflexion enracinée dans l’étude de la culture
stratégique française et celle d’autres aires culturelles. En outre, nous
poursuivrons la publication du corpus des écrivains militaires en langue
française dont déjà plusieurs titres sont parus mais plusieurs dizaines
d’autres attendent d’être publiés tant dans le domaine de la stratégie générale
que des stratégies particulières, navale ou aérienne.
Ces évolutions nécessiteront une relève :
elle existe, avec une moyenne d’âge qui la met en prise directe avec les défis
actuels. Hervé Coutau-Bégarie, entre autres qualités, savait faire confiance et
encourager. Il aura su, sans battage et avec des soutiens mesurés, faire monter
autour de lui une génération de jeunes chercheurs et d’auteurs qui lui doivent
énormément. Il a beaucoup sacrifié pour transmettre. Nous voulons maintenir et poursuivre. Tous, nous
gardons à l’esprit ce qu’il ne cessait de nous répéter : la clé d’une
recherche stratégique mature et objective, c’est l’autonomie de la structure
qui la porte.
Hervé Coutau-Bégarie a continué à
travailler jusqu’à l’extrême limite de ses forces, dictant encore des articles
de son lit d’hôpital il y a quelques semaines.
Pour continuer son œuvre, l’ISC doit
préserver son indépendance. Il ne le pourra pas sans moyens financiers. Nous
lançons donc un appel à tous les membres de la communauté des stratégistes, qui
prendra très bientôt la forme d’une campagne d’abonnement à la revue Stratégique,
et d’adhésion à l’ISC. Lecteurs, élèves, étudiants, amis des pays étrangers, où
l’œuvre d’Hervé Coutau-Bégarie était connue et appréciée : il dépend
aujourd’hui de vous tous que le titanesque travail qu’il a accompli, et que
nous souhaitons faire vivre, continue de porter ses fruits.///
CF Emmanuel Boulard (doctorant de
l’EPHE), Jean-François Dubos (secrétaire de rédaction de Stratégique, doctorant
de l’EPHE), CA (2S) Jean Dufourcq (docteur en science politique), Col. (T) Benoît
Durieux (docteur de l'EPHE), LCL (A) Christophe Fontaine (doctorant de l'EPHE),
Serge Gadal (chargé de recherches de l'ISC, docteur de l'EPHE), Col. (T) Michel
Goya (chargé de conférence à l’EPHE), Joseph Henrotin (docteur en science
politique), Olivier Kempf (Maître de conférences à Sciences Po Paris), Col. (A)
Jean-Luc Lefebvre (doctorant de l'EPHE) LCL (A) Jean-Patrice Le Saint
(doctorant de l'EPHE), Christian Malis (docteur en histoire), Valérie Niquet
(maître de recherche à la FRS),
Col. (T) Jérôme Pellistrandi (docteur de l'EPHE), Col. (T) Philippe Sidos
(doctorant de l'EPHE).
La conquête de l’espace a cela de spécifique qu’elle prend
place là où personne ne peut vivre.
Contrairement aux précédentes phases d’exploration, qu’il s’agisse
des Grandes Découvertes ou des « voyages extraordinaires »
du XIXe siècle, il n’y aura pas de rencontre.
Il n’y a pas d’indigènes avec qui échanger sur Titan, il n’y a pas de culture à
découvrir sur Vénus et il n’y a pas de religion à comprendre sur Mars. En
réalité, il n’y aura personne à qui parler si ce n’est à nous même. Dans l’espace,
nous sommes seuls…
Fini donc l’ethnocentrisme : une seule culture est aujourd’hui
impliquée, celle de l’explorateur. Mais finie aussi la dynamique – la tension à
la fois tragique et magnifique à l’origine du choc entre civilisations – de
l’exploration. C’est d’autant plus vrai que dans le passé la découverte devait être faite par des individus.
Désormais, non seulement n’y aura-t-il pas de rencontre entre civilisations,
mais il n’y aura pas même d’humain pour la soutenir le cas échéant. L’homme n’a
plus à être présent physiquement – et certains avancent de très bons arguments
pour aller jusqu’à dire qu’il ne doit
pas être présent. Tel est le sens porté par le « Troisième
Age d’exploration » imaginé par Steven J. Pyne pour désigner
l’exploration de ces lieux désolés que sont le cosmos, les grands fonds-marins
ou l’Antarctique.
