Que tes morts revivent ! Que mes cadavres se relèvent !
Ésaïe 26:19
It goes by many names: “The Crisis,” “The Dark
Years,” “The Walking Plague,” as well as newer and more “hip” titles such as
“World War Z” or “Z War One.” I personally dislike this last moniker as it
implies an inevitable “Z War Two.” For me, it will always be “The Zombie War,”
and while many may protest the scientific accuracy of the word zombie, they will be hard-pressed to discover a more globally accepted
term for the creatures that almost caused our extinction. Zombie remains a devastating word, unrivaled in its power to conjure up
so many memories or emotions, and it is these memories, and emotions, that are
the subject of this book…
… au moment où le récit du narrateur commence, la fin
« officielle » (dite « Victory in China Day ») de la guerre
contre les morts-vivants n’a guère plus de dix ans. Bien que située dans un
futur proche, World War Z: An Oral
History of the Zombie War (2006), publiée
en France en 2009, décrit un monde très lointain... dans lequel des
millions de zombies continuent d’être actifs, parcourant le paysage géopolitique
transformé de la Terre. Jugez plutôt : Cuba est devenue non seulement une
démocratie mais également l’économie la plus dynamique de la planète et le
siège du capitalisme international. La Chine s’est elle aussi convertie aux
vertus de la démocratie après une guerre civile meurtrière et la mutinerie d’un
sous-marin nucléaire lanceur d’engins. Le Tibet, désormais indépendant, abrite
en son sein la ville la plus peuplée du globe, alors que la Russie, protégée
par un Etat théocratique expansionniste, a retrouvé identité et sécurité. La
Corée du Nord est plus que jamais un mystère. Quant à l’ONU, elle dirige les
opérations de maintien de la paix en éliminant les hordes de zombies des
régions encore infestées, tout en tuant ceux d’entre eux qui polluent nos mers
ou qui, gelés – l’Islande est ainsi passée au statut de pays le plus dangereux
de la planète – attendent les températures clémentes pour nous surprendre.
Construit à partir des témoignages des survivants de ces années
apocalyptiques que l’auteur-narrateur, en mission pour le compte de
l’ONU, a recueillis au fil de ses voyages, World
War Z est un ouvrage aussi intriguant que passionnant. L’univers est certes
alternatif. Il dégage pour autant un sentiment puissant de réalité tant les textes
sont cohérents et les personnages crédibles. Il est vrai que l’auteur, Max
Brooks, digne fils du génial
Mel Brooks, n’en est pas à son coup d’essai. En 2003, il avait ainsi écrit
un guide
de survie en territoire zombie, The
Zombie Survival Guide, produisant divers conseils en direction des citoyens
désireux de sauver et leur peau et leur cerveau.
Le succès commercial de cette chronique des années de guerre
contre Zack – l’expression utilisée pour désigner l’ennemi zombie – est
l’expression d’une popularité
du genre grandissante. Qu’il s’agisse de films, séries, chansons, jeux vidéos,
comic books, ou romans, il n’a jamais été aussi apprécié. Le zombie est également
un phénomène planétaire qui dépasse largement la culture américaine pour
embrasser toutes les nationalités. L’on pourrait balayer cette tendance
prétextant que le public est toujours avide de nouvelles étrangetés. Ce serait
cependant oublier que, selon Daniel Drezner, blogger sur Foreign Policy et auteur d’un Theories of International Politics and
Zombies (2010) – faisant de lui, si l’on en croit John Ikenberry,
l’équivalent pour les attaques zombies de ce que « Thucydide is to the Peloponnesian War – he is its great chronicler
» –, « Popular culture often
provides a window into the subliminal or unstated fears of citizens, and
zombies are no exception ».
Certes, les morts-vivants n’épuisent pas à eux seuls
l’ensemble du spectre paranormal aujourd’hui si particulièrement apprécié.
Contrairement aux vampires et autres créatures de la nuit toutefois,
scientifiques, docteurs et philosophes reconnaissent que des variations de
zombie peuvent exister dans le monde physique. Bien entendu, les possibilités
évoquées sont plus proches de la tradition haïtienne du « zombi »
comme individu esclave, que des goules dévorant les cadavres pour se régénérer
chers à l’imaginaire populaire occidental. Le phénomène des morts-vivants rend
cependant compte d’une plausibilité sinon certaine, du moins supérieure à celle
dont pourront jamais se prévaloir les histoires de vampires, fantômes, sorcières,
sorciers, ou autres.
