jeudi 29 mars 2012

Retour sur « Une nuit dans l’espace » : pourquoi il faut des « stars » avec des étoiles plein les yeux

C’est entouré de neuf astronautes français que Michel Drucker a célébré mardi 27 mars les 50 ans de la conquête spatiale au cours d’une émission spéciale de 2h15 diffusée sur France 2. Cette « Nuit dans l’espace » s’inscrit dans la continuité des émissions thématiques (« Une Nuit sur le Charles de Gaulle », « Une Nuit sous les mers », « Au cœur de l’armée de terre, de l’air, etc. ») organisées, selon les propres mots du  producteur, dans le but de « faire connaître de manière divertissante les institutions aux téléspectateurs français, sans que cela soit ennuyeux ».

Le pari est semble-t-il réussi. « On était, estime le blog Un autre regard sur la Terre, dans la catégorie des très bonnes émissions de vulgarisation ». « Michel Drucker et ses invités sont parvenus à expliquer de manière à la fois simple et rigoureuse le fonctionnement de la fusée Ariane, les préparatifs d’un lancement à Kourou, la mise en orbite d’un satellite, la vie dans la station spatiale internationale, le rôle des satellites pour la défense, l’entraînement au centre des astronautes européens, etc. »

De fait, même si l’espace anecdotique et l’espace rêvé ont occupé une grande place lors de l’émission, quelques bons mots ont été dits sur l’espace utile et l’espace des applications. La présence sur le plateau des neuf spationautes français (Jean-Loup Chrétien, Patrick Baudry, Michel Tognini, Jean-Pierre Haigneré, Jean-François Clervoy, Claudie Haigneré, Jean-Jacques Favier, Léopold Eyharts et Philippe Perrin), plus le petit dernier, Thomas Pesquet, et les nombreux collègues européens venus en renfort (dont le Hollandais André Kuipers pour une conversation à 28 000 km/h en impesanteur depuis la station spatiale internationale), justifie d’ailleurs en elle-même le visionnage de l’émission !

Pour (re)voir l’émission, suivre le lien.

Financée à hauteur de 50% (400 000€) par les acteurs du spatial français (Astrium, Safran, Thales, Arianespace, CNES), et d’ailleurs enregistrée sur le site d’Astrium des Mureaux, cette émission visait à « faire connaître le travail qu'ils font, d'informer les députés qui votent les budgets pour la recherche pour l'espace, d'expliquer aux Français à quoi cela sert et, enfin, de donner envie aux jeunes, notamment ingénieurs, de s'investir dans l'espace plutôt que d'aller dans la finance » et de « valoriser et rendre forte la marque 'espace' dans une grande émission ». Cependant, et dans cette perspective, j’aurais sans doute apprécié qu’une plus grande visibilité soit directement accordée à ces acteurs. C’est notamment le cas du CNES qui n’a malheureusement eu droit qu’à quelques minutes en fin d’émission ; et je ne suis pas certain que le téléspectateur ait saisi de quoi il en retournait ni même qu’on fêtait là le cinquantenaire du spatial français (sur la visibilité du CNES, voir ce précédent billet). A noter toutefois que le ministère de la défense – la France, troisième puissance spatiale – a réussi à placer un reportage très intéressant en toute fin de soirée. Reconnaissons également la difficulté de la tâche : aussi bien la richesse du sujet que le nombre d’acteurs impliqués rendent ce genre d’émission difficile à organiser.
Venons-en maintenant au point qui a beaucoup préoccupé les « fanas » d’espace : la présence des « personnalités du showbiz », ces chanteurs, acteurs, etc., incarnées ce soir là par Shy’m, Christophe Willem, Nathalie Simon et Mireille Darc, plus quelques autres sur le plateau. Pour ma part, je dois reconnaître être parti avec quelques préjugés mais avoir été – sauf intermèdes musicaux et promo – agréablement surpris par lexcellente prestation des intervenants et la très bonne tenue des reportages.

Je dis cela d’autant plus sérieusement que je suis convaincu par la nécessité d’un rapprochement entre les acteurs du spatial et les célébrités en tout genre. J’ai ainsi trouvé le vol parabolique de Shy’m dans l’avion Zéro-G très bien vu. Le reportage a constitué un moment fort de l’émission et restera sans doute d’autant plus longtemps dans l’esprit des téléspectateurs que la chanteuse est apparue enthousiasmée par son expérience.
Si jamais le tourisme spatial veut devenir une réalité – c’est-à-dire si les sociétés concernées (Astrium en fait partie) veulent non seulement susciter l’intérêt, mais aussi convaincre les gens, leur prouver que le spectacle vaut le prix du billet et que la sûreté n’est pas à un problème – alors il lui faudra obtenir l’aide des « stars ». Ces dernières sont certainement le mieux placées pour indiquer le chemin, je tente le jeu de mots, des étoiles. Elles incarnent un premier pas vers la démocratisation de l’accès à l’espace. Selon un expert, « If there's more interest, there are more customers. If there are more customers, there's more technical development. It's a positive feedback loop, and obviously that's good ». Virgin Galactic l’a compris et l’a d’ailleurs vite intégré à sa stratégie marketing. Récemment l’entreprise de Richard Branson n’a ainsi pas hésité à rendre public la vente d’un billet à l’acteur Ashton Kutcher, qui plus est son 500e. Qu’attendons-nous donc pour mettre Justin Bieber en orbite ?

Reste une déception. Cette « Nuit dans l’espace » n’a malheureusement pas réussi à séduire le public français qui lui a préféré les programmes des trois autres grandes chaînes (TF1, F3 et M6). L’émission n’est parvenue à attirer que 1 831 000 personnes, soit 7,4% de part de marché, loin derrière Docteur House et ses 7,82 millions de téléspectateurs. C’est bien peu pour une première partie de soirée sur la chaîne publique.

Loin de moi l’idée que l’espace ne parvient pas à mobiliser cependant. J’en veux pour preuve le succès du tweetup organisé hier soir lors de l’amarrage de l’ATV à l’ISS. Je n’ai pas de comparaison disponible, mais les chiffres absolus parlent d’eux-mêmes. Et bravo à lEurope de l’espace !


Source Images

mardi 27 mars 2012

Quand la France rêve d’espace

Ariane 5 emporte l’ATV-3
Ariane 5 emportant l'ATV Edoardo Amaldi 

Le ministre en charge de l’espace, Laurent Wauquiez, a présenté jeudi dernier la Stratégie spatiale française : un document (.pdf) de vingt pages qui, tout en rappelant les grands principes guidant la politique spatiale française depuis 50 ans, vise à reformuler les relations entre les pays membres de l’Agence spatiale européenne – notamment en ce qui concerne la règle du « juste retour » géographique – quelques semaines avant les élections présidentielles,  et un peu moins de huit mois avant la conférence ministérielle de l’ESA qui décidera des prochains programmes à financer (la moindre des décisions à prendre concernera la suite à donner à l’ATV à laquelle nous avions déjà fait référence ici).