D’où cependant l’importance des images rapportées par les
sondes et autres robots envoyés par l’humanité pour explorer ces nouveaux mondes.
Car si ce troisième âge devient pour l’explorateur celui de l’introspection
alors quoi de mieux que ces supports photographiques pour nous renvoyer à notre
propre image. Telle était la conclusion à laquelle aboutissait Carl Sagan en
1994 et à laquelle je faisais déjà référence ici.
S’il y a conquête alors celle-ci ne peut être qu’intérieure.
Avec nous, « unreconstructed
geocentrists hiding behind a Copernican veneer » pour reprendre les mots de
Sagan, la découverte de l’univers ne peut ressembler qu’à un gigantesque palimpseste. Qui plus est, cette exploration n’est constituée à l’origine
que de « zéros et de uns » que seul un long travail de traitement transforme
en images chargées d’émotion, un résultat qui, progrès informatiques aidant, sans
cesse demande à être remis sur le métier. Dans ces conditions, sans qu’il soit
même question de quitter physiquement la Terre, ce « troisième âge de l’exploration »
ne peut connaître ni débuts ni fins.
Quoi de mieux pour illustrer ces quelques réflexions que
cette vidéo mise en ligne par la Planetary Society, un organisme cofondé
en 1980 par Carl Sagan, avec pour principaux objectifs l’exploration du système
solaire et la recherche d’une forme de vie extraterrestre. Ou lorsque l’exploration
de l’univers – quarante ans de collections déjà ! – fait appel à ses
propres restaurateurs…
Pour son treizième Café Stratégique, l’Alliance
Géostratégique reçoit Philippe Chapleau, journaliste au service Politique
de Ouest-France, spécialiste des
questions de défense et auteur du blog bien connu Lignes de défense.
Nous vous attendons nombreux le jeudi 8 mars à 19h (entrée libre) au café Le Concorde (métro Assemblée nationale,
239 bd Saint-Germain à Paris). Echanges et débats garantis !
Vous trouverez ci-dessous un billet co-écrit avec Stéphane Mantoux du blog allié Historicoblog. Nous inaugurons là une chronique cinéma sur AGS consacrée aujourd'hui au film En territoire ennemi (Behind Enemy Lines, 2001).
Titre original :Behind Enemy Lines.
Date de réalisation : 2001.
Réalisateur : John Moore.
Ci-dessous, la bande-annonce du film.
L’histoire : lors de
la phase finale de la mission de maintien de la paix de l’OTAN en Bosnie, en
décembre 1995, les lieutenants Chris Burnett (Owen Wilson) et Jeremy
Stackhouse (Gabriel Macht), stationnés sur un porte-avions dans la mer
Adriatique, conduisent une mission de reconnaissance au-dessus du terrain.
Durant leur vol, ils repèrent une activité anormale dans la zone démilitarisée,
où les avions de l’OTAN n’ont pas le droit de pénétrer. Burnett convainct
pourtant Stackhouse de le faire, mais il ignore qu’ils vont filmer des
concentrations de troupes des Serbes de Bosnie dissimulés à cet endroit, ainsi
que des fosses communes où ceux-ci ont exécuté des musulmans bosniaques. Le
commandant local des Serbes de Bosnie, le général Miroslav Lokar (Olek
Krupa), ordonne d’abattre l’avion. Le F/A-18 Hornet est
frappé par l’un des missiles tirés et les deux pilotes s’éjectent. Une
patrouille serbe conduite par Lokar s’empare de Stackhouse ; Lokar
l’interroge puis le fait exécuter par son bras droit, Sasha (Vladimir
Mashkov). Burnett, qui a assisté à la scène, se fait repérer. Commence
alors une longue chasse à l’homme à travers la Bosnie, tandis que le commandant
du porte-avions, l’amiral Leslie Reigart (Gene Hackmann), met
tout en oeuvre pour récupérer le pilote abattu…
L’histoire (vraie) :
Le film s’inspire assez nettement de l’incident dit de Mrkonjic Grad
: le 2 juin 1995, un F-16C de l’US Air Force est abattu au-dessus de
la Bosnie par un missile sol-air SA-6. Le pilote, Scott O’Grady,
s’éjecte. A ce moment-là, l’OTAN intervient au-dessus de la Bosnie pour faire
respecter une « No Fly Zone » (opération Deny Flight)
afin de décourager les appareils serbes de d’en prendre aux civils bosniaques
et aux forces croates et bosniaques. Le 2 juin, 2 F-16 du 555th
Fighter Squadron basé à Aviano sont donc en patrouille au-dessus de la
Bosnie, avec une configuration Wild Weasel (lutte antiradar :
missiles HARM et dispositifs de brouillage). Les deux avions sont étrangement
envoyés seuls alors que la veille, l’OTAN a détruit un dépôt de munitions serbe
à Pale, provoquant la colère des intéressés qui prennent alors 400 soldats de
l’ONU en otage. Les Serbes tendent un piège aux deux appareils : ils
déplacent l’une de leurs batteries de missiles SAM (dont les emplacements sont
connus des pilotes de l’OTAN) au sud de la ville de Banja Luka. La batterie de
SA-6 Gainful (un SAM utilisé pour la première fois pendant la guerre
du Kippour, en 1973, et modernisé depuis) n’allume son radar qu’après avoir été
survolée par les F-16, leur laissant un temps de réaction très court. Deux
missiles sont tirés : le premier, caché par les nuages, explose entre les
deux avions, le deuxième percute sur le ventre l’appareil d’O'Grady
(indicatif : Basher 52) qui parvient toutefois à s’éjecter.
