Si les titres recensés sur ce
blog n’ont pas réussi à faire votre bonheur, ces deux best-sellers sans
doute plus adaptés à une lecture estivale y réussiront peut-être.
Pour qui s’intéresse de près au
spatial, Elon Musk: Tesla, SpaceX, and the Quest for
a Fantastic Future est certainement l’une des lectures de choix de cet
été. Fruit d’une enquête fouillée et de dizaines d’entretiens avec des membres
de la famille d’Elon Musk, des associés et des employés, actuels et anciens, ainsi
que de longues heures de tête à tête avec le grand homme lui-même, cette
première « vraie » biographie publiée le 19 mai dernier chez
HarperCollins par le journaliste Ashlee
Vance a en effet de quoi séduire. Le livre offre à quiconque s’intéresse
aux innovations technologiques, à l’esprit d’entreprenariat de la Sillicon Valley
et au prix que la grandeur oblige parfois à payer un portrait remarquable de la personnalité
unique de Musk. Ceux que les provocations
et multiples sorties de l’entrepreneur d’origine sud-africaine ne font plus
sourire depuis longtemps
y verront aussi un tableau aussi complet qu’utile de sa conception du monde,
même s’ils trouveront certaines parties du livre partielles et contestables.
Il existe une plaisanterie bien
connue de la communauté spatiale : « si vous voulez investir
dans le spatial et devenir rapidement millionnaire, la seule chose qu’il vous
faut, c’est être milliardaire ». Musk, qui a injecté plus de 100 millions
de dollars de sa fortune personnelle dans SpaceX, pourrait très bien être en
train de faire mentir le vieil adage. La différence avec ses malheureux prédécesseurs
selon son biographe est qu’il « has
long wanted the world to know that he’s different from the run-of-the-mill entrepreneur
in Sillicon Valley. He wasn’t just sniffing out trends and he
wasn’t consumed by the idea of getting rich. He’s been in pursuit of a master
plan all along ». A
savoir, comme Elon Musk aime à le répéter : s’attaquer à la fois aux énergies
renouvelables et au transport spatial. De ce point de vue, « He’s
less a CEO chasing riches than a general marshaling troops to secure victory.
Where Mark Zuckerberg wants to help you share baby photos, Musk wants to […]
save the human race from self-imposed or accidental annihilation. In that
sense, Musk comes off much more like Thomas Edison than Howard Hughes. He’s an
inventor, celebrity businessman, and industrialist able to take big ideas and
turn them into big products ».
Vance présente des arguments
convaincants et étayés pour appuyer cette idée. Il peine toutefois à en évaluer le
résultat de manière critique, qu’il s’agisse de mesurer l’impact du
constructeur Tesla Motors sur l’industrie automobile ou d’appréhender celui de
SpaceX sur son propre environnement. Trop fréquemment le lecteur a priori
familier ni de l’un ni de l’autre est laissé dans l’incapacité d’en comprendre
les multiples enjeux. Un exemple révélateur du point de vue de ce blog suffira
à le montrer : quand l’auteur parle de la concurrence à laquelle SpaceX
s’est attaqué, un seul acteur apparaît in
fine digne de son attention, la Chine, reflétant en cela la pensée de Musk
qui se présente comme l’unique espoir de l’Amérique voire du monde face aux
ambitions célestes de ce pays. Pour
l’auteur, « It would not take much
to argue that SpaceX is America’s only hope of competing against China in the
next couple of decades ». Rien ou très peu n’est évidemment dit
sur l’Europe, malgré le fait que peut-être là plus qu’ailleurs une révolution a
été mise en branle répondant, en théorie au moins, point par point aux innovations
de la firme californienne, sans même parler de la référence que continue d’être
Ariane 5 sur le marché commercial. A croire que même SpaceNews
n’est pas assez américain pour être utilisé comme source utile d’information.
On lira aussi les critiques ici,
là
ou encore là.
