jeudi 20 novembre 2014

L'UIT et l’utilisation de la ressource orbite/spectre au XXIe siècle

L’Union internationale des télécommunications (UIT) en charge notamment de l’attribution des fréquences radioélectriques et des orbites de satellite fait-elle son âge ? 150 ans après la création de ce qui fut d’abord l’Union internationale du télégraphe avant de devenir l’institution spécialisée des Nations Unies pour les technologies de l’information et de la communication, la question ne paraît pas totalement déplacée. Tel semble du moins être l’avis de ce petit ouvrage paru au mois de mai de cette année chez Springer dans la collection (excessivement chère !) Springerbriefs in Space Development dirigée par Joseph Pelton. Car pour son auteur, Audrey L. Allison – juriste en charge de la gestion du spectre chez Boeing et habituée des grandes rencontres internationales de l’Union en tant que membre régulier de la délégation américaine –, la longévité exceptionnelle de l’UIT est certes la preuve d’une grande flexibilité et réactivité mais elle signifie aussi que l’organisation doit sans arrêt faire ses preuves et démontrer qu’elle reste compétente et surtout pertinente face à des besoins en constante évolution et en expansion irrésistible.

La tâche est d’autant moins facile qu’avec le temps l’Union a dû apprendre à vivre avec une source potentielle de contradiction inscrite (depuis 1971) dans son ADN même : sa mission s’agissant des services satellitaires étant à la fois de promouvoir l’accès équitable aux positions orbitales et aux ressources spectrales associées et de garantir leur exploitation rationnelle, efficace et économique. Cette tension – déterminante si l’on en croit Allison – est apparue au corps défendant de l’UIT qui, par tradition, a tendance à se voir comme un forum de discussion neutre où chacune des décisions est prise par consensus sur la base de considérations techniques voire « scientifiques ». Mais lorsque l’Union a intégré dans le giron de ses activités les télécommunications spatiales, elle n’a eu d’autre choix que de prendre en compte les normes et principes alors négociés au sein du COPUOS des NU et confirmés ensuite par le Traité de l’Espace de 1967 qui stipule que l’espace est « l’apanage de l’humanité toute entière ». Deux systèmes régissent ainsi la ressource jumelle orbite/spectre : le système classique du premier occupant (first come, first served) qui par définition privilégie les puissances installées et s’apparente donc à une « coordination entre riches », et celui plus inédit de la planification a priori établie afin de réserver certaines positions à des Etats qui n’ont pas la capacité actuelle d’utiliser les ressources de l’espace.

L’objet du livre est ainsi de décrire comment l’Union s’est efforcée de maintenir un équilibre par nature précaire entre l’objectif d’équité et celui d’efficacité. Or, de ce double point de vue, force est de reconnaître que ces dernières années ont été particulièrement dures pour l’UIT qui est en quelque sorte victime de son succès, soumise qu’elle est désormais au risque grandissant de saturation des orbites et donc de pénurie. En cause, 1) une industrie des télécommunications spatiales très dynamique à la croissance et au développement de laquelle elle a grandement contribué, et 2) des sollicitations de plus en plus nombreuses et pressées de la part de nouveaux pays cherchant à accéder à leur tour à ces ressources stratégiques disponibles seulement en quantité limitée et par ailleurs vulnérables aux interférences. Particulièrement symptomatique selon Audrey Allison est la prolifération des « satellites de papier », terme utilisé pour qualifier la pratique endémique consistant à réserver des positions sans véritablement avoir l’intention de les utiliser, que ce soit par peur de manquer de place, pour maximiser ces chances de s’en voir attribué au moins une, gêner la concurrence et/ou pour des raisons spéculatives. Aussi consacre-t-elle le restant de l’ouvrage à sa résolution progressive, incrémentale et souvent indirecte des années 1990 à la dernière Conférence mondiale des radiocommunications de 2012.

La thèse d’une UIT mutante ou caméléon s’adaptant avec succès aux besoins croissants d’utilisateurs de plus en plus variés n’est pas particulièrement originale. Elle ne fait en effet que refléter le discours dominant au sein de l’Union. En focalisant sur les aspects techniques, l’auteur – tout comme d’autres ingénieurs ou juristes l’ayant précédés dans cette tâche – ignore plus ou moins volontairement certains obstacles « politiques » sous prétexte qu’ils sont par leur nature même étrangers au sujet qui la préoccupe (Israël/Palestine par exemple). Or, sans aller jusque là, il n’aurait à mon sens pas été totalement inapproprié de resituer l’action de l’UIT dans le contexte plus général de la réforme de l’ONU et du Conseil de sécurité. La « tragédie de la dépossession », pour reprendre une expression employée ailleurs pour décrire les revendications des nouveaux entrants, n’est pas propre aux relations internationales terrestres apprend-on. Et pourtant le fait qu’elle continue à être reléguée à l’arrière-plan sous couvert qu’elle n’est pas entièrement pertinente dans le contexte de l’Union relève d’un choix politique qui n’est pas suffisamment pris en compte dans cet ouvrage. L’auteur ne se serait pas permis de gratifier l’organisation de grande réussite dans sa conclusion si cela avait été le cas. Qu’il s’agisse de le déplorer ou de s’en féliciter, l’avenir de l’UIT en tant que manager des ressources spatiales au XXIe siècle est en réalité beaucoup plus ouvert que cela n’est indiqué.

Cette thèse mérite néanmoins d’être connue de ceux pour qui la question est nouvelle et à l’heure où le débat sur le futur de la gouvernance d’internet jette le trouble sur le rôle exact de l’UIT et pousse certains parmi ses plus grands contributeurs à s’interroger sur son utilité. Sans doute n’est-il donc pas superflu de rappeler combien l’Union joue du seul fait de son existence un rôle unique et vital bien que rarement souligné par les médias dans la gestion des ressources mondiales nécessaires au bon fonctionnement des satellites de télécommunication. Originalité ou non, abondance ne nuit pas et ce d’autant que le fil conducteur (équité vs. efficacité) qui est déroulé par l’auteur permet de mettre utilement – quoique malheureusement trop brièvement faute de place et peut-être aussi de manière partiale comme je l’ai dit – en lumière les enjeux des discussions et les positions des différents acteurs lors des dernières grandes rencontres (CMR 2012) et en anticipation des suivantes (PP 2014 qui s’est achevée au début du mois et CMR 2015).






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