Une rubrique internet très complète a même été ouverte à l’occasion. 

Tout comme le Président Nicolas Sarkozy qui appelait fin 2011 à « une politique industrielle européenne plus claire » et à moins de « naïveté » de la part des Européens, Laurent Wauquiez a revendiqué la préférence européenne en matière d’accès à l’espace. La vérité toutefois est que « [n]ous ne pouvons pas nous payer en Europe le luxe de dupliquer inutilement nos compétences ». Aussi la France souhaite-elle assouplir les règles de retour géographique, c’est-à-dire financier, industriel et social, de l’ESA par une « application mesurée des règles de concurrence de l’UE ». Il faut en effet maintenir à tout prix l’expertise technologique française et parfois préférer la compétence à la nationalité. Pour cela, le ministre a annoncé la création d’un comité de concertation de la politique spatiale « mis en place pour faciliter cet échange d’informations entre la puissance publique et l’industrie spatiale » (voir détails ici).

A ce sujet et concernant l’espace militaire, le rapport indique vouloir « faire jouer, chaque fois que possible, la dualité des systèmes spatiaux ». Cette annonce prend place quelques jours après la visite, le 6 mars, du ministre de la Défense, Gérard Longuet, sur les sites d’Astrium et de Thales de Toulouse durant laquelle a été réaffirmée l’importance des liens entre la défense et le spatial, et ce alors que EADS a déplacé son siège social dans la capitale occitane. Lors d’une allocution sur « la politique spatiale de défense et sa relation à la filière industrielle », à la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Toulouse, le ministre a ainsi plaidé pour « plus de synergies entre le civil et le militaire ». Pour une revue (Hélios, etc.) de ce qui a été dit – pensez-vous : il a même été question de la base de Francazal – les détails sont ici et . Je saisis aussi l’occasion pour mentionner l’existence d’un tout nouveau et très intéressant dossier « espace militaire » sur le site du ministère.

Il n’est pas dans mes intentions de faire dans ce billet le bilan du premier mandat Sarkozy concernant le spatial, le Livre Blanc, etc. Tout au plus rappellerai-je brièvement et pour finir quelques-uns des grands moments, qu’il s’agisse d’événements ou de grandes publications, qui ont été consacrés au spatial durant ces cinq dernières années.

Ainsi des deux discours prononcés par Nicolas Sarkozy au Centre spatial Guyanais le 11 février 2008 et au centre CNES de Toulouse le 22 novembre dernier (voir ici) pour fixer les grands axes de la politique spatiale française. Ainsi également de la très spéciale année 2011 : au cinquantenaire de la création du CNES, se sont ajoutés le lancement réussi du premier Soyouz guyanais, de même que la mise en orbite des deux premiers satellites de la future constellation Galileo. 


Outre l’adoption en 2008 d’une loi relative aux opérations spatiales, je n’oublie pas non plus le rapport remis au Premier ministre en mai 2009 par MM. Yannick d'Escatha, Laurent Collet-Billon et Bernard Bigot, respectivement président du CNES, délégué général pour l’armement et directeur général du CEA, sur l’avenir de la filière européenne des lanceurs spatiaux (.pdf). Plus récemment, une réflexion, intitulée « Une ambition spatiale pour l’Europe. Vision française à l’horizon 2030 », a également été conduite sous l’autorité du Centre d’analyse stratégique (.pdf).

Mais si la France parvient à concrétiser ses rêves d’espace, c’est aussi grâce aux hommes qui incarnent l’effort spatial au quotidien : ceux-là même qui ont « fait de la conquête spatiale une réalité » et que le président avait salués pour leur « travail patient, visionnaire et minutieux, rigoureux à l'extrême ». Ce modeste billet vise à rappeler que cette soirée leur est consacrée. 

France 2 et Michel Drucker vous proposent en effet de passer « une nuit dans l’espace » ce soir à partir de 20h35. L’animateur vedette de France 2 y célèbrera les 50 ans de la conquête spatiale française et européenne au cours d’une émission exceptionnelle. On ne nous épargnera sans doute pas quelques fioritures. Toutefois, étant donné la diversité des lieux et des acteurs engagés (CNES, Astrium, CIE, etc.), le propos devrait être intéressant et vivant, concret et pratique. Vous pourrez notamment entendre les témoignages des neuf spationautes français : Jean-Loup Chrétien, Patrick Baudry, Jean-Pierre Haigneré, Claudie Haigneré, Michel Tognini, Léopold Eyharts, Philippe Perrin, Jean-Jacques Favier et Jean-François Clervoy. André Kuipers, actuellement à bord de l’ISS, sera également de la partie.


Un livetweet commun sera organisé pendant la durée de l’émission sur @esa_fr, @cnes_france, @arianespace et @france2tv. Le hastag officiel est #danslespace


mercredi 21 mars 2012

Drone spatial : le X-37B, extravagant tout simplement ?

 
Cela fait désormais un peu plus d’un an que l’U.S. Air Force possède un « avion spatial militaire » en orbite. Difficile de donner la définition exacte de ce que doit être un « avion spatial » sinon qu’il s’agit du rêve absolu : le Saint-Graal lui-même.

On tombe généralement d’accord pour désigner une capacité de transport humain, capable non seulement d’être lancée en orbite rapidement et à la demande, mais également d’y manœuvrer de façon extensive. De ce point de vue, le X-37B Orbital Test Vehicle (OTV) n’est pas à proprement parlé un avion spatial, mais plutôt, comme Jean-Luc Lefebvre le fait observer, « un drone aérospatial » (p. 208). Reste que l’entreprise Boeing a indiqué vouloir construire un X-37C plus grand (180%) capable de prendre à son bord six membres d’équipage.

A la vérité nous ne savons pas grand-chose de cette mini-Shuttle réutilisable lancée le 5 mars 2011 de la base de Cape Canaveral à bord d’une fusée Atlas V. Cela explique sans doute l’appétit vorace du public pour la moindre information susceptible de dévoiler un peu le mystère. Il faut dire que les spéculations ne manquent pas, y compris en provenance de grands sites d’information comme BBC, qu’il s’agisse d’espionner le nouveau laboratoire orbital chinois Tiangong-1, de neutraliser les satellites ennemis ou de patrouiller l’orbite basse sinon la galaxie.

1) Des origines

L’OTV a derrière lui une longue carrière passée dans les mains de différentes entités gouvernementales et commerciales.

Il a ainsi vu le jour en 1998 autour du projet X-40 Space Maneuver Vehicle géré en commun par l’USAF et Boeing. A la fin des années 1990, le programme est recueilli par la NASA et réapparaît sous la forme légèrement augmentée (120%) du X-37A. Quatre années et 493 millions de dollars plus tard, le projet est transféré à la DARPA puis classifié. Il ne refait son apparition qu’en 2006 dans ce qui est devenu depuis lors sa maison, l’USAF.

