Pour ses 50 ans, le CNES s’est offert un très beau livre. Je
dis « beau », mais je devrais également dire utile. Car il ne s’agit
pas d’un livre que l’on range sur le rayonnage de sa bibliothèque ou que l’on
sort de temps en temps pour s’attarder sur les belles images : non, ce
livre est beaucoup plus que cela…
Construit sur le mode exclamatif, le titre est lui-même tout
un programme : C’est l’espace ! 101 savoirs, histoires
et curiosités (Gallimard, 2011). En témoignent aussi bien la variété
des sujets traités : 101 entrées se dressent ainsi devant l’œil du lecteur,
à l’image de « banlieue », « biocosmisme », « bipolaire »,
« carte », « ciel », « cité »,
« coopération », « communication », « corps »,
« coût », « création », « cyborg »,
« E.T. », « fusées »,
« Knes », « noms », « opérations »,
« satellites », « souveraineté », que les profils divers
des auteurs : français ou étrangers, astronaute, historiens, sociologues,
écrivain, professeurs de philosophie, linguistes, ingénieurs, astrophysiciens, sémiologues,
etc. Extraits disponibles ici.
Construit sur le mode encyclopédique ensuite, ce livre
multiplie les approches et les points de vue et s’avère être d’autant plus
intéressant qu’il est complémentaire de l’ouvrage historique commandé vingt ans
plus tôt à l’occasion des trente ans de l’agence spatiale française et
justement intitulé, Les trente premières années du CNES
(La Documentation Française, 1994). En grande partie rédigé à partir de sources
de première main et de commentaires des acteurs eux-mêmes, cet ouvrage se
concentrait exclusivement sur l’aventure
spatiale française. Il ne restait plus qu’à prendre un peu de hauteur afin
de prendre comme objet non plus un seul pays, mais l’humanité entière :
voilà chose faite !
... ainsi avec Le Saut
dans le vide de Yves Klein, paru à la une de Dimanche, le journal d’un
seul jour (27 novembre 1960) sous le titre « Un
homme dans l’espace ! ». Deux versions des moments qui ont suivi
ce saut spatial ont été données : l’une optimiste, signée par Fayçal
Baghriche en 2004, le cycliste pédale mais Klein n’est plus là (sans doute
dans les étoiles), l’autre négative montrée la même année par Ciprian Muresan et intitulée Leap into the void, after three seconds.
Même s’il est question des rapports entre l’espace et la
télévision, le cinéma, la BD et même la publicité, il reste un sujet étonnamment
absent de ce livre : internet ! En effet, sauf quelques brèves
mentions ici et là, aucune entrée ne lui est spécifiquement dédiée. Il n’est pas fait cas de l’essor des informations
intégrées de type GIS, principalement d’origine satellitaire, qui autorise l’analyse et l’intégration de plusieurs niveaux d’informations
spatiales associés à une localisation géographique particulière. On cherchera
en vain comment certaines rumeurs ou analyses plus ou moins bien fondées se
développent en creux lorsque les informations sont par nature insuffisantes ou
tronquées. La Chine et les Etats-Unis font ainsi régulièrement les premières
pages à coup de lasers, microsatellites, ASAT chinois (cas unique, l’ASAT
chinois de 2007 a été révélé pour la première fois sur le net
avant d’être confirmé par la diplomatie américaine quelques jours plus tard)
voire avions spatiaux. Rien non plus n’est dit de la diffusion et de l’évolution de l’idée que l’on se fait du spatial grâce au support qu’offrent
le net et les nouveaux médias sociaux. Cet oubli est d’autant plus dommageable à
mon sens – et c’est aussi l’auteur d’un blog baptisé De la Terre à la Lune qui parle – que l’exploration de l’espace se
joue aujourd’hui énormément sur le net.
