mercredi 18 avril 2012

Le satellite et Hollywood : petit guide exploratoire


Le dernier DSI Hors-Série n°23 (avril-mai 2012) consacré à la guerre de demain vient de paraître (consultable ici). Quatre grands thèmes sont traités regroupant ainsi quelques 25 textes organisés autour de « Technologie et innovation », « Frapper et combattre », « Observer et commander » et « Se projeter ». J’introduis pour ma part la problématique spatiale à travers un article sobrement intitulé « Espace militaire : situation actuelle, tendance à venir ». Je m’essaye à faire le bilan d’un demi-siècle d’expériences, de malentendus et de préjugés sur l’avenir du spatial, avant de « risquer » à mon tour une tentative d’analyse de futurologie et de prospective sur les 15-20 prochaines années.

Ce billet servira ici de complément de réflexion, ou plutôt d’illustration à l’article commis chez DSI. Tout comme dans ce dernier, le satellite y joue en effet le rôle principal.

Compagnon fidèle, sentinelle infatigable, le satellite est le véhicule spatial par excellence. De fait, même si l’origine étymologique (satelles) a beau n’être pas certaine, son « sens est clair : le mot désigne un garde du corps, un soldat, un auxiliaire, voire un complice » pour reprendre les mots de Jacques Arnould dans La Terre d’un clic. Du bon usage des satellites. Pour les Russes, il est le sputnik, le « compagnon de voyage » ; pour les Chinois, le wei xing, « l’astre gardien » ; pour les grecs enfin, il est dit doryphoros, ce garde du corps « armé d’une lance ».

Sans doute les 5000 satellites ayant rejoint l’orbite terrestre depuis 1957 méritent-ils ces noms. Encore que Hollywood a aussi son mot à dire. L’industrie du divertissement la plus puissante de la planète n’est en effet pas étrangère à la popularisation du satellite en tant que tel, tout comme elle n’hésite pas à lui donner un sens qui s’impose à lui en dépit des limitations technologiques et des lois de la physique. Florilège et commentaires. 

ICE STATION ZEBRA (Destination Zebra, station polaire, 1968)
File:Icestationzebra.jpg
Synopsis : Suite à un dysfonctionnement, une pellicule tombe d’un satellite-espion soviétique dans l’Arctique et aussitôt une course est déclenchée entre les deux Grands pour tâcher de la récupérer. Véritable MacGuffin, la bobine est censée contenir des photographies d’installations militaires soviétiques prises par inadvertance, expliquant donc l’appétit occidental. Inutile de dire cependant que l’Occident possède ses propres satellites. Cette course semble en outre d’autant plus gratuite qu’un agent britannique explique que le satellite russe fonctionne à partir de technologies occidentales volées.

Reste que la base du scénario n’est pas totalement invraisemblable. Les communications radios n’étant pas suffisamment développées, les premiers satellites américains et soviétiques fonctionnaient effectivement de cette manière, renvoyant depuis l’orbite terrestre les pellicules des films pris durant leur survol de la cible. Freinées par un parachute, celles-ci étant ensuite récupérées en l’air (par l’intermédiaire d’un filin dans le cas des Etats-Unis) ou au sol (dans le cas de l’URSS). En outre, à en croire un document déclassifié de la NRO (p. 155), en avril 1959, une pellicule renvoyée sur terre par un satellite Corona/Discoverer atterrit par erreur dans l’Océan Arctique et fut possiblement récupérée par des agents soviétiques (un conseiller technique du film aurait eu accès à cette information).



PATRIOT GAMES (Jeux de guerre, 1992)
File:Patriot Games theatrical poster.jpg
Synopsis : Basé sur le techno-thriller éponyme de Tom Clancy, le film fait suite à The Hunt for Red October (À la poursuite d'Octobre rouge, 1984) à la différence que le personnage de Jack Ryan est cette fois-ci interprété par Harrison Ford et non plus Alec Baldwin. Toutefois alors qu’il n’était que très brièvement fait mention de capacités d’observation spatiale dans le précédent (quelques photographies du sous-marin quittant son port d’attache), ici, le satellite est au cœur de l’intrigue. Grâce à celui-ci la CIA peut en effet suivre l’entraînement des terroristes irlandais de l’IRA dans les camps libyens et même diffuser en direct l’intervention des forces spéciales américaines.

