samedi 28 avril 2012

« The truth is… I am Iron Man »

Ce billet a été publié sur AGS

Depuis quelques années, un nouveau genre hollywoodien, absent jusqu’alors aussi bien des salles de cinéma que des ouvrages critiques spécialisés, est apparu : le film de super-héros. X-Men, Daredevil, Hulk, Spider-Man, Hellboy, Batman, Fantastic Four, The Green Hornet, Thor, Green Lantern, Captain America, la liste est longue et ne saurait être exhaustive. Ce renouveau est cependant intéressant, je veux dire géopolitiquement parlant. Il l’est d’autant plus si l’on s’attache au phénomène Iron Man
Iron Man premier du nom (John Favreau, 2008) frappe en effet par une originalité certaine dans le paysage des films de super-héros. De fait, l’action débute non pas aux Etats-Unis, mais en Afghanistan. Par ailleurs, le principal fait d’arme du héros ne concerne pas les rues criminelles de l’Amérique à l’intérieur desquelles tout bon avenger se doit de patrouiller, mais un territoire étranger dans lequel la population civile est massacrée et l’armée américaine impuissante. Si le terrain de prédilection de Super Man est Metropolis, celui de Batman, Gotham City, et celui de Spider Man, New York, pour Iron Man, c’est d’abord la périphérie qui importe. Aussi serait-il sans doute envisageable de proposer à partir du film une lecture spécifique de la politique étrangère américaine après la fin de la guerre froide : si l’histoire relate la transformation (un classique du genre !) d’un playboy superficiel en super-héros responsable, elle semble aussi renvoyer à la mission impériale que l’Amérique consommatrice, entrepreneuriale, riche et futile se doit d’assumer.
Encore que Iron Man paraisse plus difficile à cerner. Tout comme Batman, Iron Man ne possède aucun superpouvoir, n’ayant que son intelligence et ses gadgets pour l’aider. Mais à l’inverse du premier dont les deux identités – héroïque et civile – se rejoignent logiquement, le héros (Batman) laissant la place au riche philanthrope (Bruce Wayne) et vice versa, Iron Man/Tony Stark (interprété par l’excellent Robert Downey Jr.) doit effectuer un saut identitaire d’autant plus extrême qu’il est définitif. En effet, Tony Stark est Iron Man, comme l’annonce narcissiquement le personnage à la fin du film lors de la conférence de presse, et Iron Man est Tony Stark, un super-héros sérieux (= puissant) qui agit de manière non sérieuse (= exubérant). Pour cette raison, Iron Man/Tony Stark est aussi un entre-deux. Il a beau entretenir des liens étroits, y compris amicaux, avec les militaires, sa dernière invention (la combinaison Iron Man) n’est pas pour eux, pas plus d’ailleurs qu’elle n’est destinée au marché. Si Stark est à la tête d’une entreprise d’armement, son style n’est certainement pas entrepreneurial : il s’oppose aussi bien aux vendeurs d’armes nationaux (sa propre famille) qu’aux terroristes afghans et au Pentagone (ses clients potentiels). En définitive, Iron Man/Tony Stark refuse de partager. Ce faisant, il protège certes son identité (« The suit and I are one. To turn over the Iron Man suit would be to turn over myself ») et son unicité en tant que super-héros, mais il préserve aussi son monopole impérial face aux forces civiles et militaires. La combinaison, équivalent moderne de l’armure du chevalier, lui permet d’assurer une paix post-nucléaire : « I’m your nuclear deterrent. Its working. We’re safe. America is secure. You want my property? You can’t have it. But I did you a big favor. I’ve successfully privatized world peace ».
C’est en effet par ces mots que Iron Man deuxième du nom (John Favreau, 2010) commence. Pour Iron Man/Tony Stark, l’arme ultime doit être unique si elle veut être morale. Aussi doit-elle rester un prototype à jamais réduit au stade de version béta. Ce qui est d’ailleurs illustré par ses qualités artisanales (Stark invente Iron Man au fond d’une grotte afghane, et il continue plus tard d’améliorer son invention dans le garage/laboratoire de sa villa californienne). Dès lors, la problématique ne peut être que celle de la prolifération.
Le principal intérêt de Iron Man 2, non des moindres si vous voulez mon avis, réside dans la menace multipolaire qui pèse sur Iron Man/l’Amérique. L’idée simple mais puissante est que d’autres acteurs ont la capacité d’avoir accès à la technologie inventée par Stark. Et dès lors, le risque est que ces nations rivales, symbolisées dans le film par le russe Ivan Vanko (interprété par Mickey Rourke), puissent venir limiter les marges de manœuvre du peacekeeper américain. Or tout comme l’Amérique de l’après-guerre froide, Stark n’est pas tout de suite conscient de cela. Qui plus est, le scénario se complique lorsque Stark doit s’inquiéter autant des gouvernements étrangers que de l’Amérique elle-même.

