dimanche 27 janvier 2013

L’Espace et la défense aujourd’hui : 1 + 2

Le 10 janvier dernier, l’équipe des Cafés Stratégiques de l’Alliance Géostratégique (AGS) organisait une discussion autour de Xavier Pasco (FRS). En attendant la 22e édition prévue pour le 14 février, il me semble opportun de revenir brièvement sur les grands axes de réflexion dont il a été question. A noter que ce compte-rendu n’engage que la responsabilité du rédacteur de ce blog : les omissions, choix et, le cas échéant, erreurs d’interprétation sont miens seulement.
Pour comprendre l’Espace aujourd’hui, il est intéressant de noter l’existence d’une constante et de deux variables.

1) Tout d’abord la constante. Depuis les débuts de l’âge spatial en 1957 jusqu’à aujourd’hui, un facteur de stabilité et d’organisation s’est dessiné : celui représenté par la prééminence américaine. En effet, il est frappant de voir que le rapport de force n’a jamais réellement varié au point qu’il soit possible de parler aujourd’hui de deux planètes : la première incarnée par les Etats-Unis, la seconde occupée par le reste du monde. Ainsi, 62% des dépenses spatiales mondiales civiles proviennent des Etats-Unis (43 millions en 2011). De même, 85 à 90% des dépenses spatiales militaires sont américaines. Un écart, il faut retenir l’ordre de grandeur plus que le détail des chiffres, qui se cumule alors que 50% des satellites civils et 64% des satellites militaires appartiennent aux Etats-Unis. Dans ces conditions, il devient plus facile de comprendre la logique américaine. Le fait est que la puissance des Etats-Unis repose plus que les autres sur le spatial, d’où aussi une vision du monde différente héritière de 50 ans d’investissements. C’est en grande partie ce constat qui a conduit à la redéfinition des trois dernières décennies. Pour l’administration Clinton élue en 1992, l’enjeu était de ne pas perdre des années d’investissements, tout en restant maître du jeu et donc en continuant à définir les règles. D’où par exemple l’accent mis sur la libéralisation de l’imagerie spatiale en 1994, du GPS en 1996, avec à chaque fois l’idée d’utiliser les points forts de la puissance américaine pour organiser normativement le spatial.

2) S’ensuivent deux facteurs d’évolution.
Le premier a trait à l’élargissement du club spatial. A mesure que la technologie évolue, le club se fait moins élitiste. Ainsi, de plus en plus de pays ont aujourd’hui accès à la technologie satellite (55 pour le moment). Il en est de même de l’accès à l’espace, longtemps le symbole par excellence du monopole des grandes puissances. Ce faisant, l’exploitation du spatial se diversifie : aux motifs traditionnels (symbole, prestige) s’ajoutant des objectifs nouveaux (utilité économique). 
Le second élément, décrit plus longuement dans un chapitre de l’ouvrage Envol vers 2025 par Xavier Pasco, se traduit par l’empilement de nouveaux cadres de compréhension, de nouvelles logiques d’utilisation. A la couche traditionnelle dite stratégique (le spatial de la guerre froide, l’équilibre bipolaire et la surveillance des silos nucléaires au travers des « National technical means of verification »), se sont ainsi superposées, sous l’impulsion des Etats-Unis, une couche opération-tactique (la « première guerre spatiale », celle du Golfe en 1990-91), puis une couche défense-sécurité qui vient compliquer un peu plus la lecture des politiques spatiales. Alors que dans les années 1950 l’Espace était identifié avec précision, il est aujourd’hui devenu un objet mouvant, large, servant à tout et nécessitant de penser en termes d’architectures, de systèmes, voire de systèmes de systèmes, le tout au sein de la société.
Une fois ce portrait 1 + 2 du spatial grossièrement brossé, il est possible d’entamer une réflexion de prospective. Alors que l’Espace entre soi n’est plus aussi central qu’auparavant et que, empilement des couches aidant, les systèmes spatiaux sont de plus en plus interdépendants – entre eux et avec les éléments non spatiaux –, donc vulnérables, de nouvelles préoccupations viennent sur le devant de la scène. Xavier Pasco qualifie de quatrième couche de l’« espace contrôlé » cette nouveauté. Ainsi, du point de vue américain, le contexte est en train de changer : désormais, il est envisageable d’utiliser le spatial de manière plus active au travers de mesures « counterspace » ou de manœuvres. Il n’en a pas été directement question lors de la conversation. Toutefois, pour revenir sur une formule relativement connue, une telle tendance serait synonyme d’« arsenalisation de l’espace ». Reste que, même si la frontière se fait de plus en plus floue (difficile de dire concrètement à quoi ressemble le Rubicon), le seuil n’a pas (encore) été explicitement franchi. Un constat qui doit s’accompagner d’une réflexion sur la posture stratégique des Etats-Unis pour l’Espace, pour laquelle j’ai proposé dans le cadre de mes recherches – au risque de faire peur à ceux qui n’aiment pas le jargon – le terme de « sous-arsenalisation ». Le fait, je ferme cet aparté, est que parallèlement l’environnement se modifie : l’Espace constituant un milieu physique particulier, compter seulement sur ses propres forces (et faiblesses) est de plus en plus difficile, le « self-help » ne peut être pratiqué avec la même vigueur et sur la même échelle que sur Terre et la sécurité collective se fait donc – de manière pragmatique – plus avantageuse. Il faut dès lors apprendre à gérer la coexistence…

Ce tableau resterait incomplet s’il n’y avait en sus la question de l’exploration et du spatial civil, de même que la problématique de l’Europe de l’Espace. Je laisse néanmoins cette deuxième partie du Café Stratégique pour une autre fois. J’en profite également pour effectuer un nouveau rappel : les dates des prochains rendez-vous ont été confirmées, à bientôt pour le 14 février et le 14 mars. 



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