Trois arguments développés en autant de
chapitres méthodologique, théorique et empirique réussissent d’emblée à séparer
avantageusement Arms Control in Space des travaux de ses
prédécesseurs. Le premier d’entre eux consiste à caractériser et définir
correctement le problème. Pour l’auteur, la spécificité du contrôle des
armements dans l’espace se résume principalement à deux contraintes. 1) Malgré
une forte demande en faveur de l’instauration d’un régime, les armes spatiales
n’ont fait l’objet jusqu’à présent d’aucun accord multilatéral entre Etats. Il
est dès lors approprié, si l’on veut être précis quant aux enjeux qui sont
posés, de parler non pas de régime mais de « non-régime »
du contrôle des armements dans l’espace (nonregime of arms control in space).
2) Autre particularité, bien que plusieurs tests d’armes spatiales aient eu
lieu par le passé, le triple seuil de la production, de l’achat et du
déploiement effectif n’a pas encore été franchi. Le contrôle des armements ne
peut donc pas être associé ici à une démarche de réduction voire d’interdiction
d’armes déjà existantes, mais à une logique préventive (preventive arms
control) qui le place tout de suite dans une catégorie spéciale. Et pour
cause, si contrôle il doit y avoir – et tel est ce que l’auteur prétend sans
que je m’y attarde plus longuement –, celui-ci doit s’établir dans la première
phase du cycle de vie des armes qui va de la recherche et développement au test
en conditions réelles.
Le second argument développe un cadre
d’analyse théorique duquel pourront être déduites trois approches
complémentaires sur les conditions d’établissement de régimes internationaux de
contrôle d’armement préventif. Tirant parti moins du goût renouvelé pour
l’éclectisme que de la reformulation de la discipline autour d’un paradigme
hégémonique, l’auteur soutient en effet que seule l’étude conjointe des trois
variables centrales associées traditionnellement aux théories dominantes des
Relations Internationales pourront permettre de développer une explication
complète du phénomène étudié : l’intérêt cher au (néo-)libéralisme, la
puissance mise en avant par les (néo-)réalistes et la compréhension partagée du
constructivisme soft (ou cognitivisme). Trois conditions ou hypothèses
d’apparition d’un régime de contrôle d’armement préventif se dessinent
alors : 1) lorsque la situation ressemble à celle du dilemme du prisonnier
par opposition à celle de l’impasse,
et que le test d’une arme peut être vérifié ; 2) lorsque les gains liés à
l’acquisition et au contrôle de cette arme sont distribués de manière égale,
c’est-à-dire lorsque les Etats sur le point de conclure un accord sont grosso
modo au même stade technologique ; 3) lorsque les Etats sont tous
autant que les autres convaincus que le contrôle des armements est plus
avantageux du point de vue de leur sécurité que l’armement unilatéral,
interdépendance oblige.
Le troisième et dernier argument est de
nature empirique. Même si l’étude se donne pour objectif de mettre en avant les
conditions nécessaires à l’émergence d’un contrôle des armements dans l’espace,
l’auteur soutient que pour ce faire il lui est d’abord nécessaire d’établir une
comparaison avec les ABM, un exemple réussi quoique aujourd’hui disparu de
régime international de contrôle préventif des armements. Les raisons d’un tel
choix sont liées aussi bien à la variance de la variable dépendante
(régime/non-régime) qu’à la certitude que les trois variables étudiées
partageront des caractéristiques similaires puisque les deux types d’armes sont
proches d’un point de vue technologique. Dès lors, si l’émergence du régime ABM
tel que formulé autour du traité du même nom peut être analysée à travers la
résolution progressive de certains problèmes d’action collective (vérification
du respect des obligations de chacun grâce aux « moyens techniques
nationaux » que sont les satellites), ce n’est qu’en étudiant tour à tour
les deux autres variables de la puissance (avantage compétitif des Etats-Unis
expliquant l’accord des Soviétiques) et surtout de la connaissance partagée
(réalisation du danger représenté par les ABM du point de vue de la stabilité
nucléaire aux Etats-Unis et diffusion informelle en URSS à travers les réseaux
d’experts) que l’on obtient un tableau complet
de la situation.
Comment alors expliquer l’impasse
actuelle qui caractérise les négociations sur le contrôle des armements dans
l’espace ? Comment se fait-il par exemple que les Etats-Unis, puissance
rendue de loin la plus dépendante des satellites, se soient refusés à signer –
et ce encore
récemment – le traité défendu par la Chine
et la Russie visant à interdire « le placement d’armes dans l’espace et la
menace ou l’usage de la force contre des objets extra-atmosphériques »
sans autre forme de procès et surtout sans même essayer de contrer une telle
initiative par une proposition plus proche de leurs intérêts empêchant le
déploiement et le test d’armes cinétiques à ascension directe (hit-to-kill)
basées au sol ? Comment se fait-il aussi que la Chine, elle-même grande
utilisatrice de l’espace, semble n’avoir vu aucune contradiction entre
l’interception et la destruction intentionnelle d’un vieux satellite
météorologique en 2007 et la formation consécutive de milliers de débris, et
l’effort diplomatique qu’elle menait déjà par ailleurs sur le front des armes
spatiales ?