Atterrissant en territoire hostile, il arrive à éviter la capture face aux
patrouilles serbes. Il ne se sert de sa radio que le quatrième jour pour
commencer à signaler sa position. Juste après minuit, le 8 juin, il entre en
contact avec un F-16 de son escadrille. Après confirmation de son identité, la
mission de sauvetage est mise en branle. L’amiral Leighton Smith, commandant
les forces sud de l’OTAN, appelle à 4h40 le colonel Martin Berndt des Marines
et lui donne l’ordre d’exécution. De l’USS Kearsarge, 2 CH-53 Sea
Stallions décollent avec 43 Marines de la 24th
Marine Expeditionnary Force (celle-là même qui avait été décimée à
Beyrouth en 1983 par l’explosion d’un camion suicide dans ses baraquements, 241
morts) à bord. Ils sont escortés par une paire d’hélicoptères d’attaque AH-1W Super
Cobras et par une autre paire de AV-8B Harriers. En soutien se
trouvent aussi 2 EA-6B Prowler de guerre électronique de la Navy,
2 F/A-18D des Marines, une paire d’A-10 de l’Air Force, ainsi
que l’AWACS de l’OTAN. A 6h35, O’Grady est récupéré par les Marines en
7 minutes à peine, sans accroc. Sur le chemin du retour, un radar à missiles
serbe accroche la mission Search and Rescue ; un appareil américain
demande l’autorisation d’ouvrir le feu, ce qui lui est refusé, de peur de
déclencher un conflit plus large. Deux missiles sol-air portables sont
cependant tirés contre les hélicoptères, qui reçoivent aussi des balles d’armes
de petit calibre. A 7h30, O’Grady est sain et sauf à bord du Kearsarge.
Quelques mois plus tard, le 11 août, un drone MQ-1 Predator est lui
aussi abattu au-dessus de la Bosnie. Le 30 août, l’OTAN lance l’opération Deliberate
Force, une campagne aérienne massive qui met fin au siège de Sarajevo et
aboutit à la conclusion de la guerre en Bosnie. O’Grady reprochera plus tard à 20th
Century Fox d’avoir réalisé En territoire ennemi sans le
consulter et d’avoir falsifié sa personnalité à travers l’acteur censé le
représenter ; il sera débouté par la justice américaine, mais aura entre
temps réalisé un documentaire pour la BBC, Behind Enemy Lines :
The Scott O’Grady Story. Il écrira également plusieurs livres sur
son expérience.
Ci-dessous, un reportage de la
télévision américaine en 1995 sur l’opération de sauvetage de Scott O’Grady.
Ci-dessous, un documentaire sur
l’épopée d’O'Grady avec sa contribution.
Derrière l’histoire… :
Le film a été tourné en Slovaquie. Durant le tournage, il n’y avait pas de
neige, ce qui est exceptionnel dans ce pays : il a donc fallu recréer de
la neige artificielle. L’équipe n’a pas pu trouver de Serbes pour jouer dans le
film en raison de la posture très critique envers ce peuple que sous-tend le
propos. C’est pourquoi le général serbe est joué par un acteur polonais et son
bras droit par un Russe… Le porte-avions utilisé pour les scènes en extérieur
est l’USS Carl Vinson (CVN-70, on voit d’ailleurs le numéro sur
l’îlot dans le film). Quant aux scènes en intérieur, elles ont été filmées à la
fois sur le Vinson et sur l’USS Constellation (CV-64).
