Voici une publication qui était attendue. Car si on ne
compte plus les ouvrages de passionnés publiés sur le programme spatial
français – mouvement que le cinquantenaire du premier vol de Diamant va encore
amplifier –, les productions de type universitaire sur le sujet sont, elles,
beaucoup plus rares. Il y a bien eu des rencontres entre historiens et témoins dont l’Institut Français d’Histoire de l’Espace (IFHE), créé en 1999, a essayé avec
l’aide de l’ESA de pérenniser le résultat à travers plusieurs publications
collectives. Reste que ces initiatives quoique précieuses relèvent d’une
littérature d’acteurs que le manque de distance critique situe en dehors des
standards académiques. De la même manière, l’histoire politique et
institutionnelle de l’Europe
spatiale a fait l’objet d’un traitement
approfondi au niveau de l’ESA sous la direction de John Krige, mais le
point de vue adopté est le plus souvent beaucoup plus large. Et si les éditions
Beauchesne se sont effectivement fait une spécialité de publier des études
nationales, l’ouvrage couvrant la France se fait encore attendre. Contre toute
attente, c’est donc à l’éditeur Nouveau Monde
que nous devons la première initiative dans ce domaine.
Dans cet
ouvrage, tiré de sa thèse soutenue en 2000 sous la direction de Maurice
Vaïsse, Philippe
Varnoteaux, enseignant en histoire, également vice-président de l’association
Histoires d’espace, aborde
à travers l’exemple du spatial la question des rapports entre la science, la
technologie, la politique, l’économie et les questions militaires pendant une
période particulière de repositionnement de la France aussi bien sur la scène
européenne qu’internationale. Le récit est politique et technique mais laisse
une place non négligeable aux mentalités et aux représentations collectives. Plus
important encore, si « l’aventure spatiale française », nous explique
l’auteur, est singulière sinon originale, c’est parce qu’elle est avant tout
une histoire d’hommes. Comme le préfacier l’écrit, « Le livre de Philippe
Varnoteaux raconte comment la France sortit de ce chaos dans le domaine de
l’espace, grâce non à un concours de circonstances, mais à quelques hommes qui
ont su mener une action intelligente, réaliste et moderne ». La démarche
adoptée est chronologique, « de 1945 à la naissance d’Ariane » comme l’indique
le sous-titre.
La partie introductive précise l’héritage historique incarné
en la personne des spécialistes allemands que la France a recrutés massivement
au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les premières structures qui sont
créées ex nihilo, alors qu’aucune
industrie de missiles n’existe en 1945, mais aussi les occasions manquées et les
premières initiatives politiques dans le domaine. Ce n’est qu’une fois ce décor
planté que l’aventure peut véritablement commencer. Et de fait, pas moins de
cinq jalons sont nécessaires pour parachever le processus de maîtrise
spatiale et dessiner le paysage évolutif du spatial français : 1) tout
d’abord, l’émergence d’un savoir-faire à la française incarné notamment dans la
petite Véronique, dont le tir réussi en 1954 signe l’entrée de la France dans
le club très fermé des pays possédant des fusées-sondes ; 2) ensuite, le
passage ô combien délicat tant sur le plan technique qu’institutionnel et
politique de la haute atmosphère à l’espace ; 3) l’apparition d’une
politique spatiale digne de ce nom avec l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle dans
laquelle l’historien perçoit un game
changer ; 4) l’avènement du Centre National d’Etudes Spatiales qui met un
terme à la concurrence franco-française et marque les débuts d’une
politique de coopération spatiale élargie à l’Europe et au reste du monde ; et 5)
enfin le lancement de Diamant A le 26 novembre 1965 qui fait de la France la
troisième puissance spatiale.
L’aventure spatiale
française a beau relever d’une démarche universitaire, elle ne se veut pas
moins accessible au plus grand nombre, à commencer par la communauté spatiale
elle-même à qui elle est explicitement dédiée. Reconnaissons qu’il y a là une
contradiction majeure. L’appareil de note, qui fait la plus-value d’un ouvrage,
est réduit au minimum avec des références bibliographiques organisées autour de
la seule documentation primaire (militaire, scientifique, publique, privée,
écrite ou encore orale). La littérature secondaire, plus intéressante pour qui
veut poursuivre son exploration critique du sujet, doit malheureusement se contenter de quelques rares mentions, en majorité
francophones. Par ailleurs, pour rendre l’étude plus vivante et plus agréable,
l’auteur a décidé d’intégrer un certain nombre de témoignages d’acteurs qui
étaient absents de l’étude originelle et que viennent systématiquement compléter
des éléments biographiques, rejoignant l’idée énoncée plus haut que le
programme spatial français s’est formé grâce à la ferveur et à la force de
quelques pionniers. La préface signée par le professeur Jacques Blamont, plus
que jamais élevé au rang de « père fondateur » du spatial français,
donne le ton. Ceci étant dit, il est inutile de bouder son plaisir. On pourra certes
trouver le récit un brin descriptif – un travers commun à beaucoup d’historiens
qui oublient de théoriser avant de chercher à expliquer –, mais les fondations
posées sont de celles sur lesquelles on peut bâtir des empires solides. Un
ouvrage utile donc à mettre entre toutes les mains.
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