L’autre nouveauté susceptible
d’intéresser le lecteur durant cette période estivale a été qualifiée de
« meilleur
techno-thriller » depuis le classique Red Storm Rising de Tom Clancy paru en 1986. Ghost Fleet : A Novel of the Next World
War, fruit de la coopération entre P. W. Singer et August Cole –
deux experts respectés de la Beltway –, reprend le thème de l’affrontement
entre grandes puissances de son illustre prédécesseur mais l’adapte à la nouvelle
donne issue de la montée en puissance de la Chine. Cette version XXIe siècle de
la Guerre froide a pour principal terrain de conflit non plus l’Atlantique Nord
mais le Pacifique, non plus l’Islande mais Hawaï. Sans trop en dire, le livre
commence ainsi sur une variante de la Seconde Guerre mondiale avec une attaque
chinoise surprise sur Pearl Harbor suivie par une occupation en règle de
l’archipel et s’achève avec la libération de celui-ci par les Etats-Unis. Dans
la plus pure tradition du genre, l’ouvrage couvre néanmoins dans une forme
accessible à tout un chacun un territoire beaucoup plus vaste, aussi bien
géographiquement, que politiquement, culturellement, économiquement,
militairement et, bien sûr, technologiquement.
Cette dernière caractéristique
doit sans conteste énormément aux travaux de Singer qui s’est fait remarquer
pour ses réflexions sur les implications actuelles et futures de la
technologie, qu’il s’agisse de parler des drones
et autres systèmes robots ou de traiter de problématiques
cyber. On sait que les meilleurs techno-thrillers se distinguent moins par
leurs qualités littéraires que pour leur capacité à décrire aussi précisément
et minutieusement que possible la technologie qui fait partie intégrale de
l’histoire et donne toute sa crédibilité à l’intrigue. Celui-ci ne fait pas
exception. S’il est vrai que les auteurs ne maîtrisent pas tous les aspects psychologiques
de leurs personnages, il est difficile de trouver un seul développement
technologique récent qui ne soit pas mentionné à un endroit ou à un autre.
Preuve en est d’ailleurs donnée à la fin de l’ouvrage, car Ghost Fleet a beau être un roman, il s’accompagne aussi de 374
notes, démontrant comment chaque tendance et/ou technologie figurant dans le
récit, y compris la plus exotique, s’inscrit dans le monde réel. L’intitulé lui-même
est tiré d’une expression
employée par l’USN pour se référer aux navires déclassés qui sont gardés en
réserve dans l’éventualité d’un conflit. Comme on l’imagine aisément, ces vieux
équipements sont moins avancés technologiquement que leurs descendants plus
modernes. Le scénario à la Battlestar Galactica
imaginé par les auteurs fait une utilisation judicieuse de ce concept pour
illustrer en quoi la nouvelle génération d’armement de l’Amérique est plus
puissante que celle qui l’a précédée, mais aussi plus vulnérable à certains
types de menaces.
L’espace occupe évidemment une
place de choix dans le récit. Cela n’est pas en soi original – j’ai déjà eu
l’occasion de parler de cet ouvrage
entièrement consacré à la notion de guerre spatiale non sans certains excès –,
mais il est rare que l’espace soit traité avec autant d’attention de la part de
généralistes même si l’on se souviendra que Clancy lui-même s’était prêté à
l’exercice dans son Red Storm Rising. Bien sûr, les auteurs ne peuvent pas s’empêcher de faire dans le spectaculaire à mesure
que l’intrigue évolue – allant jusqu’à décrire une scène de piraterie spatiale
digne d’un James Bond – et certains points restent obscurs (débris spatiaux,
escalade nucléaire notamment). Reste que le fait que Ghost Fleet commence par l’assassinat d’un astronaute américain à
bord de la Station Spatiale Internationale n’est pas anodin. Cela
est confirmé par la méthode privilégiée par la Chine pour priver les Etats-Unis
de leurs yeux et de leurs oreilles, mêlant à la fois attaques antisatellites
laser depuis l’espace visant les systèmes de communication et d’observation et
attaques cyber contre le système GPS. Le plus intéressant réside dans les
implications : les aviateurs américains doivent apprendre à voler sans GPS
et les marins doivent s’en remettre une fois encore à la navigation
astronomique, compétences que la spatio-dépendance a rendues rares de nos
jours…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire