The Martian (Le Martien, ou Seul sur Mars comme a préféré le
traduire l’éditeur français), car c’est bien de lui dont il est question,
s’inscrit dans la lignée des ouvrages qui ont fleuri après le World War Z de Max Brooks. Résumé
simplement, il s’agit de raconter comment une série d’événements (épidémie de
maladie, virus informatique de type « robopocalypse »,
etc.) créé un contexte menaçant dans lequel la survie même du personnage-narrateur
est remise en cause et son existence transformée, à son corps défendant certes,
mais du simple fait de sa détermination à vivre et à laisser une trace de son
passage sur Terre, au gré de son nouveau statut de témoin privilégié voire d’historien.
D’où le recours à une technique narrative centrée autour du « je »,
singulier ou pluriel : témoignages des survivants dans le livre de Brooks,
enregistrements oraux du héros laissé seul sur Mars dans celui de Weir. D’où
aussi un découpage du récit en plusieurs courts épisodes permettant
d’entretenir la tension, du moins en théorie, si le lecteur ne se lasse pas du
procédé : tout comme World War Z est un
guide de survie en territoire zombie – pour réutiliser l’intitulé d’un livre
l’ayant précédé – dont les conseils nombreux pourront peut-être un jour
aider le lecteur prévoyant, The Martian se
lit comme un
manuel (très) détaillé de survie sur la planète rouge.
Force est néanmoins de reconnaître à ce roman des
caractéristiques propres qui le distinguent rapidement de cette littérature
récente : que cela soit lié au genre dans lequel il s’inscrit (la SF dite
« hard »)
qu’à plusieurs partis pris dont le choix explicite de ne pas développer les
personnages et de focaliser le récit sur l’action et l’action seulement (ce qui
l’élimine d’office de la catégorie « astrofuturiste »).
The Martian n’est
rien d’autre que le journal de bord de Mark Watney, un astronaute américain
laissé pour mort sur Mars après qu’une tempête de sable particulièrement féroce
a causé le départ précipité de ses compagnons. Cherchant à survivre dans un environnement
sans doute plus hostile que n’a jamais pu l’être l’île déserte dans laquelle
Defoe situe l’action de Robinson Crusoé,
privé de communication avec la Terre, il ne dispose pour l’aider dans cette
tâche que de son ingéniosité (il est après tout ingénieur-botaniste) et des
équipements installés par la NASA en prévision de sa mission d’exploration (par
ailleurs directement inspirée du projet Mars
Direct de Robert Zubrin). Autant dire pas grand-chose comme l’astronaute en
est lui-même très conscient : « I’m
pretty much fucked. That’s my considered opinion. Fucked. […] I’m
stranded on Mars. I have no way to communicate with Hermes or Earth. Everyone
thinks I’m dead. I’m in a Hab designed to last 31 days. If the Oxygenator
breaks down, I’ll suffocate. If the Water Reclaimer breaks down, I’ll die of
thirst. If the Hab breaches, I’ll just kind of explode. If none of those things
happen, I’ll eventually run out of food and starve to death. So yeah.
I’m fucked ».
Je laisse volontairement ouvert le reste de l’œuvre. Il
n’est pas dans mon objectif de faire un compte-rendu exhaustif de celle-ci ou
d’en dévoiler tout ou partie de l’intrigue. Je me contenterai simplement
d’explorer quelques thèmes marquants et de donner un avis qui bien sûr n’engage
que moi. Sur ce dernier point, disons pour commencer que les premières lignes
d’un roman sont souvent déterminantes et il faut admettre que l’incipit est ici
très réussi. Non seulement celui-ci parvient à accrocher le lecteur et à
l’intéresser à la situation apparemment désespérée du héros, mais il lui donne
aussi un aperçu de la recette utilisée par Weir pour concocter son
histoire : une succession de commentaires pince-sans-rire de la part du
héros et une détermination à toute épreuve à aplanir, un à un, de manière
littéralement scientifique, tous les obstacles qui se dressent inévitablement
devant lui. C’est ce mélange fait de tension narrative et de traits
d’humour qui donne à The Martian
toute son efficacité et fait son intérêt. C’est aussi ce qui constitue sa
faiblesse principale, le problème majeur de l’ouvrage étant son incapacité à se
renouveler et à enlever l’impression que l’auteur a enfermé son personnage
principal dans une sorte de boucle. Autant le premier tiers se lira d’une seule
traite, autant certains lecteurs n’auront peut-être pas l’estomac assez solide
pour avaler le reste sans risquer l’indigestion…
Pour les autres, et ils sont nombreux à en juger par le
nombre de traductions à travers le monde, je garantis que The Martian constituera par contre un authentique page-turner. Et pour cause, de l’avis
général, le livre tient à la fois d’Apollo 13 (R. Howard, 1995)
et de Seul au monde (R. Zemeckis, 2000), deux films plusieurs fois récompensés qui ont
en commun d’avoir pour interprète principal l’acteur Tom Hanks. Il n’est certes
pas innocent à mon sens que la comparaison qui vienne d’abord en tête soit
cinématographique. De fait, à cause notamment de ce manque d’épaisseur dont
j’ai déjà parlé, le livre n’est pas loin de ressembler à un projet de film dont
le scénario a été finalisé et son potentiel évalué très positivement mais
auquel il manque encore un réalisateur et des acteurs pour véritablement lui
donner corps. Reste que ce n’est pas non plus une coïncidence si ce sont ces
deux titres qui sont cités en priorité.
