vendredi 28 octobre 2011

Stratégie spatiale. John Klein et les routes de communication célestes

Je profite de ce billet consacré à la stratégie spatiale pour introduire un nouvel ouvrage, de référence s’il vous plaît – donc évidemment cité en bibliographie du Lefebvre – et très important pour le présent principe que je cherche à illustrer. J’ai nommé : Space Warfare. Strategy, Principles and Policy (2006) de John J. Klein (USN).

Space Warfare peut être vu comme la première étude complète et détaillée cherchant à appliquer l’analogie stratégique à la puissance spatiale (spacepower). Aussi, Klein reproduit-il Some Principles of Maritime Strategy de l’historien et stratégiste Sir Julian Corbett (1854-1922) en voulant en appliquer les conclusions à l’espace avec un succès que nous devinerons original, mais également, pour ce qui nous intéresse, partagé. Le terme même d’analogie stratégique (strategic analogy) est, qu’on m’interrompt si je me trompe, neuf. Même s’il est vrai que nous pouvons en retrouver la méthode au travers des analogies historiques déjà bien connues. Dans cette perspective, Klein revendique une version spatiale de la stratégie maritime qui se concentre sur l’interaction stratégique entre l’espace et les autres milieux (land, air- et seapower). 

Mettre Corbett en orbite est certainement utile – d’autant plus que l’originalité est claire en comparaison des études précédentes, exclusivement concentrées ou sur Mahan, ou sur Douhet, etc. – mais l’analogie a aussi ses limites. C’est notamment vrai pour ce qui des concepts relatifs à l’offensive, la défense, la concentration ou la dispersion, etc. L’analogie stratégique peut certes paraître nécessaire pour étudier ce nouveau milieu qu’est l’espace. Après tout, notre expérience, outre d’être récente, est aussi extrêmement pauvre. Mais il ne faut pas en conclure qu’elle seule peut nous sortir de ce mauvais pas. Pour cette raison, Klein court souvent le risque de trop se concentrer sur l’analogie au détriment de la pensée critique, et donc de perdre de vue la spécificité de l’espace.
Cela étant dit, s’il est un concept qui frappe tout particulièrement à la lecture de Space Warfare, c’est celui de « lignes de communication célestes » (celestial lines of communications ou CLOC). Celles-ci seraient de deux sortes : d’une part les routes « matérielles » (physical lines of communications), soit les trajectoires des objets (things) lancés vers l’espace ou en orbite, d’autre part les lignes « immatérielles » (non-physical lines of communication), soit la capacité de l’espace à transmettre de l’information (effects). C’est en grande partie à travers cette distinction que Jean-Luc Lefebvre définit le principe selon lequel il faut « Privilégier et protéger les lignes de communication immatérielles » (p. 257). Précisément : 
… les lignes de communication matérielles sont tortueuses, les lignes de communication immatérielles vertueuses. Les premières sont incontournables pour les mobiles et doivent être évitées par les systèmes d’armes efficaces. Les secondes véhiculent l’information devenue tout aussi nécessaire au fonctionnement du monde que le transport de marchandises. Elles doivent donc être protégées, en particulier pour ce qui concerne les transmissions militaires (p. 258).
Que pouvons-nous en conclure ? Que s’il faut protéger, c’est parce que nous pouvons attaquer et perdre le contrôle des CLOCs. Ainsi, plusieurs exemples. 1) Lorsque les Soviétiques ont mis pour la première fois en orbite un satellite artificielle, en l’occurrence Spoutnik, les Américains ont été mis en échec. Dans le cadre de la course à l’espace, l’accès aux CLOCs leur avait été nié. 2) Un autre exemple, cette fois-ci non-intentionnel, est celui de l’activité solaire qui, de temps en temps, met à mal nos systèmes spatiaux et interdit, au moins temporairement, l’utilisation complète des CLOCs. D’où d’ailleurs la nécessité d’avoir une bonne SSA

Bien sûr, il y a aussi le cas des dégradations humaines, qu’elle soit d’origine étatique ou non-étatique (organisations, groupes, individus, etc.). Dans ce cas, le bon fonctionnement des communications spatiales est empêché par un acte délibéré, qu’il s’agisse d’un brouillage ou d’une distorsion des signaux GPS, etc. Ainsi, le lecteur intéressé aura pu apprendre aujourd’hui que des hackers (chinois ?) ont interféré avec deux satellites gouvernementaux, Landsat-7 et Terra AM-1, américains pas moins de quatre fois en 2007, 2008 et à nouveau cette année. Dans le cas de données beaucoup plus sensibles (satellites militaires), on devinera donc qu’il faut « Privilégier et protéger les lignes de communication immatérielles ».
NASA, satellite, hack
Le satellite Terra

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