samedi 16 mai 2015

Handbook of Space Security

Ce livre est fait par la communauté spatiale pour la communauté spatiale. Il souffre donc des mêmes défauts que j’ai déjà enregistrés à d’autres occasions et sur lesquels il est d’autant plus inutile de m’appesantir que la plupart sont assumés puisque Handbook of Space Security (HbSS) se considère d’emblée comme une compilation dite « tertiaire » de sources primaires et secondaires. Ajoutons que ce focus expert à vocation pratique et normative (problem-driven) est une spécialité de l’ESPI à qui Springer WienNewYork a l’habitude de confier ses projets éditoriaux sur le thème spatial comme le prouve la publication des « Yearbook on Space Policy » et autres « Studies in Space Policy ». Dans ces conditions, reconnaissons plutôt, et cela malgré son coût très prohibitif, que l’ouvrage a plusieurs qualités dont la principale est d’abord celle d’exister en proposant pour la première fois une approche analytique globale et cohérente de la notion de « sécurité spatiale » (space security) qui manquait à l’appel.

Ce concept de sécurité spatiale, dont il faut noter qu’il est relativement récent, a permis de sortir du débat stérile entre la militarisation et l’arsenalisation de l’espace pour mieux nous enfermer dans un autre puisque parler de sécurité revient à réduire la politique spatiale à sa seule dimension sécuritaire, aussi large que puisse être le champ d’activités qui lui est attaché. Ceci étant dit, pour prospérer, le spatial a historiquement besoin d’un projet politique qui lui donne du sens et dont il se fait le vecteur. Or, très clairement, la sécurité est aujourd’hui la motivation la plus à même d’établir cette fameuse connexion. Les acteurs spatiaux ne s’y sont pas trompés, eux qui mettent la sécurité spatiale à toutes les sauces, militaire certes, mais aussi environnementale et bien sûr humaine. Comme les auteurs s’en font eux-mêmes à plusieurs reprises l’écho, la notion est de fait controversée et HbSS adresse aussi bien la sécurité dans l’espace que la sécurité sur Terre grâce à l’espace, la vulnérabilité de l’espace vu pour lui-même en tant qu’environnement que la vulnérabilité des satellites en tant qu’outils nécessaires au bon fonctionnement de nos sociétés et de plus en plus indispensables pour assurer la sécurité et la défense de celles-ci.

Cette grande variété de définitions qui fait que la sécurité spatiale parle souvent de tout et de rien n’est pas perçue comme un problème en soi, mais bien au contraire comme une richesse qu’il s’agit d’exploiter. Ce handbook – pour reprendre ce terme qui n’a pas vraiment d’équivalent éditorial en France, renvoyant à la fois à un manuel et à un dictionnaire encyclopédique – est ainsi structuré autour de quatre grandes parties qui, mises bout à bout, finissent par définir en quelque sorte les limites du domaine de la sécurité spatiale, qu’elles soient politiques, technologiques, opérationnelles ou programmatiques. L’objectif explicite derrière cette organisation est de montrer dans quelle mesure la politique spatiale de telle ou telle puissance spatiale se structure autour d’une approche distincte de la sécurité spatiale. Cela est rendu manifeste par l’immense effort que les éditeurs ont déployé depuis 2011 pour rassembler des auteurs provenant du monde entier. Pas moins de 25 pays sont représentés parmi les 100 contributeurs que compte ce HbSS, soit 56 articles qui, étalés sur 1048 pages, s’essayent à épuiser le sujet.

Le résultat n’est pas toujours heureux. Sans parler de la forme qui peut à l’occasion évoquer les slides et bullet points d’une présentation power point, nombreux sont en effet les auteurs à s’en tenir à une lecture purement descriptive du spatial de leur pays quand elle n’est pas redondante ou qu’elle fonctionne en vase-clos en privilégiant des sources exclusivement spatiales. Le cas de la Chine est révélateur puisque pour parler de sécurité spatiale et donc entrer dans le vif du sujet la tâche est finalement confiée à un Américain, ce qui en soit ne pose pas de problème, mais n’argumente pas en faveur de l’internationalisation. Ceci explique aussi pourquoi à mon sens le projet lui-même est un échec : les aspects théoriques qui sont traités dans la première partie sont très américano-centrés (théorie du space power, space deterrence, arms control, etc.) et on reste en conséquent dans une analyse très américaine de la space security dans laquelle les définitions proposées sont toutes convergentes. C’est dommage puisqu’à l’évidence certains éléments à l’œuvre par exemple en Europe ou encore au Japon montrent qu’une compréhension alternative peut effectivement exister. On est davantage convaincu paradoxalement par les deux dernières partie qui s’en tiennent à un récapitulatif des différents programmes spatiaux militaires (ROIM, ROEM, satcom, SSA, etc.)  et civils (lanceurs, satellites, etc.) des grandes puissances et s’avèrent non seulement très complètes mais aussi très utiles.

HbSS apparaît dès lors pour ce qu’il est, un prétexte pour parler de spatial de manière la plus exhaustive qui soit. Et de fait, même si la lecture s’avère biaisée et l’effort d’internationalisation un brin futile, il faut reconnaître que la sécurité spatiale est une notion intéressante pour débuter en ce qu’elle offre une clé de lecture efficace des politiques spatiales aujourd’hui. Ajoutons que cet ouvrage contient pratiquement tout ce que la Terre a d’experts sur le sujet (Everett Dolman y fait même une apparition remarquée) et nous pourrons conclure que de ce point de vue au moins l’exercice est une réussite. 












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