A noter que durant le tournage de la scène de combats urbains dans la ville de
Hac, le réalisateur John Moore faillit presque être tué par le char qui défonce
un mur, n’étant sauvé que par la présence d’esprit d’un cascadeur. En
territoire ennemi réutilise aussi des scènes du film Savior
(1998), au moment des flashbacks sur les massacres de musulmans
bosniaques par les Serbes ; hors, dans Savior, ce sont des
miliciens croates de Bosnie qui exécute des Serbes… si le film s’inspire
largement de l’aventure d’O'Grady (bien que celui-ci n’ait jamais été en
contact avec des civils, comme cela est le cas de Burnett dans le film), il
faut noter que celui-ci pilotait un F-16 et non pas un F/A-18F Super
Hornet (qui n’était pas encore entré en service en 1995, il sera
opérationnel dans l’US Navy en 2001). En territoire ennemi
puise évidemment dans les événements de la guerre de Bosnie et les massacres
qui l’ont émaillée, poussant l’OTAN à intervenir. Les accords de Cincinnati
mentionnés au début du film sont sans doute le pendant des accords de Dayton,
signés après la campagne aérienne de l’OTAN et l’offensive croate contre les
forces serbes en Croatie et en Bosnie. Géographiquement, il y a quelques
incohérences, puisque Burnett et Stackhouse sont abattus au-dessus de la région
de Srebrenica, à l’est de la Bosnie, alors qu’ils parlent à un
moment de la partie sud de ce même pays. Gene Hackmann, qui
joue le rôle de l’amiral américain cherchant à récupérer son pilote, avait été
de l’autre côté de la barrière dans Bat 21 (1988) de Peter
Markle. Bat 21 raconte le sauvetage du lieutenant-colonel Iceal
Hambleton (joué par Gene Hackmann), seul survivant d’un appareil EB-66 abattu
par un missile nord-viêtnamien au-dessus de la piste Hô Chi Minh le 2 avril
1972, en pleine offensive d’Hanoï contre le Sud-Viêtnam.
En territoire ennemi sort dans les
salles en novembre 2001, juste après les attentats du 11 septembre . C’est
un succès commercial aux Etats-Unis où il dépasse les 20 millions de dollars de
recettes dès la première semaine. Le projet de la compagnie Davis, basée à Los
Angeles, avait pourtant connu des difficultés : il a fallu le lobbying
d’anciens pilotes de la Navy pour obtenir le soutien du département de
la Défense américain. Davis présente son film comme le « prochain Top
Gun » et comme un tremplin de recrutement pour l’US Navy, qui va
fournir le matériel adéquat (voir ci-dessus). John Moore, le réalisateur, est
alors un adepte des films commerciaux à petit budget. Le script séduit Gene
Hackmann, lui-même ancien Marine et habitué des films patriotiques sur
la guerre du Viêtnam (Uncommon Valor, 1983-Retour vers l’enfer
en français ; Bat 21, avec déjà l’histoire du sauvetage d’un
pilote abattu derrière les lignes ennemies). Le film, plutôt destiné à un
public masculin -et adolescent aussi, pourrait-on dire- se gargarise d’un nationalisme
chauvin. Il héroïse la machine de guerre américaine, à la puissance
incomparable, d’une efficacité bureaucratique certaine, mais surtout menée par
des hommes respectant le même code de valeurs (sens du devoir, sens de
l’honneur, respect des traditions). Il met en scène l’engagement héroïque des
Américains sur le plan moral et celui de la défense, universelle, des droits de
l’homme. En ce sens, il rejoint une longue tradition du film de guerre
américain que l’on retrouve la même année, aussi, dans La chute du
faucon noir. Le film place également la bureaucratie otanienne, alliée
des Etats-Unis, comme un obstacle à la mission morale héroïque des Américains.
