mardi 31 décembre 2013

Le CNES, la NASA et le logo. Introduction à l’identité graphique des agences spatiales

Par bien des aspects, l’identité graphique des agences spatiales constituée des ensembles logo-signature-slogan s’apparente à un étendard : elle aussi est composition de figures et de couleurs disposées dans un espace à deux dimensions et elle aussi est symbolique, c’est-à-dire étymologiquement signe de reconnaissance (sýmbolon). Et s’il lui est a priori difficile de concurrencer le drapeau national sur son propre terrain – que ce soit dans la levée ou le salut aux couleurs, ou à l’inverse dans le « flag burning » –, elle n’en reste pas moins soumise à  une constante tentation normative à l’image de n’importe quel autre système vexillologique. De fait, son efficacité symbolique a beau être très variable selon la combinaison (le pays) ou le contexte (l’époque), l’investissement est toujours important et, pour cela, révélateur de deux approches : l’une renvoyant à l’existence de tendances convergentes sinon de traditions ; l’autre exprimant la possibilité d’une interprétation a posteriori, extérieure aux circonstances précises ayant présidé à la naissance des choix emblématiques.
Une étude grossière, restreinte par exemple aux agences membres de l’IADC, a ainsi le mérite de distinguer 3 + 1 grands traits de familles : 1) le modèle « meatball » (« boulette de viande ») des logotypes circulaires, dont l’archétype est constitué ici par la NASA, 2) le « worm » (« ver de terre ») qui est un rendu plus ou moins stylisé de l’acronyme de l’agence concernée et dont l’inspiration est une fois encore américaine, 3) celui que nous qualifierons de logo-fusée en vertu de l’antécédent très suggestif incarné par l’identité de marque du CNES des années fondatrices, pourvu de ses ailerons tranchants, 4) enfin, le style carré que seule l’UKSA, l’agence spatiale britannique créée en 2010, semble pour le moment avoir exploité, un cas d’autant plus unique qu’il est explicitement associé, diagonale ascendante y compris, aux couleurs nationales de l’Union Jack. En dehors des codes communs rapidement assimilés par convention au spatial et à l’aéronautique (la couleur bleue pour représenter l’espace, la sphère pour évoquer la planète, l’orbite pour rappeler le satellite ou encore la flèche pour désigner le lanceur, etc.), l’on discerne donc des logos matriciels dont l’adoption a servi de modèle international. 

Cette qualité saute aux yeux dès lors que l’on s’intéresse à l’évolution de l’identité graphique des agences spatiales les plus anciennes que sont la NASA créée en 1958 et le CNES fondé en 1962. Il est frappant de constater que trois étapes ont été franchies presque de manière concomitante de part et d’autre de l’Atlantique pour parvenir aux combinaisons actuelles.