Pour cause, la création d’un zombie ne nécessite pas forcément d’acte
surnaturel. Tout comme certains parasites existent dans
la nature, de même la fiction a-t-elle donné au phénomène zombie la définition
suivante, celle d’un être vivant biologiquement défini, occupant un hôte humain
et le poussant à se nourrir de chair humaine. Selon Drezner, trois postulats
doivent en outre être précisés : 1) les zombies se nourrissent exclusivement
d’êtres humains ; ils ne mangent pas d’autres zombies ; 2) ils ne
peuvent pas être tués, sauf à détruire leur cerveau : le fameux « double tap » ou encore
« headshot » ; 3) tout être humain mordu par un zombie deviendra
inévitablement un zombie. Pour nous dès lors, le zombie ne sera pas le
travailleur docile cher au vaudou mais l’amateur de cervelle qui représente une
menace pour l’humanité et un défi pour les relations internationales.
George Romero suggère dans Night of the Living Dead (1968)
une contamination d’origine extra-terrestre introduite sur Terre par une sonde
spatiale. Dans Dawn of the Dead (1978), l’origine privilégiée est surnaturelle
et incarnée par l’explication selon laquelle « When there’s no more room in hell, the dead will walk the earth ».
Pour la franchise Resident Evil et le roman World War Z, le responsable est au contraire un virus. Pour
certains, comme le film 28 Days Later, les zombies sont des
sprinters nés. Pour d’autres, ils sont des marathoniens traînant les pieds,
titubant, rampant parfois, mais, selon Brooks,
« incapable of running. The fastest have been observed to move at the rate of barely one step
per 1.5 seconds ». Cela
importe peu : plus l’incubation est lente, plus sa diffusion non détectée
sera grande et la réponse gouvernementale tardive ; plus elle est rapide,
plus il y aura de zombies, plus les gouvernements répondront vite. Quelles que
soient l’origine et les capacités, l’intrusion des morts-vivants dans le monde
globalisé des hommes ne manquera pas de produire un impact majeur. Aucun pays
ne sera à l’abri de la catastrophe.
Pour cette raison, le zombie est d’autant plus intéressant
que contrairement aux créatures paranormales qui peuplent notre imaginaire, il
n’y a pas de win-win envisageable. Sauf cas exceptionnel, comme dans Shaun of the Dead (2004), la coexistence pacifique entre
goules et humains n’est en effet pas possible. A en croire la littérature, ce
tout ou rien est beaucoup moins commun chez les vampires ou les sorciers. Si
certains essayent de dominer le monde, la plupart sont toutefois satisfaits de
leur sort, et donc enclins à se faire coopter dans les structures de pouvoir
existantes du moment que leur existence demeure cachée. Le zombie est différent. Pour reprendre les
mots de Drezner, « Zombie stories
end in one of two ways – the elimination/subjugation of all zombies, or the
eradication of humanity from the face of the earth ».
Surprise stratégique, le scenario du « jour des
morts-vivants » l’est donc certainement. L’intention hostile de
l’adversaire n’a en effet pour équivalent que l’impréparation des gouvernements
et de l’humanité en général. Au scepticisme de départ (jusqu’à présent, du
moins publiquement, seul l’Etat haïtien a
pris des mesures contre la zombification des individus ; sans doute poussé
par le succès de la série Walking Dead
et l’optimisme du film Contagion à son égard, notons que le
CDC
américain envisage désormais la menace), s’ajoute le fait que « Traditional tools of statecraft like nuclear
deterrence, economic sanctions, or diplomatic démarches would be of little use
against the living dead. Zombies crave human flesh, not
carrots or sticks. A deep knowledge of zombies – and the possible policy
response to zombies – is required in order to avoid both overactions and
underreactions ».
Dans World War Z, seuls Israël
et l’Afrique du Sud, car représentants d’une posture sécuritaire historique particulière, parviennent au prix de grands sacrifices à s’isoler du
monde et à sauver une portion de leur population. Les Etats-Unis, suivis en
cela par une grande partie du monde, préfèrent adopter une attitude
conservatrice incarnée par la bataille dite de Yonkers où l’armée
s’oppose aux hordes de morts-vivants avec des tactiques datant de la guerre
froide : « what if the enemy
can’t be shocked and awed? Not just won’t, but biologically
can’t! », « [Yonkers] proved the old adage that armies
perfect the art of fighting the last war just in time for the next one ».