Le premier X-37B, OTV-1, est lancé le 22 avril 2010 depuis Cape Canaveral (Floride) et atterrit de manière autonome le 3 décembre de la même année sur la base de Vandenberg AFB (Californie) après avoir passé 224 jours en orbite. Le second vol a lieu courant mars 2011. A ce jour, OTV-2 est toujours en orbite. Le record a beau être dépassé de 156 jours : toujours aucun signe de retour à l’horizon. Il peut du reste demeurer en orbite aussi longtemps qu’il lui plaira, du moment que le carburant ne vient pas à manquer, la chose dépendant en réalité de la nature de sa mission.

2) Un drone à la recherche d’une mission

Aucune information précise ne circule concernant le contenu de sa mission. Tout au plus savons-nous qu’il s’agit d’un véhicule expérimental chargé de « demonstrate technologies for a reliable, reusable, unmanned space test platform ». Il est toutefois possible de tirer quelques conclusions des éléments qui nous sont connus et que Boeing partage sur son site.

Primary Mission: Experimental test vehicle
Prime Contractor: Boeing
Height: 9 feet, 6 inches (2.9 m)
Length: 29 feet, 3 inches (8.9 m)
Wingspan: 14 feet, 11 inches (4.5 m)
Launch Weight: 11,000 pounds (4,990 kg)
Orbit Range: Low-Earth Orbit, 110 — 500 miles above Earth (~ 200 – 800 km)
Power: Gallium Arsenide Solar Cells with lithium-Ion batteries
Launch Vehicle: United Launch Alliance Atlas V (501)

Le X-37B remplirait ainsi deux missions. 1) La première concerne les technologies contenues à l’intérieur de l’appareil lui-même. En cela, le X-37B se rapprocherait du X-37A original utilisé par la NASA. L’objectif semble reconnu par l’USAF, soit le test de la technologie de rentrée atmosphérique : l’OTV est après tout conçu pour retourner sur Terre par ses propres moyens.

2) La seconde mission n’a pas été révélée officiellement mais étant donné la capacité définie ci-dessus il est probable que des sous-systèmes soient expérimentés dans l’espace pour être inspectés à leur retour sur terre. Il peut s’agir de panneaux solaires, senseurs et autres technologies satellitaires destinés un jour à équiper la future génération de satellites. C’est également ce que l’on peut déduire de sa présence en LEO – l’orbite utilisée par les satellites d’observation – et de l’existence d’une soute de la taille d’un plateau de pickup.

Le X-37B collecterait donc quelques données susceptibles d’intéresser l’armée de l’air. De fait, il n’est pas inintéressant de remarquer que le programme a été sauvé par l’USAF alors que la NASA menaçait de l’abandonner. Cela prouve que l’appareil a une certaine utilité. Et le X-37B ne serait pas aussi utile s’il n’avait pas ce coffre arrière. Un détail d’autant plus crucial dans le contexte post-navette spatial. Pour autant, cela ne signifie pas que ce drone spatial soit prévu pour rester.

Ce qui importe dès lors, c’est autant ce que l’on a mis à l’intérieur, que ce à quoi le X-37 ressemblera lorsqu’il retournera sur la terre. Voilà la vraie question : pourquoi l’USAF a-t-elle besoin de le voir revenir ?

3) Un outil extravagant ?

… et voilà donc aussi le cœur du problème. Une telle mission justifie-t-elle les coûts engagés ? Le fait qu’il soit un drone (i.e. inhabité) n’empêche pas le X-37B de tendre vers l’avion spatial. A ce niveau là, la différence importe peu : l’appareil est réutilisable, ce qui revient à dire qu’il est cher, et surtout cher à lancer (le coût du lancement d’une fusée Atlas V est estimé à 100 millions de dollars). Des alternatives moins dispendieuses existent certainement : pourquoi ne pas envisager par exemple une capsule de type Orion munie d’un parachute ?

Aurait-on alors manqué quelque chose ? Y a-t-il d’autres utilités capables de faire pencher la balance ?

- Une plateforme pour déployer de petits satellites rapidement ?

Le scénario s’inscrit dans un programme ORS (Operationally Responsive Space) et semble donc séduisant mais 1) le X-37 est dépendant d’un EELV (Atlas V, Delta IV), peu susceptible à l’heure actuelle de répondre au critère de lancement rapide à la demande, 2) le X-37B n’a pas assez de place pour prendre en voiture un nombre suffisamment grand de (petits) satellites, 3) le X-37B n’est certainement pas capable d’échapper à la SSA (space situational awareness) de l’adversaire, 4) les alternatives traditionnelles sont plus crédibles et surtout plus abordables en comparaison.

- Un véhicule utilisé pour réparer les astronefs amis ?

Là encore, remarquons que 1) le X-37B navigue beaucoup trop bas en altitude pour pouvoir aborder la plupart des satellites concernés, 2) le X-37B n’a de toute façon qu’une petite soute peu susceptible de convenir à la plupart des satellites/composants militaires (pour prendre un exemple la Shuttle, capable de contenir deux X-37B, était limitée à cet endroit là), 3) et du reste, récupérer un petit satellite à moins de 20 millions de dollars ne fait pas sens économiquement parlant.

- Un véhicule utilisé pour inspecter les astronefs ennemis ?

1) Le X-37, compte tenu de sa taille, ne manquera pas d’être détecté s’il s’approche d’un appareil adversaire en mode ASAT, 2) la capacité d’emport de la soute est trop faible, surtout s’il devient nécessaire d’embarquer un bras robotique, 3) les alternatives sont plus crédibles : plus petites et moins facilement détectables comme MiTEx ou XSS-11.

- Un bombardier spatial ?

1) Le X-37B est trop lent pour correspondre aux critères hyper-cinétiques inhérents au projet de Prompt Global Strike (PGS), et devra donc embarquer un surplus d’explosifs conventionnels – ce qui renforce le problème de la manœuvrabilité déjà limitée (ne serait-ce que parce qu’il faut prendre en charge le carburant nécessaire pour revenir sur terre), 2) le X-37B est trop peu manœuvrable/furtif pour ne pas constituer une proie facile, 3) la soute n’est pas assez grande pour contenir un armement intéressant, 4) quelques X-37B ne suffiront pas à assurer un système de frappe planétaire rapide, 5) et cela sans qu’il soit question des alternatives possibles de type CAV (Common Aero Vehicle), et sans bien sûr parler de la pertinence même du concept de PGS.

Bilan

Pour reprendre les mots de l’Union for Concerned Scientists, une organisation il est vrai très sceptique/critique quant au concept d’avion spatial, le X-37B est… un système extravagant sans mission convaincante. Reste la technologie sur laquelle on ne peut que s’émerveiller !
 
