Ce billet a fait l’objet d’une publication
croisée dans le cadre de la « Chronique spatiale » d’AGS. Bonnes
vacances bien méritées à tous nos lecteurs ; sauf événement cosmique grave, ce blog doit marquer une pause. Reprise du service annoncée pour la rentrée.
Peut-être aurez-vous noté dans vos agendas la sortie, le 14 août prochain, d’Elysium du sud-africain Neill Blomkamp. Le jeune réalisateur avait su créer la surprise en 2009 avec District 9, un film aussi spectaculaire qu’intelligent qui raconte comment des extraterrestres trouvés mourant à bord d’un vaisseau spatial subitement apparu au-dessus du ciel de Johannesburg sont pris en charge, puis confinés et « ghettoisés » par une multinationale à laquelle les gouvernements sous-traitent le D-9. De retour sur un thème qu’on devine personnel, Blomkamp imagine cette fois-ci un univers dans lequel une partie privilégiée de l’humanité vit en orbite à bord d’une colonie spatiale inspirée des « villes de l’espace » qu’envisageait le physicien Gerard K. O’Neill dans les années 1970. Insouciants car protégés des maux qui peuplent la Terre, les habitants d’Elysium laisse derrière eux un monde en plein chaos.
Comme beaucoup l’ont déjà noté – à lire
les analyses de Gizmodo
ou encore The Space Review
–, de nombreux détails de la station spatiale géante semblent
ainsi avoir été repris directement de croquis produits par la NASA il y a
quelque quatre décennies. Cette influence explicite, sans même préjuger du
contenu du film – dans lequel apparaissent notamment les acteurs Matt Damon et
Jodie Foster –, suffit à susciter la curiosité. D’autant plus qu’elle invite à
examiner les autres thèmes spatiaux qui peuplent notre imagination à travers
une étude brève, forcément incomplète, des représentations
« artistiques » de la conquête de l’espace ; ces dernières étant entendues comme le support
privilégié des visions et propositions relatives au Tomorrowland
cher à Walt Disney et aux blueprints et
autres schémas directeurs des agences américaines et européennes. Et de fait, en Occident plus qu’ailleurs, l’exploration spatiale met à l’épreuve les relations qui unissent culture et technologie.
Ecrit en 1976, paru en France en 1978, The High Frontier:
Human Colonies in Space
s’inscrit dans le contexte post-Apollo durant lequel la NASA
s’escrime à convaincre le président d’engager la nation dans un programme
agressif d’exploration. Pour O’Neill,
scientifique avant tout mais aussi futurologue et d’une certaine manière auteur
de science-fiction, ces grandes colonies devaient être construites près de
points de Lagrange (L5) en utilisant des matières premières tirées de la Lune
et des astéroïdes et financées par la construction de centrales solaires
orbitales. Elles incarnaient aussi, selon son concepteur, une réponse
rationnelle au problème de la Terre (la bombe P),
tout en assurant aux Etats-Unis le moyen de relancer la croissance et retrouver
leur puissance industrielle perdue (thème du déclin face au Japon). Elles reprenaient,
qui plus est, la tradition de l’espace comme « ultime frontière » (le
salut dans les étoiles), celle-là même que détourne Neill Blomkamp.
On prendra bien évidemment note de l’écart qui
s’est opéré entre la vision et la réalité depuis les premiers croquis et
maquettes de Wernher von Braun en 1952 qui proposait une station spatiale en
forme de roue tournant sur elle-même afin de créer une gravité artificielle, au
résultat concret qu’est l’ISS, opérationnelle depuis 2011 seulement. La
symbolique des formes, leur harmonie même, sont intéressantes. Aucune autre
représentation ne peut mieux en témoigner que celle bien connue de « Orion
Leaving Space Station » de Robert McCall (1), sur
laquelle se base le film 2001 : l’Odyssée
de l’espace réalisé par Stanley Kubrick. Tout aussi captivant est l’abandon
du « cercle » dès 1994 et la transition vers le modèle actuel situé à
400 km d’altitude seulement et caractérisé par ses différents modules et énormes
panneaux solaires grands comme la surface d’un terrain de football.
« L’espace, ultime frontière »
vient ainsi rejoindre la lecture occidentale d’une histoire de l’humanité
guidée par le progrès, les Grandes Découvertes et l’exploration.
Intitulées « A Journey Into Tomorrow » ou simplement « The
Journey », de telles visions ne sont certainement pas mortes. La nouvelle
approche du vol habité qui caractérise l’ère Obama, décidée sur la base des
recommandations en 2009 du rapport Augustine pour qui « The U.S. human spaceflight program appears
to be on an unsustainable trajectory », n’empêche pas celles-ci de
persister comme le montre la couverture du document en question. Les Européens,
pourtant traditionnellement moins confiants à cet égard, sont loin d’apparaitre
hostiles. En témoigne particulièrement le programme Aurora de l’ESA
confirmé en 2005 autour de missions « flagships » (ExoMars) et « arrows »
(démonstrateurs) et dont l’objectif final est de participer à l’élaboration d’une mission habitée vers
Mars vers 2030.