1) Tout comme Apollo
13 – « NASA’s finest hour » –, The Martian joue avec la croyance selon
laquelle l’agence spatiale américaine, une des rares entités gouvernementales à
obtenir la confiance
du contribuable américain malgré les ratés de l’ère post-Apollo, serait
l’incarnation par excellence de la compétence. Sa façon de faire est néanmoins
différente. Dans le film d’Howard, les héros sont moins les astronautes que les
egg heads qui peuplent de manière
caricaturale le Mission Control Center de la NASA et parviennent à force de
cogitations à ramener sains et saufs Jim Lovell, Fred Haise et Jack Swigert à
la maison. Eux seuls sont capables d’accomplir un tel exploit. Comme le veut
l’adage popularisé par l’acteur Robert Guillaume : « you put an X anyplace in the Solar System
and the engineers at NASA can land a spacecraft on it ». Weir laisse
lui aussi une place importante à ce genre de personnage mais donne plus de
latitude aux astronautes et notamment à Mark Watney qui passe l’essentiel de
son séjour sur Mars sans contact aucun avec Houston. Il est vrai que Watney est
autant un astronaute qu’un bricoleur de génie (un « MacGyver » lit-on
ici et là) adepte du quick fix comme
du duct tape.
2) La ressemblance avec le second film paraît, quant à elle,
purement formelle. Si Watney et le personnage joué par Tom Hanks sont tous deux
« seuls au monde », la solitude ne semble jamais vraiment peser sur
l’astronaute qui se révèle imperméable, contrairement au naufragé, à tout type de
folie, fût-elle passagère. Et pour cause, à la différence de nombreux films
spatiaux comme Moon (D. Jones, 2009),
Solaris (A. Tarkovski, 1972) voire encore
Gravity (A. Cuarón, 2013) où les
apparitions succèdent au sentiment d’isolement, de doute et de désespoir, Weir
refuse que son personnage s’abandonne à toute forme d’introspection. Certes, on
ne peut pas ne pas être frappé par la frénésie besogneuse qui semble s’emparer
de l’esprit de Watney dès le début pour ne s’achever véritablement qu’à la fin
du livre lorsqu’enfin il peut se laisser aller. Mais le don que l’astronaute a de se
glisser dans la peau d’un observateur extérieur comme penché sur son diagramme
de Gantt ou son réseau PERT avec ses tâches et ses chemins critiques, la façon
très rationnelle, presque détachée, avec laquelle il envisage sa situation,
tout cela laisse penser qu’il n’y a pas d’homme sur Mars, seulement un
ingénieur. Une conclusion qui n’est pas sans rappeler l’Île mystérieuse de Jules Verne, Mark Watney apparaissant dès lors
comme un Cyrus
Smith moderne.
Le revers de la médaille est bien sûr qu’il ne peut pas être
question de conquête de Mars ici. Bien
qu’il s’en défende en recherchant le réalisme et l’exactitude scientifique au
détriment du simple divertissement, le roman s’inscrit ainsi davantage dans la
veine d’un Gravity qui se borne à
subir les événements sans chercher à les modeler ou à
les devancer. La planète rouge n’est finalement
qu’un prétexte. Rien à voir donc avec un Ben Bova d’emblée plus politique malgré
un contexte d’exploration de Mars relativement similaire (Mars, 1993/2001 ; Retour sur Mars, 1999/2003). Rien à
voir non plus avec un K. S. Robinson dont la trilogie (Mars la rouge, 1992/1994 ; Mars la verte, 1993/1995 ; Mars la bleue, 1996) constitue
l’archétype même de la « nouvelle » génération de science-fiction
critique.
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