Suite à l’arrêt des communications et au problème de la gestion des
réfugiés fuyant les régions infestées, certains pays succombent même à la
tentation nucléaire créant, au passage, la seule chose qui soit pire qu’une
armée de morts-vivants : une armée mutante radioactive de morts-vivants. Les
témoins passifs de l’apocalypse sont les astronautes de l’ISS que l’arrêt des
activités spatiales oblige à rester en orbite durant toute la durée du
conflit : tout en maintenant en bon état les satellites les plus utiles à
la survie humaine, et ce malgré des péripéties avec la Chine, ils sont les
seuls à s’autoriser une vision optimiste de long terme…
* - * - *
L’étude de la menace zombie n’est pas gratuite. Elle
constitue au contraire une tentative innovante permettant d’explorer
l’efficacité des réponses que nos différents gouvernements et sociétés apporteraient
lorsque placés dans une situation nouvelle, ici le cas fictif d’une épidémie…
zombie. A en croire Drezner,
« Zombies are the perfect twenty-first-century
threat: they are not well understood by serious analysts, they possess protean
capabilities, and the challenge they pose to states is very, very grave ». Beaucoup
ne s’y sont pas trompés puisque le livre – 20 000 versions vendues et une
seconde édition bientôt à paraître – a rapidement trouvé et son public
et bien sûr ses critiques. Pour résumer l’opinion d’une certaine frange de la
population IR habituée aux analyses plus critiques, ce n’est pas tant le ton
satirique, parfois facile, employé qui est visé, non pas davantage le sujet,
plus consensuel qu’il n’y paraît, que l’absence
d’ambitions de l’auteur. Celui-ci concentre en effet son attention sur le
« paradigme hégémonique » (réalisme, libéralisme, constructivisme)
sans en remettre en cause les postulats tenus pour acquis, exception faite
peut-être du stato-centrisme…
En fait les 3 postulats "zombi" me semble illogique pour une dissémination de la maladie.
RépondreSupprimerEn effet si le zombie a tendance à dévorer les humains ils suppriment le potentiel. Dans "28 heures après" on a un cas plus logique les zombies cherchent juste à contaminer les non-zombie via des morsures ou expectorations. Ce qui expliquerait une "explosion exponentielle" des cas. De plus dans le film la maladie zombie semble profiter de réservoir animaux (un corbeau contamine un humain).
Merci pour ce commentaire. L'illogisme que vous voyez n'est qu'apparent. Il disparaît si l'on tient compte du fait qu'il y a autant de variantes que de récits concernant l'origine, la nature ou la capacité du zombie.
RépondreSupprimerDans l'exemple employé dans le billet, celui développé par Max Brooks dans World War Z, la prolifération zombie est le résultat d'un virus qui ne se transmet que d'homme à homme (ou plutôt de zombie à humain) généralement par morsure. Les zombies peuvent se nourrir d'animaux, poissons, etc. mais ils agissent ainsi seulement par défaut. Il y a aussi une relation entre la lenteur relative du zombie et la durée d'incubation du virus : aussi, à moins d'être prise en piège d'une foule zombifiée, la victime d'une morsure peut facilement s'échapper ; elle cède au virus quelques jours plus tard et peut à son tour surprendre les humains qui l'entourent et qui ignorent tout de son état réel.
Tout cela importe cependant peu du point de vue de la thèse développée, celle selon laquelle l'allégorie zombie fait sens dans notre monde actuel : le récit fictionnel écrit au futur proche permet de mettre en lumière l'environnement socio-politique dans lequel nous évoluons. On peut évidemment critiquer... la suite dans quelques jours ! ;)
Bien cordialement,
Effectivement je me suis intéressé à un point de détail.
RépondreSupprimerL'allégorie zombie est l'image d'un phénomène si rapide et totale que l'intelligence et l'organisation mise en œuvre par l'humanité est complètement prise de cours sans pouvoir réagir. Ensuite dans les films (je n'ai pas encore lu Word War Z) on parle en général de la réaction d'un petit groupe.
On retrouve le principe dans le film "d'épidémie" tel que le moyen "Contagion" de 2011. Qui montre des réactions individuelles et collectives à un problème mondiale pouvant induire au moins la chute de la civilisation par la mort d'un nombre suffisant d'humain.
Je cite effectivement Contagion dans le billet, notamment pour son optimisme que j'avais analysé ailleurs. Un autre Blockbuster récent utilise le même élément scénaristique pour aboutir à une conclusion toute différente sur la résilience de l'humanité face à un virus, je fais bien sûr référence au dernier remake de la Planète des Singes !
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerVotre démarche est excellente car elle permet d’illustrer-aborder, par la projection horrifique-dystopique, les limites :
. des écoles de pensée stratégique ;
. et des dispositifs de réaction à la crise.
Le domaine fictif se prête assez bien à la projection no-limit, puisque c’est une divagation. Toutes les extrapolations y sont possibles, réduisant d’autant la stupeur en cas de surgissement de situation un tant soit peu similaire.
Mais.
Mais au-delà de cette démarche, sur l’idée d’une similarité-analogie, j’aurais une observation, qui tient sur l’idée de vouloir =retirer des enseignements= de ces situations. Le problème n’est pas qu’elles soient irréalistes, le problème, c’est qu’elles correspondent encore à cet « inconnu connu » si cher à D.Rumsfeld.
