Le programme du Centre national d’études spatiales (CNES)
pour l’année
2014 est assurément très riche. Mais s’il fallait choisir un thème
dominant, ce serait sans doute la décision de poursuivre ou non le
développement du nouveau lanceur Ariane 6 (les « Français, ces artilleurs »,
cf. l’histoire
du logo). Le premier semestre sera de ce point de vue particulièrement
déterminant avec la constitution de l’organisation
industrielle qui doit être rationalisée pour satisfaire aux exigences de
coûts de lancement, fixés à 70 millions d’euros. Ce n’est que le 4 décembre
2014 que se tiendra, ensuite, au Luxembourg, le conseil ministériel de l’Agence
spatiale européenne (ESA) avec pour principal enjeu d’aboutir à un accord
définitif sur l’avenir du programme.
On appréciera donc que, malgré un agenda que l’on devine très
chargé, Jean-Yves Le Gall, Président du CNES, ait accepté de répondre aux interrogations
des internautes lors d’une séance en direct, dite #CNESTalks, de Q&A. L’auteur
de ce blog faisait partie des heureux élus. Merci aux organisateurs. Etant donné les problèmes
techniques qui ont parsemé ce hangout au détriment peut-être de la fluidité des
échanges et du confort des participants – j’ai appris pour ma part que mon
ordinateur ne pouvait pas endurer plus de 10 min de conversations sans nécessiter
un reboot –, il me paraît opportun de livrer tel quel l’état de mes réflexions. Quitte à me tromper :
Au niveau stratégique, Ariane 6 résultent de deux
paris :
1) Le pari est d’abord commercial, conséquence du fait que le
modèle européen a choisi de faire dépendre ses lanceurs d’un marché commercial
en évolution constante. Or, depuis quelques années, l’évolution des marchés
semble s’accélérer avec l’arrivée de nouveaux lanceurs low-cost et la vente par
Boeing de satellites tout-électrique, qui pourrait marquer un tournant vers des
satellites plus petits (3-4 tonnes). Ceux qui doutaient encore de la
vulnérabilité d’un lanceur lourd comme Ariane 5, développé pour des lancements
doubles (jusqu’à 10 tonnes), ont vu la menace se matérialiser très concrètement
en décembre dernier avec l’irruption de SpaceX sur le marché des lancements des
satellites géostationnaires de petite taille (SES-8). Un essai transformé le 6 janvier dernier alors que le Falcon 9 était à nouveau sur le
pas de tir pour procéder à une mise en orbite (Thaicom-6).
2) Le pari est également institutionnel étant entendu que, Ariane 5 n’étant pas
en mesure de lancer des satellites gouvernementaux – ceux-ci étant devenus trop
petits –, il doit laisser ce soin là à Soyouz (3 tonnes en GEO, 5 tonnes en
LEO) et à Vega (1,5 tonnes en LEO).Corollaire indispensable de cette stratégie, le futur lanceur modulable Ariane 6 doit bénéficier d’un soutien public intégral et de la « préférence européenne » s’il veut être un succès. Or, jusqu’à présent, il faut
reconnaître une grande propension de la part de certains clients
institutionnels européens (dernier exemple en date : l’Allemagne)
à diversifier leurs sources de lancement et à rechercher les prix les plus bas.
A noter que les concurrents d’Arianespace bénéficient généralement d’un soutien
sans faille de leurs acteurs nationaux respectifs. La faute à l’absence d’un Prince unique en Europe ?
Au niveau tactique, la situation n’est pas plus simple. Et
en effet, au-delà même de la justesse du raisonnement qui fait naturellement
débat, le défi de l’équipe France en 2014 sera de parvenir à convaincre les
partenaires, et en premier lieu les Allemands, d’engager sans plus attendre l’Europe
dans l’aventure Ariane 6. Le chemin est parsemé d’embûches alors que les
Etats membres s’opposent, souvent frontalement, sur plusieurs sujets : qu’il s’agisse
1) de la clarification de la gouvernance spatiale européenne et du rôle
respectif de la Commission et de l’ESA, ou 2) de l’avenir du vol habité en
Europe.
Si l’Allemagne et la France semblent être parvenues, aux dernières nouvelles, à un
compromis au sujet du premier, le second constitue un obstacle sérieux qu’il
sera d’autant plus difficile d’écarter que le CNES est par tradition
réfractaire à tout engagement dans un domaine qu’il juge trop onéreux (la
station spatiale internationale coûte chaque année 270 millions aux
contribuables français), en plus d’être accessoire sinon inutile (thèse du « piège à cons »). Peut-être
la solution viendra-t-elle d’outre-Rhin où l’on semble, pour la première fois
depuis la création de l’ESA, étrangement indécis. La décision
de la Maison Blanche de prolonger l’existence de l’ISS de quatre ans au-delà de
2020 rappelle, s’il en était besoin, qu’aucun
consensus n’a émergé sur cette question dans une Europe d’abord
préoccupée par ses difficultés financières.
Au sujet de ce dernier point, l’incertitude pèse principalement – à
tort ou à raison – sur la France alors qu’un rapport
de la Cour des comptes soulignait il y a encore peu que l’effort financier auquel
elle consentait était trop élevé. Le CNES pourra-t-il compter sur un appui
politique suffisant pour lui donner les moyens de ses ambitions et lui assurer
une position de force lors des négociations ? Pour le président de l’agence
spatiale française, à qui François Hollande a apporté son soutien lors
d’une visite au Centre Spatial Guyanais le 14 décembre dernier, la réponse ne
peut être que positive. Pour preuve, le budget du CNES sera cette année en
augmentation pour atteindre 2,127 milliards d’euros, soit le niveau le plus
élevé depuis plus de dix ans. Au total, avec 30€ par an et par habitant, le
budget que la France consacre à l’espace civil est le deuxième au monde après
les Etats-Unis.
L’année 2014 s’annonce comme une année charnière, une
année d’exception ; bref, « une chance pour l’Europe » comme l’indique
le CNES dans son programme« Ambition 2020 ». Bonne chance à elle alors, ainsi qu’à M. Le
Gall…
Je ne suis pas certain qu'aller refaire des feux d'artifice à poudre pour aller faire le pion de plus (de trop?) sur le créneau le plus concurrentiel ou la guerre des prix commence à faire rage soit une si bonne idée. La valeur ajoutée ne va pas être là et conserver les compétences illusoire.
RépondreSupprimerSi les chinois sont malins, ils vont débaucher fissa tous ceux qui ont bossé sur les moteurs a hydrogène et mettre la main sur les innovation qui seront utiles dans 10 ou 20 ans, car même si en ce moment, la technique évoluant, on mets moins de lourd en orbite... la tendance de long terme depuis spoutnik n'est pas celle là.
Et ce jour là, il ne nous restera plus que le pas de tir le plus proche de l'équateur sur terre à monétiser. Dommage.
On dira alors que les décisions actuelles sont un pur scandale industriel.