Plus que de coutume, cette semaine
était l’occasion aux Etats-Unis de discuter politique et stratégies spatiales.
Alors que l’attention du public était fixée sur la conférence
californienne de l’AGU, l’intérêt pour
l’événement ayant été excité par les spéculations récentes autour des
découvertes martiennes du rover Curiosity, plusieurs experts discutaient à
Washington de politique spatiale, de ce que la NASA allait (ou devrait)
entreprendre ou non.
1) Lundi, ainsi, Secure World Foundation organisait une discussion sur « Space Policy Challenges Facing the Second Obama Administration ». Et en effet, ce ne sont pas les défis qui manquent. De la situation budgétaire après le 2010 Authorization Act alors que les relations entre l’Exécutif et le Congrès ne sont pas très bonnes : selon Marcia Smith de SpacePolicyOnline.com, « I don’t know if we’re looking at a train wreck that’s going to happen in the next year or two, or if we’re just going to end up stretching out programs ». De l’adaptation de la bureaucratie, NASA, Pentagone et USAF, à cette nouvelle donne et surtout de l’avenir de la réforme du contrôle des exportations (ITAR). De la façon avec laquelle les Etats-Unis perçoivent et interagissent avec la Chine. Ou encore du futur incertain du code de conduite malgré le soutien de l’administration Obama.
2) Mardi, c’était au tour de la Space Foundation de présenter au Congrès son dernier rapport intitulé « Pioneering : Sustaining U.S. Leadership in Space ». Le document de 70 pages, rédigé à partir d’entretiens de près de « 100 senior leaders », contient toute une série de recommandations pour la NASA et en premier lieu l’idée que l’agence spatiale devrait concentrer ses activités sur ce qui la définit le mieux : l’exploration du système solaire, et laisser le reste – le circumterrestre – aux autres organisations gouvernementales voire au secteur commercial. Tel est le sens du mot « pioneering », soit selon la Space Foundation, être le premier à entrer dans une nouvelle région et y développer les infrastructures nécessaires à l’arrivée des autres, quatre phases définissant alors le paradigme : accès (étendre les activités logistiques d’allées et venues), exploration (comprendre les risques et opportunités associés à la région), utilisation (utiliser la connaissance théorique acquise dans la phase précédente pour des objectifs pratiques autres), et transition (passer le relais à d’autres et recommencer le cycle ailleurs). Rien à voir avec la colonisation de l’espace selon les auteurs : l’objectif pionnier est avant tout d’étendre la sphère d’influence de l’humanité aux étoiles. De même que le fond des océans fait aujourd’hui partie de la sphère d’influence humaine, grâce à l’utilisation des robots, de même la NASA devrait-elle soutenir une présence ailleurs dans le système solaire.
3) Mercredi, le National Research Council (NRC) a à son tour remis son rapport sur « NASA’s Strategic Direction » au Congrès américain. Pour les membres du comité, l’objectif n’était pas de donner un avis sur ce que la NASA devrait faire, mais davantage d’évaluer la stratégie actuelle. Or cerner celle-ci est difficile : les documents existants, publiés en 2011, ne constituent pas une stratégie en soi aux dires du comité. Le problème est que « There is no national consensus on strategic goals and objectives for NASA ». La mission d’exploration d’un astéroïde en 2025 n’est ainsi pas bien comprise et ne fait pas consensus y compris au sein de la NASA. Les tentatives de justification de l’agence américaine en disent long : utiliser l’ISS, développer le SLS/Orion, soutenir le spatial commercial en LEO, investir dans les technologies de demain, financer des missions scientifiques comme le JWST, inspirer les futurs leaders, etc., bref pour Marcia Smith, « If it takes you that many phrases to explain it, then you do not have a crisp, clear strategic vision ». Cette réalité est néfaste pour le programme spatial américain dans son ensemble : selon le document, « Absent such a consensus, NASA cannot reasonably be expected to develop enduring strategic priorities for the purpose of resource allocation and planning ». En effet, « If the United States is to continue to maintain international leadership in space, it must have a steady, bold, scientifically justifiable space program in which other countries want to participate, and, moreover, it must behave as a reliable partner ».
