lundi 24 septembre 2012

Course à l’espace pour les candidats à la Maison Blanche ?

J’interromps un instant la série « Surprise stratégique » pour vous entretenir d’un sujet plus stellaire. J’avais l’hiver dernier commis un billet sur la place du spatial dans la campagne présidentielle américaine. Un thème bien curieux avait alors fait son apparition lors de la course à la nomination républicaine, celui de l’installation d’une base sur la Lune. De l’eau a depuis coulé sous les ponts : finalement choisi pour incarner le camp républicain et débarrassé de son extravaguant et encombrant adversaire Newt Gingrich, Mitt Romney s’est lancé en croisade contre le candidat Démocrate au moment même où le spatial américain accumulait les succès, ainsi de l’arrimage de la capsule Dragon/SpaceX à l’ISS et de la mission Curiosity arrivée sur Mars dans les meilleures conditions possibles.
A moins de deux mois des élections, l’heure est donc venue de revenir sur notre problématique. Depuis le « missile gap » qui a favorisé l’élection de John F. Kennedy face au Républicain Nixon, le fait est que le programme spatial attire généralement peu l’attention des candidats au poste suprême. La chose est d’autant plus vraie aujourd’hui alors que l’économie fait la Une, suivie des enjeux sociaux et sociétaux et même parfois des questions de politique étrangère. Il peut néanmoins y avoir des exceptions, comme lors de la précédente campagne de 2008. On se souvient ainsi du document que l’équipe du candidat Obama avait rendu public, et dans lequel était par exemple inscrite l’opposition à l’arsenalisation de l’espace a priori défendue par l’administration Bush. On se souvient aussi du débat entre représentants de chaque camp qui avait enthousiasmé les « space advocates ». De ce point de vue, la campagne de 2012 n’atteindra certainement pas les mêmes sommets. Reste que certains développements récents méritent d’être étudiés.

OBAMA : DEFENDRE LE BILAN

En prévision d’un arrêt du bus présidentiel à Melbourne,  FL, résumé ici, l’équipe « Obama For America – Florida » a publié début septembre un document de trois pages décrivant quels avaient été les « Key Accomplishments for NASA and Space » de l’administration durant les quatre dernières années. L’introduction est signée par le président lui-même.
I am 100 percent committed to the mission of NASA and its future. Because broadening our capabilities in space will continue to serve our society in ways that we can scarcely imagine. Because exploration will once more inspire wonder in a new generation sparking passions and launching careers. And because, ultimately, if we fail to press forward in the pursuit of discovery, we are ceding our future and we are ceding that essential element of the American character. 
Le document met l’accent sur principalement quatre axes : 1) l’extension de la durée de vie des projets spatiaux existants (« Extended the Life of Existing Space Efforts »), ainsi de l’ISS pour laquelle le soutien américain est prolongé au moins jusqu’en 2020, de la navette spatiale dont la terminaison était prévue initialement pour 2010, ou des projets d’exploration spatiale lointain à l’image de Mars Curiosity ; 2) du soutien apporté au spatial commercial (« Support Growth Of Commercial Spaceflight ») ; 3) de la poursuite des investissements pour la science (« Continued Investments in Science ») ; et 4) de la préparation de la nouvelle génération de vol habité (« Built Support for Next Generation of Spaceflight »). 

 Aucun des candidats n’est toutefois à l’abri des exagérations ou du détournement des faits. Si Mitt Romney a tendance – nous pourrions même parler, dans le cas Républicain, de véritable amnésie comme le prouvent les discours de son colistier Paul Ryan ou de son expert en politique spatiale Scott Pace – à omettre le fait que la décision de mettre un terme au programme de la navette spatiale est imputable à l’administration Bush, Obama soutient quant à lui, sous la section « Supporting Development Of The Next-Generation Space Vehicle », que « Under President Obama, NASA is developing a new vehicle, the Space Launch System, which will serve as the backbone of its human space exploration program in the post-Shuttle era ». Cela n’est que partiellement correct : le SLS, dont il est ici question, n’est pas une idée originale de l’administration Obama. Il est au contraire le résultat d’un compromis passé avec le Congrès après que celui-ci a imposé à la NASA (2010 NASA authorization Act) le développement d’une nouvelle super-fusée en remplacement de celle prévue dans le cadre du programme Constellation.

De même, le document cite le soutien apporté à la science mais omet les importantes coupures subies par le budget de l’exploration planétaire cette année. A ce propos, il précise également que l’administration « forwarded efforts to foster international cooperation in space » en oubliant que suites aux réductions budgétaires la NASA a dû se retirer de la coopération prévue avec les Européens dans le cadre de la mission double ExoMars, jetant l’ESA dans le désarroi le plus total. Capitalisant sur le succès de SpaceX de mai dernier (le prochain vol est prévu pour le 7 octobre), le document ajoute que le président « provided key funding to spur private sector development and demonstration of safe, reliable and cost-effective space transportation vehicles capable of delivering cargo -- and eventually crew -- to Low Earth Orbit and the International Space Station ». Ce serait négliger un détail important, l’initiative de créer un transport spatial commercial de marchandises est à mettre au crédit de l’administration Bush.

