Pour les puissances dépendantes des systèmes spatiaux, le
scénario décrit par la Commission Rumsfeld en 2001 a tout du cauchemar. Il
suppose qu’un Etat voyou nucléarisé, comme la Corée du Nord, celle-là même qui
la semaine passée a réussi pour la première fois à placer un satellite en
orbite à l’aide de sa fusée Unha-3, puisse un jour se sentir à ce point menacé
qu’il soit prêt à opter pour une attaque indirecte de type HAND – « High Altitude Nuclear Detonation »,
explosion nucléaire à haute altitude. Prenons
donc de la hauteur, disons l’orbite basse et au-delà, et étudions de plus près
cette question…
Historiquement, l’arme nucléaire a été la première
considérée lorsque l’objectif antisatellite (ASAT) est apparu peu de temps
après le passage assourdissant (« bip bip ») de Spoutnik dans le ciel
étoilé. Elle est alors en effet la seule alternative à même d’offrir avec
certitude la destruction de sa cible. A la fin des années 1950, le Projet 505
(alias Mudflap) de l’US Army prévoyait ainsi l’utilisation du missile ABM
Nike-Zeus, doté d’une bombe de 400 kilotonnes, contre des cibles spatiales.
Jugé insuffisant, l’US Air Force lui préféra le Projet 437 : basé sur un
missile Thor, certes plus lent au départ, celui-ci pouvait transporter une
charge utile nucléaire beaucoup plus importante sur une plus grande distance. Cette
capacité ASAT dotée d’ogive nucléaire a été déclarée opérationnelle à partir de
1964 après la série de tests de l’Opération Dominic conduits au-dessus de l’atoll
Johnson dans le Pacifique. Une fois le retrait du programme Thor effectué en
1976, les Etats-Unis ont opté pour des mécanismes tueurs non-nucléaires à
impact cinétique. L’URSS, et depuis 2007 la Chine, ont suivi la même voie. Et pour
cause, les effets ASAT dévastateurs, durables et par-dessus tout totalement
indiscriminés de bombes atomiques explosant à haute altitude n’ont pas manqué
de poser nombre de questions sur les conséquences de leur utilisation.
Le test nucléaire du 9 juillet 1962, désigné sous le nom de
code Starfish Prime, a été de ce point de vue une véritable révélation. Non
seulement la détonation à 400 km d’altitude d’une bombe de 1,4 mégatonne a démontré
que le total des radiations générées était suffisant pour provoquer une
exposition excessive, c’est-à-dire supérieure aux radiations et rayonnements
naturels cosmiques anticipés, de la part des satellites circulant en orbite
avant dissipation. Mais elle a aussi montré l’existence d’effets moins
immédiats, beaucoup plus importants que ce que les calculs avaient laissé
supposer, incluant les interférences causées par l’impulsion électromagnétique
(IEM, plus connue sous le nom EMP de l’anglais « electromagnetic pulse »). Si les pannes d’électricité provoquées
à Hawaï, situé à 1 500 km du point
de détonation, sont généralement connues, de même que l’aurore artificielle
apparue dans le ciel, on sait moins qu’environ un tiers des satellites présents
en orbite basse ont été affectés. Au moins six – peut-être sept voire huit –
d’entre eux auraient ainsi cessé de fonctionner dans les mois suivants le test,
dont le premier satellite commercial de communication Telstar 1 lancé avec
grand fracas à peine un an auparavant, le premier satellite britannique Ariel
1, les satellites militaires américains TRAAC et Transit 4B, Injun 1 et le
satellite soviétique Cosmos 5.
