John Logdson confirme à travers ce livre
son statut d’historien officiel du programme spatial américain. Tout comme John
F. Kennedy and the Race to the Moon, l’ouvrage auquel il succède, After
Apollo? Richard Nixon and the American Space Program s’inscrit
dans un projet de longue haleine visant à retracer l’origine des décisions
présidentielles qui ont défini les contours du programme de vol habité
américain depuis plus d’un demi-siècle. Mais à la différence du premier qui reste avant tout une mise
à jour d’une précédente étude
parue en 1970, le nouveau livre est une publication originale, fruit d’une
réflexion qui aura attendu toute une carrière académique
– dont 38 ans en tant que membre actif de l’Institut de Politique Spatiale de GW
et six comme professeur émérite – pour apparaître au grand jour.
Le résultat n’est pas une énième histoire de
l’évolution plus ou moins contrariée de la navette spatiale mais un exposé des
décisions qui ont placé la navette spatiale au cœur du programme spatial civil
pendant près de quatre décennies. La nuance est d’importance, car si pour le
commun des mortels John Kennedy est perçu comme le président ayant eu le plus
d’influence sur l’effort spatial des Etats-Unis, Logsdon fait valoir non sans
une pointe de provocation que cet honneur doit en réalité revenir à Richard
Nixon. Avec le recul que seul permet le passage des années, il note que les
décisions prises entre 1969 et 1972 sur l’avenir de la NASA dans la période post-Apollo,
y compris mais pas seulement celles liées au développement de la navette
spatiale, ont touché bien plus durablement le programme spatial américain que
la décision d’aller sur la Lune. En effet, « The decisions made then have
defined the U.S. program of human space flight well into the twenty-first
century », alors que « John
Kennedy’s 1961 decision to go to the moon led to the Apollo program, which
lasted only from 1961 to 1975 ».
Ces décisions peuvent être découpées en deux
parties qui constituent la trame du livre. La première partie s’intéresse ainsi
aux décisions essentiellement négatives qui concernent ce que l’administration
Nixon n’était pas désireuse de faire ou en l’occurrence de poursuivre. De fait,
il fut rapidement décidé dès avant la fin des missions sur la Lune – dont
certaines furent annulées et d’autres risquèrent un moment de l’être – qu’il n’y
aurait pas de nouvel et vaste effort de type Apollo visant à entreprendre des
missions habitées vers Mars. Pour Nixon, le programme spatial relevait en effet
d’une logique domestique et non de politique étrangère et ne devait donc pas
s’inscrire dans une démarche spécifique ou autonome comme Kennedy avait habitué
la communauté spatiale à le penser, non sans provoquer certains excès. Ce que
l’auteur qualifie de « doctrine spatiale Nixon » va avoir deux
conséquences durables : 1) désormais, le programme spatial sera
évalué à l’aune des activités gouvernementales classiques et ne se verra
assigner aucun statut particulier ou prioritaire ; 2) en conséquence, le
programme spatial aura à se battre pour obtenir un soutien et un financement
fédéral. Dit autrement, « NASA’s
days of operating outside of the continuing competition for government
resources were over ». Inutile de dire que l’Agence
n’a pas bien digéré cette transition dont on ressent aujourd’hui encore les
effets.
La seconde partie couvre la décision de trouver
à Apollo un successeur moins ambitieux que ne le furent les missions habitées sur
la Lune et décrit comment l’administration en vint à opter pour la navette
spatiale sans que lui ne soit pour autant assigner
un objectif stratégique précis. Alors que la NASA a essayé de convaincre ses
maîtres politiques du bien-fondé de la navette spatiale en arguant d’arguments
économiques et techniques – et en association étroite avec le projet de station
spatiale qu’elle essayait de promouvoir par ailleurs –, Logsdon note que la
décision de Nixon a été prise en fonction du seul contexte politique. In fine,
la navette existe par défaut parce que le président était convaincu aussi bien
de la nécessité de poursuivre le vol habité comme instrument de prestige et
symbole du leadership spatial américain et de laisser le champ ouvert aux
utilisations militaires de la navette que de l’impératif qu’il avait à s’emparer
des votes des Etats « spatiaux » comme la Californie où l’emploi représentait
un enjeu majeur des élections de 1972 à venir. Sur la base de ces indicateurs,
le bilan de la navette est mitigé : oui, la navette a participé au prestige
national, et oui, la navette a transporté des missions classifiées dont le
résultat sur la sécurité nationale n’a pas manqué d’être positif, mais la
navette a constitué un
« détour » militaire très cher payé et son développement a donné
au programme spatial l’apparence d’une machine à créer des emplois.
Le récit que produit
Logsdon est particulièrement fascinant au vu de la puissance de la thèse
défendue. Dans sa description des événements qui ont marqué la présidence
Nixon, l’auteur révèle également nombre d’anecdotes qui rendent la lecture de
l’ouvrage d’autant plus appréciable et agréable. Reste
qu’After Apollo? a beau afficher un portrait fouillé
et rigoureux de la politique spatiale de Nixon, la conclusion à laquelle il
aboutit est loin d’être neutre. Pour John Logsdon, s’il y a finalement
une chose à retenir, c’est que les problèmes et incertitudes du programme
spatial américain actuel trouvent leur origine dans la période de fin de vie
d’Apollo et non son commencement. L’obsession extrême des Etats-Unis à
l’égard du vol habité n’est pas en soi critiquable selon cette
approche ; ce qui l’est en revanche, c’est l’absence de direction à la
NASA qui fait partie intégrale de l’héritage spatial de Richard Nixon.
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