You’re judging me on things I haven’t even done
yet. Jesus.
How were we supposed to know?
Dyson, in
Terminator 2: Judgment Day
Entre Robopocalypse
et World War Z, la comparaison est à première vue inévitable. Elle
semble en effet justifiée à plus d’un titre tant l’auteur, Daniel H. Wilson, apparaît
être aux robots ce que Max Brooks est aux zombies. Tout comme ce dernier, Wilson, par ailleurs docteur en
robotique, est l’auteur d’ouvrages satiriques à succès tels que How
to Survive a Robot Uprising: Tips on Defending Yourself Against the Coming
Rebellion (2005) et How
to Build a Robot Army: Tips on Defending Planet Earth Against Alien Invaders,
Ninjas, and Zombies (2007). Tout
comme Brooks, dont l’adaptation du livre au cinéma – avec Brad Pitt en tête d’affiche – est
prévue pour 2013, son roman robopocalyptique a suscité l’attention et l’appétit
d’Hollywood et de sa plus célèbre incarnation, Steven Spielberg qui a
annoncé une sortie pour 2014. De manière beaucoup plus significative, la
construction narrative employée renforce cette impression de parenté, le récit
de la guerre contre « Rob » (l’équivalent robot du « Zack »
utilisé par Brooks) étant une succession d’histoires racontées du point de vue
de plusieurs personnages à divers endroits du monde à travers la bouche du
narrateur-acteur-historien (l’histoire est écrite par les vainqueurs !) Wallace
Cormac dans un monde post-apocalyptique dans lequel la menace robot s’est
dissipée. De manière plus anecdotique, le rapprochement est d’autant plus aisé
que la chronique de cette « New War », comme l’appellent les
protagonistes, est rendue possible par la diffusion d’un virus qui infecte non
plus le corps humain mais l’électronique de notre quotidien : robots domestiques,
voitures intelligentes et jouets deviennent ainsi en quelques instants des
engins de destruction sans pitié.
Ça a débuté comme
ça… le « robopocalypse » a été déclenché par un superordinateur
intelligent cousin de Skynet, Archos, qui, quelques minutes seulement après sa
« naissance », informe calmement son créateur que l’humanité a joué
son rôle dans la grande histoire de l’évolution et qu’il ne lui reste plus
qu’à disparaître :
You humans are biological machines designed to create ever more intelligent tools. You have reached the pinnacle of your species. All your ancestors’ lives, the rise and fall of your nations, every pink and squirming baby – they have all led you here, to this moment, where you have fulfilled the destiny of humankind and created your successor. You have expired. You have accomplished what you were designed to do.
… une thèse qu’il défend face à l’humanité dans sa
globalité, ici incarnée par différents
personnages qui, de la sénatrice américaine et de ses enfants, au soldat
américain stationné en Afghanistan – oui, les Etats-Unis y sont toujours – en
passant par le robot-geek japonais, le guérillero Cormac Wallace ou encore un
hacker londonien, sont témoins du soulèvement des machines (la fameuse
« Heure Zéro ») et de ce qui s’ensuit : la déportation et
l’assassinat méthodique de masse de l’espèce humaine, les expérimentations de
« Rob », les réfugiés, la résistance dans les cités, la longue marche
vers la liberté, etc.
Telle est aussi la
tragédie de Robopocalypse tant il apparaîtra approprié au lecteur de
rechercher les promesses offertes par World War Z. Or Wilson n’a ni le
talent narratif ni l’imagination de Max Brooks. L’absence de profondeur des
personnages n’explique pas tout. De notre point de vue, la plus grande
déception est l’absence du politique. Il n’y a simplement rien sur
comment les sociétés, les institutions et les acteurs politiques ont répondu
et/ou favorisé l’éclatement de la guerre totale des machines contre l’humanité
à « l’heure zéro ». Autant World War Z offrait une véritable
perspective globale à la mesure du défi posé par la menace pandémique zombie,
autant l’ouvrage de Wilson se réduit à l’étude de principalement trois pays
(les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Japon) plus quelques régions exotiques
(comme l’Afghanistan, mais le point de vue reste américain) sans d’ailleurs
fournir d’explications quant à leurs relations, voire, de manière plus
étonnante encore, sur la façon avec laquelle ils communiquent et coordonnent
leurs efforts. Comme l’écrit Charli
Carpenter, « Who would have thought a book about a zombie plague would
have seemed realistic by comparison? ». « Wilson’s imaginary Earth
seems less like a commentary on our own culture and more like a strange and
surreal fantasy. In short, it fails precisely where World War Z or TIPZ [Theories
of International Politics and Zombies, voir billet précédent] succeeded
– at portraying the world largely as it is, plus zombies. »
C’est d’autant plus
dommage que l’occasion était belle : l’allégorie robot et cyborg offre en
effet des possibilités réellement infinies loin du manichéisme de l’univers
zombie. Une richesse que la série Battlestar Gallactica deuxième du nom illustre parfaitement. Quant au mythique Terminator, il convient
de noter qu’il est non seulement le seul robot à entrer dans le Top 100 des
plus grands personnages du cinéma, mais qu’il figure également dans les deux
catégories : celle des plus grands « méchants », comme celle des
« gentils ». Pour cette raison, si l’approche « in the
box » explicitement choisie par Dan Drezner ne se voulait être qu’un
reflet particulièrement sage des RI (précisément un texte court
pédagogique apprécié par les élèves et leurs professeurs), l’utilisation de la
culture populaire peut aussi conduire à un résultat opposé, soit la remise en
cause des postulats tenus pour acquis, la transgression des frontières
mentales, et l’ouverture des Relations internationales sur un mode de pensée
nouveau. Sans être un équivalent parfait, Wired for War: The Robotics
Revolution and Conflict in the 21st Century (2009) offre ainsi des réflexions innovantes sur l’état des relations
internationales. L’objectif a beau être différent, la méthode reste la même. Comme
l’explique l’auteur, P. W. Singer, chercheur à la Brookings Institution,
« the topic I am wrestling with is located where warfare, history,
politics, science, business, technology, and popular culture all come together
».
