jeudi 6 août 2015

Que lire cet été si vous êtes d’humeur spatiale ?

Si les titres recensés sur ce blog n’ont pas réussi à faire votre bonheur, ces deux best-sellers sans doute plus adaptés à une lecture estivale y réussiront peut-être.

Pour qui s’intéresse de près au spatial, Elon Musk: Tesla, SpaceX, and the Quest for a Fantastic Future est certainement l’une des lectures de choix de cet été. Fruit d’une enquête fouillée et de dizaines d’entretiens avec des membres de la famille d’Elon Musk, des associés et des employés, actuels et anciens, ainsi que de longues heures de tête à tête avec le grand homme lui-même, cette première « vraie » biographie publiée le 19 mai dernier chez HarperCollins par le journaliste Ashlee Vance a en effet de quoi séduire. Le livre offre à quiconque s’intéresse aux innovations technologiques, à l’esprit d’entreprenariat de la Sillicon Valley et au prix que la grandeur oblige parfois à payer un portrait remarquable de la personnalité unique de Musk. Ceux que les provocations et multiples sorties de l’entrepreneur d’origine sud-africaine ne font plus sourire depuis longtemps y verront aussi un tableau aussi complet qu’utile de sa conception du monde, même s’ils trouveront certaines parties du livre partielles et contestables. 

Il existe une plaisanterie bien connue de la communauté spatiale : « si vous voulez investir dans le spatial et devenir rapidement millionnaire, la seule chose qu’il vous faut, c’est être milliardaire ». Musk, qui a injecté plus de 100 millions de dollars de sa fortune personnelle dans SpaceX, pourrait très bien être en train de faire mentir le vieil adage. La différence avec ses malheureux prédécesseurs selon son biographe est qu’il « has long wanted the world to know that he’s different from the run-of-the-mill entrepreneur in Sillicon Valley. He wasn’t just sniffing out trends and he wasn’t consumed by the idea of getting rich. He’s been in pursuit of a master plan all along ». A savoir, comme Elon Musk aime à le répéter : s’attaquer à la fois aux énergies renouvelables et au transport spatial. De ce point de vue, « He’s less a CEO chasing riches than a general marshaling troops to secure victory. Where Mark Zuckerberg wants to help you share baby photos, Musk wants to […] save the human race from self-imposed or accidental annihilation. In that sense, Musk comes off much more like Thomas Edison than Howard Hughes. He’s an inventor, celebrity businessman, and industrialist able to take big ideas and turn them into big products ».

Vance présente des arguments convaincants et étayés pour appuyer cette idée. Il peine toutefois à en évaluer le résultat de manière critique, qu’il s’agisse de mesurer l’impact du constructeur Tesla Motors sur l’industrie automobile ou d’appréhender celui de SpaceX sur son propre environnement. Trop fréquemment le lecteur a priori familier ni de l’un ni de l’autre est laissé dans l’incapacité d’en comprendre les multiples enjeux. Un exemple révélateur du point de vue de ce blog suffira à le montrer : quand l’auteur parle de la concurrence à laquelle SpaceX s’est attaqué, un seul acteur apparaît in fine digne de son attention, la Chine, reflétant en cela la pensée de Musk qui se présente comme l’unique espoir de l’Amérique voire du monde face aux ambitions célestes de ce pays. Pour l’auteur, « It would not take much to argue that SpaceX is America’s only hope of competing against China in the next couple of decades ». Rien ou très peu n’est évidemment dit sur l’Europe, malgré le fait que peut-être là plus qu’ailleurs une révolution a été mise en branle répondant, en théorie au moins, point par point aux innovations de la firme californienne, sans même parler de la référence que continue d’être Ariane 5 sur le marché commercial. A croire que même SpaceNews n’est pas assez américain pour être utilisé comme source utile d’information. On lira aussi les critiques ici, ou encore .

