Mais encore faut-il s’accorder sur ce à quoi correspondent
précisément ces derniers, alors que l’Europe balance entre promotion de l’unité (dans un cadre européen) et maintien de la diversité (dans un cadre national). Telle est sans doute la raison pour laquelle les
auteurs de ce livre, quoique sans être toujours très clairs sur le cheminement
logique de leurs pensées, parlent ici autant de « l’Europe spatiale » (intergouvernementale) des organisations spécialisées que de « l’Europe politique » (communautaire) de l’UE,
l’état inachevé de la seconde – plus que l’intérêt dont elle témoigne envers le
spatial au risque d’en compliquer la gouvernance en multipliant le nombre
d’acteurs – expliquant alors en quelque sorte les limites de la première. La
difficulté à formuler une définition rigoureuse de l’autonomie dans un cadre collectif européen aurait ainsi pour origine l’absence d’un véritable projet
politique sur la base duquel il serait possible d’élaborer des objectifs et des
besoins clairement définis et donc d’entretenir les outils précis participant à leur concrétisation. Car en effet, comme cela est indiqué à plusieurs
reprises dans cet ouvrage, l’Europe ne peut pas tout faire et doit donc choisir
parmi les activités du leader et de ses concurrents celles dont elle a besoin et celles dont elle peut se passer, celles qu’elle
est capable d’émuler et celles qui demeurent hors de sa portée. Alors qu’aux Etats-Unis la réflexion stratégique spatiale
se concentre très largement sur comment transformer des besoins (y compris de défense et de sécurité nationale) en
capacités dans le cadre d’une space power theory plus ou moins bien
délimitée, l’effort aussi bien pratique que conceptuel en Europe est par
nécessité beaucoup plus dispersé et improvisé. European Autonomy in Space ne fait pas exception. Surtout qu’il
s’avère en définitive davantage un reflet du débat susmentionné sur le plus ou
moins grand degré d’autonomie qu’il faut pour l’Europe – débat qu’il vient alimenter
de façon fort réussie – plutôt qu’une tentative de dépassement qui aurait
pourtant été bienvenue mais qui reste encore à formuler.
Publié par Springer sous la direction de Cenan Al-Ekabi,
l’ouvrage fait suite à un colloque
organisé par l’ESPI en 2011. En dépit d’un deuxième chapitre exploratoire
assez bien pensé et structuré, l’effort de théorisation est limité, la plupart
des auteurs préférant adopter une démarche historique fondée sur des exemples
concrets parfois tirés de leurs propres expériences au risque d’emprunter des
sentiers rebattus. Le chapitre 1 qui semble faire office d’introduction est très
révélateur de ce point de vue. On est en effet étonné de n’y trouver aucune
réelle explicitation des termes du sujet. On cherchera aussi en vain une
annonce de plan de l’ouvrage – que l’éditeur a divisé sans totalement
convaincre en deux parties « European autonomy and policy » et
« European autonomy and space » – avec présentation des chapitres et
des auteurs à venir. Cela est malheureux car le travail de contextualisation
qui est préféré à la place à travers les exemples d’Ariane, de Copernicus pour
l’observation et de Galileo pour la navigation, pour être intéressant en
lui-même, s’avère peu utile au regard des nombreux échos et des répétitions qu’il
éveillera dans le reste du livre. Certes, comme cela est souvent le cas avec un
ouvrage collectif, la qualité est mélangée : cela est d’autant plus vrai que
les auteurs sont aussi bien des universitaires que des experts et des acteurs. On
regrettera aussi que tous les auteurs n’aient pas joué le jeu et actualisé un
minimum leurs contributions alors que quatre années particulièrement riches en
événements spatiaux séparent cette publication du colloque déjà cité. Mais cela
au moins était attendu et du reste la synthèse est malgré tout dans l’ensemble
de très belle facture avec des témoignages intéressants de la part de
praticiens comme par exemple, pour n’en citer que deux, Roger-Maurice Bonnet
pour le programme scientifique de l’ESA et Jean-Jacques Tortora pour les technologies
critiques. Les comparaisons avec d’autres politiques sectorielles comme la PAC, le commerce ou l’énergie, en soi inhabituelles, sont également stimulantes. Le plus gênant demeure à mon sens la faiblesse conceptuelle de
l’ensemble et le manque de réflexivité.
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