Il reflète la culture américaine du militarisme telle qu’elle était en vogue
sous l’administration de G.W. Bush…
Du monde de l’après-guerre froide à
l’Amérique de l’après-11 septembre
Ne nous leurrons pas, Behind Enemy Lines est
avant tout un film commercial. Il cible ainsi un large public et véhicule pour
cela un nationalisme exacerbé et une imagerie post-11 septembre dont rend très
bien compte l’affiche promotionnelle suivante. Le pilote de l’US Navy
abandonné y est représenté dans une attitude vengeresse en train de charger,
arme au poing, les ennemis qui le harcèlent et qui le poussent contre deux
tours de lumières entourées par des nuages de fumée. Cette image est symbolique
de l’Amérique de l’après 11 septembre. Tout comme le héros, la superpuissance
américaine s’est réveillée, en colère, et prête à en découdre pour réclamer une
vengeance légitime.
Comme le montre Cynthia Weber, contrairement au
héros de La Chute du faucon noir (film sorti la même année comme nous
l’avons déjà précisé) dont l’idéalisme se trouve remis en cause par la conduite
de la guerre, le héros de En territoire ennemi est un pilote Américain
désabusé dont le réalisme pessimiste va peu à peu se transformer en idéalisme
explicitement assumé. Ce cheminement – cette conversion devrions-nous peut-être
dire – est aussi celui de l’Amérique. Aussi ce film dégage-t-il deux parties.
La première partie est symbolique du regard que
porte l’Amérique sur le monde des années 1990. Lorsqu’il est interrogé par son
commandant, l’amiral Leslie McMahon Reigart, le lieutenant Chris Burnett
explique pourquoi il ne veut plus servir son pays : « I signed up
to be a fighter pilot. I
did not want to be a cop. I certainly did not want to be a cop in a
neighborhood nobody cares about. That and the routine in the ship kind of wore
me out ». En
réponse à Reigart qui prétend que l’Amérique est bel et bien en guerre, il
ajoute : « If we are at war why doesn’t somebody act like we are at
war because as far as I can tell we go out, we fly around and we come back.
Now, maybe we’re pretending we’re in the middle of a fight but that is all
we’re doing. We’re pretending. Because we’re not fighting. We’re watching »
(vers la 10e minute). De fait, auparavant, les choses étaient
simples et la moralité toujours sauve car facile à situer et à délimiter. Burnett ne dit pas autre chose :
« everybody who signed up wants to punch a Nazi in the face at
Normandy but those days are long gone » (vers la 8e minute). Désormais,
il n’y a plus d’ennemis, seulement des conflits dans des régions sans intérêts,
par exemple le désert irakien des Rois du désert (1999), véritables
« shit holes » où l’on se bat et où l’on meurt sans en connaître
la raison. Qui plus est, plutôt que de régler ces conflits, l’Amérique en est
réduite à les observer de loin. Bref, tel est l’état du « nouveau
désordre mondial » et ce n’est pas cette ambiguïté dont Burnett veut pour
l’Amérique.
D’où la seconde partie du film, plus actuelle car
représentative des années 2000, qui traite de la redécouverte par le héros du
sens de sa mission et de son rôle en tant qu’Américain. Pour cause, en essayant
d’échapper à ses poursuivants, Burnett renoue avec le professionnalisme
militaire. Il démontre pour cela son courage, sa détermination et son sens de
l’initiative. Ce processus de « remasculanisation », également
discernable dans un film comme Independence Day(1996), met un terme à
l’ambiguïté. Les ennemis sont reconnus, combattus et finalement anéantis. Cela
est d’autant plus vrai que l’ennemi n’est pas seulement l’étranger au sens
géopolitique du terme. Il existe un autre adversaire, plus insidieux celui-ci,
i.e. « l’ennemi de l’intérieur » (enemy within) qui se
cache dans la bureaucratie et qui cherche à empêcher le héros de réaliser sa
mission. Ce thème n’est pas nouveau. Il est au contraire caractéristique des
films post-Vietnam, à l’image de la série Rambo, dans lesquels
l’ennemi est souvent la CIA ou le gouvernement américain lui-même. Dans la
version post-guerre froide de Behind Enemy Lines, l’obstacle majeur au
sauvetage de Burnett est incarné par l’OTAN. OTAN qui est d’ailleurs
personnifiée, sans que cela soit d’ailleurs explicitement précisé, par un
non-Américain – que l’on peut penser Français s’il n’y avait les deux prénoms –
l’amiral Juan Miguel Piquet (interprété par le Portugais Joaquim de Alamedia).