Il est trop tôt pour dire quel impact ces
différents documents auront dans la Beltway
washingtonienne, de Capitol Hill à l’administration Obama reconduite pour un
second mandat. Reste que cette inflation comitologique, qui aurait d’ailleurs
pu aller plus loin si le Committee on Science, Space and Technology de la
Chambre des représentants avait organisé, comme il en avait l’intention à
l’origine, une séance ce jeudi autour du « Future
of NASA : Perspectives on Strategic Vision for America’s Space Program »,
est bien le signe que les prochains mois pourraient amener de profonds
changements dans le programme spatial américain. A moins que ce ne soit
l’inverse : il est bien connu que lorsqu’il n’y a pas d’argent, il demeure
l’apparence du débat, cela occupe et cela fait passer le temps.
A noter que pour commémorer le 50e
anniversaire de la première mission interplanétaire, Mariner 2 en l’occurrence,
le NASA History Program Office, avec l’aide du National Air and Space Museum, du NASA Science Mission
Directorate et du Jet Propulsion Laboratory, a accueilli un très intéressant symposium
sur l’exploration du système solaire. Intégralement
filmée, la conférence, disponible ici,
vaut la peine d’être visionnée – les prestigieux intervenants qui y participent
est déjà en soi un gage de qualité.
Il faut ajouter que ces documents viennent
à point nommé alors que le spatial civil américain fait face à d’importantes
rebuffades : du budget FY2013 vécu avec beaucoup de difficultés par la
communauté scientifique ou du retrait de la participation américaine à la
mission ExoMars de l’ESA. Malgré le succès de Curiosity et l’annonce que la NASA
allait redoubler d’efforts – ici au sens littéral : en préparant le
lancement pour 1,5 milliards de dollars d’un second
rover identique au précédent pour 2020 –, il
se pourrait qu’un changement
de direction soit à l’œuvre. La découverte que le
projet de station spatiale en L2 développé par la NASA (entre nous, n’en
déplaise à Robert
Zubrin, une magnifique opération qui
justifierait à la fois le SLS/Orion et l’ISS, tout en résolvant le dilemme de
l’exploration habitée du système solaire et notamment de Mars en mixant
l’option 4 du retour à la Lune avec l’option 5 du « flexible path », pour
reprendre la terminologie du comité Augustine)
n’aurait pas
reçu l’approbation de la Maison Blanche suscite
également quelques interrogations. Alors que les Américains hésitent entre
Mars, un astéroïde et L2, mais sans jamais parler de retour in situ sur la Lune, la Chine n’a pas
manqué de mettre son grain de sel en indiquant par voie officielle que « les
astronautes chinois pourraient cultiver des légumes sur la Lune ».
Côté européen, on ne peut que s’étonner de la facilité avec laquelle l’ESA a
oublié l’incident ExoMars pour se lancer avec enthousiasme dans une coopération
avec la NASA sur le système Orion, une confiance qui laisse d’autant plus
pantois quand on voit les Américains aujourd’hui annoncer sans vergogne ni honte
le financement unilatéral d’un nouveau programme martien pour 2020. Pour les
Etats-Unis, en tout cas, la question demeure : la Lune, Mars ou un
astéroïde ? On appréciera le « timing » choisi par la société GoldenSpike,
créée en 2010 et restée jusqu’à présent dans l’ombre.
Une fusée russo-ukrainienne Zenit 3SL
s’est envolée dans la journée du 3 décembre avec à son bord le satellite de
télécommunications Eutelsat
70B. Placé avec succès en orbite GEO, le
satellite évoluera à la position orbitale 70,5° Est où il mettra à la
disponibilité des clients d’Eutelsat une capacité en bande Ku. Il remplacera
Eutelsat 70A, lancé en 2002, qui sera quant à lui redéployé vers une autre position
orbitale. Le nouveau satellite, deux fois plus performant que son prédécesseur,
couvrira de ses 48 transpondeurs l’Europe, l’Afrique, l’Asie centrale et l’Asie
du Sud-est. Ces zones sont tout particulièrement susceptibles d’intéresser le
Pentagone, un des clients réguliers de l’opérateur parisien dont les capacités
propres dans la région sont en effet insuffisantes. Le lancement, effectué au
milieu de l’Océan pacifique, est toujours aussi impressionnant. Créée en 1995, Sea
Launch est en effet la seule société du monde
à réaliser des lancements depuis une plateforme pétrolière flottante transformée,
positionnée dans les eaux internationales à proximité de l’équateur, afin de
maximiser la charge utile des fusées, tout en évitant le problème des retombées
des débris. Un temps interrompues, les activités du consortium
russo-américano-norvégien ont repris en 2010. Depuis la société gagne lentement
mais sûrement en puissance au point d’incarner un concurrent sérieux pour
Ariane 5 ECA. La mise en orbite d’Eutelsat 70B porte ainsi à trois le nombre de
tirs spatiaux réussis opérés par la société Sea Launch cette année. La cadence
de tir, relativement faible, devrait s’élever l’année prochaine maintenant que
les partenaires russes et ukrainiens ont amélioré leurs relations et que la
société a été restructurée.