Si jamais le thème de  l’empire américain est présent au cœur du message du film, celui-ci n’est certainement pas interprété par Washington. Pour Stark, la technologie ne doit pas être centralisée, elle doit rester privée. Or Iron Man 2 est non-seulement anti-fédéraliste, il est aussi anticapitaliste. Le marché n’est en effet pas plus pertinent que ne l’est l’Etat. De ce point de vue, Iron Man s’oppose à l’ensemble des acteurs du Iron Triangle du complexe militaro-industriel américain, qu’il s’agisse des politiciens (le sénateur Stern, joué par Garry Shandling), des industriels (Justin Hammer, interprété par Sam Rockwell) ou des militaires.

L’ultime étape de cette construction est incarnée par le fait que le film ne fait pas davantage confiance à Tony Stark. Si Iron Man 1 donne à son personnage la personnalité d’un playboy qui se réinvente une mission de « gendarme du monde », Iron Man 2 voit plutôt en lui un être narcissique, égoïste et arrogant. Autant de termes qui dans notre monde qualifient souvent la superpuissance américaine.

D’où la question présente au cœur du film : comment résoudre cette instabilité multiple ?

Pour maintenir une suprématie technologique, la stratégie généralement adoptée, ainsi de l’Occident face à l’URSS, comporte deux volets, le premier se concentrant sur la R&D (leap ahead), le second préférant un système national et multilatéral de contrôle des exportations (keep them behind). Il en est de même dans Iron Man 2 où la combinaison joue le rôle de technologie duale : selon Stark lui-même, « not a weapon, it’s more of a highly advanced prosthesis ».
1) Le premier volet est illustré par la batterie qui maintient Stark en vie au prix d’un empoisonnement mortel, bien que graduel. Tony Stark doit trouver une nouvelle technologie – une métaphore des énergies renouvelables face aux énergies fossiles – basée sur une source d’énergie alternative. Mais le succès de cette opération, typique d’un quick fix à l’américaine, ne saurait être définitif. De fait, dans le film comme dans la réalité, une solution technologique ne peut pas résoudre un problème à l’origine politique.
2) Iron Man/Tony Stark doit donc envisager une autre méthode : ce dont il a besoin, c’est d’un partenaire. Loin d’être seulement un cliché du genre (Batman/Robin, Green Hornet/Kato, etc.), le sidekick est ici tout un programme : la puissance doit être partagée, car ce n’est qu’ainsi qu’elle peut être contrebalancée. Lutter contre la prolifération revient donc dans le film à faire confiance à des alliés, collaborateurs ou amis. Ce n’est que de cette manière que Iron Man pourra garder l’arme sous contrôle, non seulement de lui-même, mais aussi des autres. C’est aussi de cette façon que le film introduit cette société civile des super-héros qu’est l’initiative Avengers/S.H.I.E.L.D. dont on ne sait d’ailleurs pas trop si Iron Man/Tony Stark en est une nouvelle recrue. 
Contrairement à  l’Amérique de la fin de la guerre froide, notre héros parvient à répondre au défi de la prolifération en s’appuyant sur un des deux piliers traditionnels (keep them behind). Aussi Iron Man 2 finit-il sur une bien étrange boucle : non seulement Iron Man/Tony Stark choisit de combattre avec un partenaire, par ailleurs lieutenant-colonel de l’USAF (son ami James Rhodes, joué par Don Cheadle), disposant d’une combinaison quasi-identique, mais encore abandonne-t-il son aversion pour le gouvernement puisqu’il accepte de recevoir une médaille pour acte de bravoure des mains du sénateur Stern. Quid enfin du S.H.I.E.L.D., agence américaine, organisation onusienne, ou animal d’une espèce inconnue ?

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Pour les curieux, je propose la lecture de Robert Genter, « "With Great Power Comes Great Responsibility": Cold War Culture and the Birth of Marvel Comics », The Journal of Popular Culture, 40, 6, p. 953–978, Décembre 2007… ainsi que le dernier film de super-héros Avengers (Joss Whedon, 2012) sorti en salle mercredi dernier et déjà un hit :

2 commentaires:

  1. Chapeau bas pour le billet ! Je doute fort que 95% des spectateurs ne fassent plus de 5% de cette analyse !
    Que pense l'auteur de ce bloc notes du film "Avengers" auquel il fait référence et qui vient de sortir sur les écrans en France ?

    JLL

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  2. Merci JLL. Avengers est un film de super-héros beaucoup plus classique dans le sens où le bien et le mal sont clairement distingués l'un de l'autre (il est vrai que le film tente ici et là de mettre en avant une certaine ambiguïté sur qui appartient à quel camps, mais cela ne dure - naturellement ! - qu'un temps). Néanmoins, il faut reconnaître que l'idée de réunir plusieurs super-héros est très séduisante. Et de ce point de vue la promesse est en partie tenue : le spectateur avide d'effets spéciaux et de duels explosifs rentrera chez lui satisfait. Quant à celui qui aurait voulu aller plus loin, il ne trouvera à mettre sous sa dent que le thème un peu pâle de l'union fait la force - que seul le jeu de Robert Downey Jr (je reviens à Iron Man) parvient selon moi à rendre intéressant. Cela n'est pas franchement étonnant : ni Thor, ni Captain America, ne font le poids face aux films que j'ai décrits dans ce billet. Bref, le résultat est sympathique, sans plus, et je ne suis pas emballé (inspiré?) au point d'écrire un billet sur le sujet.
    G.P

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