lundi 15 octobre 2012

Des surprises stratégiques (4) Réflexions d'étape, plus que conclusion

Longtemps l’humanité a interrogé la nature afin qu’elle lui révèle les intentions des dieux. Parce que celles-ci étaient inscrites dans les étoiles, le vol des oiseaux ou les entrailles des animaux sacrifiés, grand ou petit, général ou simple berger, personne n’hésitait à consulter les prêtres, devins et autres haruspices. Le règne de la Raison a mis un terme à cela. Reste que les actions humaines sont toujours gouvernées par les passions. Anticiper l’avenir, c’est dès lors multiplier les grilles d’analyse : utiliser l’imagination et l’ensemble des supports qui la véhiculent, comprendre les différentes visions du monde et l’importance des perceptions, bref penser l’irrationnel sans délaisser pour autant les outils de la raison…

Arrivé au terme de la deuxième saison des « billets de l’été », que l’on me permette donc d’exprimer quelques réflexions d’étape et éléments nouveaux…

Concernant l’utilisation du support fictionnel commercial et de l’anticipation romanesque, quatre méthodes, parfois non exclusives l’une de l’autre, peuvent être distinguées :
1) Une première approche consiste à voir dans la culture populaire la cause ou le résultat de la politique internationale, elle fait partie du processus politique et nécessite dès lors une analyse classique (étude de la causalité, importance de la variable, etc.) ;
2) Une autre approche perçoit la culture populaire comme le reflet des relations internationales et des théories des RI et lui accorde donc une valeur illustrative et explicative. La méthode est ici explicitement pédagogique et analogique. C’est principalement ce qui a été tenté ces dernières semaines sur ce blog.
3) La culture populaire peut aussi être vue comme une donnée à part entière, significative parce qu’elle trahit – à voir si l’indicateur est pertinent ou non – des normes, des croyances ou des identités.
4) Une dernière approche, plus critique, peut être identifiée : celle qui se focalise sur les interactions entre la culture populaire et les autres représentations de la politique internationale, et leur importance du point de vue de la compréhension du processus général.
Dans ces conditions, la question est aussi bien de savoir en quoi ces exercices allégoriques sont utiles pour illustrer et approfondir des paradigmes et courants existants, que de demander pourquoi de tels scénarios – i.e. apocalyptiques – existent à la base. De fait, le jour des morts-vivants et le soulèvement des machines ne sont que les ultimes avatars d’une longue tradition SF : le mode de pensée est d’autant plus familier qu’il est porteur d’un héritage séculaire. Au moins pour l’Occident, en particulier l’Amérique, nous distinguons quatre moments : 1) les théories des guerres raciales, en premier lieu la peur du « péril jaune » (magnifiquement illustrées par le roman de science fiction The Unparalleled Invasion de l’écrivain Jack London) ; 2) les théories de la guerre nucléaire et de la dissuasion (pour la première fois représentées dans différents écrits de l’entre-deux-guerres et de l’immédiat après-guerre, de H. G. Wells à Robert A. Heinlein, puis repris – comme vous savez – par le cinéma de la guerre froide) ; 3) parallèlement ou alternativement selon les périodes, le néo-malthusianisme ; 4) beaucoup plus récent, encore qu’une reprise d’un discours ancien, le choc des civilisations…

Enfin, je profite de l’occasion pour confirmer une tendance : le genre apocalyptique est plus que jamais à la mode cette année, un constat d’autant plus intéressant pour l’auteur et les lecteurs de ce blog que les relations internationales ne sont pas oubliées !

1) J’ai déjà parlé de la série produite par AMC et inspirée par les comic books du même nom, The Walking Dead qui entame cette année une troisième saison. Le principal intérêt de cette fiction est qu’elle ne focalise pas sur le « pourquoi » : un personnage peut exprimer des interrogations, un autre peut donner son opinion (métaphysique le plus souvent), rien n’est cependant tranché car là n’est pas l’essentiel.