Sources

1) Secure World Foundation
2) UCS
3) USAF
4) Boeing 

Ce billet a été publié précédemment sur AGS.

jeudi 15 mars 2012

Hervé Coutau-Bégarie : un testament d’avenir

De la Terre à la Lune sassocie à la diffusion de ce manifeste signé par léquipe de lISC et de Stratégiques, et cela autant par « solidarité stratégique » que pour personnellement rendre hommage au professeur Hervé Coutau-Bégarie (voir le billet AGS) à qui je dois, bien que je naie jamais pu le remercier de vive voix, un avis très favorable pour mon mémoire de fin détudes récompensé lannée passée.


Jérôme de Lespinois, Martin Motte, Olivier Zajec de l’ISC
Suppléants d’Hervé Coutau-Bégarie
Cours de stratégie de l’Ecole de Guerre.

Résumé : l’œuvre du professeur Coutau-Begarie est immense et ses disciples sont nombreux. Ils s’attacheront à préserver l’indépendance des deux vecteurs par lesquels il prenait sa part, éminente, du débat stratégique, l’institut de stratégie comparée et la revue Stratégique.

Hervé Coutau-Bégarie, fondateur de l’Institut de Stratégie Comparée et président de l’ISC-CFHM, est mort le 24 février 2012. La perte est affreusement cruelle pour sa famille, à la douleur de laquelle nous nous associons de tout cœur. Mais le courage avec lequel il a affronté la maladie nous montre, par delà le deuil, le chemin de la confiance et de l’énergie. Cette disparition est une immense perte pour la pensée stratégique. Là encore pourtant, l’espoir doit l’emporter sur la peine. L’œuvre d’Hervé Coutau-Bégarie est bien vivante. Elle n’est pas derrière lui mais devant nous. D’abord parce qu’il laisse une trentaine de livres à publier, les uns de lui, d’autres dont il assurait la direction ou la codirection, d’autres enfin qu’il avait retenus pour sa collection. Ensuite parce que nous n’avons pas fini, à très loin près, de lire et de relire Hervé Coutau-Bégarie. C’est tout un processus de réédition, de classement, d’études qui commence. Du gigantesque corpus établi sur trois décennies, il s’agit maintenant d’extraire un ensemble de textes canoniques par décantation des éléments contextuels.

L’œuvre d’Hervé Coutau-Bégarie, c’est aussi la revue Stratégique et l’Institut de Stratégie Comparée, l’ISC, une association indépendante à la fois soubassement des publications et accélérateur de particules intellectuelles, qui a donné et doit continuer de donner leurs chances aux jeunes talents. Le secret de cet institut, son Président le révélait dans un texte qui apparaît rétrospectivement comme son testament : « Une recherche stratégique qui n’a qu’un pôle étatique est infirme ; elle a besoin d’un pôle associatif, plus réactif, mieux capable de fédérer les multiples initiatives de petits groupes ou même d’individus qui s’efforcent, avec de très faibles moyens, de faire vivre la tradition de la pensée stratégique et historique française » - et de rappeler que l’ISC, dans le seul premier semestre 2010, a publié pas moins de 6 ouvrages totalisant 3258 pages, soit bien plus – et de très loin - qu’aucun organisme étatique travaillant sur le même créneau (article paru dans Stratégique n°99, 2010).

Le savoir, la culture et la vision d’Hervé Coutau-Bégarie nous manqueront. Mais l’élan qu’il a insufflé à la recherche en stratégie peut continuer. L’Institut et la Revue, dont la qualité est internationalement reconnue, évolueront. Maquette, diversification numérique, cartographie, nouveaux partenariats français et étrangers, les chantiers ne manquent pas, il les avait lui-même ébauchés. La Bibliothèque stratégique, Hautes études stratégiques, Hautes études militaires et Hautes études maritimes qui constituent les quatre collections dirigées par Hervé Coutau-Bégarie chez Economica seront reprises et développées. Elles constituent le corpus le plus important d’ouvrages relatifs aux questions stratégiques et à l’histoire militaire en langue française et continueront à publier des opus ayant vocation à enrichir une réflexion enracinée dans l’étude de la culture stratégique française et celle d’autres aires culturelles. En outre, nous poursuivrons la publication du corpus des écrivains militaires en langue française dont déjà plusieurs titres sont parus mais plusieurs dizaines d’autres attendent d’être publiés tant dans le domaine de la stratégie générale que des stratégies particulières, navale ou aérienne.

Ces évolutions nécessiteront une relève : elle existe, avec une moyenne d’âge qui la met en prise directe avec les défis actuels. Hervé Coutau-Bégarie, entre autres qualités, savait faire confiance et encourager. Il aura su, sans battage et avec des soutiens mesurés, faire monter autour de lui une génération de jeunes chercheurs et d’auteurs qui lui doivent énormément. Il a beaucoup sacrifié pour transmettre. Nous voulons maintenir et poursuivre. Tous, nous gardons à l’esprit ce qu’il ne cessait de nous répéter : la clé d’une recherche stratégique mature et objective, c’est l’autonomie de la structure qui la porte.

Hervé Coutau-Bégarie a continué à travailler jusqu’à l’extrême limite de ses forces, dictant encore des articles de son lit d’hôpital il y a quelques semaines.

Pour continuer son œuvre, l’ISC doit préserver son indépendance. Il ne le pourra pas sans moyens financiers. Nous lançons donc un appel à tous les membres de la communauté des stratégistes, qui prendra très bientôt la forme d’une campagne d’abonnement à la revue Stratégique, et d’adhésion à l’ISC. Lecteurs, élèves, étudiants, amis des pays étrangers, où l’œuvre d’Hervé Coutau-Bégarie était connue et appréciée : il dépend aujourd’hui de vous tous que le titanesque travail qu’il a accompli, et que nous souhaitons faire vivre, continue de porter ses fruits.///

CF Emmanuel Boulard (doctorant de l’EPHE), Jean-François Dubos (secrétaire de rédaction de Stratégique, doctorant de l’EPHE), CA (2S) Jean Dufourcq (docteur en science politique), Col. (T) Benoît Durieux (docteur de l'EPHE), LCL (A) Christophe Fontaine (doctorant de l'EPHE), Serge Gadal (chargé de recherches de l'ISC, docteur de l'EPHE), Col. (T) Michel Goya (chargé de conférence à l’EPHE), Joseph Henrotin (docteur en science politique), Olivier Kempf (Maître de conférences à Sciences Po Paris), Col. (A) Jean-Luc Lefebvre (doctorant de l'EPHE) LCL (A) Jean-Patrice Le Saint (doctorant de l'EPHE), Christian Malis (docteur en histoire), Valérie Niquet (maître de recherche à la FRS), Col. (T) Jérôme Pellistrandi (docteur de l'EPHE), Col. (T) Philippe Sidos (doctorant de l'EPHE).

lundi 12 mars 2012

Un troisième âge de l’exploration : des zéros et des uns

La conquête de l’espace a cela de spécifique qu’elle prend place là où personne ne peut vivre.

