L’implication déclinante des Etats dans les activités
spatiales était alors perçue comme le grand point de rupture. Comme
l’explique Xavier Pasco dans l’article introductif, « Quel nouveau départ
pour l’activité spatiale » (p. 24-30), il est aujourd’hui opportun de
vérifier si cette impression diffuse est confirmée ou démentie par les
événements survenus depuis. De fait, de nouveaux éléments sont venus nourrir le
débat : ainsi de l’inflexion intervenue aux Etats-Unis avec
l’administration Obama conduisant l’Amérique et les autres puissances à sa
suite à repenser leur politique ; de l’élan européen provoqué par le
traité de Lisbonne et la recherche (difficile) d’une gouvernance européenne pour
l’espace ; de l’expansion des besoins liés à la consommation d’information
d’origine spatiale ; de l’émergence des préoccupations de sécurité mettant
l’accent sur les satellites spécialisés ; sans oublier les craintes
d’une « surpopulation orbitale » et l’apparition inédite d’une
situation d’interdépendance dans l’espace. Dans ce contexte la place de l’Etat
évolue. Reste que si la transformation en cours des rapports entre acteurs
publics et secteur privé oriente l’activité spatiale, elle est aussi limitée.
Pour Xavier Pasco, « l’acteur public, étatique, demeure le centre de
gravité de l’activité dans la plupart de ses facettes ».
Elaborant sur cette problématique, de même que sur ce quintuple
constat, les articles qui suivent ne manqueront pas de susciter l’intérêt
assidu du lecteur. Aussi ne ferai-je que proposer une mise en bouche :
« La politique spatiale américaine : entre
changement et continuité » (p.49-59) fait ainsi l’objet d’une analyse
d’autant plus excellente qu’elle est délivrée par LE spécialiste international :
John Logsdon, dont j’ai eu le bonheur de suivre les cours cet été. L’auteur
dresse un bilan de l’administration Obama au vu des deux initiatives majeures
qui ont été proposées au peuple américain : la première, dont on peut
d’ores et déjà observer les effets tangibles, donnant la priorité à la
diplomatie internationale, la seconde, au futur beaucoup plus incertain,
présentant une approche inédite pour le vol habité.
L’article proposé par Isabelle Sourbès-Verger,
« Russie, Japon, Chine, Inde : quelles politiques spatiales en
2012 ? » (p. 61-72) est tout aussi intéressant. Face à la caricature,
il devient en effet nécessaire de dresser le portrait fidèle des
investissements spatiaux opérés par les puissances émergentes, en particulier
la Chine, sans oublier ces parents pauvres de l’analyse spatiale que sont traditionnellement
le Japon et surtout – de manière plus surprenante – la Russie.
L’interrogation originelle – les rapports public/privé –
gagne véritablement en profondeur lorsqu’elle est étudiée dans le contexte
européen et surtout français. Le point de vue des industriels, qu’il s’agisse
d’Astrium (« Ecrire l’avenir de l’Espace, le projet d’Astrium », p.
73-80) décrit par le président François Auque, ou de Thales (« L’Europe
spatiale reste à construire », p. 81-86) présenté par le PDG Reynald
Seznec, est éclairant. Il l’est d’autant plus qu’il fait écho avec une
publication récente de l’Institut Choiseul rédigée par Didier Lucas et
intitulée « Quelle politique spatiale pour la France ? Donner plus
d’espace à l’industrie ». Lucas y propose l’instauration d’une série de mesures :
la création d’un Secrétariat général de l’espace, l’instauration d’un Conseil
permanent de concertation Etat-industrie pour l’espace, la réorientation vers
l’industrie d’une partie des crédits du CNES, et la création d’un fonds de
capital-risque public-privé dédié aux entreprises innovantes. Autant de pistes
de réflexion que nous retrouvons suggérées par les industriels dans
le présent dossier. Ainsi de la défense de la préférence européenne et du
principe de réciprocité par opposition à l’ouverture à la concurrence qui est
aujourd’hui de règle sur le marché institutionnel européen, de la mise en place
d’un comité de concertation de la politique spatiale (industriels et institutions
régaliennes), du développement d’une filière spatiale innovante incluant
davantage les PME, et – sujet évidemment sensible – de l’assouplissement, voire
de l’abandon, de la règle du juste retour géographique, jugée trop
onéreuse et anachronique,
au profit d’un renforcement de la compétition européenne.
Le moment est propice : ces recommandations – que l’on
retrouve au niveau politique à travers, pour prendre un exemple récent, la Stratégie spatiale française parue le 22
mars dernier (voir billet
précédent) – s’inscrivent dans un contexte particulier, celui de la
préparation de la ministérielle des Etats membres de l’ESA de novembre
prochain. Le rendez-vous est de fait stratégique : l’objectif est de
définir pour les cinq prochaines années à venir les grandes lignes budgétaires,
de même que l’avenir toujours indécis de la filière Ariane (sur lequel la France et l’Allemagne s’opposent,
avec pour principal arbitre Astrium) et le futur tout aussi important des grands programmes satellitaires.
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