L’histoire du logo de la NASA reflète avant tout la difficulté avec laquelle l’agence spatiale américaine a géré le très encombrant héritage Apollo. Le « meatball », introduit un an après la création de la NASA sur les fondations du NACA, est une version « casual » du sceau que l’agence utilise lors des grandes occasions et événements formels. Les couleurs sont plus volontiers patriotiques (rouge, blanc, bleu) et l’effet recherché se veut presque fantaisiste, tout en restant élégant. L’image est résolument optimiste et passionnée, voire romantique. Un vaisseau spatial est en orbite autour des lettres N, A, S, et A sur fond de ciel étoilé et un chevron s’allonge à la façon d’une aile hypersonique. Là où le « meatball » nous montre explicitement ce qui rend la NASA si séduisante (la « right stuff » de l’astronaute et la « new frontier » de von Braun et Kennedy), le « worm » apparu après 1975 à la suite d’une initiative fédérale d’amélioration graphique lancée sous Nixon préfère rester allusif et suggestif. Les initiales de la NASA sont réduites à l’essentiel : quatre lettres exprimées très simplement sur fond rouge, sans fioritures aucunes mais avec puissance et conviction (le « quick fix » et « can do » de l’ingénieur). Le A s’expose sans barre comme un V retourné à la façon d’une fusée prête à décoller. Chaque lettre est dessinée d’un trait net et épais, visible à grande distance. Et chaque lettre s’approprie la figure du chevron multipliée à l’infini avec le premier A qui se poursuit dans le S et le N qui s’y reflète à la façon d’un miroir. Malgré des qualités incontestables saluées par les plus grands et récompensées à plusieurs reprises, le « worm » oppose dès son apparition « pro » et « anti » le long d’un débat entre « old » et « new frontiers » qui n’est pas sans rappeler le film Space Cowboys réalisé par Clint Eastwood. En 1992, il n’a d’autres choix que de céder définitivement la place au « meatball » revenu en force après les traumatismes et les critiques des années 1980, et le souci paradoxal de la NASA de se renouveler en revenant à l’âge d’or des missions Mercury, Gemini et Apollo. Systèmes descriptifs, mais avant tout normatifs, cela n’étonnera guère si aucun des deux logos n’a jamais décrit la NASA telle qu’elle est, mais davantage comme elle s’imagine et se voudrait être.
The NASA seal, with the words National Aeronautics and Space Administration U.S.A.The word NASA in a unique typefaceThe round red, white and blue NASA insignia
Le CNES a suivi une évolution parallèle quoique sensiblement distincte étant donné la moindre place accordée au vol habité dans l’identité de l’agence spatiale française. Pendant plus de dix ans, les valeurs du Centre nationale d’études spatiales se sont ainsi exprimées à travers un logo vertical où les initiales sont stylisées de façon à évoquer les étages d’un lanceur, sa coiffe et la traînée de départ. Il est vrai que le CNES de cette époque vise en priorité à réunir les compétences nécessaires à la construction d’un lanceur autonome sur la base du programme « Pierre précieuses » d’inspiration militaire. C’est chose faite dès 1965 avec le décollage depuis la base d’Hammaguir en Algérie de la première fusée française Diamant A avec à son bord le satellite Astérix. C’est fort de son expérience acquise dans le domaine des lanceurs (confirmée en 1970 avec la version opérationnelle dite Diamant B) que le CNES propose à ses partenaires européens le développement d’un nouveau lanceur, plus lourd et plus performant qui peu à peu va devenir Ariane. Cette européanisation lancée au nom de « l’espace utile » des applications spatiales est reflétée par le changement de logo en 1974 qui voit le fusée-sigle disparaître au profit de courbes plus épurées et moins tranchantes évoquant la Terre et la trajectoire d’envol d’un lanceur. Le début des années 1990 est l’occasion d’un nouvel infléchissement des préoccupations du CNES vers les affaires humaines : « de l’espace, certes, mais pour la Terre » affirme la signature revendiquée depuis 2004. La dernière version accentue d’ailleurs ce mouvement en atténuant l’angularité du lanceur et en optant pour l’aplat de couleur plutôt que pour les stries. La lettre C, autrefois stylisée de façon à ressembler à une coiffe, est désormais devenue le logo lui-même, une forme souriante et bleue qui s’ouvre pour évoquer directement bien que de façon abrégée l’intitulé de l’agence. A noter que, contrairement à la NASA dans sa version « worm » ou « meatball », le Centre national d’études spatiales est rarement capable de se satisfaire de son sigle seul. Déficit de notoriété oblige, le CNES est un logo qui s’épelle et parfois sait s’écarter au bénéfice d’un intitulé plus parlant.
logo CNES 70.jpg (52562 octets)logo CNES 80.jpg (73234 octets)

Un choix de logo n’est pas innocent. Même si l’effet recherché a globalement tendance à rester le même au fil des années (apporter une image de modernité et de précision, ouvrir une fenêtre sur le futur, incarner le dynamisme d’un secteur en mouvement constant, etc.), les valeurs fondatrices que le logo est supposé véhiculer ou refléter sont, elles, susceptibles de changer. L’identité d’un programme spatial n’est pas figée ; les justifications qui entourent celui-ci gagnant en complexité depuis le lancement de Spoutnik où seul importait le triptyque Sécurité-Prestige-Science, il a fallu naturellement songer à la faire évoluer. La transformation peut être plus ou moins radicale selon que les valeurs fondatrices de la période précédente sont remplacées par d’autres plus actuelles ou plus à même d’emporter l’adhésion et le soutien de la population (thème de la crise identitaire du spatial commun à l’ensemble des agences). Elle peut également être vécue sous le mode de la nécessité si, ayant atteint son objectif fondateur, l’agence en question doit prouver qu’elle reste pertinente dans le nouvel environnement eu égard aux nouvelles missions qui ont émergé (problème d’une agence de mission comme la NASA).

