… nous devons nous attendre à des surprises stratégiques, matérialisées par l’ampleur des violences ou des tentatives de blocage du fonctionnement normal de nos sociétés, là où nos moyens militaires ou de sécurité ne les attendent pas habituellement. L’interruption des flux de biens, de personnes, de richesses, ou encore d’informations, qui innervent aujourd’hui la vie nationale et internationale, peut prendre des formes imprévues et provoquer des retours en arrière inattendus dans telle ou telle partie du monde, y compris en Europe.
The lesson is that we should learn to expect to be surprised. The limits of intelligence—of both human intellect and the products of our government’s intelligence agencies—are a reality that should make us all humble. We need to be confident but also intellectually flexible to alter course as required. Being prepared for the unknown and agile enough to respond to the unforeseen is the essence of strategy.
Répondant à la demande du ministre de la Défense d’alors, Alain
Juppé, l’allié Egéa s’était lancé courageusement en 2011 dans
l’étude de neuf
« possibles », « neuf
autres surprises stratégiques qui peuvent advenir dans la décennie ». Mon
défi sera pour ma part plus modeste. Prétexte à l’analyse
« non-sérieuse » des relations internationales, il se voudra aussi plus
décalé, dans la continuité du billet
de l’été que je réintroduis cette année.
1) Contexte n°1 :
Les « inconnus inconnus »
Nous avons tous à l’esprit cette fameuse conférence de
presse de 2002 durant laquelle Donald Rumsfeld donna l’énoncé philosophique
suivant :
… there are known knowns: there are things we know we know. We also know there are known unknowns: that is to say we know there are some things [we know] we do not know. But there are also unknown unknowns—the ones we don’t know we don’t know. And if one looks throughout the history of our country and other free countries, it is the latter category that tends to be the difficult one.
2) Contexte
n°2 : Vous avez dit « surprise stratégique » ?
Après cette présentation, il est sans doute utile de rappeler
quelques éléments supplémentaires de définition. A partir des efforts de
conceptualisation qui se sont déroulés à l’intérieur de la blogosphère
française l’année passée, voici donc ce que nous croyons pouvoir noter :
Pour Olivier
Kempf, toute scénarisation d’une « surprise stratégique » doit
prendre en compte 1) la plausibilité (des données objectives, des faits et des
situations observables dès à présent sur lesquelles il est possible
d’extrapoler), 2) un caractère surprenant (venant heurter le sens commun). Sur
la surprise, peu de chose à dire. Sur l’élément stratégique, beaucoup
plus : une surprise peut être considérée comme stratégique à partir du
moment où elle vient modifier les conditions de la décision stratégique (cela
peut dépendre de l’innovation, ou d’un changement environnemental, etc.). Le
cas du Japon
illustre cela.
Pour Corentin
Brustlein, auteur de « La
surprise stratégique. De la notion aux implications », Focus n°10, IFRI, le tsunami
japonais et la catastrophe nucléaire qui en a résulté ont, certes une portée
géopolitique, mais aucune répercussion stratégique. A l’évidence, c’est la
présence ou non de l’intention hostile qui change tout :
On dira d’une surprise qu’elle est stratégique non seulement en raison de sa portée majeure, mais également et uniquement si celle-ci résulte d’un acte hostile de l’adversaire. […] une surprise stratégique peut être entendue comme la situation de choc ou de sidération psychologique et organisationnel(le) résultant d’une action offensive adverse, révélant une impréparation relative de la victime et lui imposant d’ajuster les moyens, voire les objectifs, de sa posture stratégique.
Dans cette perspective, la surprise stratégique devient le
produit d’une négligence et d’une « misperception » de la réalité
dont le « surprenant » pourra prendre avantage le cas échéant,
conduisant alors le « surpris » à revoir ses attentes sous l’effet du
choc. Le concept de « surprise stratégique » incarne ainsi l’idée
d’une menace mal ou non anticipée frappant un Etat de manière inattendue et
ébranlant ses conceptions stratégiques.
3) Conclusion
Dans le cadre purement ad
hoc que je veux donner à ma série, l’analyse de la « surprise
stratégique » entretiendra avec le « plausible » une relation
large, souple et ouverte à l’imagination. Contrairement au
« possible » qui spécifie ce quelque chose qui peut arriver. Le « plausible » implique une hypothèse ou
un énoncé à l’apparence logique susceptible d’être vérifié (ou non). Pour
exemple, le Livre Blanc précise que « L’hypothèse la plus grave actuellement identifiée
est celle d’une attaque terroriste majeure sur le territoire européen,
utilisant des moyens non conventionnels, de type nucléaire, chimique ou
biologique, couplée à une situation de guerre dans l’une des zones d’intérêt
stratégique pour l’Europe ». Pour le lecteur de ce blog prêt à pousser
à l’extrême la théorie des « inconnus » de Rumsfeld, l’avenir sera
probablement tout autre…
… à suivre
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