samedi 22 août 2020

Diplomatie française

Diplomatie française | Éditions Odile Jacob


Une fois n’est pas coutume, l’ouvrage qui nous intéresse aujourd’hui n’est pas lié à l’espace mais à la diplomatie française, laquelle a fait il y a deux ans l’objet d’une publication collective sous la direction de l’historien Maurice Vaïsse qui a été saluée. 

De fait, son ambition étalée sur près de 500 pages est grande : non sans se revendiquer de l’héritage de Jean Baillou dont l’histoire administrative du ministère des Affaires étrangères (MAE) fait référence, il ne s’agit rien moins que de donner une vue aussi complète, concrète et détaillée que possible de l’organisation, du fonctionnement et du rôle du Quai d’Orsay et de son réseau depuis 40 ans. 

Pour cause, la période allant de la fin de la guerre froide jusqu’aux tensions internationales actuelles est vue comme charnière, ces quatre décennies ayant été l’occasion d’une transformation radicale de l’organisation et des méthodes de travail du MAE. En creux, c’est bien entendu un portrait de la France et de sa place dans le monde qui est dressé.

D’emblée, il faut admettre que la matière est aride. A l’exception des parties sur la prise de décision et la politique étrangère qui sont rédigées par des universitaires et qui pourront éventuellement intéresser le plus grand nombre, le livre s’adresse en effet plus volontiers aux chercheurs spécialisés, diplomates et agents auxquels est proposé un panorama détaillé et dynamique de l’organisation et du fonctionnement du ministère des Affaires étrangères et de son réseau diplomatique depuis 40 ans. A parcourir les quelques comptes rendus publiés dans la presse, il ne s’agit pas là de la partie qui a été la plus lue et commentée. Et pourtant l’intérêt de ces pages nécessairement très descriptives est majeur, car elles seules permettent véritablement d’appréhender et de mettre à l’épreuve des faits les discours répétées sur l’impuissance (mainmise de l’exécutif sur la politique étrangère et imbrication entre l’intérieur et l’extérieur, qui sont des tendances générales qui touchent tous les pays) et la pauvreté de la diplomatie française (écart régulièrement constaté entre les moyens mis à disposition et les ambitions affichées, qui témoigne d’un phénomène d’hystérésis bien français et renvoie à notre identité et notre histoire).

L’accent est ainsi mis sur les réformes qui apparaissent depuis la géographisation du ministère imposée dans les années 1970 comme une constante de la période étudiée. On voit alors que, sur fond de mondialisation, de montée du multilatéralisme et d’une volonté de maintien d’une présence forte dans le monde (la sacro-sainte universalité du réseau, l’un des trois premiers au monde), le vrai enjeu a toujours été celui du « pré carré », autrement dit du champ d’action du ministère. C’est ainsi qu’à l’absorption des services de la coopération (1998) et plus récemment du commerce extérieur et du tourisme (2014) a répondu comme en écho la perte de certaines fonctions et expertises, conséquence aussi bien de « l’agentisation » (création d’opérateurs distincts de l’Etat mais placés sous son contrôle, à l’image de l’AFD qui a repris de facto les prérogatives de l’ancien ministère de la Coopération), du poids croissant de l’interministériel (au-delà même des questions communautaires de compétence principalement du Premier ministre) et de la montée en puissance des autres départements ministériels qui veulent aussi avoir leur mot à dire sur l’international (y compris développement des services spécialisés dans les ambassades).

Ce travail collectif (une quarantaine d’auteurs, mêlant universitaires, diplomates et archivistes) impressionne par la qualité et la grande cohérence des contributions. En dépit des inévitables redites suscitées par le découpage en cinq grandes parties (les instances de décision, le Département, les services à l’étrangers, les moyens de l’action diplomatique, l’action diplomatique), on ne peut également que saluer l’effort d’exhaustivité qui a été entrepris et qui apparaît d’autant plus utile qu’il vient pallier une mémoire institutionnelle qui de l’avis de tous est particulièrement courte. Ministère à vocation ouverte, sans doute le Quai d’Orsay était-il la seule administration à pouvoir tenter et réussir une telle entreprise. 

Au milieu de tout cela, le lecteur habitué de ce blog pourra trouver plusieurs paragraphes très intéressants en encart (4 pages pour être exact) consacrés au bureau spatial – en lien il est vrai avec celui des affaires atomiques. Illustration de la place toute particulière occupée en France par les politiques spatiale et nucléaire et à ce titre mise en exergue de l’accompagnement spécifique dont elles font l’objet depuis l’origine par le Quai d’Orsay, ce choix est tout à fait justifié. Il est aussi opportun compte tenu de ce qu’il révèle des valses-hésitations bureaucratiques et tentatives de normalisation de domaines qui constituent, comme indiqué avec raison, des « cas particuliers ». Il est donc regrettable que les propos qui y sont développés soient aussi approximatifs voire erronés (lecture trop rapide des organigrammes, méconnaissance du périmètre de compétences ou encore de la façon dont ces questions sont traitées, avec quels moyens et en lien avec qui).

Cela pourrait sembler anecdotique si ce n’était symptomatique de quelque chose de plus large qui est prégnant dans l’ensemble de l’ouvrage, à savoir un certain entre-soi. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de cet ouvrage que d’avoir été écrit, au nom sans doute de la vision globale et par commodité, par des acteurs (qui ne le sont plus tout à fait) sur et pour des acteurs (qui le sont encore), sans que nous ayons de certitude sur le caractère rigoureux, précis ou encore actuel de l’introspection en question. De la même façon, même si l’ouvrage n’est pas exempt de critiques envers la machine diplomatique, ses outils comme ses hommes, il convient de reconnaître que l’exercice – et c’est de bonne guerre pour un travail certes d’initiative privé mais néanmoins de commande – reste cantonné dans des limites bien comprises. A moins qu’il faille tout simplement y voir un intérêt supplémentaire d’en parcourir les pages afin de savoir comment la diplomatie française se perçoit et souhaite être perçue.



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