Un seul exemple : le film, le roman, le truc fictif, déploie une =intrigue=. Et là, à un moment situé au 2/3 du fil conducteur de la « surprise stratégique », badaboum, sur-surprise stratégique, le ressort ! L’ennemi a une tactique, et soudain tout s’éclaire : il pense collectivement, ou alors « il utilise la jungle pour se déplacer », ou encore il suit son capteur olfactif de la glanduline B, il a une boussole de pigeon dans la tête, un détecteur à barbaque dans son génome, un atavisme régional, bref, tout ce que vous voudrez aller retrouver dans 90% de la production fictive.
(à suivre, je suis trop bavard…)
(…me revoilivoilou, suite de mon bla bla)
RépondreSupprimerCe que je veux mettre en avant, c’est que la majeure part de ces constructions fictives font soudain apparaître chez le protagoniste défenseur (nous) une meilleure compréhension du mode de fonctionnement de l’assaillant (eux).
Même l’horreur la plus grande devient soudain rationalisée dans son mécanisme, et on comprend que la croissance géométrique ou exponentielle des pertes obéit à une loi quelconque.
Et, paradoxalement, la courbe mathématisée de l’extinction des défenseurs, par ce côté rationnel, comporte une part rassurante, car on a postulé, il y a longtemps, que le pire serait de ne pas savoir.
Bon, c’est sûr qu’un film qui vous ficherait les jetons à manifester du danger sans explication ni rationalité ne ferait pas grande recette (et je ne parle pas de la médiocrité de scénari inaboutis ou trop minces, je parle bien du « shock and awe » que procure l’incompréhension totale).
Donc nos productions fictives sont limitées par ce critère de pur bon sens commercial. Un film qui ne saurait pas répondre, d’une manière ou d’une autre, à « pourquoi ? » ou au moins à « comment » n’est pas promis à la réussite. Il en existe, mais justement ils n’intéressent que des publics quantitativement marginaux.
Donc, foutaise et danger que de continuer à (r)assurer un monde en le fichant en équations et en mécanismes intelligibles.
Poussons plus loin votre exercice, et n’hésitons pas à éliminer l’aspect rationel de certaines menaces.
« les zombis sont cons, si ils mangent tout le monde, ils feront quoi à la fin ? »
Ben, s’ils sont si cons, ils disparaîtront, aussi.
Et ils vont le faire : et tout bouffer, et disparaître ensuite.
Donc il s’agirait de dégager la stratégie de tout imbécile anthropocentrisme systématique.
Le « swarm » entomologique obéira à une forme d’intelligence collective, qui ne mutera pas nécessairement pour faire plaisir au scénariste et à notre fascination de nous-mêmes ; le virus obéira à un mécanisme systémique qui pourra évoluer, mais sans marquer d’intentionalité envers les hôtes et les modes de diffusion ; les supervolcans exploseront et raseront des demi-continents sans avoir la moindre idée de ce qu’est une centrale nucléaire au refroidissement rompu.
La stratégie d’opportunité entre également en compte (cf certains billets de S.Taillat).
Votre illustration par le zombi pourrait être un excellent pivot entre la stratégie emportant intentionnalité et les stratégies prenant en compte des mécanismes complexes et/ou d’échelle suprahumaine.
Le support fictionnel commercial est un bon point de départ.
Mais il faudrait l’étoffer, et vraiment ne pas prendre le reflet de la fiction pour une projection stratégiquement suffisante, mutatis mutandis, d’une réalité incertaine.
Appliquons un facteur de sécurité : think « awful » and wait for even worse !
Dans combien de scénarios j’ai postulé la destruction d’1 ou 2 étages du WTC au pentrite… Le 11 septembre j’ai été frappé de stupeur, et le cyclage médiatique infini n’était pour rien dans cette hébétude : le niveau d’échelle de la destruction dans cet immeuble surpassait mes matrices de projection stratégique.
Bon, avec un tel propos, j’ai tout et je n’ai rien dit.
Mais je voulais le dire.
;)
En ce sens, et plus sérieusement, merci d'avoir choisi de permettre les commentaires.
Colin./.
Et vous avez bien fait : merci pour ce message et pour votre intérêt. Les quelques éléments développés dans ces "billets de l'été" ont un objectif limité, introductif pourrais-je dire. Mais en effet le but est à terme plus ambitieux. De ce point de vue, je ne manquerai pas de prendre vos conseils de réflexion en compte !
RépondreSupprimerAprès quelques jours d'absence, j'ajoute que la suite de ce billet est enfin disponible ici sur ce blog. Il ne s'agit une nouvelle fois que d'offrir une modeste illustration des "inconnus inconnus" et de la Loi de Murphy/Corollaire Finagle sous l'angle de la culture populaire. En souhaitant qu'il soit lui aussi apprécié pour ce qu'il est...
Bien à vous,
G.P