samedi 26 septembre 2015

L’aventure spatiale française

Voici une publication qui était attendue. Car si on ne compte plus les ouvrages de passionnés publiés sur le programme spatial français – mouvement que le cinquantenaire du premier vol de Diamant va encore amplifier –, les productions de type universitaire sur le sujet sont, elles, beaucoup plus rares. Il y a bien eu des rencontres entre historiens et témoins dont l’Institut Français d’Histoire de l’Espace (IFHE), créé en 1999, a essayé avec l’aide de l’ESA de pérenniser le résultat à travers plusieurs publications collectives. Reste que ces initiatives quoique précieuses relèvent d’une littérature d’acteurs que le manque de distance critique situe en dehors des standards académiques. De la même manière, l’histoire politique et institutionnelle de l’Europe spatiale a fait l’objet d’un traitement approfondi au niveau de l’ESA sous la direction de John Krige, mais le point de vue adopté est le plus souvent beaucoup plus large. Et si les éditions Beauchesne se sont effectivement fait une spécialité de publier des études nationales, l’ouvrage couvrant la France se fait encore attendre. Contre toute attente, c’est donc à l’éditeur Nouveau Monde que nous devons la première initiative dans ce domaine.

Dans cet ouvrage, tiré de sa thèse soutenue en 2000 sous la direction de Maurice Vaïsse, Philippe Varnoteaux, enseignant en histoire, également vice-président de l’association Histoires d’espace, aborde à travers l’exemple du spatial la question des rapports entre la science, la technologie, la politique, l’économie et les questions militaires pendant une période particulière de repositionnement de la France aussi bien sur la scène européenne qu’internationale. Le récit est politique et technique mais laisse une place non négligeable aux mentalités et aux représentations collectives. Plus important encore, si « l’aventure spatiale française », nous explique l’auteur, est singulière sinon originale, c’est parce qu’elle est avant tout une histoire d’hommes. Comme le préfacier l’écrit, « Le livre de Philippe Varnoteaux raconte comment la France sortit de ce chaos dans le domaine de l’espace, grâce non à un concours de circonstances, mais à quelques hommes qui ont su mener une action intelligente, réaliste et moderne ». La démarche adoptée est chronologique, « de 1945 à la naissance d’Ariane » comme l’indique le sous-titre.

La partie introductive précise l’héritage historique incarné en la personne des spécialistes allemands que la France a recrutés massivement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les premières structures qui sont créées ex nihilo, alors qu’aucune industrie de missiles n’existe en 1945, mais aussi les occasions manquées et les premières initiatives politiques dans le domaine. Ce n’est qu’une fois ce décor planté que l’aventure peut véritablement commencer. Et de fait, pas moins de cinq jalons sont nécessaires pour parachever le processus de maîtrise spatiale et dessiner le paysage évolutif du spatial français : 1) tout d’abord, l’émergence d’un savoir-faire à la française incarné notamment dans la petite Véronique, dont le tir réussi en 1954 signe l’entrée de la France dans le club très fermé des pays possédant des fusées-sondes ; 2) ensuite, le passage ô combien délicat tant sur le plan technique qu’institutionnel et politique de la haute atmosphère à l’espace ; 3) l’apparition d’une politique spatiale digne de ce nom avec l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle dans laquelle l’historien perçoit un game changer ; 4) l’avènement du Centre National d’Etudes Spatiales qui met un terme à la concurrence franco-française et marque les débuts d’une politique de coopération spatiale élargie à l’Europe et au reste du monde ; et 5) enfin le lancement de Diamant A le 26 novembre 1965 qui fait de la France la troisième puissance spatiale.

L’aventure spatiale française a beau relever d’une démarche universitaire, elle ne se veut pas moins accessible au plus grand nombre, à commencer par la communauté spatiale elle-même à qui elle est explicitement dédiée. Reconnaissons qu’il y a là une contradiction majeure. L’appareil de note, qui fait la plus-value d’un ouvrage, est réduit au minimum avec des références bibliographiques organisées autour de la seule documentation primaire (militaire, scientifique, publique, privée, écrite ou encore orale). La littérature secondaire, plus intéressante pour qui veut poursuivre son exploration critique du sujet, doit malheureusement se contenter de quelques rares mentions, en majorité francophones. Par ailleurs, pour rendre l’étude plus vivante et plus agréable, l’auteur a décidé d’intégrer un certain nombre de témoignages d’acteurs qui étaient absents de l’étude originelle et que viennent systématiquement compléter des éléments biographiques, rejoignant l’idée énoncée plus haut que le programme spatial français s’est formé grâce à la ferveur et à la force de quelques pionniers. La préface signée par le professeur Jacques Blamont, plus que jamais élevé au rang de « père fondateur » du spatial français, donne le ton. Ceci étant dit, il est inutile de bouder son plaisir. On pourra certes trouver le récit un brin descriptif – un travers commun à beaucoup d’historiens qui oublient de théoriser avant de chercher à expliquer –, mais les fondations posées sont de celles sur lesquelles on peut bâtir des empires solides. Un ouvrage utile donc à mettre entre toutes les mains.





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