vendredi 14 octobre 2011

Stratégie spatiale. Prévision pour demain, temps brumeux… ou éclaircie ?

Retour ce matin sur un nouveau principe de stratégie spatiale dit cardinal, j’ai nommé « recréer le brouillard de la guerre à son profit ». 

Mais avant cela, un petit mot. Vendredi prochain, 21 octobre à 20h30, aura lieu à la mairie de Meulan-en-Yvelines une « causerie » consacrée à la « Défense – la guerre des étoiles ». Que du beau monde : outre le colonel Jean-Luc Lefebvre, dont l’ouvrage – Stratégie spatiale. Penser la guerre des étoiles : Une vision française – est souvent cité ici, vous trouverez notamment le général Henri de Roquefeuil, conseiller militaire du président du Centre national d’études spatiales (CNES), Xavier Pasco, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et récemment auteur de Espace militaire : L'Europe souveraineté et coopération et François Garay, maire des Mureaux et président de la Communauté des villes Ariane.
<i>Heisbourg, François & Xavier Pasco</i><br>Espace militaire. L'Europe entre souveraineté et coopération

Voilà qui est dit. Quant à ce qui nous concerne aujourd’hui, le « brouillard de guerre », en anglais « fog of war », est une notion généralement attribuée à Clausewitz que nous retrouvons aujourd’hui répandue un peu partout, y compris chez les néophytes de la chose militaire. Je ne peux m’empêcher ici de citer l’ancien secrétaire à la Défense de Kennedy, Robert McNamara, qui pour le coup n’était pas un débutant :
We all make mistakes. We know we make mistakes. I don’t know any military commander, who is honest, who would say he has not made a mistake. There’s a wonderful phrase: "the fog of war." What "the fog of war" means is: war is so complex it’s beyond the ability of the human mind to comprehend all the variables. Our judgment, our understanding, are not adequate. And we kill people unnecessarily. In The Fog of War: Eleven Lessons from the Life of Robert S. McNamara (2003).
Pour ma part, je me contenterai pour l’instant d’une définition intuitive consistant à dire que le brouillard de guerre évoque l’inconnu qui n’est pas dans notre champ de vision.
Exemple de brouillard de guerre dans le jeu Starcraft : "It's so foggy"
Or, si nous nous référons à Stratégie spatiale, nous apprenons que « l’espace est avant tout le royaume de la transparence » (p. 251). En effet, « il est possible d’observer et de prédire avec une bonne précision la position future des astronefs ». Pour preuve, « la connaissance des instants de survol d’une zone d’intérêt par des satellites d’observation permet notamment de dissimuler des actions à la vigilance des satellites, ou au contraire de les intoxiquer par des opérations de leurrage » (p. 251). Tellement grandes sont les contraintes physiques dans l’espace : à l’orbitologie classique, il faut ajouter les orbites de transfert d’Hohmann et les quelques dizaines de ports spatiaux connus de tout un chacun.

Dans ces conditions, il devient difficile de cacher ses mouvements à l’ennemi… comme d’ailleurs à l’ami. Rappelons pour mémoire que les Indiens ont ainsi pu développer une capacité nucléaire au vu et au su des Etats-Unis, dont les satellites n’ont rien pu détecter avant la surprise du 11 mai 1998. L’Intelligence américaine est restée dans l’obscurité jusqu’à la fin. Mais rappelons aussi que les Français, lorsqu’ils ont commencé à disposer d’une SSA autonome, ont enfin pu constater l’existence de certaines constellations satellitaires américaines cachées. Ils ont alors pu faire pression pour que les Etats-Unis arrêtent de révéler la position des satellites militaires français. Dialogue
US : If we have not published it in our catalogue, then it does not exist.
France : So I guess we have been tracking objects that do not exist. I can tell you that some of these non-existent objects have solar arrays.
Les négociations sont toujours en cours… l’Europe reste un nain et manque encore un certain poids pour peser dans la balance. Néanmoins problématique de la SSA aidant, nous pouvons dire que le « brouillard de guerre » n’est véritablement dissipé que lorsqu’une puissance spatiale dispose des capacités adéquates. Clairement, pour le moment, les Etats-Unis disposent des moyens pour « recréer le brouillard de la guerre à [leur] profit ». Le rattrapage qui s’observe peu à peu ne suffira certainement pas à combler le retard en la question. Comme l’explique Lefebvre, l’exemple du X-37B montre que les Etats-Unis disposent d’une longueur d’avance non-négligeable.

Sauf que le « brouillard de guerre » ne concerne pas seulement les capacités. Il peut également prendre en compte les intentions. Pour revenir à notre champ de vision du début, notons donc que voir ne suffit plus : il faut aussi comprendre. Or de ce point de vue, l’espace est opaque pour tout le monde. C’est évidemment le cas des Etats-Unis en relation avec le reste du monde. Personne ne sait exactement ce que le X-37B – pour ne citer que cet exemple – cache. Si nous connaissons plus ou moins les capacités (la culture de la transparence américaine oblige, l’internet est rempli de descriptions et de photographies), rien n’est précisé concernant les objectifs. Dernièrement, on parle même d’un X-37C capable de prendre en charge six astronautes. So what ? eh bien, nous ne savons pas.
Size comparison of the X-37B, X-37C, Shuttle, and Atlas V EELV.Image of on-orbit functions for NASA’s X-37 space plane.
Mais c’est aussi le cas pour d’autres pays en lien avec les Etats-Unis. Je pense notamment à la Chine. Pour le coup, l’opacité concerne à la fois les capacités et les intentions. Les experts américains ont d’ailleurs souvent tendance à surestimer le programme spatial chinois. A la barrière de la langue et aux inévitables erreurs de sens qui surgissent et qui sont loin d’être négligeables, il faut ajouter l’absence récurrente d’informations, ainsi que les malentendus et autres misperceptions que cela introduit logiquement. De quoi favoriser la suspicion et empêcher l’émergence d’une véritable coopération. L’offensive étant encore pour le moment supérieure à la défense dans l’espace, les intentions sont primordiales.

Or, à s’envoyer les mauvais signaux, on risque l’escalade…

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