Pour en savoir plus, voir notamment  Régis Missire, « knes », in C’est l’espace ! 101 savoirs, histoires et curiosités (Gallimard, 2011) et Alice Rawsthorn, « Art of the Seal », NYT, 5 mars 2009. Voir aussi Pascal Ory, « Y a-t-il des familles de drapeaux ? Introduction à la vexillologie comparée », La culture comme aventure, Complexe, 2008 à qui nous renvoyons le lecteur curieux.

Images : CNES, NASA

Ce billet, qui est aussi le dernier de lannée 2013 à paraître sur ce blog, a fait l’objet d’une publication parallèle sur AGS. Pour un retour sur les événements marquants de lannée, voir notamment ici. Pour compléter, je vous invite à cliquer sur les onglets « Etats des lieux » et « Trivia ». Jprofite de ce message pour vous présenter mes meilleurs vœux pour 2014. A très bientôt,

vendredi 13 décembre 2013

Il y a cinquante ans…

Le 13 décembre 1963, l’Assemblée générale des Nations unies adoptait à l’unanimité la « Déclaration des principes juridiques régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique » (Résolution 1962 XVIII) et consacrait ce faisant les principes fondamentaux relatifs à ce nouveau domaine d’activités humaines qui allaient être à la base du Traité de 1967, considéré à juste titre comme le pivot du droit de l’espace :

1) L’Espace est exploré et utilisé pour « le bienfait et dans l’intérêt de l’humanité tout entière », son utilisation est libre et il n’est pas susceptible d’appropriation et ne peut être l’objet de souveraineté nationale.

2) La responsabilité des Etats actifs dans ce domaine est engagée pour toutes les activités menées sous leur juridiction, qu'elles le soient par leur gouvernement ou par des particuliers.

Le « Traité sur les principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes » a été adopté par l’AGNU le 19 décembre 1966 (Résolution 2222 XXI). Un nouveau principe s’ajoute aux précédents déjà évoqués (liberté, non-appropriation, responsabilité) :

3) L’Espace est exploré et utilisé à des fins pacifiques ; le déploiement d’armes non qualifiées de destruction massive (non-nucléarisation) n’est pas interdit en orbite autour de la Terre mais est rigoureusement interdit sur la Lune et les autres corps célestes (non-militarisation).

Ouvert à la signature à Londres, Moscou et Washington le 27 janvier 1967, il est entré en vigueur le 10 octobre 1967. En janvier 2013, le Traité avait recueilli 102 ratifications et 26 signatures. 

jeudi 12 décembre 2013

« Guerre et environnement »

Au menu du Café stratégique n°30 de ce soir, « Guerre et environnement ». Avec Jean-Michel Valatin, docteur en études stratégiques et sociologie de la défense, spécialiste de la stratégie américaine et auteur notamment de Guerre et nature (2013). Venez nombreux. 
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lundi 9 décembre 2013

« Comment surveille-t-on l’espace ? »

Le comité Aéronautique et Espace de l’ANAJ-IHEDN organisera le 17 décembre prochain une conférence sur le thème de la surveillance de l’espace. Pour parler de ce sujet important au vu de la multiplication des débris spatiaux (alerte anticollision) et des possibilités d’agression dans l’espace (armements antisatellites), enjeu stratégique majeur pour la France et l’Europe : le général Yves Arnaud, Commandant du Commandement Interarmées de l’Espace (CIE) depuis sa création en 2010.
GRAVES.
Rendez-vous est pris le 17 décembre 2013 de 19h30 à 21h00 à l’Ecole Militaire (Amphithéâtre Louis). Plus d’informations sur le site de l’ANAJ-IHEDN ou aeronautique-et-espace@anaj-ihedn.org. L’inscription est obligatoire.