Contrairement aux précédentes phases d’exploration, qu’il s’agisse des Grandes Découvertes ou des « voyages extraordinaires » du XIXe siècle, il n’y aura pas de rencontre. Il n’y a pas d’indigènes avec qui échanger sur Titan, il n’y a pas de culture à découvrir sur Vénus et il n’y a pas de religion à comprendre sur Mars. En réalité, il n’y aura personne à qui parler si ce n’est à nous même. Dans l’espace, nous sommes  seuls…

Fini donc l’ethnocentrisme : une seule culture est aujourd’hui impliquée, celle de l’explorateur. Mais finie aussi la dynamique – la tension à la fois tragique et magnifique à l’origine du choc entre civilisations – de l’exploration. C’est d’autant plus vrai que dans le passé la découverte devait être faite par des individus. Désormais, non seulement n’y aura-t-il pas de rencontre entre civilisations, mais il n’y aura pas même d’humain pour la soutenir le cas échéant. L’homme n’a plus à être présent physiquement – et certains avancent de très bons arguments pour aller jusqu’à dire qu’il ne doit pas être présent. Tel est le sens porté par le « Troisième Age d’exploration » imaginé par Steven J. Pyne pour désigner l’exploration de ces lieux désolés que sont le cosmos, les grands fonds-marins ou l’Antarctique.

D’où cependant l’importance des images rapportées par les sondes et autres robots envoyés par l’humanité pour explorer ces nouveaux mondes. Car si ce troisième âge devient pour l’explorateur celui de l’introspection alors quoi de mieux que ces supports photographiques pour nous renvoyer à notre propre image. Telle était la conclusion à laquelle aboutissait Carl Sagan en 1994 et à laquelle je faisais déjà référence ici. S’il y a conquête alors celle-ci ne peut être qu’intérieure.

Avec nous, « unreconstructed geocentrists hiding behind a Copernican veneer » pour reprendre les mots de Sagan, la découverte de l’univers ne peut ressembler qu’à un gigantesque palimpseste. Qui plus est, cette exploration n’est constituée à l’origine que de « zéros et de uns » que seul un long travail de traitement transforme en images chargées d’émotion, un résultat qui, progrès informatiques aidant, sans cesse demande à être remis sur le métier. Dans ces conditions, sans qu’il soit même question de quitter physiquement la Terre, ce « troisième âge de l’exploration » ne peut connaître ni débuts ni fins.

Quoi de mieux pour illustrer ces quelques réflexions que cette vidéo mise en ligne par la Planetary Society, un organisme cofondé en 1980 par Carl Sagan, avec pour principaux objectifs l’exploration du système solaire et la recherche d’une forme de vie extraterrestre. Ou lorsque l’exploration de l’univers – quarante ans de collections déjà ! – fait appel à ses propres restaurateurs…

mardi 6 mars 2012

« Le Journalisme de défense : Enjeux et Défis »

Pour son treizième Café Stratégique, l’Alliance Géostratégique reçoit Philippe Chapleau, journaliste au service Politique de Ouest-France, spécialiste des questions de défense et auteur du blog bien connu Lignes de défense.


Nous vous attendons nombreux le jeudi 8 mars à 19h (entrée libre) au café Le Concorde (métro Assemblée nationale, 239 bd Saint-Germain à Paris). Echanges et débats garantis ! 

dimanche 4 mars 2012

AGS : Réflexions sur "En territoire ennemi" (2001)

Vous trouverez ci-dessous un billet co-écrit avec Stéphane Mantoux du blog allié Historicoblog. Nous inaugurons là une chronique cinéma sur AGS consacrée aujourd'hui au film En territoire ennemi (Behind Enemy Lines, 2001).


Titre original : Behind Enemy Lines.
Date de réalisation : 2001.
Réalisateur : John Moore.

Ci-dessous, la bande-annonce du film.


L’histoire : lors de la phase finale de la mission de maintien de la paix de l’OTAN en Bosnie, en décembre 1995, les lieutenants Chris Burnett (Owen Wilson) et Jeremy Stackhouse (Gabriel Macht), stationnés sur un porte-avions dans la mer Adriatique, conduisent une mission de reconnaissance au-dessus du terrain. Durant leur vol, ils repèrent une activité anormale dans la zone démilitarisée, où les avions de l’OTAN n’ont pas le droit de pénétrer. Burnett convainct pourtant Stackhouse de le faire, mais il ignore qu’ils vont filmer des concentrations de troupes des Serbes de Bosnie dissimulés à cet endroit, ainsi que des fosses communes où ceux-ci ont exécuté des musulmans bosniaques. Le commandant local des Serbes de Bosnie, le général Miroslav Lokar (Olek Krupa), ordonne d’abattre l’avion. Le F/A-18 Hornet est frappé par l’un des missiles tirés et les deux pilotes s’éjectent. Une patrouille serbe conduite par Lokar s’empare de Stackhouse ; Lokar l’interroge puis le fait exécuter par son bras droit, Sasha (Vladimir Mashkov). Burnett, qui a assisté à la scène, se fait repérer. Commence alors une longue chasse à l’homme à travers la Bosnie, tandis que le commandant du porte-avions, l’amiral Leslie Reigart (Gene Hackmann), met tout en oeuvre pour récupérer le pilote abattu…