Or, par rapport à ces éléments très
conventionnels, on devine une nouvelle tendance dans laquelle la pureté des
lignes et l’optimisme ne sont plus présents : celle liée aux débris
spatiaux et à la pollution en orbite. Alors que l’exploration spatiale a
longtemps eu le vent en poupe, c’est aujourd’hui ce nouveau thème qui semble avoir
la faveur du public. Ou du moins son attention inquiète, comme déçue par le
décalage constant entre imagination et réalité et excitée a contrario par l’apparition d’événements récents très spectaculaires, qu’il s’agisse de la désorbitation non contrôlée de satellites
ou de collisions en orbite basse. Le cinéma n’a pas tardé à prendre le
relais : à la vision de l’espace propre d’Elysium succèdent en cette année très SF le nouveau film d’Alfonso
Cuarón, Gravity
(octobre 2013) avec George Clooney et Sandra Bullock, et le dernier Stark Trek : Into Darkness
de J. J. Abrams (juin 2013) dans lequel, m’a-t-on dit, nos héros s’amusent à
naviguer dans un champ de débris spatiaux…
Images
crédits : NASA Ames Research Center, NASA
Marshall Space Center, NASA/Bill Ingalls, ESA, Fox, Paramount,
Warner Bros. Artistes cités : Paul Husdon, Rolf Klep, Robert McCall, Chesly
Bonestell, Pat Rawlings, David A. Hardy.
(1) Peintre officiel de la NASA durant
de nombreuses années, Robert McCall,
né le 1er juillet 1919 à Columbus, Ohio, et décédé le 26 février 2010 à
Scottsdale, Arizona, a créé pour le compte de l’agence spatiale américaine de
nombreux écussons
de missions, timbres postes, images et fresques.
Surtout connu à l’international pour l’affiche du film 2001 : l’Odyssée de l’espace, McCall est aussi à l’origine de
la peinture murale « A Cosmic View » qui orne depuis 1976 avec ses six
tableaux le Smithsonian National Air & Space Museum à Washington. Présenté
par Isaac Asimov avec qui il a collaboré pour Our
World in Space (1974) comme « the nearest thing to an
artist in residence from outer space », McCall est non seulement unauteur prolixe mais aussi un témoin privilégié de la course
à l’espace vue du côté américain. Deux livres lui sont principalement dédiés : Vision
of the Future: The Art of Robert McCall, publié par l’auteur de science
fiction Ben Bova en 1982, suivi 10 ans plus tard par The Art of Robert
McCall: A Celebration of our Future in Space pour lequel Ray Bradbury a accepté de rédiger la préface.
(2)
Chesley Bonestell, né le 1er janvier 1888 à San Francisco et mort le 11
juin 1986 à Carmel-by-the-Sea, Californie, est un peintre américain. Ses
peintures, réalistes au point d’être confondues avec des photographies qu’une
sonde aurait pu prendre in situ, ont eu une influence majeure sur l’illustration
de science-fiction. Ses contemporains ne s’y sont pas trompés, eux qui
avaient l’ambition à la fois d’inspirer le public américain et convaincre les
décideurs pour financer un programme spatial digne de ce nom. The Conquest
of Space (1949) est ainsi le résultat d’une collaboration avec
l’immigré d’originaire allemande Willy Ley. Le producteur George Pal fait appel
aux talents du dessinateur pour notamment Destination Moon, When
Worlds Collide ou The War of the Worlds. Quant à Wernher von Braun,
il invite Bonestell à illustrer ses concepts de vol habité dont il prétend que
la technologie est à portée de main. Réalisée juste avant le lancement de
Spoutnik, la
série de numéros Collier’s consacrée
à « Man Will Conquer Space Soon! » fait très rapidement sensation et
impressionne jusqu’à Walt Disney qui lui
assure une postérité télévisuelle.
Au sujet d'Elyseum, l’inspiration du monde anneau provient aussi d'un jeu vidéo: Halo dont Bloomkamp est un grand fan. Il a d'ailleurs réaliser plusieurs courts métrages pour épauler le merchandising du jeu.
RépondreSupprimerPour continuer dans le domaine du jeu vidéo. Mass Effect est l'une des œuvres de science fiction les plus importantes de ces dernières années, tous supports confondus (ciné, livre, bd). Au delà d'un scénario SF très riche qui tire les grandes ficelles du genre: Une race alien inconnue extermine tous les 50 000 ans toutes formes de vie dans la galaxie, Mass effect décrit avec beaucoup de précision le background spatial: Technologie, exobiologie, planétologie, physique, exploration spatiale.
Merci pour ce commentaire, j'ignorais la passion qu'avait Blomkamp pour Halo. A noter que la structure en forme d'anneau à laquelle ce jeu doit son nom se retrouve, non seulement dans les travaux d'O'Neill et de la NASA décrits dans ce billet, mais également chez des auteurs de SF comme Larry Niven (L'anneau-Monde)ou Iain Banks (les orbitales de la Culture).
RépondreSupprimerBien à vous,
Bonjour Guilhèm,
RépondreSupprimerJe ne savais pas pour Another World et Chesley Bonestell mais effectivement l'inspiration est patente. Les illustrations relaient l'imagination comme moteur de la conquête spatiale, et il faut avouer que c'est évocateur, si ce n'est enchanteur.
Sinon pour rebondir sur le vidéoludique : Buzz Aldrin : Race into Space aura un remake avec Buzz Aldrin's Space Program Manager.
C'est très prometteur, et même si ça ne viendra pas combler un vide sidéral dans le secteur des simus pointues (Orbiter et Kerbal Space Program sont là) , ça fait plaisir de se remettre à revivre ce grand moment de l'épopée spatiale. Seul regret, d'importance, le fait que l'on ne pourra pas endosser le rôle des soviétiques.
Cordialement
Salut Yannick. Merci pour ce rebond vidéoludique bienvenu. En attendant, je conseille effectivement Kerbal Space Program, une simu très sympa largement à la portée de tout un chacun. Au plaisir !
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