Les campagnes de communication des agences spatiales de tous
les pays l’illustrent aisément. Ainsi
par exemple lors du tweetup organisé au printemps dernier lors de
l’amarrage de l’ATV à l’ISS, du premier SpaceUp européen, des efforts du CNES à cet égard ou du compte twitter de la NASA qui, outre
comptabiliser un peu plus de 3 millions d’abonnés, soit le 280e
meilleur chiffre mondial, s’est cette année vu attribué un prix. Si l’image géante à très
haute résolution de la Terre, dite « Blue Marble » (Bille Bleue),
prise en octobre 2011, a été visionnée plus de 4,6 millions de fois, le lancement
de l’entreprise SpaceX en mai dernier a quant à lui fait l’actualité : #DragonLaunch est
devenu pendant quelques minutes le numéro 1 des tendances mondiales, avec International
Space Station à peine quelques rangs derrière. La blogosphère n’est pas en
reste, qu’elle soit institutionnelle et professionnelle, à l’image du blog tenu par les astronautes de
l’ESA, ou plus « amateur » comme votre serviteur. Nous pourrions
multiplier les exemples tant Internet cristallise les efforts de projection et
de rayonnement des acteurs du spatial et que chaque « événement » est
l’occasion de créer une attente, et d’attirer et de démultiplier le regard du
public. La NASA est sans doute à ce titre l’exemple le plus abouti.
L’exemple américain
La NASA a en effet compris combien Internet permettait de
connecter, mais aussi de relier et d’engager le public. Avec les médias
sociaux, la NASA peut ainsi tout à la fois raconter une histoire, construire
une relation, atteindre le public là où il se trouve – chez lui – sans qu’il
ait lui-même besoin de se déplacer, voire prendre part à une conversation déjà
existante. Cela n’a rien d’évident. L’émergence d’internet et des nouveaux
comportements favorisés par les médias sociaux provoque l’intérêt comme le
trouble pour cette institution historique née en 1958 de la crise déclenchée
par Spoutnik. La transparence constitue un pan entier de la culture outre-Atlantique.
Mais comme dans chaque cas lorsqu’il s’agit d’une bureaucratie, l’adaptation
demande du temps et de l’argent : il faut identifier les responsables officiels
(IT/Net ou communications), développer les ressources, cerner les enjeux de
sécurité et ceux liés au caractère privé de certaines informations, et savoir
comment impliquer l’ensemble des services (éducation, archives, etc.), de même
que, dans le cas de la NASA, tous les centres dispersés dans tout le pays (NASA
HQ, Kennedy Space Center, Ames Research Center, Jet Propulsion Laboratory,
etc.). Développer une présence sur les médias sociaux constitue néanmoins un
avantage indéniable. Pour la NASA, cela a sans doute été aussi l’occasion de réviser
ses stratégies de communication en temps de crise poursuivant ici les efforts
engagés après les tragédies Challenger
en 1987 et Columbia en 2003. Cet
outil de communication n’a en effet rien à voir avec le communiqué de presse.
Il s’agit d’une tout autre culture. Ici, c’est une véritable conversation qui
s’engage : on écoute autant qu’on exprime. Cela présente aussi des
inconvénients : lorsqu’une conversation est entamée, l’effort doit
naturellement être poursuivi, il faut participer, interagir, admettre ses
erreurs, sans cesse répondre, et toujours rester présent – au besoin en donnant
des rendez-vous à heures fixes. L’investissement doit être permanent si l’on
veut établir une crédibilité.
A cette fin, la NASA s’est faite humaine. Elle engage des conversations à base de smileys, de
références à la culture populaire et de plaisanteries. A l’intersection de tout
cela, elle a aussi inventé l’anthropomorphisation à travers ses rovers (@MarsPhoenix, @MarsRovers, @MarsCuriosity), sondes (@NASAJuno, @NASAVoyager2) et surtout, cas
extrême, ses robots (@AstroRobonaut)
sans oublier tous ses avatars plus ou moins contrôlés qui participent au rêve
spatial (@SarcasticRover).