L’autre nouveauté susceptible d’intéresser le lecteur durant cette période estivale a été qualifiée de « meilleur techno-thriller » depuis le classique Red Storm Rising de Tom Clancy paru en 1986. Ghost Fleet : A Novel of the Next World War, fruit de la coopération entre P. W. Singer et August Cole – deux experts respectés de la Beltway –, reprend le thème de l’affrontement entre grandes puissances de son illustre prédécesseur mais l’adapte à la nouvelle donne issue de la montée en puissance de la Chine. Cette version XXIe siècle de la Guerre froide a pour principal terrain de conflit non plus l’Atlantique Nord mais le Pacifique, non plus l’Islande mais Hawaï. Sans trop en dire, le livre commence ainsi sur une variante de la Seconde Guerre mondiale avec une attaque chinoise surprise sur Pearl Harbor suivie par une occupation en règle de l’archipel et s’achève avec la libération de celui-ci par les Etats-Unis. Dans la plus pure tradition du genre, l’ouvrage couvre néanmoins dans une forme accessible à tout un chacun un territoire beaucoup plus vaste, aussi bien géographiquement, que politiquement, culturellement, économiquement, militairement et, bien sûr, technologiquement.

Cette dernière caractéristique doit sans conteste énormément aux travaux de Singer qui s’est fait remarquer pour ses réflexions sur les implications actuelles et futures de la technologie, qu’il s’agisse de parler des drones et autres systèmes robots ou de traiter de problématiques cyber. On sait que les meilleurs techno-thrillers se distinguent moins par leurs qualités littéraires que pour leur capacité à décrire aussi précisément et minutieusement que possible la technologie qui fait partie intégrale de l’histoire et donne toute sa crédibilité à l’intrigue. Celui-ci ne fait pas exception. S’il est vrai que les auteurs ne maîtrisent pas tous les aspects psychologiques de leurs personnages, il est difficile de trouver un seul développement technologique récent qui ne soit pas mentionné à un endroit ou à un autre. Preuve en est d’ailleurs donnée à la fin de l’ouvrage, car Ghost Fleet a beau être un roman, il s’accompagne aussi de 374 notes, démontrant comment chaque tendance et/ou technologie figurant dans le récit, y compris la plus exotique, s’inscrit dans le monde réel. L’intitulé lui-même est tiré d’une expression employée par l’USN pour se référer aux navires déclassés qui sont gardés en réserve dans l’éventualité d’un conflit. Comme on l’imagine aisément, ces vieux équipements sont moins avancés technologiquement que leurs descendants plus modernes. Le scénario à la Battlestar Galactica imaginé par les auteurs fait une utilisation judicieuse de ce concept pour illustrer en quoi la nouvelle génération d’armement de l’Amérique est plus puissante que celle qui l’a précédée, mais aussi plus vulnérable à certains types de menaces.

L’espace occupe évidemment une place de choix dans le récit. Cela n’est pas en soi original – j’ai déjà eu l’occasion de parler de cet ouvrage entièrement consacré à la notion de guerre spatiale non sans certains excès –, mais il est rare que l’espace soit traité avec autant d’attention de la part de généralistes même si l’on se souviendra que Clancy lui-même s’était prêté à l’exercice dans son Red Storm Rising. Bien sûr, les auteurs ne peuvent pas s’empêcher de faire dans le spectaculaire à mesure que l’intrigue évolue – allant jusqu’à décrire une scène de piraterie spatiale digne d’un James Bond – et certains points restent obscurs (débris spatiaux, escalade nucléaire notamment). Reste que le fait que Ghost Fleet commence par l’assassinat d’un astronaute américain à bord de la Station Spatiale Internationale n’est pas anodin. Cela est confirmé par la méthode privilégiée par la Chine pour priver les Etats-Unis de leurs yeux et de leurs oreilles, mêlant à la fois attaques antisatellites laser depuis l’espace visant les systèmes de communication et d’observation et attaques cyber contre le système GPS. Le plus intéressant réside dans les implications : les aviateurs américains doivent apprendre à voler sans GPS et les marins doivent s’en remettre une fois encore à la navigation astronomique, compétences que la spatio-dépendance a rendues rares de nos jours…









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