Par bien des aspects, l’identité graphique des agences
spatiales constituée des ensembles logo-signature-slogan s’apparente à un
étendard : elle aussi est composition de figures et de couleurs disposées
dans un espace à deux dimensions et elle aussi est symbolique, c’est-à-dire
étymologiquement signe de reconnaissance (sýmbolon).
Et s’il lui est a priori difficile de concurrencer le drapeau national sur son
propre terrain – que ce soit dans la levée ou le salut aux couleurs, ou à
l’inverse dans le « flag burning » –, elle n’en reste pas moins
soumise à une constante tentation
normative à l’image de n’importe quel autre système vexillologique. De fait,
son efficacité symbolique a beau être très variable selon la combinaison (le
pays) ou le contexte (l’époque), l’investissement est toujours important et,
pour cela, révélateur de deux approches : l’une renvoyant à l’existence de
tendances convergentes sinon de traditions ; l’autre exprimant la
possibilité d’une interprétation a posteriori, extérieure aux circonstances
précises ayant présidé à la naissance des choix emblématiques.
Une étude grossière, restreinte par exemple aux agences
membres de l’IADC, a ainsi le mérite
de distinguer 3 + 1 grands traits de familles : 1) le modèle
« meatball » (« boulette de viande ») des logotypes
circulaires, dont l’archétype est constitué ici par la NASA, 2) le
« worm » (« ver de terre ») qui est un rendu plus ou moins
stylisé de l’acronyme de l’agence concernée et dont l’inspiration est une fois
encore américaine, 3) celui que nous qualifierons de logo-fusée en vertu de
l’antécédent très suggestif incarné par l’identité de marque du CNES des années
fondatrices, pourvu de ses ailerons tranchants, 4) enfin, le style carré que
seule l’UKSA, l’agence spatiale britannique créée en 2010, semble pour le
moment avoir exploité, un cas d’autant plus unique qu’il est explicitement
associé, diagonale ascendante y compris, aux couleurs nationales de l’Union
Jack. En dehors des codes communs rapidement assimilés par convention au
spatial et à l’aéronautique (la couleur bleue pour représenter l’espace,
la sphère pour évoquer la planète, l’orbite pour rappeler le satellite ou
encore la flèche pour désigner le lanceur, etc.), l’on discerne donc des logos
matriciels dont l’adoption a servi de modèle international.
L’histoire du logo de la NASA reflète avant tout la
difficulté avec laquelle l’agence spatiale américaine a géré le très encombrant
héritage Apollo. Le « meatball », introduit un an après la création
de la NASA sur les fondations du NACA, est une version « casual » du
sceau que l’agence utilise lors des grandes occasions et événements formels.
Les couleurs sont plus volontiers patriotiques (rouge, blanc, bleu) et l’effet
recherché se veut presque fantaisiste, tout en restant élégant. L’image est
résolument optimiste et passionnée, voire romantique. Un vaisseau spatial est
en orbite autour des lettres N, A, S, et A sur fond de ciel étoilé et un chevron
s’allonge à la façon d’une aile hypersonique. Là où le « meatball » nous
montre explicitement ce qui rend la NASA si séduisante (la « right
stuff » de l’astronaute et la « new frontier » de von Braun et Kennedy),
le « worm » apparu après 1975 à la suite d’une initiative
fédérale d’amélioration graphique lancée sous Nixon préfère rester allusif
et suggestif. Les initiales de la NASA sont réduites à l’essentiel :
quatre lettres exprimées très simplement sur fond rouge, sans fioritures
aucunes mais avec puissance et conviction (le « quick fix » et
« can do » de l’ingénieur). Le A s’expose sans barre comme un V
retourné à la façon d’une fusée prête à décoller. Chaque lettre est dessinée d’un
trait net et épais, visible à grande distance. Et chaque lettre s’approprie la
figure du chevron multipliée à l’infini avec le premier A qui se poursuit
dans le S et le N qui s’y reflète à la façon d’un miroir. Malgré des qualités
incontestables saluées par les plus grands et récompensées à plusieurs reprises,
le « worm »
oppose dès son apparition « pro » et « anti » le long
d’un débat entre « old » et « new frontiers » qui n’est pas
sans rappeler le film Space Cowboys réalisé par Clint Eastwood. En 1992, il n’a d’autres choix que de
céder définitivement la place au « meatball » revenu en force après
les traumatismes et les critiques des années 1980, et le souci paradoxal de la
NASA de se renouveler en revenant à l’âge d’or des missions Mercury, Gemini et
Apollo. Systèmes descriptifs, mais avant tout normatifs, cela n’étonnera guère
si aucun des deux logos n’a jamais décrit la NASA telle qu’elle est, mais
davantage comme elle s’imagine et se voudrait être.