Là où la métaphore zombie ne montre, en général, qu’une lutte opposant l’humanité
à une masse sub-humaine plus ou moins stupide, le cyborg nous parle d’un monde
en transformation dans lequel la mixité, l’hybridité, et l’ambiguïté constituent
autant de concepts clés. Ce genre de réflexion convient mal à un mode de pensée, positiviste dirons-nous, élaboré à partir des trois courants traditionnels de relations internationales.
Et pour cause, à lire Singer, « History may look back at this
period as notable for the simultaneous loss of the state’s roughly
400-year-old monopoly over which groups could go to war and humankind’s loss of
its roughly 5,000-year-old monopoly over who could fight in these wars ». Ce n’est en effet plus seulement l’Etat en
tant qu’acteur principal des RI mais l’homme lui-même dont il faut remettre en
cause la centralité. De même que certains redécouvrent l’œuvre de Philip K.
Dick, y compris à travers ses avatars cinématographiques (de Blade Runner,
1982, de Ridley Scott, à Total Recall, 1990, de Paul Verhoeven), et que
d’autres s’interrogent sur la mesure dans laquelle les aspects cyborg de la
guerre moderne permettent aux femmes « de se battre comme des
hommes », de même faisons-nous une utilisation de plus en plus grande
d’Internet et des médias sociaux, alors que nos allégeances nationales
complètent d’autres identités (comment qualifier l’être interconnecté ?),
et que l’on commence à mélanger tissus humains et électroniques pour améliorer nos
capacités (combien d’éléments artificiels pouvons-nous ajouter à un corps
humain avant que celui-ci ne devienne cyborg ?, s’agit-il d’une bonne ou
d’une mauvaise chose ?). Bref, savoir qui nous sommes, voire ce que
signifie être un être humain, est une interrogation à la fois très actuelle et
très moderne.
Malheureusement
pour nous, les humains du roman de Daniel Wilson n’ont qu’une seule identité,
celle négative de « non-machine ». Les tensions entre groupes humains
concurrents – inhérentes aux histoires de zombies, de The Walking Dead à
28 Days Later – sont négligeables. Dans un tel monde, la construction
d’alliances est en effet aisée : combattre « Rob ». L’avènement
du premier être cyborg ne change rien à la donne. Dans le livre, le
« cyborgisme » est infligé par Archos aux humains lors
d’expérimentations cruelles. Mais l’opération est loin de bénéficier au camp
robot, la plupart des victimes parvenant curieusement, et à préserver leur identité
humaine originelle, et à être rapidement réintégrées au sein de leur espèce originelle. Il
n’existe en effet aucun niveau intermédiaire ; pas d’allégeances, de
stratégies ou de tactiques non plus qui différencient les humains entre eux. Le
paradoxe est que l’ouvrage de Brooks – a priori plus à même de développer un
univers en N&B – offre de ce point de vue une humanité plus diverse.