Image: ONERA

mardi 3 décembre 2013

Le programme spatial chinois à l’horizon 2020

Le lancement de la sonde Chang’e 3 sur une orbite translunaire, ce 1er décembre, offre une fois de plus l’occasion de mesurer les progrès du programme spatial chinois et d’en apprécier le dynamisme apparent. Avec cette nouvelle mission, entend-on, la Chine deviendra la troisième nation à réussir un alunissage « en douceur » après les Etats-Unis et l’URSS. Beaucoup plus révélateur, à mon sens, est le fait que l’Agence spatiale européenne (ESA) ait mis à disposition de la Chine ses antennes relais pour que celle-ci puisse communiquer avec la sonde durant les étapes cruciales que sont la phase de transit et celle de descente. Inutile de préciser qu’une pareille coopération est inconcevable de l’autre côté de l’Atlantique ; une posture que le risque de sombrer dans le ridicule ne semble pas effrayer.

Le problème est multiple. 1) Il est d’abord culturel et touche à l’interprétation des informations à disposition. Le programme spatial chinois est un mystère dans un labyrinthe. La cause est entendue. Or, le fossé séparant la Chine du reste du monde (occidental) est tel que, trop souvent, la prudence n’est pas de mise et des conclusions sont tirées sur la base d’informations erronées, d’erreurs de traduction et de sources qui d’ordinaire seraient écartées pour leur manque de fiabilité. Encore récemment un article écrit sur un coin de table, basé, qui plus est, sur une discussion de concepts d’origine américaine, était identifié comme étant un rapport interne ultra-secret délivrant un aperçu des ambitions militaires de la Chine envers le cyberespace.

2) D’où le second problème qui a trait aux perceptions et représentations. Sans compréhension de ce qui constitue une source fiable et représentative, la tendance est de trier plus ou moins consciemment pour se concentrer sur ce que l’on connaît, ce que l’on anticipe ; autant dire, le pire. Aussi, il est courant d’imager la Chine en train de s’engager dans un effort spatial comparable à celui des Etats-Unis pour la simple raison que celle-ci est vue comme le compétiteur naturel des Etats-Unis. Pour autant, rien ne permet d’affirmer que ce scénario est plus pertinent qu’un autre. Cette lecture hâtive du spatial chinois est avant tout le fruit d’une conception biaisée, fondée sur l’idée qu’il n’existe qu’un seul et unique modèle pour l’espace – américain d’inspiration.

Pour cette raison, l’initiative de Greg Kulacki de l’Union for Concerned Scientists de procéder à une traduction du rapport « Vision 2020 : The Emerging Trends in Science & Technology and  China’s Strategic Options » de l’académie des sciences de Chine (Chinese Academy of Science, CAS), paru au printemps dernier dans le cadre de la stratégie « Innovation 2020 », doit être saluée. Cette traduction partielle, puisque ne concernant que les parties du rapport qui s’intéressent au spatial, mérite une lecture attentive parce qu’elle rappelle que les dépenses spatiales chinoises sont avant tout évaluées au prorata des bénéfices technologiques, économiques, environnementaux et scientifiques apportés. Pour la CAS, qui milite contre toute préemption des ressources spatiales par les militaires y compris en faveur du programme spatial habité (géré par le DGA), le futur des projets spatiaux dans le court et moyen terme doit rester déterminé par les besoins nationaux et leur contribution au développement harmonieux du pays. Pour reprendre le commentaire de présentation de l’auteur , « The report articulates a strategic vision for Chinese space science and technology that should give pause to U.S. observers who believe Chinese investments in space technology are driven primarily by military objectives ». Pour cause, bien qu’elle soit soutenue par les auteurs du rapport, l’utilisation de l’espace à des fins de sécurité et de défense est largement en retrait par rapport aux préoccupations civiles (changement climatique, gestion durable des ressources, réponse aux catastrophes naturelles, retombées économiques, etc.). Le rapport met également l’accent sur la soutenabilité des activités spatiales (débris spatiaux, surveillance de l’espace et code de conduite porté par l’Europe). Enfin, la CAS préconise une réorganisation radicale de la politique spatiale chinoise afin d’améliorer la coordination des efforts civils et militaires (définition des objectifs, gestion des ressources et partage des données). Pour Kulacki, « Such a development could radically transform China’s current approach to national space policy, including making it more transparent and accountable to the expectations of the international space community ».