L’histoire (vraie) : Le film s’inspire assez nettement de l’incident dit de Mrkonjic Grad : le 2 juin 1995, un F-16C de l’US Air Force est abattu au-dessus de la Bosnie par un missile sol-air SA-6. Le pilote, Scott O’Grady, s’éjecte. A ce moment-là, l’OTAN intervient au-dessus de la Bosnie pour faire respecter une « No Fly Zone » (opération Deny Flight) afin de décourager les appareils serbes de d’en prendre aux civils bosniaques et aux forces croates et bosniaques. Le 2 juin, 2 F-16 du 555th Fighter Squadron basé à Aviano sont donc en patrouille au-dessus de la Bosnie, avec une configuration Wild Weasel (lutte antiradar : missiles HARM et dispositifs de brouillage). Les deux avions sont étrangement envoyés seuls alors que la veille, l’OTAN a détruit un dépôt de munitions serbe à Pale, provoquant la colère des intéressés qui prennent alors 400 soldats de l’ONU en otage. Les Serbes tendent un piège aux deux appareils : ils déplacent l’une de leurs batteries de missiles SAM (dont les emplacements sont connus des pilotes de l’OTAN) au sud de la ville de Banja Luka. La batterie de SA-6 Gainful (un SAM utilisé pour la première fois pendant la guerre du Kippour, en 1973, et modernisé depuis) n’allume son radar qu’après avoir été survolée par les F-16, leur laissant un temps de réaction très court. Deux missiles sont tirés : le premier, caché par les nuages, explose entre les deux avions, le deuxième percute sur le ventre l’appareil d’O'Grady (indicatif : Basher 52) qui parvient toutefois à s’éjecter. Atterrissant en territoire hostile, il arrive à éviter la capture face aux patrouilles serbes. Il ne se sert de sa radio que le quatrième jour pour commencer à signaler sa position. Juste après minuit, le 8 juin, il entre en contact avec un F-16 de son escadrille. Après confirmation de son identité, la mission de sauvetage est mise en branle. L’amiral Leighton Smith, commandant les forces sud de l’OTAN, appelle à 4h40 le colonel Martin Berndt des Marines et lui donne l’ordre d’exécution. De l’USS Kearsarge, 2 CH-53 Sea Stallions décollent avec 43 Marines de la 24th Marine Expeditionnary Force (celle-là même qui avait été décimée à Beyrouth en 1983 par l’explosion d’un camion suicide dans ses baraquements, 241 morts) à bord. Ils sont escortés par une paire d’hélicoptères d’attaque AH-1W Super Cobras et par une autre paire de AV-8B Harriers. En soutien se trouvent aussi 2 EA-6B Prowler de guerre électronique de la Navy, 2 F/A-18D des Marines, une paire d’A-10 de l’Air Force, ainsi que l’AWACS de l’OTAN. A 6h35, O’Grady est récupéré par les Marines en 7 minutes à peine, sans accroc. Sur le chemin du retour, un radar à missiles serbe accroche la mission Search and Rescue ; un appareil américain demande l’autorisation d’ouvrir le feu, ce qui lui est refusé, de peur de déclencher un conflit plus large. Deux missiles sol-air portables sont cependant tirés contre les hélicoptères, qui reçoivent aussi des balles d’armes de petit calibre. A 7h30, O’Grady est sain et sauf à bord du Kearsarge. Quelques mois plus tard, le 11 août, un drone MQ-1 Predator est lui aussi abattu au-dessus de la Bosnie. Le 30 août, l’OTAN lance l’opération Deliberate Force, une campagne aérienne massive qui met fin au siège de Sarajevo et aboutit à la conclusion de la guerre en Bosnie. O’Grady reprochera plus tard à 20th Century Fox d’avoir réalisé En territoire ennemi sans le consulter et d’avoir falsifié sa personnalité à travers l’acteur censé le représenter ; il sera débouté par la justice américaine, mais aura entre temps réalisé un documentaire pour la BBC, Behind Enemy Lines : The Scott O’Grady Story. Il écrira également plusieurs livres sur son expérience.

Ci-dessous, un reportage de la télévision américaine en 1995 sur l’opération de sauvetage de Scott O’Grady.


Ci-dessous, un documentaire sur l’épopée d’O'Grady avec sa contribution.


Derrière l’histoire… : Le film a été tourné en Slovaquie. Durant le tournage, il n’y avait pas de neige, ce qui est exceptionnel dans ce pays : il a donc fallu recréer de la neige artificielle. L’équipe n’a pas pu trouver de Serbes pour jouer dans le film en raison de la posture très critique envers ce peuple que sous-tend le propos. C’est pourquoi le général serbe est joué par un acteur polonais et son bras droit par un Russe… Le porte-avions utilisé pour les scènes en extérieur est l’USS Carl Vinson (CVN-70, on voit d’ailleurs le numéro sur l’îlot dans le film). Quant aux scènes en intérieur, elles ont été filmées à la fois sur le Vinson et sur l’USS Constellation (CV-64). A noter que durant le tournage de la scène de combats urbains dans la ville de Hac, le réalisateur John Moore faillit presque être tué par le char qui défonce un mur, n’étant sauvé que par la présence d’esprit d’un cascadeur. En territoire ennemi réutilise aussi des scènes du film Savior (1998), au moment des flashbacks sur les massacres de musulmans bosniaques par les Serbes ; hors, dans Savior, ce sont des miliciens croates de Bosnie qui exécute des Serbes… si le film s’inspire largement de l’aventure d’O'Grady (bien que celui-ci n’ait jamais été en contact avec des civils, comme cela est le cas de Burnett dans le film), il faut noter que celui-ci pilotait un F-16 et non pas un F/A-18F Super Hornet (qui n’était pas encore entré en service en 1995, il sera opérationnel dans l’US Navy en 2001). En territoire ennemi puise évidemment dans les événements de la guerre de Bosnie et les massacres qui l’ont émaillée, poussant l’OTAN à intervenir. Les accords de Cincinnati mentionnés au début du film sont sans doute le pendant des accords de Dayton, signés après la campagne aérienne de l’OTAN et l’offensive croate contre les forces serbes en Croatie et en Bosnie. Géographiquement, il y a quelques incohérences, puisque Burnett et Stackhouse sont abattus au-dessus de la région de Srebrenica, à l’est de la Bosnie, alors qu’ils parlent à un moment de la partie sud de ce même pays. Gene Hackmann, qui joue le rôle de l’amiral américain cherchant à récupérer son pilote, avait été de l’autre côté de la barrière dans Bat 21 (1988) de Peter Markle. Bat 21 raconte le sauvetage du lieutenant-colonel Iceal Hambleton (joué par Gene Hackmann), seul survivant d’un appareil EB-66 abattu par un missile nord-viêtnamien au-dessus de la piste Hô Chi Minh le 2 avril 1972, en pleine offensive d’Hanoï contre le Sud-Viêtnam.

En territoire ennemi sort dans les salles en novembre 2001, juste après les attentats du 11 septembre . C’est un succès commercial aux Etats-Unis où il dépasse les 20 millions de dollars de recettes dès la première semaine. Le projet de la compagnie Davis, basée à Los Angeles, avait pourtant connu des difficultés : il a fallu le lobbying d’anciens pilotes de la Navy pour obtenir le soutien du département de la Défense américain. Davis présente son film comme le « prochain Top Gun » et comme un tremplin de recrutement pour l’US Navy, qui va fournir le matériel adéquat (voir ci-dessus). John Moore, le réalisateur, est alors un adepte des films commerciaux à petit budget. Le script séduit Gene Hackmann, lui-même ancien Marine et habitué des films patriotiques sur la guerre du Viêtnam (Uncommon Valor, 1983-Retour vers l’enfer en français ; Bat 21, avec déjà l’histoire du sauvetage d’un pilote abattu derrière les lignes ennemies). Le film, plutôt destiné à un public masculin -et adolescent aussi, pourrait-on dire- se gargarise d’un nationalisme chauvin. Il héroïse la machine de guerre américaine, à la puissance incomparable, d’une efficacité bureaucratique certaine, mais surtout menée par des hommes respectant le même code de valeurs (sens du devoir, sens de l’honneur, respect des traditions). Il met en scène l’engagement héroïque des Américains sur le plan moral et celui de la défense, universelle, des droits de l’homme. En ce sens, il rejoint une longue tradition du film de guerre américain que l’on retrouve la même année, aussi, dans La chute du faucon noir. Le film place également la bureaucratie otanienne, alliée des Etats-Unis, comme un obstacle à la mission morale héroïque des Américains. Il reflète la culture américaine du militarisme telle qu’elle était en vogue sous l’administration de G.W. Bush…

