Récemment j’ai été frappé par la tendance qu’avait le cinéma à prendre pour base des faits réels mais en refaisant l’histoire. Ce n’est évidemment ni nouveau ni original : le cinéma, comme le théâtre avant lui (« All the world is a stage… »), adore servir de révélateur… dire sa vérité… donner son point de vue… Aujourd’hui, je perçois comme une tentative d’aller encore plus loin. En témoignent deux superproductions hollywoodiennes très significatives à cet endroit là. Je pense à X-Men : First Class (Matthew Vaughn, 2011) et Transformers : Dark of the Moon (Michael Bay, 2011).
X-Men : First Class met en scène les personnages des fameux comics X-Men de Marvel. Ici, il s’agit en outre d’un prequel de la saga X-Men déjà diffusée sur le grand écran. On y rencontre les premiers mutants, notamment les principaux protagonistes de la saga, le professeur télépathe Charles Xavier et Erik Lehnsherr, dit Magneto : d’où ils viennent, comment ils se sont connus… et comment ils sont devenus ennemis… Pour la critique :
“X-Men: First Class” reaches back to the early 1960s for an origin story of mutants, mad men and mods that takes some of its cues from James Bond and more than a few costumes from Austin Powers. Like “Mad Men,” this new “X-Men” indulges in period nostalgia as it gazes into the future, using the backdrop of the cold war (and its turtlenecks) to explore how the past informs the present (while also blowing stuff up).
Bref des mutants sur un fond de crise des missiles de Cuba en 1961.
Or depuis l’étude magistrale de Graham Allison, on analyse la crise des missiles de Cuba (Pourquoi l’URSS a-t-elle essayé d’installer ces missiles à Cuba ? Pourquoi les Etats-Unis ont-ils choisi de mettre l’île en quarantaine ? Pourquoi l’URSS a-t-elle finalement décidé de retirer ses missiles) à partir de trois façons. 1) Le modèle de l’action rationnelle s’inspire des théories réalistes au sens des RI et montre que, compte tenu du rapport entre coûts et avantages, les décisions prises par les Soviétiques ou les Américains étaient des solutions rationnelles fidèle aux objectifs qui étaient les leurs. 2) Le modèle des processus organisationnels repose, lui, sur l’idée selon laquelle la politique étrangère n’est que le produit d’organisations diverses agissant moins en fonction des instructions de l’exécutif que selon des modes de fonctionnement particuliers (routines, etc.). 3) La troisième lecture correspond au modèle bureaucratique : la décision finale est ici vue comme le résultat complexe d’un processus d’interaction et de négociation entre un ensemble d’acteurs collectifs et individuels désireux d’influencer la décision finale, s’affrontant ou s’alliant selon leur position respective (marchandage, etc.). La réalité alternative que propose le film est bien différente. [SPOIL/] On y apprend que la crise des missiles de Cuba, loin d’être le résultat inattendu d’une escalade nucléaire entre Khrouchtchev et Kennedy, est la conséquence d’une manipulation démoniaque nourrie par un rêve totalitaire. Sebastian Shaw, un mutant capable d’absorber et de diriger toute énergie, joue ici le rôle du puppet master : celui qui tire les ficelles et contrôle les destinées des hommes.
So you don’t have to pay terribly close attention if you want to grasp the basic political and military issues. The Autobots like freedom, the Decepticons do not, and mankind — or at least American mankind, which also likes freedom, as well as the cars and guns that symbolize it — is on the side of the Autobots. But there are traitors, both human and metallic, which makes things complicated in the sense that more exposition is required, and plot twists need to be handled with screaming instances of narrative torque.