De ce point de vue, il est relativement aisé de comprendre
pourquoi les Américains – inquiets des conséquences qu’une course nucléaire
dans l’espace aurait sur leurs intérêts commerciaux émergents en orbite par
trop vulnérables face aux EMP – et les Soviétiques – tout aussi affolés face
aux effets des radiations sur leur programme de vols habités dont la
supériorité était indiscutable et le résultat politique très prometteur – se
sont trouvés à la fin de l’année 1962 à la croisée des chemins. L’essor
concomitant des « national technical means of verification », « moyens techniques nationaux » ou MTN, finira de faire pencher la balance du côté de l’auto-limitation ; les
contours du régime de l’espace étaient nés.
Over the past few years, there has been increased focus on US space systems in low Earth orbits and their unique vulnerabilities, among which is their susceptibility to nuclear detonations at high altitudes—the same events that produce EMP.
L’utilisation, massive aux Etats-Unis, des ressources spatiales comme multiplicateur de force, « amplificateur d’efficacité » diront certains, a sans doute changé la donne. C’est d’autant plus le cas que – l’ASAT nucléaire n’étant pour dire les choses simplement qu’une tête nucléaire attachée à une fusée – toutes les puissances nucléaires du monde ont potentiellement une capacité ad hoc de déni d’accès à l’espace.
Telle a partiellement été la leçon tirée lors du Winter War
Game de 1997 de l’US Army et dont la RAND
s’est faite l’écho, le scénario ayant donné un avant goût de ce qu’une
guerre avec une puissance rivale n’ayant rien à perdre pouvait impliquer pour
la puissance spatiale américaine. Ainsi, dans le monde imaginé de 2020, l’équipe
BLUE (une force militaire américaine « transformée » ultra-dépendante
de ses moyens spatiaux), placée face à face avec l’équipe RED (une armée russe
modernisée mais non pas « transformée ») dans le cadre d’un conflit
conventionnel européen quelconque, avait dû reculer devant la stratégie
surprise mais efficace de son adversaire. Sans l’intervention des juges
sceptiques quant à la vraisemblance d’une telle attaque, certes dévastatrice du
point de vue des infrastructures spatiales, l’équipage RED aurait pu remporter
aisément la victoire que lui avait fournie l’utilisation en début de combat
d’armes ASAT. Il est exact que dans le monde réel, en dehors du wargame, les
rivaux de l’Amérique auront à l’inverse de l’équipe RED tout naturellement à
réfléchir aux conséquences de leurs actes une fois l’infrastructure spatiale
américaine mise hors service, soit la crainte d’une montée aux extrêmes, d’une
escalade conduisant inévitablement à la « destruction mutuelle
assurée ». Cela paraît d’autant plus vrai dans notre cas que la nature
indiscriminée de l’ASAT nucléaire a peu de chance de séduire une nation
technologiquement avancée dépositaire d’un investissement personnel tout aussi important
dans l’espace.
En réalité, et ce sont d’autres wargames – en particulier ceux
confidentiels connus sous le nom de DEADSATS largement décrits
dans un techno-thriller
spatial datant de 2007 – qui nous en offrent l’illustration, l’ASAT
nucléaire ne présente un intérêt certain que pour les puissances nucléaires ne
participant pas à l’économie globale. En effet, renvoyer à la case
« sous-développement » les pays désignés comme ennemis constitue le
plus grand « égalisateur » jamais inventé. La supériorité spatiale
occidentale, en premier lieu américaine, est ainsi menacée non pas tant par des
nations technologiquement avancées à l’image du « peer competitor »,
mais davantage par des Etats dit « voyous » qui ont réussi à
s’approprier des armes nucléaires, de même que les moyens d’en assurer la
livraison. Un scénario sans doute plus vraisemblable que l’invasion
aéroportée dont le récent remake de Red
Dawn nous offre aujourd’hui le spectacle sur grand écran.
De tels Etats n’ont en effet pas de raison véritable d’intégrer
la norme de la dissuasion. Non seulement un Etat voyou, pauvre, déjà affecté par
des sanctions économiques, mettant à bas les constellations de satellite n’a
pas ou plus les moyens de lancer ces mêmes armes sur le territoire national de
ses adversaires. Mais la décision d’utiliser l’arme atomique pour une victoire
tactique, visant des cibles automatisées, inhabitées, peut difficilement
justifier un acte vengeur sous peine de sortir du cadre de la proportionnalité.