2) La série Homeland de Showtime refait aussi une apparition avec une deuxième saison. L’apocalypse a ici moins le sens de catastrophe violente et soudaine, bien qu’elle pourrait prendre cette tournure si les scénaristes se laissent convaincre, que de « dévoilement » : la guerre contre le terrorisme en révèle plus sur la démocratie américaine que sur l’adversaire lui-même. Nouveauté : la question ne porte pas tant sur la torture (une problématique illustrée par la série 24) que sur la légitimité des attaques de drones (responsabilité, opacité du processus de décision, proportionnalité, discrimination, etc.).


3) A cela viennent s’ajoutent deux nouvelles séries inédites. La première, produite par NBC et réalisée – au moins pour l’épisode pilote – par Jon Favreau (Iron Man), est intitulée Revolution. Etrangement proche de Ravage (1943) de René Barjavel par certains aspects (sans qu’il soit bien sûr question de « retour à la terre » purificateur), la série nous amène dans un monde post-apocalyptique dans lequel, l’électricité ayant disparu, l’humanité est du jour au lendemain ramenée à l’âge de pierre. Apparemment incapable d’exister sans batterie ou d’inventer des technologies alternatives (du type vapeur), les gouvernements et les nations disparaissent, laissant la place au chaos et à l’anarchie hobbesienne : devenue « solitary, poor, nasty, brutish and short » la vie humaine se polarise avec des communautés agraires qui survivent tant bien que mal face à des milices autoritaires issues des restes des armées nationales (ici l’U.S. Army) tentant de monopoliser le pouvoir légitime à leur profit.


4) La seconde série est plus convaincante, même si le show d’ABC n’échappe pas non plus à certaines faiblesses de taille. Last Resort, car c’est son nom, part du constat selon lequel l’Amérique ne trouvant pas d’adversaire à sa mesure (seuls les Aliens, d’Independence Day à Battleship en passant par Battle Los Angeles, ont jusqu’à présent eu cet honneur) n’a d’autre choix que de se retourner contre elle-même. L’opportunité lui est offerte lorsque le sous-marin nucléaire lanceur d’engins USS Colorado refuse de lancer le feu nucléaire sur le Pakistan pour cause de procédure suspicieuse, est déclaré ennemi par Washington et se voit contraint d’affronter l’USN lancée à ses trousses. Mais rapidement Last Resort délaisse le monde sous-marin et les références faciles à Crimson Tide  (frapper ou attendre confirmation de l’ordre de tir) et A la poursuite d’Octobre rouge (technologie furtive) pour la surface des relations internationales. A voir les premiers épisodes, trois thèmes sont notamment développés :
- Le premier point porte sur la dissuasion, à savoir comment un vaisseau parvient à retenir le bras tout puissant des Etats-Unis : le capitaine Marcus Chaplin (Andre Braugher) explique à son second que pour convaincre les forces américaines de ne pas attaquer le sous-marin il doit apparaître « a little crazy », en menaçant au besoin son propre pays (la capitale Washington) de représailles massives.
- Le second concerne les relations civil-militaire : le fait qu’un ordre de tir ait été délibérément ignoré par les officiers n’est pas sans créer certaines tensions au sein de l’équipage, voire un risque de scission et de mutinerie, et pose à terme un problème de confiance. C’est ainsi que l’autorité du capitaine est directement concurrencée par le COB joué par Robert Patrick (Terminator 2).
- Le troisième et dernier point clôt le champ des possibilités, au conflit nucléaire se surajoute en effet une problématique de type contre-insurrectionnel : fraîchement débarqués sur une île habitée de l’océan Indien, le capitaine et l’équipage sont forcés de se départir de leurs calculs olympiens (la dissuasion nucléaire) pour prendre en compte les réalités locales (une lutte de pouvoir sur fond de prise d’otage et de trafic), chose à laquelle ils n’ont jamais été préparés.

... De la Terre à la Lune ne pouvait pas passer à côté de l’exploit de la semaine du stratonaute Felix Baumgartner : l’homme qui a sauté à 39 km d'altitude.

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