Plus important, ici aussi, c’est tout un pan de la guerre froide qui est réutilisée, recyclée et réagencée…
La crise des missiles de Cuba n’a pas encore eu lieu lorsque le film commence sa narration. Mais il nous faut tout de même remonter aux débuts des années 1960, décidément une décennie exceptionnelle, pour voir l’histoire débuter. On y apprend que la décision de Kennedy en mai 1961 d’envoyer des hommes sur la Lune « before the decade is out » a été prise pour des raisons bien différentes de celles que les historiens se sont essayées à montrer. Oubliés le vol de Gagarine du 12 avril et l’échec du débarquement de la baie des cochons du 17, oublié aussi le besoin de fixer un objectif lointain – dans le temps et dans l’espace – afin de faire de la course spatiale un marathon que les Etats-Unis pouvaient gagner, plutôt qu’un sprint dans lequel les Soviétiques avaient déjà l’avantage. Non, l’explication est tout autre. [SPOIL/] En réalité, tant les Américains que les Soviétiques ont assisté en direct, bien qu’à distance, à l’impact d’un U.F.O. sur le sol lunaire. Ce qui a conduit à la course à la Lune que l’on connaît, mais pour un objectif précis et rationnel cette fois-ci : s’emparer des technologies aliens le premier. Ce qui conduit aussi à une version alternative de l’alunissage d’Apollo 11 en 1969. En bref, et à l’image du film X-Men, la réalité est brouillée : à l’irrationalité apparente de la guerre froide, on opte pour une solution si ce n’est élégante du moins logique sur la forme. (A noter que, pour la NASA, le film est une sorte d’hommage au programme spatial américain.)
En bref, les deux films refusent d’accepter l’irrationnel derrière les événements de la guerre froide. Il faut qu’il y ait une volonté (supra-)humaine logique derrière laquelle se placer pour tout expliquer :
1) En faisant courir le risque d’apocalypse nucléaire, la crise de Cuba a montré les terribles conséquences que pouvait entraîner une rupture de l’équilibre de la Terreur entre les deux Grands. L’analyse brillante de Essence of Decision et les commentaires qui ont suivi ont aussi conduit à la prise de conscience selon laquelle une escalade pouvait être provoquée, non par des raisons objectives, mais par des misperceptions entre décideurs (chacun voit en lui une légitimité et devine en l’autre un agresseur : les deux « K » sont le reflet de l’un et l’autre)*. X-Men nous prive de cette interprétation en faisant intervenir un troisième acteur caché à l’arrière plan. Les mutants sont les véritables protagonistes : Kennedy et Khrouchtchev assistent presque passivement à l’inéluctable préparé par les « méchants » d’abord, à la crise avortée du fait des actions des « gentils » ensuite. Cette narration me rappellerait presque l’épisode consacré (prétexté) à Cuba par la mini-série, The Kennedys. On est loin du documentaire The Fog of War ou même du film Thirteen Days.
2) La course à la Lune témoigne, là encore, d’une apparente irrationalité entre les Etats-Unis et l’URSS. Et pour cause, l’objectif d’aller sur la Lune peut paraître complètement gratuit. Le schéma suivi par le programme Apollo n’est absolument pas construit sur un motif de sécurité nationale (peur) ou même de profits commerciaux (intérêt). Non, il répond essentiellement à une compétition pour prestige. Or ce qui qualifie, entre autres choses, le prestige selon les études est justement l'irrationalité (dans le sens matériel du terme puisque le prestige peut être poursuivi au détriment de la sécurité ou de la prospérité ; dans le sens encore où le prestige entraîne souvent un investissement disproportionné par rapport au résultat). On se rend facilement compte qu’une grande partie des programmes spatiaux obéissent depuis l’origine à ces deux points : Soviétiques (Spoutnik, Gagarine, Mir, etc.), Américains (Apollo, navette spatiale, ISS, etc.) certes, mais aussi Français, Chinois, Indiens… se trahissent ici. Et là encore, l’interprétation hollywoodienne enlève cette richesse pour nous restituer un élément rationnel rassurant (?).
Ai-je oublié quelque chose ?
* Sur la crise de Cuba, voir le dossier « Rationalités et Relations Internationales : Débat sur la crise des missiles de Cuba » (avec les contributions de Jean-Yves Haine, Graham Allison et Philip Zelikow et Erhard Friedberg), publié en ligne par la revue Cultures et Conflits en 2000.
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