lundi 1 juillet 2013

Imaginer l’espace : les soixante dernières années…

Ce billet a fait lobjet d’une publication croisée dans le cadre de la « Chronique spatiale » d’AGS. Bonnes vacances bien méritées à tous nos lecteurs ; sauf événement cosmique grave, ce blog doit marquer une pause. Reprise du service annoncée pour la rentrée. 

Peut-être aurez-vous noté dans vos agendas la sortie, le 14 août prochain, d’Elysium du sud-africain Neill Blomkamp. Le jeune réalisateur avait su créer la surprise en 2009 avec District 9, un film aussi spectaculaire qu’intelligent qui raconte comment des extraterrestres trouvés mourant à bord d’un vaisseau spatial subitement apparu au-dessus du ciel de Johannesburg sont pris en charge, puis confinés et « ghettoisés » par une multinationale à laquelle les gouvernements sous-traitent le D-9. De retour sur un thème qu’on devine personnel, Blomkamp imagine cette fois-ci un univers dans lequel une partie privilégiée de l’humanité vit en orbite à bord d’une colonie spatiale inspirée des « villes de l’espace » qu’envisageait le physicien Gerard K. O’Neill dans les années 1970. Insouciants car protégés des maux qui peuplent la Terre, les habitants d’Elysium laisse derrière eux un monde en plein chaos.
O'Neill Cylinder
Comme beaucoup l’ont déjà noté – à lire les analyses de Gizmodo ou encore The Space Review, de nombreux détails de la station spatiale géante semblent ainsi avoir été repris directement de croquis produits par la NASA il y a quelque quatre décennies. Cette influence explicite, sans même préjuger du contenu du film – dans lequel apparaissent notamment les acteurs Matt Damon et Jodie Foster –, suffit à susciter la curiosité. D’autant plus qu’elle invite à examiner les autres thèmes spatiaux qui peuplent notre imagination à travers une étude brève, forcément incomplète, des représentations « artistiques » de la conquête de l’espace ; ces dernières étant entendues comme le support privilégié des visions et propositions relatives au Tomorrowland cher à Walt Disney et aux blueprints et autres schémas directeurs des agences américaines et européennes. Et de fait, en Occident plus qu’ailleurs, l’exploration spatiale met à l’épreuve les relations qui unissent culture et technologie.
The Real-Life Buildings Used to Sell Elysium's Luxurious Dystopia
Ecrit en 1976, paru en France en 1978, The High Frontier: Human Colonies in Space s’inscrit dans le contexte post-Apollo durant lequel la NASA s’escrime à convaincre le président d’engager la nation dans un programme agressif d’exploration. Pour O’Neill, scientifique avant tout mais aussi futurologue et d’une certaine manière auteur de science-fiction, ces grandes colonies devaient être construites près de points de Lagrange (L5) en utilisant des matières premières tirées de la Lune et des astéroïdes et financées par la construction de centrales solaires orbitales. Elles incarnaient aussi, selon son concepteur, une réponse rationnelle au problème de la Terre (la bombe P), tout en assurant aux Etats-Unis le moyen de relancer la croissance et retrouver leur puissance industrielle perdue (thème du déclin face au Japon). Elles reprenaient, qui plus est, la tradition de l’espace comme « ultime frontière » (le salut dans les étoiles), celle-là même que détourne Neill Blomkamp.
The Real-Life Buildings Used to Sell Elysium's Luxurious Dystopia
On prendra bien évidemment note de l’écart qui s’est opéré entre la vision et la réalité depuis les premiers croquis et maquettes de Wernher von Braun en 1952 qui proposait une station spatiale en forme de roue tournant sur elle-même afin de créer une gravité artificielle, au résultat concret qu’est l’ISS, opérationnelle depuis 2011 seulement. La symbolique des formes, leur harmonie même, sont intéressantes. Aucune autre représentation ne peut mieux en témoigner que celle bien connue de « Orion Leaving Space Station » de Robert McCall (1), sur laquelle se base le film 2001 : l’Odyssée de l’espace réalisé par Stanley Kubrick. Tout aussi captivant est l’abandon du « cercle » dès 1994 et la transition vers le modèle actuel situé à 400 km d’altitude seulement et caractérisé par ses différents modules et énormes panneaux solaires grands comme la surface d’un terrain de football.