Fait suffisamment rare pour être noter, Hollywood tâche avec ce film d’avoir le réalisme de son côté. L’imagerie satellitaire n’est pas montrée comme omnipotente : les détails ne sont pas forcément visibles sur les quelques images disponibles (il est vrai en couleur et non en N&B comme dans la réalité), et Ryan et les photo-interprètes qui l’accompagnent doivent comparer, la plupart du temps avec un microscope, et faire plusieurs suppositions avant de parvenir à identifier une femme (par sa morphologie) et un homme (grâce à sa calvitie). Qui plus est, les terroristes ne sont pas passifs : ils savent lorsqu’un satellite les survole et se cachent donc pour échapper à la détection. Afin d’intégrer un élément de surprise dans ce jeu du chat et de la souris, Ryan propose que les satellites soient reprogrammés provoquant la colère d’un représentant de la CIA : « Do you have any idea how big a deal it is to retask the satellites? ». Patriot Games n’en concède pas moins beaucoup de terrain à la science fiction : dans une scène devenue fameuse, un satellite fournit à l’équipe présente à Washington le suivi par vidéo, en direct et de nuit de l’attaque contre le camp terroriste.



ENEMY OF THE STATE (Ennemi d'État, 1998)
File:Enemy of the State.jpg
Synopsis : Le film Enemy of the State joue sur une tout autre dimension, également présente dans le livre de Jacques Arnould cité un peu plus haut. Le satellite y est représenté comme l’équivalent à la fois du Big Brother imaginé par Orwell et du panoptique (panopticon) décrit par Jeremy Bentham. A l’origine de cette révolution paranoïaque se trouve la NSA (National Security Agency) capable dans le film de prendre le contrôle des satellites américains et ainsi de suivre n’importe quel individu, dont le héros joué par Will Smith et son acolyte interprété par Gene Hackman. Repositionnés au-dessus de la capitale fédérale, les satellites délivrent en effet à leurs maîtres de la NSA une information en direct et en continu de la situation.

Le problème est qu’un satellite d’observation ne fait pas du surplace. Les fameux Key Hole américains naviguent par exemple en orbite basse, ce qu’il leur permet certes d’être au plus près de la cible, mais les conduit également à passer à très grande vitesse au-dessus d’elle. Résultat : il est impossible de suivre à la trace un objet ou un individu. A cela s’ajoute le risque météorologique (la couverture nuageuse, très importante si j’en juge l’état du ciel dans la plupart des scènes du film) qui bloque la vision du satellite, de même que la résolution qui n’est par définition maximale que lorsque le satellite est au zénith (juste au-dessus de la cible), qui ne laissent en définitive qu’une minuscule window of opportunity au bad guys. Dernier point : la NSA ne fait qu’intercepter les communications et aucun satellite ne lui appartient. N’en demeure pas moins une problématique fort intéressante sinon originale sur la surveillance dans nos sociétés modernes : « who's gonna monitor the monitors of the monitors? » demande la femme du héros, qui gardera les gardiens ? 



THE WORLD IS NOT ENOUGH (Le monde ne suffit pas, 1999)
File:World-is-not-enoughposter.jpg
Je ne pouvais parler de cinéma et de technologie sans évoquer James Bond. La mention sera cependant brève car bien que le film illustre, à l’image de tous les 007, une géographie mondialisée (Grande-Bretagne, Azerbaïdjan,  Kazakhstan, Russie, mer Caspienne, Istanbul) il n’est pas cette fois-ci question d’espace (pour cela, mais cela serait aller au-delà du mandat que ce billet s’est fixé, préférer Moonraker et sa bataille dans l’espace ou GoldenEye et son satellite ex-soviétique EMP). Dans The World Is Not Enough, le satellite n’est intégré dans le scénario que lors de la scène finale du repos du guerrier. Je ne m’interrogerai pas sur les possibilités techniques de la chose, simplement : depuis quand la Grande-Bretagne a-t-elle un satellite espion ?

3 commentaires:

  1. L'on pourrait aussi ajouter le laser de "Piège à grande vitesse", la voile solaire de "Meurs un autre jour" où le plus gros de tous, Icon de "Space CowBoys".

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  2. Intéressant billet et exemples de films bien choisis.
    Ca me donne envie de les revoir tous (lol).

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  3. Merci pour ces commentaires, ainsi que pour ces quelques idées de films. Space Cowboys mérite en effet un futur article. Qui sait, peut-être bientôt ! N'en demeure pas moins que je me suis concentré dans ce billet sur la militarisation de l'espace (reconnaissance, communications, etc.) et non l'arsenalisation (les satellites bombardiers, laser et autres). A noter d'ailleurs qu'il est surtout question ici de satellites espions (plus sexy du point de vue cinéma). Mais si jamais d'autres films vous viennent en tête, n'hésitez pas, je suis toujours preneur.
    Bien à vous,

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