L’exemple qui vient à l’esprit est celui des Quisling, ces
humains traumatisés qui se comportent comme des morts-vivants aussi bien avec
les leurs qu’avec ceux qu’ils cherchent à imiter. Le factionnalisme qui émerge
dans le camp robot est une trouvaille aussi originale qu’intéressante. Elle
n’est pas toutefois suffisamment explorée et se révèle être, une nouvelle fois,
une occasion manquée. Wilson connaît pourtant son sujet ; comme l’écrit Glen
Wilson, « You can’t say the guy hasn’t taken the dictum "write
what you know" to heart ». L’accent mis sur la dépendance humaine à l’égard de la technologie, et
donc la vulnérabilité tant matérielle que psychologique de l’humanité, suscitera
inévitablement l’intérêt du lecteur. Wilson explore ainsi les liens entre
robotique et sexe, de même que les liens émotionnels puissants qui peuvent
relier un humain avec ses objets électroniques. Toutefois, il n’est pas non
plus directement question du débat concernant le développement de robot
autonome, et ce malgré le fait que intelligence artificielle et machine tueuse
se rapprochent de plus en plus. Dans le futur proche décrit par Wilson, les
robots autonomes militaires les plus utilisés ne sont pas armés. Ils
ressemblent davantage à des C3-PO, des « robots protocolaires »
placés à l’interface entre les militaires et les insurgés/indigènes et chargés
d’absorber les frustrations sans jamais retourner l’insulte ou la violence… du
moins pas avant d’être rendu amok par le virus déclenché par Archos. L’idée est
extrêmement séduisante, mais notre univers, incarné aujourd’hui par les PackBot,
Predator, Global Hawk, MARCBOT, TALON, SWORDS ou autres warbots, témoigne d’une réalité plus terrible encore.
A lire P. W. Singer,
l’on comprend combien l’interface humain-machine est importante. En entraînant
un changement d’environnement identitaire, c’est en effet une nouvelle réalité
qui est créée. L’apparition de la guerre à distance interroge autant pour ses
impacts du point de vue institutionnel (la possibilité de faire la guerre à
moindre frais – sans payer l’impôt du sang – sans que le décideur ait de compte
à rendre avec la population), que pour ses conséquences psychologiques
(l’apparition du « cubicle warrior » qui « va à la
guerre » la journée et rentre chez lui dans sa famille le soir, et de ses
soldats qui nouent des liens émotionnels avec leurs robots), démographiques (la
disparition du soldat spécialisé et très expérimenté au profit du militaire
formé aux jeux vidéos et devenu vétéran en quelques dizaines d’heures seulement, de même que l’apparition de contractuels civils chargés
d’assurer la maintenance technique sur place là où le danger
« physique » existe en contradiction avec le danger
« virtuel » auquel les pilotes restés au pays sont confrontés) et éthiques (la question de la responsabilité, qu’accentuent la
vidéoludisation de la guerre et à terme l’élimination de la variable humaine de
la boucle de décision).
*- * - *
Bien que tous les deux populaires, à l’image plus
généralement de la littérature apocalyptique, l’être
artificiel, mélange d’électronique et de métal, est plus à la mode que la
créature de la nuit. Malgré une peur primitive bien réelle, la menace zombie
paraît absurde. En cela, son utilisation allégorique autorise une relative
créativité dont témoigne en partie l’ouvrage de Daniel Drezner cité dans le
billet précédent. La métaphore robotique est selon nous différente mais tout
aussi puissante. Le fait est que, singularité oblige, la menace cyborg est
considérée par beaucoup comme quelque chose de presque palpable. Le soulèvement
des machines occupe un horizon vraisemblable. Elle présente ainsi l’avantage
d’être inscrite dans le réel :
Right now, we refer to these systems as "unmanned" or "artificial," calling them by what they are not […]. This is not only because we can’t yet conceptualize exactly what these technologies are and what they can do. It is also because their nonhumanity sums up their difference from all previous weapons. It is why their effect on war and politics is beginning to play out in such a new and revolutionary manner […]. Because they are not human, these new technologies are being used in ways that were impossible before. Because they are not human, these new technologies have capabilities that were impossible before. And, because they are not human, these new technologies are creating new dilemmas and problems, as well as complicating old ones, in a manner and pace that was impossible before.
Selon l’auteur de Wired
for War, quatre postulats conditionnent l’avènement du robopocalypse et
constituent au moins sur le court terme autant d’obstacles :
1) Les robots sont indépendants, ils sont capables de produire leur propre énergie, de se réparer et de se reproduire en totale autonomie ;
2) Les machines sont plus intelligentes que les êtres humains, mais ne possèdent aucune des qualités positives qui caractérisent ces derniers (empathie, etc.) ;
3) Elles sont malgré tout capables d’exprimer un instinct de survie et un désir de domination et de contrôle de leur environnement ;
4) L’humanité n’a absolument aucun contrôle sur la prise de décision robotique.
L’enjeu n’est pas seulement le comportement du robot
lui-même, il concerne aussi bien l’éthique du scientifique fabriquant la
machine, que celle du militaire et du politique qui en financent la création et
en déterminent l’utilisation. Les Lois d’Asimov constituent un idéal dont la
moindre limite se trouve être son caractère fictionnel. D’autres univers
parallèles imaginaires ont fait le choix du néo-luddisme, qu’il s’agisse de Star Wars ou de la série Dune : dans ces récits, l’homme
utilise des robots intelligents pour faire la guerre mais choisit finalement de
les bannir et d’en interdire le développement…
*- * - *
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