Elle s’est adjointe l’aide de représentants visibles comme @Lori_Garver et l’ensemble du corps
des astronautes (32 possèdent
un compte actif sur Twitter). La NASA a développé une version mobile de son site. Elle a également favorisé
la migration de sa chaîne de télévision
vers Youtube. L’interconnexion, quel que soit le
support choisi, son caractère installé ou nouveau (twitter, Flickr, MySpace, Facebook, Google+,
etc. plus de 200 comptes au total, et une présence multipliée par 157 sur
Twitter), le mode (blogs, Chat, applications sur IPhone et Androïd, rencontres IRL, événements historiques de
type premier tweet en provenance de l’espace écrit par @Astro_Mike, ou premier tweet en
direct de l’espace rédigé par @Astro_TJ,
« flashcode »
dessiné sur le bras robotique de Curiosity utilisable pour obtenir des
informations supplémentaires sur la mission, etc.), ou la provenance (officiel
ou amateur), est encouragé. De même que l’est le partage (on peut
« aimer » l’histoire, le récit) et les partenariats avec les acteurs
du spatial américain (SpaceX, etc.) et de la société civile (universités,
etc.). Résultat, l’agence spatiale américaine a plus de 1 500 vidéos et plus de 7,4 visionnages à son
compte en 2010, une dizaine d’applications,
de même qu’une crédibilité renforcée à la fois par la richesse des contenus
(expertise, aperçu de l’intérieur, etc.) et la motivation des
« visiteurs » qui ne sont plus seulement des « fans »,
« abonnés » ou simples « consommateurs », mais des
créateurs, des collaborateurs, des « space geeks », voire des
prosélytes.
Fondée sur la section 203, paragraphe (a), troisième alinéa
du National Aeronautics and Space Act de 1958, selon laquelle « The Administration, in order to carry out
the purpose of this Act, shall provide for the widest practicable and
appropriate dissemination of information concerning its activities and the
results thereof », la politique de la NASA vis-à-vis des médias sociaux est
un succès visible au quotidien.
L’exemple européen
A noter que le CNES n’est pas absent de cette évolution
générale. J’ai beau déplorer l’investissement (presque)
exclusif en direction des applications Iphone au détriment d’Androïd,
j’applaudis l’effort accompli depuis quelques temps sur Twitter (8 000 abonnés), Facebook (8 600
likes), la blogosphère (La tête en l’air, consacré à l’image spatiale, et La
capsule, qui propose des podcasts) et Dailymotion et qui permet à l’agence
spatiale française de toucher un plus vaste public, notamment les jeunes. La présence active du CNES sur
les médias sociaux est également assurée par l’organisation d’événements IRL, à
l’image des Tweetups toulousains lors
des lancements ATV, ou plus spécifiquement Les
mardi de l’espace sur Paris et peut-être bientôt ailleurs.
Contrairement au DLR allemand, dont l’activité sur le web
est bilingue (allemand et anglais), le CNES n’assure lui qu’une présence
francophone. Quant à l’ESA, elle twitte
en anglais (66 900 abonnés) et
depuis peu en allemand, français
(1 000 abonnés seulement !), espagnol, italien, grec et néerlandais. Nombreux
sont aussi les astronautes à
assurer un livetweet de leur expérience à l’entraînement ou en mission, de même
que les différents organismes et missions spatiales de l’ESA. Les comptes
Flickr (voir les photographies
prises par Andre Kuipers depuis l’ISS) et Youtube
sont également très actifs. Bien que dans le sillage de la NASA, l’Europe met
donc elle aussi à son profit les enseignements des médias sociaux :
transparence, participation, ouverture, crédibilité, communication en temps
réel, partage, interaction et réutilisation libre des données d’origine
spatiale… impliquant un traitement identique des médias traditionnels et du
public, un contenu scientifique chaque jour plus riche et mis à disposition de
tout le monde, et le recours à des licences de droits d’auteurs libres (de type
Creative Commons).
... à suivre
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire