jeudi 2 février 2012

Réflexions sur le spatial étatsunien


TIME Magazine Cover: Race for the Moon -- Dec. 6, 1968
L’autre jour un lecteur m’a posé une question à laquelle j’ai répondu de mon mieux. En y repensant aujourd’hui peut-être me permet-elle d’aborder l’histoire du spatial américain sous un autre angle.

Aussi, à la question de savoir si les Etats-Unis ont perdu ou non la bataille de l’espace, pouvons-nous considérer deux niveaux.

Le premier est externe, c'est-à-dire lié à la compétition internationale. Là, malgré quelques décalages entre la réalité et la perception de cette réalité, les Etats-Unis sont assez rapidement devenus bon premiers.

Le second est interne, c'est-à-dire domestique, et nous permet d’envisager un tout autre point de vue. De même que le terrorisme pose des défis majeurs aux démocraties, quant aux mesures à prendre et aux réponses à donner, de même l’apparition « soudaine » de l’âge spatial avec Spoutnik a-t-elle conduit l’Amérique à changer afin de s’adapter à la nouvelle donne. Par exemple, en se rapprochant paradoxalement de son rival idéologique soviétique jusqu’à, si ce n’est totalement lui ressembler comme les cochons et les fermiers de la Ferme des animaux, du moins lui emprunter certains traits ordinairement jugés « un-american ».

Je m’appuie ici sur une lecture et une critique de « droite » du spatial. Bien que minoritaire (≠ l’espace est le symbole par excellence de l’exceptionalisme américain), celle-ci n’est  pas nouvelle. Depuis le début de l’âge spatial, la NASA est critiquée, ses missions perçues en général comme un excès dangereux du pouvoir fédéral et le programme Apollo en particulier comme un symbole de centralisation « socialiste ». Cette analyse se situe dans une perspective plus large accablant l’action du gouvernement des pires maux, notamment l’illégitimité, parce que son inefficacité, son activisme et le gaspillage de l’argent du contribuable perturbent l’équilibre des pouvoirs de la Constitution et la main invisible des marchés. A l’inverse les initiatives individuelles du secteur privé sont hautement valorisées.

La figure incarnant le mieux cette position est celle du président Dwight « Ike » D. Eisenhower (1890-1969). Longtemps dénigré, voilà que l’on revoit en lui un héros de l’âge spatial, celui qui cherchait à encadrer les dépenses en refusant la course à l’espace dans laquelle les Soviétiques voulaient entraîner les Etats-Unis et en tâchant de maintenir l’équilibre traditionnel entre politique, économie et sécurité. De fait, tel était alors le dilemme de l’époque, maintenir l’image d’un pays résolu et fort à l’international sans pour cela remettre en cause les valeurs et les institutions américaines, de même que la santé économique du pays. Inutile de dire que pour le trio Kennedy/Webb/Johnson, la génération qui a fait la guerre, les moyens et le prix à payer importaient peu, du moment que la fin était là : vaincre les Soviétiques dans la guerre des images de la Guerre froide. C’est ce que l’historien conservateur Walter McDougall appelle la « tentation technocratique » (par ailleurs le meilleur livre disponible aujourd’hui sur l’histoire de l’espace, qui plus est à l’origine de ce billet) et ce que la NASA qualifie de « quick fix » : un problème, une solution. Quelque chose que l’on retrouve également en partie, de manière peut-être plus pessimiste, chez Andrew Bacevich sur la politique étrangère. Bref, pour s’ajuster à la dure réalité de la guerre froide, l’Amérique a dû se transformer… et perdre… se perdre ?
Bien entendu ce discours est en partie désamorcé par le fait que la tendance est aujourd’hui d’aller vers un espace de plus en plus privatisé, ou du moins commercialisé. D’où le désarroi compréhensible des Républicains – même s’ils s’en cachent, Romney en tête – face à l’administration Obama qui a fait de l’espace commercial son cheval de bataille et l’exploration de l’espace stricto sensu une option de long terme.

Sources Images 1 et 2

6 commentaires:

  1. La compétition qui à lieu entre les USA et l'URSS dans, en autre, la course à l'espace pourrait elle reprendre avec cette fois une course entre la Chine et les États-Unis ?

    Pékin à un programme ambitieux et comme cela à était déblayé par les 2 supergrands il y a 40 ans peut rééditer ses exploits à moindre frais ;)

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  2. Votre petite phrase sur le terrorisme m'a rappellé cette initiative avorté de faire profité les forces de l'ordre locales aux Etats-Unis des satellites espions de la Défense en 2008. Un contributeur à traduit les implications juridique que cela implique :

    http://fr.wikipedia.org/wiki/National_Applications_Office

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  3. Je ne connaissais pas. Merci bien. Il semble que l'histoire se répète aujourd'hui avec l'utilisation des drones par le Homeland Security.

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  4. Pas tout à fait la même chose, les douanes US utilisent des drones depuis le début du siécle au moins, et avant des avions et hélicoptère que les UAV ne font que compléter. Le problème vient de l'utilisation de personnels militaires, donc, en théorie, il suffit que la Homeland Security s'achéte ses propres satellites.

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  5. Certes, mais la problématique - sur le point d'être réglée - n'est pas si éloignée que cela et d'ailleurs tout aussi brûlante.

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  6. Je savait qu'il avait des problèmes avec l'intégration des drones dans la circulation aérienne mais je ne pensait pas qu'elle prenait un tour ''politique''. Après tout, cela fait un demi siècle que la police US utilise des hélicoptères pour la surveillance qui sont équipé depuis les années 70/80 de caméras.

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