Piquet est métaphoriquement situé en « territoire ennemi » car,
même s’il n’en est pas conscient, il montre par ses actions qu’il est complice
avec les Serbes. Reigart, version martialisée d’Antigone, aura donc raison
d’aller à l’encontre de la hiérarchie (chain of command) en
poursuivant une vérité plus noble et plus pure, celle incarnée par la loyauté à
l’égard de ses soldats et de son pays, illustrant ici ce que Walter Russel Mead
a qualifié de tradition « jacksonienne ».
Remasculanisée, l’Amérique l’est aussi. Car le
film n’est pas simplement une illustration de la guerre en Bosnie. En effet,
comme le montre Gearóid Ó Tuathail, il n’est pas tant l’histoire du sauvetage
héroïque d’un pilote américain perdu derrière les lignes ennemies, que le
sauvetage de l’Amérique perdue dans un monde frustrant où l’ambigüité
géopolitique est synonyme d’incertitude morale. C’est ici que le lien doit être
fait avec le 11 septembre. Désormais, en 2001, le « us » vs. «
them » peut de nouveau être appliqué. On est soit avec l’Amérique soit
avec les terroristes. Dès lors, le conflit entre Reigart et Piquet rend compte
d’une opposition plus profonde : si la loyauté de Reigart vis-à-vis de sa
famille militaire est juste et légitime alors la réaction de l’administration
Bush en 2003 l’est aussi. L’Amérique qui est allée contre le Conseil de
Sécurité des Nations unies a défendu une cause supérieure. Dans les propres mots de Bush, « thecause we serve is right, because it is the cause of all mankind ». Pour en savoir plus :
L’épopée du capitaine O’Grady avec des détails…
croustillants (au sens propre).
On s’intéressera également à plusieurs articles,
à l’origine de la dernière partie et portant sur l’idéologie sous-tendue par le
film (et les films américains en général depuis le 11 septembre).
Pour l’historien britannique Timothy Ash Garton, spécialiste
d’histoire européenne, professeur à Oxford et Stanford, WikiLeaks est le
rêve de l’historien, le cauchemar du diplomate. Si nous savons désormais
que le second doit être relativisé au vu des conséquences finalement assez « modestes »,
pour reprendre le mot
de Robert Gates, des fuites sur la politique étrangère américaine,
peut-être nous est-il toujours permis d’espérer le premier, au moins de manière
partielle, étant donné le fastueux banquet auquel se trouve naturellement convier
le chercheur quelques vingt à trente ans avant la déclassification officielle. (Je
ne sais pas si les dernières révélations peuvent prétendre à autant.)
Convenons en effet que les télégrammes de la
diplomatie américaine réservent quelques bonnes surprises. A la différence
toutefois que ces « surprises » ne reposent pas tant sur la nouveauté
que sur la confirmation de ce qui est
déjà de notoriété publique – ce que nous savons grâce aux sources ouvertes. A
elle seule, cette perspective est déjà révélatrice et avec le recul très
intéressante. Elle l’est d’autant plus si elle est couplée avec l’analyse des
écrits journalistiques chargés d’interpréter et d’utiliser ce matériau d’un
nouveau genre qu’est WikiLeaks. Ainsi par exemple du Guardian
ou du New
York Times. Tel est du moins la thèse que je soutiens dans le numéro de
mars du magazine Défense & Sécurité Internationale
au travers d’un article que la rédaction a eu l’amabilité d’accepter.
Pour l’auteur de ce blog, la (bonne) surprise WikiLeaks a d’abord
été celle de découvrir que l’enjeu spatial pouvait émerger
ici et là et… parfois même de manière étendue et détaillée.
Ainsi le lecteur pourra-t-il, du moins je l’espère, en
apprendre davantage sur les relations sino-américaines dans la nouvelle
dimension en s’en remettant à l’article cité ci-dessus. De fait, c’est au
journal conservateur britannique The
Telegraph que nous devons la publication
en février 2011 d’une dizaine de télégrammes courant de 2008 à 2011 et traitant
de la question des armes spatiales, notamment antisatellites (ASAT). Je
rappelle que le
11 janvier 2007 la Chine a lancé avec succès un missile ASAT contre Feng
Yun-1C, un satellite météorologique orbitant en LEO, qu’un an plus tard,
en février 2008, les Etats-Unis ont détruit à leur tour un de leurs propres
satellites-espions, USA-193, par le biais d’un missile SM-3 tiré depuis le
croiseur Aegis USS Lake Erie dans le
Pacifique, et qu’en janvier 2010 la Chine a confirmé avoir procédé à un tir antimissile.