Le CNES a suivi une évolution parallèle quoique sensiblement
distincte étant donné la moindre place accordée au vol habité dans l’identité
de l’agence spatiale française. Pendant plus de dix ans, les valeurs du Centre
nationale d’études spatiales se sont ainsi exprimées à travers un logo vertical
où les initiales sont stylisées de façon à évoquer les étages d’un lanceur, sa coiffe
et la traînée de départ. Il est vrai que le CNES de cette époque vise en
priorité à réunir les compétences nécessaires à la construction d’un lanceur
autonome sur la base du programme « Pierre précieuses »
d’inspiration militaire. C’est chose faite dès 1965 avec le décollage depuis la
base d’Hammaguir en Algérie de la première fusée française Diamant
A avec à son bord le satellite Astérix. C’est fort de son expérience
acquise dans le domaine des lanceurs (confirmée en 1970 avec la version
opérationnelle dite Diamant B) que le CNES propose à ses partenaires européens
le développement d’un nouveau lanceur, plus lourd et plus performant qui peu à
peu va devenir Ariane. Cette européanisation lancée au nom de « l’espace
utile » des applications spatiales est reflétée par le changement de logo
en 1974 qui voit le fusée-sigle disparaître au profit de courbes plus épurées
et moins tranchantes évoquant la Terre et la trajectoire d’envol d’un lanceur.
Le début des années 1990 est l’occasion d’un nouvel infléchissement des
préoccupations du CNES vers les affaires humaines : « de l’espace,
certes, mais pour la Terre » affirme la signature revendiquée depuis 2004.
La dernière version accentue d’ailleurs ce mouvement en atténuant
l’angularité du lanceur et en optant pour l’aplat de couleur plutôt que pour
les stries. La lettre C, autrefois stylisée de façon à ressembler à une coiffe,
est désormais devenue le logo lui-même, une forme souriante et bleue qui
s’ouvre pour évoquer directement bien que de façon abrégée l’intitulé de
l’agence. A noter que, contrairement à la NASA dans sa version « worm »
ou « meatball », le Centre national d’études spatiales est rarement
capable de se satisfaire de son sigle seul. Déficit de notoriété oblige, le
CNES est un logo qui s’épelle et parfois sait s’écarter au bénéfice d’un intitulé
plus parlant.
Un choix de logo n’est pas innocent. Même si l’effet recherché a globalement tendance à rester le même au fil des années (apporter une image de modernité et de précision, ouvrir une fenêtre sur le futur, incarner le dynamisme d’un secteur en mouvement constant, etc.), les valeurs fondatrices que le logo est supposé véhiculer ou refléter sont, elles, susceptibles de changer. L’identité d’un programme spatial n’est pas figée ; les justifications qui entourent celui-ci gagnant en complexité depuis le lancement de Spoutnik où seul importait le triptyque Sécurité-Prestige-Science, il a fallu naturellement songer à la faire évoluer. La transformation peut être plus ou moins radicale selon que les valeurs fondatrices de la période précédente sont remplacées par d’autres plus actuelles ou plus à même d’emporter l’adhésion et le soutien de la population (thème de la crise identitaire du spatial commun à l’ensemble des agences). Elle peut également être vécue sous le mode de la nécessité si, ayant atteint son objectif fondateur, l’agence en question doit prouver qu’elle reste pertinente dans le nouvel environnement eu égard aux nouvelles missions qui ont émergé (problème d’une agence de mission comme la NASA).
Pour en savoir plus, voir notamment Régis Missire, « knes », in C’est
l’espace ! 101 savoirs, histoires et curiosités (Gallimard,
2011) et Alice Rawsthorn, « Art
of the Seal », NYT, 5 mars
2009. Voir aussi Pascal Ory, « Y a-t-il des familles de drapeaux ?
Introduction à la vexillologie comparée », La culture comme aventure, Complexe, 2008 à qui nous renvoyons le
lecteur curieux.
Images : CNES, NASA
Ce billet, qui est aussi le dernier de l’année 2013 à paraître sur ce blog, a fait l’objet d’une publication parallèle sur AGS. Pour un retour sur les événements marquants de l’année, voir notamment ici. Pour compléter, je vous invite à cliquer sur les onglets « Etats des lieux » et « Trivia ». Je profite de ce message pour vous présenter mes meilleurs vœux pour 2014. A très bientôt,
Images : CNES, NASA
Ce billet, qui est aussi le dernier de l’année 2013 à paraître sur ce blog, a fait l’objet d’une publication parallèle sur AGS. Pour un retour sur les événements marquants de l’année, voir notamment ici. Pour compléter, je vous invite à cliquer sur les onglets « Etats des lieux » et « Trivia ». Je profite de ce message pour vous présenter mes meilleurs vœux pour 2014. A très bientôt,
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