Orion Leaving Space Station, by Robert McCall
Venture Star - NASA
File:STS-133 International Space Station after undocking 5.jpg
Malgré le changement de paradigme illustré par l’artwork de 1994, on appréciera néanmoins cette survivance qu’est le système de transport habité type « avion spatial ». Le X-33 de Lockheed Martin ainsi, dont on voit deux exemplaires effectuer une rotation de la future station orbitale, n’est pas sans rappeler la navette Orion III de la Pan Am qui dessert la station à roue imaginée par Stanley Kubrick et Arthur C. Clarke, elle même une réminiscence des études réalisées dans les années 40 et 50. A l’image de l’avion hybride conçu par von Braun, le système Venture Star – que réutilise James Cameron dans son film Avatar – auquel devait aboutir le X-33 décollait à la verticale et atterrissait comme un avion. Réutilisable et mono-étage, il était également dépourvu des propulseurs d’appoint et du réservoir externe qui constituent les différents composants avec l’orbiteur de la Space Shuttle. Lorsque la photographie de l’ISS est prise, en 2011, il est ironique de constater que le seul vaisseau visible au premier plan est l’ATV. Et pour cause, antépénultième mission de la navette, STS-133 s’apprête à réaliser son dernier vol retour sur Terre.
  sunset space shuttle atlantis sts-129 launch pad 39a florida wallpapers
Avatar - Valkyrie shuttle
J’ai déjà observé ailleurs plus en détails la tendance qui consiste à dépeindre la puissance immense et sublime des paysages spatiaux, de même que leur aspect désolé, pour établir un parallèle avec la petitesse de l’homme. Notamment perceptible chez les auteurs américains, on la voit clairement à l’œuvre chez Chesley Bonestell (2) dont « Saturn As Seen From Titan » constitue ici l’archétype. L’image est suffisamment évocatrice pour avoir inspiré aussi bien des jeux vidéo (l’excellent Another World, 1991, du Français Eric Chahi) que des missions spatiales (la sonde Huygens développée par l’ESA pour étudier Titan, dont elle touche le sol en 2005). A noter que l’homme ne soumet pas moins cette Nature hostile à tout point de vue, comme ces astronautes de la NASA contemplant le lever du jour au-dessus de Noctis Labyrinthus.
Another World
Titan's murky atmosphere with the Huygens probeFirst Light
Mais c’est en présence du drapeau national – rien moins que l’élément ultime, expliquant et justifiant l’exploration –, que l’homme s’affirme véritablement. Oubliée ici l’inspiration de la Hudson River School, seuls doivent rester l’explorateur et la nation qui le soutient ! D’Apollo 11 débarquant en 1969 sur la Lune pour y planter la bannière étoilée, « not unlike the Spanish flag planted by Columbus in America » pour reprendre le mot de l’historien Roger D. Launius, à cette image de l’exploration martienne aux alentours de 2030 où l’équipage international sous leadership américain (programme Constellation) salue les peuples et nations de la Terre qui ont rendu l’entreprise possible, en passant par Apollo 15 (ci-dessous) et les six drapeaux survivants, il n’y qu’un pas. Pas que franchit aisément McCall avec « Opening the Space Frontier, The Next Giant Step », situé au Johnson Space Center, qui retranscrit l’histoire glorieuse du programme spatial américain depuis les origines et ouvre la voie du XXIe siècle. 