ROMNEY : L’ANTI-OBAMA

Samedi, l’équipe de campagne du candidat Républicain Mitt Romney a publié un Livre blanc sur la politique spatiale intitulé « Securing U.S. Leadership in Space ». Disponible sur Scribd, ce document de huit pages est un mélange (pas très) savant entre l’opinion du candidat (« The Romney-Ryan Plan: Securing U.S. Leadership In Space ») et sa critique de l’approche obaminienne du spatial américain (« President Obama’s Failure: Without Leadership, Capabilities Erode »). Comme le note Jeff Foust, « The document features as much attention to the perceived failings of the Obama Administration’s space policy as its own plans ». L’introduction signée de la main de Romney illustre parfaitement cette analyse :
Unfortunately, President Obama has failed to deliver a coherent policy for human space exploration and space security. As a result, he has created uncertainty and confusion within U.S. industry and the international community. The President’s disjointed collection of scientific projects lack guiding principles, plausible objectives, or a roadmap for long-run success. They also have left American astronauts to hitch rides into space on Russian spacecraft. America’s capabilities are eroding, and with each passing year will become more difficult to rebuild.
I will reverse this course and set a clear roadmap for space exploration. NASA will retain the intellectual capital to conduct research and to develop new generations of spacecraft for government missions that are not commercially viable, but it will promptly transition out of routine space operations in low Earth orbit as private sector capabilities mature. In improving the competitiveness of U.S. industry, government can play important supporting roles as a steady patron of R&D, an enlightened regulator, and a first buyer or anchor tenant for space goods and services. We will have a space program worthy of a great nation — one that strengthens our national security, builds peaceful engagements with other space-faring nations, and promotes the creation of a growing private sector for space commerce that will make America even stronger in the 21st century.
Dans ce document, l’équipe Républicaine désigne quatre priorités. La première recommandation vise la NASA (« Focusing NASA ») et souligne que « A strong and successful NASA does not require more funding, it needs clearer priorities ». Il faut aussi mettre l’accent sur la coopération internationale (« Partnering Internationally ») : le candidat Romney sera « clear about the nation’s space objectives and will invite friends and allies to cooperate with America in achieving mutually beneficial goals ». Le troisième point met l’accent sur un programme de sécurité nationale spatiale, qualifié de « robust » (« Strengthening Security »). Il incluera notamment « the development of capabilities that defend and increase the resilience of space assets ». Enfin, Romney veut revitaliser l’industrie spatiale américaine (« Revitalizing Industry »). A cet effet, il « will work to ease trade limitations, as appropriate, on foreign sales of U.S. space goods and will work to expand access to new markets ».

Les activités commerciales font l’objet d’une discussion détaillée. Pour les Républicains, la NASA doit se concentrer exclusivement sur l’exploration spatiale humaine. Pour  le reste, elle « will look whenever possible to the private sector to provide repeatable space-based services  », comme le transport de marchandises et d’hommes en direction de la LEO, jouant ainsi le rôle de « constructive partner for private sector initiatives ». Quant au secteur privé, il sera organisé autour de « commercially viable activities — from satellite launches to space tourism to new businesses and industries that U.S. entrepreneurs will no doubt create if provided a friendly environment for doing so ». La position de Romney sur le spatial commercial était attendue. Pour cause, si traditionnellement les Républicains soutiennent le secteur privé contre le « Big » gouvernement, la chose n’est pas vraie pour le spatial où le scepticisme l’emporte. Reste qu’il n’est pas aisé de choisir entre une approche que l’on pourrait qualifier de « socialiste » (ce que l’historien Walter McDougall a joliment intitulé « Tsiolkovskia » en référence au modèle unique, soviétique et américain et suites, développé dans les années 60) et une autre idéologiquement plus saine mais paradoxalement défendue par Obama. Là est toute la difficulté des Républicains aujourd’hui : la Maison Blanche leur a coupé l’herbe sous les pieds. D’où les contradictions de Gingrich

Cela ne revient pas à dire que le document de Romney, bien qu’essentiellement négatif, soit inefficace dans sa critique de l’administration. A mon sens, l’idée la plus forte est celle que soulignent les lignes suivantes, le fait que « Today we have a space program befitting a President who rejects American exceptionalism, apologizes for America, and believes we should be just another nation with a flag ». Le concept de l’exceptionnalisme, au cœur du programme spatial américain depuis les origines – faire des choses dans l’espace que peu, sinon aucune, de nations seraient capables de faire – constitue un argumentaire puissant face au camp Démocrate. Un constat qui dépasse d’ailleurs le seul exemple du spatial et représente une vraie ligne de démarcation entre Démocrates et Républicains. « Restoring the U.S. space program to greatness will require the leadership, management skill, and commitment to American exceptionalism possessed by only one candidate in this race: Mitt Romney » indique une lettre publiée en janvier dernier et citée en détail dans le document paru samedi. Parmi les signataires, nous trouvons notamment Michael Griffin, ancien directeur de la NASA, et Gene Cernan, le dernier homme à avoir marché sur l’astre sélène.

Mais bien que précisant combien l’espace est « critical » pour l’innovation technologique, l’économie, la sécurité et le rang des Etats-Unis dans le monde, le document ne présente aucun élément susceptible d’expliquer en quoi le leadership Républicain serait différent de celui incarné par l’actuel président.  Comme le note Marcia S. Smith, ce n’est pas en soi une mauvaise chose : il est de notoriété publique que la politique spatiale américaine a avant tout besoin de stabilité. Il manque toutefois à « Securing U.S. Leadership in Space » une vision et des idées propres. Le fait est que le document ne prétend pas même le contraire : si élu, Romney rassemblera des experts de touts bords – NASA, USAF, universités, entreprises –  afin de demander et conseils et opinions, et ainsi « set goals, identify missions, and define a pathway forward that is guided, coherent, and worthy of our great nation ».
DOCUMENTS

« President Obama’s First Term: Key Accomplishments for NASA and Space », Obama for America – Floridaseptembre 2012, 3p.








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