Comment répondre à la destruction de milliards de dollars d’équipements et à la
disparition de la capacité de mener une guerre technologique en dehors de
ses frontières ? Comment répondre à ce type de guerre à « zéro
mort » ? Tel est le dilemme des partisans de la dissuasion spatiale
qui ont bien du mal à convaincre.
L’ASAT nucléaire pourrait être ainsi le seul exemple contemporain
d’utilisation de l’arme atomique sans crainte de répercussion. Pour le prix de
quelques fusées et de quelques ogives, un Etat voyou peut supprimer une grande
partie des satellites d’observation de la Terre menacés par les effets directs
mais aussi induits de l’EMP (exposition aux rayons ultraviolets). S’il est
capable de produire des fusées plus puissantes et de suffisamment miniaturiser
ses têtes (10 mégatonnes selon les estimations sont nécessaires), il peut aussi
mettre en danger la constellation GPS. S’il parvient à rejoindre l’orbite
géostationnaire, il peut enfin porter un coup fatal aux satellites de
communications. Certes ces équipements, notamment ceux appartenant aux
militaires, sont durcis. Reste que de nombreux services, y compris militaires,
reposent sur le secteur commercial dont les satellites sont plus vulnérables à
des événements EMP, perçus comme peu probables. La perte de ces systèmes est donc
plus que coûteuse, elle est paralysante pour les nations avancées. C’est vrai
au niveau militaire, ça l’est également au niveau économique. A l’inverse,
l’espace reste avant tout un luxe pour l’Etat voyou. Sa survie lui importe
davantage ; privée de la vue, de l’ouïe et de l’usage de la parole, la
puissance spatiodépendante sera incapable de projeter ses forces, donc
d’intervenir régionalement, permettant ainsi à l’Etat agresseur de bénéficier
localement de sa victoire.
Cette présentation du « Pearl Harbor spatial » est
naturellement imparfaite et partielle…
1) Rappelons tout d’abord qu’une attaque de type HAND, indiscriminée, a toute les chances de provoquer, sinon la destruction physique de la Station spatiale internationale, du moins son arrêt de fonctionnement et dès lors la mort quasi immédiate de ses occupants qui y vivent de manière permanente depuis 2000. L’assassinat de 3 ou 6 astronautes, « représentants de l’humanité », héros de plusieurs nations, ne manquera pas de provoquer une réaction vive de la communauté internationale, notamment de la part de l’Amérique, de ses alliés et de la Russie rassemblées dans une communion de douleur par un même désir de vengeance. La réponse serait sans doute conventionnelle, repoussée dans le temps du fait de la destruction des systèmes spatiaux dont dépendent toutes les armées du monde, mais elle n’en serait pas moins certaine.
2) A un tout autre niveau, plus technique, rappelons ensuite qu’un satellite ne constitue qu’une composante d’un système plus large, incluant notamment les stations au sol qui donnent les instructions, reçoivent et transmettent les communications qui utilisent les plateformes spatiales comme relais, et enfin servent de lieu de collecte pour les données recueillies par le satellite. Dans cette perspective, non seulement le segment sol est tout aussi menacé par les effets EMP, mais les signaux up & down eux-mêmes peuvent être perturbés par l’ionisation de l’atmosphère due à l’explosion nucléaire. Nous retrouvons ici le spectre de la menace EMP classique. Gageons que le lecteur saura satisfaire sa curiosité en jetant un œil sur les autres contributions de ce dossier sur AGS.
2) « Electromagnétisme
: cela sert aussi à faire la guerre », par SD
3) « Une
seconde après l’EMP : la fin de la civilisation ! », par SD
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