Du monde de l’après-guerre froide à l’Amérique de l’après-11 septembre

Ne nous leurrons pas, Behind Enemy Lines est avant tout un film commercial. Il cible ainsi un large public et véhicule pour cela un nationalisme exacerbé et une imagerie post-11 septembre dont rend très bien compte l’affiche promotionnelle suivante. Le pilote de l’US Navy abandonné y est représenté dans une attitude vengeresse en train de charger, arme au poing, les ennemis qui le harcèlent et qui le poussent contre deux tours de lumières entourées par des nuages de fumée. Cette image est symbolique de l’Amérique de l’après 11 septembre. Tout comme le héros, la superpuissance américaine s’est réveillée, en colère, et prête à en découdre pour réclamer une vengeance légitime.
Comme le montre Cynthia Weber, contrairement au héros de La Chute du faucon noir (film sorti la même année comme nous l’avons déjà précisé) dont l’idéalisme se trouve remis en cause par la conduite de la guerre, le héros de En territoire ennemi est un pilote Américain désabusé dont le réalisme pessimiste va peu à peu se transformer en idéalisme explicitement assumé. Ce cheminement – cette conversion devrions-nous peut-être dire – est aussi celui de l’Amérique. Aussi ce film dégage-t-il deux parties.

La première partie est symbolique du regard que porte l’Amérique sur le monde des années 1990. Lorsqu’il est interrogé par son commandant, l’amiral Leslie McMahon Reigart, le lieutenant Chris Burnett explique pourquoi il ne veut plus servir son pays : « I signed up to be a fighter pilot. I did not want to be a cop. I certainly did not want to be a cop in a neighborhood nobody cares about. That and the routine in the ship kind of wore me out ». En réponse à Reigart qui prétend que l’Amérique est bel et bien en guerre, il ajoute : « If we are at war why doesn’t somebody act like we are at war because as far as I can tell we go out, we fly around and we come back. Now, maybe we’re pretending we’re in the middle of a fight but that is all we’re doing. We’re pretending. Because we’re not fighting. We’re watching » (vers la 10e minute). De fait, auparavant, les choses étaient simples et la moralité toujours sauve car facile à situer et à délimiter. Burnett ne dit pas autre chose : « everybody who signed up wants to punch a Nazi in the face at Normandy but those days are long gone » (vers la 8e minute). Désormais, il n’y a plus d’ennemis, seulement des conflits dans des régions sans intérêts, par exemple le désert irakien des Rois du désert (1999), véritables « shit holes » où l’on se bat et où l’on meurt sans en connaître la raison. Qui plus est, plutôt que de régler ces conflits, l’Amérique en est réduite à les observer de loin. Bref, tel est l’état du « nouveau désordre mondial » et ce n’est pas cette ambiguïté dont Burnett veut pour l’Amérique.

D’où la seconde partie du film, plus actuelle car représentative des années 2000, qui traite de la redécouverte par le héros du sens de sa mission et de son rôle en tant qu’Américain. Pour cause, en essayant d’échapper à ses poursuivants, Burnett renoue avec le professionnalisme militaire. Il démontre pour cela son courage, sa détermination et son sens de l’initiative. Ce processus de « remasculanisation », également discernable dans un film comme Independence Day (1996), met un terme à l’ambiguïté. Les ennemis sont reconnus, combattus et finalement anéantis. Cela est d’autant plus vrai que l’ennemi n’est pas seulement l’étranger au sens géopolitique du terme. Il existe un autre adversaire, plus insidieux celui-ci, i.e. « l’ennemi de l’intérieur » (enemy within) qui se cache dans la bureaucratie et qui cherche à empêcher le héros de réaliser sa mission. Ce thème n’est pas nouveau. Il est au contraire caractéristique des films post-Vietnam, à l’image de la série Rambo, dans lesquels l’ennemi est souvent la CIA ou le gouvernement américain lui-même. Dans la version post-guerre froide de Behind Enemy Lines, l’obstacle majeur au sauvetage de Burnett est incarné par l’OTAN. OTAN qui est d’ailleurs personnifiée, sans que cela soit d’ailleurs explicitement précisé, par un non-Américain – que l’on peut penser Français s’il n’y avait les deux prénoms – l’amiral Juan Miguel Piquet (interprété par le Portugais Joaquim de Alamedia). Piquet est métaphoriquement situé en « territoire ennemi » car, même s’il n’en est pas conscient, il montre par ses actions qu’il est complice avec les Serbes. Reigart, version martialisée d’Antigone, aura donc raison d’aller à l’encontre de la hiérarchie (chain of command) en poursuivant une vérité plus noble et plus pure, celle incarnée par la loyauté à l’égard de ses soldats et de son pays, illustrant ici ce que Walter Russel Mead a qualifié de tradition « jacksonienne ».

Remasculanisée, l’Amérique l’est aussi. Car le film n’est pas simplement une illustration de la guerre en Bosnie. En effet, comme le montre Gearóid Ó Tuathail, il n’est pas tant l’histoire du sauvetage héroïque d’un pilote américain perdu derrière les lignes ennemies, que le sauvetage de l’Amérique perdue dans un monde frustrant où l’ambigüité géopolitique est synonyme d’incertitude morale. C’est ici que le lien doit être fait avec le 11 septembre. Désormais, en 2001, le « us » vs. « them » peut de nouveau être appliqué. On est soit avec l’Amérique soit avec les terroristes. Dès lors, le conflit entre Reigart et Piquet rend compte d’une opposition plus profonde : si la loyauté de Reigart vis-à-vis de sa famille militaire est juste et légitime alors la réaction de l’administration Bush en 2003 l’est aussi. L’Amérique qui est allée contre le Conseil de Sécurité des Nations unies a défendu une cause supérieure. Dans les propres mots de Bush, « thecause we serve is right, because it is the cause of all mankind ».

Pour en savoir plus :

L’épopée du capitaine O’Grady avec des détails… croustillants (au sens propre).

One Amazing Kid – Capt. Scott O’ Grady escapes from Bosnia-Herzegovina

On s’intéressera également à plusieurs articles, à l’origine de la dernière partie et portant sur l’idéologie sous-tendue par le film (et les films américains en général depuis le 11 septembre).

Gearoid O THUATHAIL, « TheFrustrations of Geopolitics and the Pleasures of War : Behind Enemy Lines andAmerican Geopolitical Culture », Geopolitics, 10, 2005, p. 356-377. Il est intéressant de comparer cet article à diverses autres interprétations filmiques. Tel est notamment l’objet de l’ouvrage suivant :

Marcus POWER et Andrew CRAMPTON, Cinema and Popular Geo-Politics, Routledge, 2007.