Ce que j’en conclus est à lire dans DSI.
Qu’on me permette toutefois une
digression. Concernant le tir ASAT de 2007, une des principales critiques
faites alors à Pékin, outre un silence plutôt gênant, a concerné le problème
des débris spatiaux, sujet sur
lequel Olivier Kempf revient après la discussion stimulante qui nous a été
offertechez L’Harmattan. La destruction
du satellite est apparue en effet d’autant plus spectaculaire que sa capacité
de nuisance s’est mesurée aux 2 500 nouveaux gros débris (> 10 cm)
créés (sans parler des plus petits qui, contrairement à ce que dit OK, sont
également très dangereux). L’événement est en soi historique puisqu’il s’agit
de la plus grosse collision spatiale jamais occasionnée. N’en reste pas moins
que la question des débris, pour réelle qu’elle soit, est également sujette à
certaines instrumentalisations. Si l’on regarde
les chiffres d’un peu plus près, c'est-à-dire si l’on ne focalise pas seulement
sur le nombre de débris mais aussi sur leur masse, on se rend compte que le problème
concerne en premier lieu les Etats-Unis et la Russie responsables à 85% des
débris présents en LEO. (Ou lorsque le thème des débris rejoint la problématique du réchauffement climatique.)
L’autre information révélée par WikiLeaks, au travers du
journal norvégien Aftenposten, nous
concerne directement puisqu’elle témoigne des relations troubles existant entre
l’Allemagne et la France sur la question du spatial européen. Xavier Pasco et François
Heisbourg l’ont très brièvement mentionnée (une ou deux occurrences) dans leur
ouvrage (voir la fiche
de lecture). Aussi vais-je m’attarder quelque peu sur cette fuite que je cite telle quelle, laissant au lecteur le soin de conclure. Nous pouvons
d’abord lire que la France s’est opposée au projet de partenariat entre l’Allemagne
et les Etats-Unis à propos de HiROS.
Pour information, ce programme entre en concurrence avec le projet européen MUSIS. Selon WikiLeaks, « Germany’s plan exclude any reliance on other EU members (i.e. France)
and reflects Germanys desire to build this competency independent of EU
interest ». De fait, « Presently,
Germany is wholly dependent upon foreign sources of high resolution EO imagery.
Germany would very much like to remedy this and DLR believes it now has the
knowledge, skill, and ability to field an operating 0.5 meter resolution HiROS
constellation within three years (2012) at a price tag of about 200 million
euro ».
Le
Monde avait à l’époque repris l’information en la complétant d’une
autre note indiquant combien les Allemands craignaient l’espionnage
économique de la France, « an
evil empire in stealing technology » pire que la Chine ou la Russie. Qui
plus est, à en croire Berry Smutny, l’homme par qui le scandale est venu,
le désormais ex-dirigeant
de l’entreprise allemande OHB-System qualifié par la revue Foreign Policy de « first
private-sector casualty to make headlines », bref un « WikiLoser »,
Galileo est « a waste of EU tax
payers money championed by French interests », de même qu’une « stupid idea that primarily serves French
interests ». Je
cite toujours le télégramme
américain, « the EU desire to develop a redundant but alternative to GPS was
spearheaded by the French after an incident during the Kosovo Conflict when the
US military "manipulated" GPS to support military operations (NFI).
Since this time, he said France has aggressively corralled EU support to invest
in Galileo development -- something Smutny said France wants to ensure their
missile guidance systems are free of any GPS reliance. Smutny added, the irony
for German investment in Galileo is that some of Frances nuclear missiles are
aimed at Berlin ».
Ces deux exemples constituent à ma connaissance le cœur des
fuites WikiLeaks concernant l’espace. D’autres sujets sont bien sûr traités. Je
pense par exemple au partenariat, toujours d’actualité, entre l’Ukraine et le
Brésil au niveau de la base d’Alcantara
– WikiLeaks ayant rapporté que les Etats-Unis s’étaient opposés à une proposition ukrainienne de lobbying et ce alors qu’aucun Technology
Safeguard Agreement n’a encore été signé avec le Brésil.