L’explication ne peut pas être que
matérialiste, comme nous le montre Max Mutschler. Et de fait, nous dit-il de
manière assez convaincante, qu’il s’agisse de l’intérêt ou de la puissance,
chacune des conditions nécessaires à la coopération sont présentes. Non
seulement tout le monde a intérêt à coopérer afin de continuer à tirer profit
de l’utilisation de l’espace, mais un accord vérifiable peut très facilement
être mis en place étant donné que la phase de test est vitale dans le cycle de
vie d’une arme et que sa mise en œuvre est facile à observer dans un
environnement aussi transparent que l’espace. La spatio-dépendance qui diminue
l’écart de puissance rend aussi a priori les choses plus
aisées. Le problème donc est ailleurs. Il est que le processus d’apprentissage
n’est pas allé aussi loin dans le domaine des armes spatiales que dans celui
des ABM en leur temps. Les décideurs ont certes commencé à développer une
compréhension partagée des enjeux de l’espace, mais celle-ci est restée limitée
(le fameux « apprentissage
environnemental » théorisé par James
Moltz sur le modèle nucléaire de Nye).
La faute à l’absence d’une véritable communauté épistémique transnationale (transnational
epistemic community) capable, sinon de mettre d’accord, du moins de
faciliter les discussions entre les principaux Etats sur le pourquoi et le
comment de la coopération dans l’espace.
On aura bien quelques critiques à faire
concernant par exemple la bibliographie où un certain biais de confirmation
semble à l’œuvre concernant notamment la Chine. Peut-être plus problématique du
point de vue de l’objectif que l’ouvrage se donne est le fait que les armes
spatiales sont ici strictement analysées du point de vue instrumental/stratégique
sans aucune référence à la dimension expressive qui est parfois la leur. Ceci
étant dit, je ne chercherai pas ici à bouder trop longtemps mon plaisir car
l’ouvrage a pour lui l’avantage évident de la fraîcheur, de la cohérence et
surtout de la parcimonie ; ce qui constitue un spectacle malheureusement
trop rare dans le domaine de la sécurité spatiale où l’agenda l’emporte
généralement sur les efforts de clarification conceptuelle.
L’auteur n’en fait pas cas, mais une
conséquence importante quoique rarement notée – et que je me permets donc de
glisser – du biais normatif relevé plus haut en introduction est que le débat
sur les armes spatiales qui est aussi ancien que l’âge spatial est dominé par
un très fort sentiment de déjà vu et de répétition. Pour l’observateur
extérieur, tout se passe comme si ce petit monde était condamné à revivre sans
cesse la même conversation répétée en boucle d’une décennie à l’autre depuis
1950 faute d’avoir su développer en son sein des démarches de nature plus positive
et réflexive. Les auteurs traitant sérieusement du contrôle des armements dans
l’espace ne manquent pas mais aucun ne s’est véritablement essayé à produire
une analyse plus systématique, motivée avant tout par un intérêt cognitif de
compréhension et d’accumulation de la connaissance. Et sans surprise, les
internationalistes qui se sont risqués à explorer un sujet d’apparence malgré
tout très technique se comptent sur les doigts de la main. L’effort de
Mutschler mérite de ce seul point de vue d’être salué. Or, à cela s’ajoute le
fait qu’il connaît de toute évidence très bien son sujet.
Son espoir que les blocages autour des
questions de définition et de vérification puissent être dépassés ne sera sans
doute pas partagé par tout le monde tant il paraît difficile de discerner le
moindre signe de progrès dans les gesticulations actuelles. Mais au moins
l’auteur aura-t-il permis de dégager un cadre et les conditions requises pour
obtenir de futurs accords. Sa contribution n’aura pas été négligeable si jamais
grâce à lui pouvait enfin être résolue l’impasse conceptuelle dans laquelle les
discussions sur l’arsenalisation de l’espace sont enlisées depuis tant
d’années.
Cette recension a également été publiée sur War Studies Publications, le blog d’Olivier Schmitt, chercheur post-doctoral au CERIUM et membre d’u235. Je le remercie.
Cette recension a également été publiée sur War Studies Publications, le blog d’Olivier Schmitt, chercheur post-doctoral au CERIUM et membre d’u235. Je le remercie.
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