Apollo 15
Opening the Space Frontier, The Next Giant Step, by Robert McCall
Car c’est bien entendu toujours l’avenir qui intéresse en premier chef les différents promoteurs des programmes spatiaux et les décideurs. Aussi retrouvons-nous ici, comme condensés, tous les grands thèmes symboliques de la conquête de l’espace : 1) les formes futuristes harmonieuses, le jeu réalisé notamment autour de la superposition des différentes planètes avec pour arrière-fond la galaxie entière qui constituent autant de promesses données à toute l’humanité par l’entremise de ses « envoyés » ; 2) la verticalité et le staging, synonyme aussi bien de dynamisme que d’inévitabilité, avec la fusée apparaissant comme le support et le symbole d’une conquête incrémentale, progressive certes, mais guidée par un objectif unique, connu. Procédant étape par étape, l’exploration spatiale avance non par zigzag indécis mais d’un pas sûr et réfléchi : la Lune, Mars et au-delà. 
A Journey Into Tomorrow, by David A. Hardy
The Journey
« L’espace, ultime frontière » vient ainsi rejoindre la lecture occidentale d’une histoire de l’humanité guidée par le progrès, les Grandes Découvertes et l’exploration. Intitulées « A Journey Into Tomorrow » ou simplement « The Journey », de telles visions ne sont certainement pas mortes. La nouvelle approche du vol habité qui caractérise l’ère Obama, décidée sur la base des recommandations en 2009 du rapport Augustine pour qui « The U.S. human spaceflight program appears to be on an unsustainable trajectory », n’empêche pas celles-ci de persister comme le montre la couverture du document en question. Les Européens, pourtant traditionnellement moins confiants à cet égard, sont loin d’apparaitre hostiles. En témoigne particulièrement le programme Aurora de l’ESA confirmé en 2005 autour de missions « flagships » (ExoMars) et « arrows » (démonstrateurs) et dont l’objectif final est de participer  à l’élaboration d’une mission habitée vers Mars vers 2030. 
Or, par rapport à ces éléments très conventionnels, on devine une nouvelle tendance dans laquelle la pureté des lignes et l’optimisme ne sont plus présents : celle liée aux débris spatiaux et à la pollution en orbite. Alors que l’exploration spatiale a longtemps eu le vent en poupe, c’est aujourd’hui ce nouveau thème qui semble avoir la faveur du public. Ou du moins son attention inquiète, comme déçue par le décalage constant entre imagination et réalité et excitée a contrario par l’apparition d’événements récents très spectaculaires, qu’il s’agisse de la désorbitation non contrôlée de satellites ou de collisions en orbite basse. Le cinéma n’a pas tardé à prendre le relais : à la vision de l’espace propre d’Elysium succèdent en cette année très SF le nouveau film d’Alfonso Cuarón, Gravity (octobre 2013) avec George Clooney et Sandra Bullock, et le dernier Stark Trek : Into Darkness de J. J. Abrams (juin 2013) dans lequel, m’a-t-on dit, nos héros s’amusent à naviguer dans un champ de débris spatiaux…
Chaos: Debris demolishes the spacecraft leading to the astronauts clamoring to keep hold
Images crédits : NASA Ames Research Center, NASA Marshall Space Center, NASA/Bill Ingalls, ESA, Fox, Paramount, Warner Bros. Artistes cités : Paul Husdon, Rolf Klep, Robert McCall, Chesly Bonestell, Pat Rawlings, David A. Hardy.

