mercredi 22 janvier 2014

« Sur les champs de bataille »

L’Alliance géostratégique aura le privilège de recevoir, à l’occasion du premier café de l’année, ce jeudi 23 janvier 2014, le sergent-chef Jocelyn Truchet, auteur du livre Blessé de Guerre: Six Mois de Combat en Afghanistan. Le colonel Michel Goya, membre d’AGS et auteur de l’ouvrage Sous le feu : La mort comme hypothèse de travail, sera également présent. 
Rendez-vous est pris demain soir 19h, au café Le Concorde, 239 bd St Germain. 

vendredi 10 janvier 2014

2014, année charnière pour la politique spatiale européenne

Le programme du Centre national d’études spatiales (CNES) pour l’année 2014 est assurément très riche. Mais s’il fallait choisir un thème dominant, ce serait sans doute la décision de poursuivre ou non le développement du nouveau lanceur Ariane 6 (les « Français, ces artilleurs », cf. l’histoire du logo). Le premier semestre sera de ce point de vue particulièrement déterminant avec la constitution de l’organisation industrielle qui doit être rationalisée pour satisfaire aux exigences de coûts de lancement, fixés à 70 millions d’euros. Ce n’est que le 4 décembre 2014 que se tiendra, ensuite, au Luxembourg, le conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne (ESA) avec pour principal enjeu d’aboutir à un accord définitif sur l’avenir du programme.



On appréciera donc que, malgré un agenda que l’on devine très chargé, Jean-Yves Le Gall, Président du CNES, ait accepté de répondre aux interrogations des internautes lors d’une séance en direct, dite #CNESTalks, de Q&A. L’auteur de ce blog faisait partie des heureux élus. Merci aux organisateurs. Etant donné les problèmes techniques qui ont parsemé ce hangout au détriment peut-être de la fluidité des échanges et du confort des participants – j’ai appris pour ma part que mon ordinateur ne pouvait pas endurer plus de 10 min de conversations sans nécessiter un reboot –, il me paraît opportun de livrer tel quel l’état de mes réflexions. Quitte à me tromper : 

Au niveau stratégique, Ariane 6 résultent de deux paris :

1) Le pari est d’abord commercial, conséquence du fait que le modèle européen a choisi de faire dépendre ses lanceurs d’un marché commercial en évolution constante. Or, depuis quelques années, l’évolution des marchés semble s’accélérer avec l’arrivée de nouveaux lanceurs low-cost et la vente par Boeing de satellites tout-électrique, qui pourrait marquer un tournant vers des satellites plus petits (3-4 tonnes). Ceux qui doutaient encore de la vulnérabilité d’un lanceur lourd comme Ariane 5, développé pour des lancements doubles (jusqu’à 10 tonnes), ont vu la menace se matérialiser très concrètement en décembre dernier avec l’irruption de SpaceX sur le marché des lancements des satellites géostationnaires de petite taille (SES-8). Un essai transformé le 6 janvier dernier alors que le Falcon 9 était à nouveau sur le pas de tir pour procéder à une mise en orbite (Thaicom-6).

2) Le pari est également institutionnel étant entendu que, Ariane 5 n’étant pas en mesure de lancer des satellites gouvernementaux – ceux-ci étant devenus trop petits –, il doit laisser ce soin là à Soyouz (3 tonnes en GEO, 5 tonnes en LEO) et à Vega (1,5 tonnes en LEO).Corollaire indispensable de cette stratégie, le futur lanceur modulable Ariane 6 doit bénéficier d’un soutien public intégral et de la « préférence européenne » s’il veut être un succès. Or, jusqu’à présent, il faut reconnaître une grande propension de la part de certains clients institutionnels européens (dernier exemple en date : l’Allemagne) à diversifier leurs sources de lancement et à rechercher les prix les plus bas. A noter que les concurrents d’Arianespace bénéficient généralement d’un soutien sans faille de leurs acteurs nationaux respectifs. La faute à l’absence d’un Prince unique en Europe ?

Au niveau tactique, la situation n’est pas plus simple. Et en effet, au-delà même de la justesse du raisonnement qui fait naturellement débat, le défi de l’équipe France en 2014 sera de parvenir à convaincre les partenaires, et en premier lieu les Allemands, d’engager sans plus attendre l’Europe dans l’aventure Ariane 6. Le chemin est parsemé d’embûches alors que les Etats membres s’opposent, souvent frontalement, sur plusieurs sujets : qu’il s’agisse 1) de la clarification de la gouvernance spatiale européenne et du rôle respectif de la Commission et de l’ESA, ou 2) de l’avenir du vol habité en Europe.

Si l’Allemagne et la France semblent être parvenues, aux dernières nouvelles, à un compromis au sujet du premier, le second constitue un obstacle sérieux qu’il sera d’autant plus difficile d’écarter que le CNES est par tradition réfractaire à tout engagement dans un domaine qu’il juge trop onéreux (la station spatiale internationale coûte chaque année 270 millions aux contribuables français), en plus d’être accessoire sinon inutile (thèse du « piège à cons »). Peut-être la solution viendra-t-elle d’outre-Rhin où l’on semble, pour la première fois depuis la création de l’ESA, étrangement indécis. La décision de la Maison Blanche de prolonger l’existence de l’ISS de quatre ans au-delà de 2020 rappelle, s’il en était besoin, qu’aucun consensus n’a émergé sur cette question dans une Europe d’abord préoccupée par ses difficultés financières. 

Au sujet de ce dernier point, l’incertitude pèse principalement – à tort ou à raison – sur la France alors qu’un rapport de la Cour des comptes soulignait il y a encore peu que l’effort financier auquel elle consentait était trop élevé. Le CNES pourra-t-il compter sur un appui politique suffisant pour lui donner les moyens de ses ambitions et lui assurer une position de force lors des négociations ? Pour le président de l’agence spatiale française, à qui François Hollande a apporté son soutien lors d’une visite au Centre Spatial Guyanais le 14 décembre dernier, la réponse ne peut être que positive. Pour preuve, le budget du CNES sera cette année en augmentation pour atteindre 2,127 milliards d’euros, soit le niveau le plus élevé depuis plus de dix ans. Au total, avec 30€ par an et par habitant, le budget que la France consacre à l’espace civil est le deuxième au monde après les Etats-Unis. 

L’année 2014 s’annonce comme une année charnière, une année d’exception ; bref, « une chance pour l’Europe » comme l’indique le CNES dans son programme« Ambition 2020 ». Bonne chance à elle alors, ainsi qu’à M. Le Gall…