Samedi, dans la nuit, International
Launch Services (ILS) a lancé une fusée Proton-M. Le tir, effectué depuis le
cosmodrome de Baïkonour, était censé déployer en GEO le satellite russe de
communications Yamal-402
construit par Thales Alenia Space. Malheureusement pour l’opérateur Gazprom
Space System, la troisième mission d’ILS après le retour à l’opérationnel du lanceur
Proton suite à l’échec de la mission Telkom3/Express MD-2 – causé par l’étage
réallumable Breeze M ici aussi en cause – le 7 août dernier, par ailleurs le
huitième et dernier lancement de la campagne 2012 d’ILS, a échoué. D’une masse
totale de 4463 kg, Yamal-402 devra donc gagner sa position orbitale par ses
propres moyens. Selon un expert interrogé par RIA
Novosti, à moins que le satellite ait été
endommagé, le satellite pourra très certainement poursuivre sa mission certes au
prix d’une durée de vie opérationnelle considérablement raccourcie : servir
aux communications en Russie, Europe, Moyen-Orient et Afrique du Nord. Ce
troisième échec en moins de 18 mois suscitera certainement de nombreux
commentaires sur l’état de l’industrie spatiale russe et la difficulté pour
fiabiliser son lanceur Proton. Quant au lancement de Satmex 8
à bord d’une Proton, prévu pour le 28 décembre 2012, il sera sans doute
repoussé. Idem pour le tir Rockot-KM/Strela-3M utilisant le même étage
supérieur fautif, le 15 janvier 2013. Pour un résumé, voir ici.
Dernier exploit du satellite de NASA/NOAA Suomi NPP, révélé à l’AGU : des images incroyables de la Terre vue de nuit. Ces données ne sont pas inédites en elles-mêmes, l’USAF possède par exemple des images similaires, à la différence que, outre être d’excellente qualité, elles ne sont pas classifiées mais ouvertes à tous. Cette « Black Marble », comme certains l’appellent déjà, est révélatrice de la fin programmée de l’holocène laissant la place à l’anthropocène : une nouvelle ère géologique marquée par l’influence accélérée – les derniers 8 000 ans et surtout les 2 derniers siècles – de l’homme sur le processus « naturel » géologique et biologique de notre planète. A cela s’ajoute bien entendu l’inégal accès à l’électricité, les zones développées, littorales pour la plupart, s’opposant aux régions toujours dépourvues et représentant 1,3 milliards d’individus.
Novespace, filiale du CNES qui gère l’Airbus A300 Zéro-G servant aux
expériences en apesanteur lors de vols paraboliques, vient d’annoncer qu’elle
ouvrait au public cette prestation. Pour au peu
moins de 6 000€, il vous
sera donc possible de monter à bord de l’Airbus, au décollage depuis l’aéroport
de Bordeaux-Mérignac ou Paris-Le Bourget, pour découvrir cette sensation de
flottement libre. Un service « Vomit Comet » unique en Europe, les
vols paraboliques publics n’étant proposés jusqu’à maintenant qu’aux Etats-Unis
– notamment par la Zero Gravity Corporation de Peter Diamondis – et en Russie.
3 vols commerciaux, organisés par la société Avico, sont prévus pour 2013. Tous
les vols « Air
Zero G » seront effectués en
présence de Jean François Clervoy, astronaute de l’ESA et PDG de Novespace, qui
partagera son expérience d’astronaute avec les passagers tout au long de la
journée et interviendra en alternance auprès de chaque groupe pendant le vol.
A
la rubrique cinéma cette semaine, le retour d’une saga typiquement
spatiale : Star Trek fait cette
année une seconde apparition dans sa version modernisée, avec Into Darkness (J. J. Abrams).
Sortie prévue en mai 2013. La bande-annonce, longue d’une minute, promet du
spectacle ; et comme toute suite qui se respecte au moins depuis le Batman de Christopher Nolan, le ton se veut sombre, les visages sont effrayés
et la narration menaçante…
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