(1) Peintre officiel de la NASA durant de nombreuses années, Robert McCall, né le 1er juillet 1919 à Columbus, Ohio, et décédé le 26 février 2010 à Scottsdale, Arizona, a créé pour le compte de l’agence spatiale américaine de nombreux écussons de missions, timbres postes, images et fresques. Surtout connu à l’international pour l’affiche du film 2001 : l’Odyssée de l’espace, McCall est aussi à l’origine de la peinture murale « A Cosmic View » qui orne depuis 1976 avec ses six tableaux le Smithsonian National Air & Space Museum à Washington. Présenté par Isaac Asimov avec qui il a collaboré pour Our World in Space (1974) comme « the nearest thing to an artist in residence from outer space », McCall est non seulement unauteur prolixe mais aussi un témoin privilégié de la course à l’espace vue du côté américain. Deux livres lui sont principalement dédiés : Vision of the Future: The Art of Robert McCall, publié par l’auteur de science fiction Ben Bova en 1982, suivi 10 ans plus tard par The Art of Robert McCall: A Celebration of our Future in Space pour lequel Ray Bradbury a accepté de rédiger la préface.

(2) Chesley Bonestell, né le 1er janvier 1888 à San Francisco et mort le 11 juin 1986 à Carmel-by-the-Sea, Californie, est un peintre américain. Ses peintures, réalistes au point d’être confondues avec des photographies qu’une sonde aurait pu prendre in situ, ont eu une influence majeure sur l’illustration de   science-fiction. Ses contemporains ne s’y sont pas trompés, eux qui avaient l’ambition à la fois d’inspirer le public américain et convaincre les décideurs pour financer un programme spatial digne de ce nom. The Conquest of Space (1949) est ainsi le résultat d’une collaboration avec l’immigré d’originaire allemande Willy Ley. Le producteur George Pal fait appel aux talents du dessinateur pour notamment Destination MoonWhen Worlds Collide ou The War of the Worlds. Quant à Wernher von Braun, il invite Bonestell à illustrer ses concepts de vol habité dont il prétend que la technologie est à portée de main. Réalisée juste avant le lancement de Spoutnik, la série de numéros Collier’s consacrée à « Man Will Conquer Space Soon! » fait très rapidement sensation et impressionne jusqu’à Walt Disney qui lui assure une postérité télévisuelle. 

4 commentaires:

  1. Au sujet d'Elyseum, l’inspiration du monde anneau provient aussi d'un jeu vidéo: Halo dont Bloomkamp est un grand fan. Il a d'ailleurs réaliser plusieurs courts métrages pour épauler le merchandising du jeu.

    Pour continuer dans le domaine du jeu vidéo. Mass Effect est l'une des œuvres de science fiction les plus importantes de ces dernières années, tous supports confondus (ciné, livre, bd). Au delà d'un scénario SF très riche qui tire les grandes ficelles du genre: Une race alien inconnue extermine tous les 50 000 ans toutes formes de vie dans la galaxie, Mass effect décrit avec beaucoup de précision le background spatial: Technologie, exobiologie, planétologie, physique, exploration spatiale.

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  2. Merci pour ce commentaire, j'ignorais la passion qu'avait Blomkamp pour Halo. A noter que la structure en forme d'anneau à laquelle ce jeu doit son nom se retrouve, non seulement dans les travaux d'O'Neill et de la NASA décrits dans ce billet, mais également chez des auteurs de SF comme Larry Niven (L'anneau-Monde)ou Iain Banks (les orbitales de la Culture).

    Bien à vous,

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  3. Bonjour Guilhèm,

    Je ne savais pas pour Another World et Chesley Bonestell mais effectivement l'inspiration est patente. Les illustrations relaient l'imagination comme moteur de la conquête spatiale, et il faut avouer que c'est évocateur, si ce n'est enchanteur.

    Sinon pour rebondir sur le vidéoludique : Buzz Aldrin : Race into Space aura un remake avec Buzz Aldrin's Space Program Manager.
    C'est très prometteur, et même si ça ne viendra pas combler un vide sidéral dans le secteur des simus pointues (Orbiter et Kerbal Space Program sont là) , ça fait plaisir de se remettre à revivre ce grand moment de l'épopée spatiale. Seul regret, d'importance, le fait que l'on ne pourra pas endosser le rôle des soviétiques.

    Cordialement

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  4. Salut Yannick. Merci pour ce rebond vidéoludique bienvenu. En attendant, je conseille effectivement Kerbal Space Program, une simu très sympa largement à la portée de tout un chacun. Au plaisir !

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