On lira aussi :

Cynthia WEBER, Imagining America at War : Morality, Politics and Film, Routledge, 2005.

jeudi 1 mars 2012

WikiLeaks et l’espace : ASATs, débris, tensions sino-américaines et européennes

Pour l’historien britannique Timothy Ash Garton, spécialiste d’histoire européenne, professeur à Oxford et Stanford, WikiLeaks est le rêve de l’historien, le cauchemar du diplomate. Si nous savons désormais que le second doit être relativisé au vu des conséquences finalement assez « modestes », pour reprendre le mot de Robert Gates, des fuites sur la politique étrangère américaine, peut-être nous est-il toujours permis d’espérer le premier, au moins de manière partielle, étant donné le fastueux banquet auquel se trouve naturellement convier le chercheur quelques vingt à trente ans avant la déclassification officielle. (Je ne sais pas si les dernières révélations peuvent prétendre à autant.)


Convenons en effet que les télégrammes de la diplomatie américaine réservent quelques bonnes surprises. A la différence toutefois que ces « surprises » ne reposent pas tant sur la nouveauté que sur la confirmation de ce qui est déjà de notoriété publique – ce que nous savons grâce aux sources ouvertes. A elle seule, cette perspective est déjà révélatrice et avec le recul très intéressante. Elle l’est d’autant plus si elle est couplée avec l’analyse des écrits journalistiques chargés d’interpréter et d’utiliser ce matériau d’un nouveau genre qu’est WikiLeaks. Ainsi par exemple du Guardian ou du New York Times. Tel est du moins la thèse que je soutiens dans le numéro de mars du magazine Défense & Sécurité Internationale au travers d’un article que la rédaction a eu l’amabilité d’accepter.

Pour l’auteur de ce blog, la (bonne) surprise WikiLeaks a d’abord été celle de découvrir que l’enjeu spatial pouvait émerger ici et là et… parfois même de manière étendue et détaillée.
Ainsi le lecteur pourra-t-il, du moins je l’espère, en apprendre davantage sur les relations sino-américaines dans la nouvelle dimension en s’en remettant à l’article cité ci-dessus. De fait, c’est au journal conservateur britannique The Telegraph que nous devons la publication en février 2011 d’une dizaine de télégrammes courant de 2008 à 2011 et traitant de la question des armes spatiales, notamment antisatellites (ASAT). Je rappelle que le 11 janvier 2007 la Chine a lancé avec succès un missile ASAT contre Feng Yun-1C, un satellite météorologique orbitant en LEO, qu’un an plus tard, en février 2008, les Etats-Unis ont détruit à leur tour un de leurs propres satellites-espions, USA-193, par le biais d’un missile SM-3 tiré depuis le croiseur Aegis USS Lake Erie dans le Pacifique, et qu’en janvier 2010 la Chine a confirmé avoir procédé à un tir antimissile. Ce que j’en conclus est à lire dans DSI.

Qu’on me permette toutefois une digression. Concernant le tir ASAT de 2007, une des principales critiques faites alors à Pékin, outre un silence plutôt gênant, a concerné le problème des débris spatiaux, sujet sur lequel Olivier Kempf revient après la discussion stimulante qui nous a été offerte chez L’Harmattan. La destruction du satellite est apparue en effet d’autant plus spectaculaire que sa capacité de nuisance s’est mesurée aux 2 500 nouveaux gros débris (> 10 cm) créés (sans parler des plus petits qui, contrairement à ce que dit OK, sont également très dangereux). L’événement est en soi historique puisqu’il s’agit de la plus grosse collision spatiale jamais occasionnée. N’en reste pas moins que la question des débris, pour réelle qu’elle soit, est également sujette à certaines instrumentalisations. Si l’on regarde les chiffres d’un peu plus près, c'est-à-dire si l’on ne focalise pas seulement sur le nombre de débris mais aussi sur leur masse, on se rend compte que le problème concerne en premier lieu les Etats-Unis et la Russie responsables à 85% des débris présents en LEO. (Ou lorsque le thème des débris rejoint la problématique du réchauffement climatique.)
L’autre information révélée par WikiLeaks, au travers du journal norvégien Aftenposten, nous concerne directement puisqu’elle témoigne des relations troubles existant entre l’Allemagne et la France sur la question du spatial européen. Xavier Pasco et François Heisbourg l’ont très brièvement mentionnée (une ou deux occurrences) dans leur ouvrage (voir la fiche de lecture). Aussi vais-je m’attarder quelque peu sur cette fuite que je cite telle quelle, laissant au lecteur le soin de conclure. Nous pouvons d’abord lire que la France s’est opposée au projet de partenariat entre l’Allemagne et les Etats-Unis à propos de HiROS. Pour information, ce programme entre en concurrence avec le projet européen MUSIS. Selon WikiLeaks, « Germany’s plan exclude any reliance on other EU members (i.e. France) and reflects Germanys desire to build this competency independent of EU interest ». De fait, « Presently, Germany is wholly dependent upon foreign sources of high resolution EO imagery. Germany would very much like to remedy this and DLR believes it now has the knowledge, skill, and ability to field an operating 0.5 meter resolution HiROS constellation within three years (2012) at a price tag of about 200 million euro ».

Le Monde avait à l’époque repris l’information en la complétant d’une autre note indiquant combien les Allemands craignaient l’espionnage économique de la France, « an evil empire in stealing technology » pire que la Chine ou la Russie. Qui plus est, à en croire Berry Smutny, l’homme par qui le scandale est venu, le désormais ex-dirigeant de l’entreprise allemande OHB-System qualifié par la revue Foreign Policy de « first private-sector casualty to make headlines », bref un « WikiLoser », Galileo est « a waste of EU tax payers money championed by French interests », de même qu’une « stupid idea that primarily serves French interests ». Je cite toujours le télégramme américain, « the EU desire to develop a redundant but alternative to GPS was spearheaded by the French after an incident during the Kosovo Conflict when the US military "manipulated" GPS to support military operations (NFI). Since this time, he said France has aggressively corralled EU support to invest in Galileo development -- something Smutny said France wants to ensure their missile guidance systems are free of any GPS reliance. Smutny added, the irony for German investment in Galileo is that some of Frances nuclear missiles are aimed at Berlin ».

Ces deux exemples constituent à ma connaissance le cœur des fuites WikiLeaks concernant l’espace. D’autres sujets sont bien sûr traités. Je pense par exemple au partenariat, toujours d’actualité, entre l’Ukraine et le Brésil au niveau de la base d’Alcantara – WikiLeaks ayant rapporté que les Etats-Unis s’étaient opposés à une proposition ukrainienne de lobbying et ce alors qu’aucun Technology Safeguard Agreement n’a encore été signé avec le Brésil.