Quatre jours après la décision prise par la NASA de mettre
un terme à la « majorité » de ses relations avec le gouvernement de
Russie à l’exception précisément de la « majorité » d’entre elles –
soit celles prenant place dans le cadre de la station spatiale internationale –,
il persiste un certain flou. C’est du moins ce que j’ai essayé de soutenir dans
un papier
rédigé sur le sujet à la demande de The
Conversation. Non seulement cette annonce en demi-teinte est, cela va
sans dire, peu susceptible d’infléchir à elle seule la politique russe à
l’égard de l’Ukraine : les représentants russes ne s’y sont pas trompés,
eux qui ont réagi
de manière sarcastique au message de l’agence américaine. Mais l’appel de
mobilisation lui-même, lancé de manière très explicite – voire un peu trop si
l’on croit les commentaires
– au Congrès américain par Charlie Bolden et ses collègues, a toutes les
chances de tomber dans l’oreille d’un sourd tant les membres des deux chambres sont
notoirement sceptiques à l’égard du programme des vols commerciaux habités
qu’ils voudraient réduire et non amplifier, ralentir et non accélérer.
Non pas que l’affaire ne soit pas sérieuse. Le fait que
cette décision ait été
fuitée avant d’être officiellement confirmée par la NASA ne l’illustre que
trop bien. Il est par ailleurs révélateur que l’annonce officielle – publiée
assez étrangement sur le compte Google+ de
l’agence et relayée via Twitter plutôt que par un communiqué de presse – soit
finalement dirigée en direction moins du peuple Américain pour expliquer
pourquoi la crise ukrainienne doit nécessairement avoir ce genre d’impact sur
les relations spatiales entre leur pays et la Russie que des membres du Congrès
chargés d’examiner la requête budgétaire de la NASA pour l’année fiscale 2015.
D’autant plus qu’il est permis de se demander si les alliés des Etats-Unis se
rallieront aux sanctions américaines préconisées par la NASA dans le domaine
spatial civil cependant que le commandement suprême des forces alliées de
l’OTAN a annoncé la suspension de toutes les activités civiles et militaires de
coopération avec la Russie. Il semblerait que non. Il n’est pas innocent non plus si l’on a assisté depuis l’annonce officielle à un
rétropédalage de la part aussi bien de la NASA que de l’administration
Obama. C’est ainsi que, selon Bolden lui-même, la prochaine réunion du COSPAR, organisée à Moscou, ne sera pas a priori concernée par la nouvelle
politique.
En effet, le risque n’est pas négligeable que ces sanctions,
qui sont très similaires à celles qui limitent les interactions entre la NASA
et la Chine, puissent entraîner des représailles. La probabilité pour que cela
se produise est évidemment extrêmement faible étant donné que Roscosmos,
l’équivalent russe de la NASA, est incapable
d’exploiter la station spatiale sans l’aide des Américains. Mais un tel
scénario est moins farfelu qu’il n’y paraît si l’on envisage le problème sous l’angle
du moindre intérêt que la Russie pourrait éprouver demain à l’égard de la
station – ou du programme post-ISS. L’ISS est après tout le fruit du
partenariat d’après-guerre froide envisagé avec la Russie par l’administration
Clinton dans le cadre de sa stratégie d’« engagement and
enlargement ». Pour être relativement équilibrés, les termes de l’accord
n’en sont pas moins parus humiliants pour la nouvelle Russie qui a dû prendre
la décision difficile et ô combien déchirante de désorbiter la vieille station
Mir. Or même si la NASA et l’agence européenne sont les premières à dire que l’assemblage
de l’ISS est terminé, cela n’est pas entièrement vrai : la Russie doit
encore envoyer en orbite le Multipurpose Laboratory Module (MTsM/MLM) Nauka en 2015 et a
prévu de lancer plusieurs autres modules d’ici la fin de la décennie.
Deux choses en conclusion :
1) si l’histoire a montré quelque chose, c’est qu’en matière
de coopération spatiale, il est plus facile de défaire que de faire, de faire
marche arrière que d’aller de l’avant. A noter ici que Susan Eisenhower,
petite-fille de l’ancien président des Etats-Unis, a été invitée par le Sénat
américain le 9 avril prochain pour parler d’exploration spatiale à un
moment où « troubled U.S.-Russia
relations, alternative mission destinations, and a strengthening Chinese space
program may complicate international cooperation ». Il ne sera sans
doute pas inutile d’entendre ce qu’elle
et son époux, Roald Sadgéev, ancien directeur de l’Institut de recherche
spatiale de l’Académie des sciences de Russie, ont à dire sur la situation
actuelle.
2) On rappellera également
que l’espace n’existe en tant qu’activité autonome que dans les limites
définies par les nations qui l’utilisent pour mieux affirmer leur statut et
leur souveraineté ici sur Terre. Aussi dépend-il moins de sa valeur intrinsèque
que de sa capacité à entrer en résonance avec une politique particulière
chargée de lui donner du sens. Ce qui est vrai pour les Etats-Unis où l’espace
est le fruit d’une construction négociée entre la Maison blanche et le Capitole
l’est aussi pour les autres pays. L’ISS est un bien de club et à ce titre un
bien dont la possession est apprécié de tous ses membres, mais un bien de club
sous leadership américain malgré tout. Cela n’a sans doute pas échappé à la
Russie de Poutine...
Credits : NASA
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