Au-delà de ses succès bien connus dans les domaines
technologiques et scientifiques, le Japon, c’est plus rarement mentionné, est également
un acteur de premier plan dans le domaine du spatial militaire. Telle est la
révélation à laquelle cet ouvrage
écrit en 2010 aboutit au bout d’une argumentation séduisante. Pour les co-auteurs,
Saadia M. Pekkanen, professeur de relations internationales à l’université de
Washington, et Paul Kallender-Umezu, correspondant à Tokyo du journal
d’informations spatiales de référence SpaceNews, la réalité, précisée dès
la préface, est que « Japan has the
technical wherewithal to be marked as a military space power and now has placed
national security as the centerpiece of its space development strategy ».
Ceux qui s’en étonneront et demanderont comment cela peut être possible au vue
de l’orientation pacifiste voire antimilitariste supposée guider les activités
militaires du pays depuis 1945 et notamment son programme spatial pourront lire
avec profit les 400 pages du livre. Quoique le traitement de la question puisse
paraître trop spécialisé pour captiver le lecteur lambda – la quinzaine de pages
d’acronymes pourrait même avoir tendance à provoquer l’inverse –, le style
journalistique avec lequel l’ouvrage est rédigé rend la lecture très
accessible. On appréciera également l’effort rafraichissant d’analyse qui est
accompli : avec une puissance aux ambitions régionales exacerbées de l’autre
côté de la mer de Chine orientale et une menace nucléaire encore plus proche
dans la péninsule coréenne, la logique stratégique derrière une telle
transformation peut sembler évidente, elle ne convainc pourtant pas les auteurs
de In Defense of Japan dont la
préférence va aux facteurs Innenpolitik,
à commencer par l’influence de l’industrie spatiale japonaise.
Les grands groupes industriels japonais – aux premiers rangs
desquels se trouvent Mitsubishi, à la fois dans sa filiale lanceur MHI et
manufacturière dite Melco – ont selon les auteurs joué un rôle prépondérant
dans la transition « from the market to the military ». Confronté à l’absence
de perspectives commerciales sur le marché aussi bien intérieur, soumis à la
faiblesse de la demande, que sur le marché international, hautement compétitif
et dominé par les Européens et les Américains, le complexe industriel aérospatial
japonais a en effet à partir des années 1990 exercé une pression constante
auprès du gouvernement pour transformer le cadre normatif traditionnel de la politique
spatiale japonaise et pousser ses alliés politiques à demander le développement
de projets spatiaux militaires susceptibles d’aboutir
à d’importants contrats. Comme
le notent Pekkanen et Kallender-Umezu, « To be clear, the market was the driver not because of corporate
success, but because of corporate setbacks. […] With investments already in the
commercial space industry that were not turning a profit, corporations looked
to salvage or bolster their bottom lines by pushing their allies in the
government to develop military space projects ».
Les contradictions que cette transition a causées, encore
patentes aujourd’hui, comme tend à le montrer la remise en cause de la JAXA de
plus en plus enfermée dans un rôle de R&T et donc du MEXT, constituent le
fil rouge des trois premiers chapitres de l’ouvrage. C’est ainsi que l’adoption
en 2008 de la loi fondamentale sur la politique spatiale, qui a entériné une
interprétation non agressive plutôt que non militaire de la clause d’utilisation
de l’espace à des fins pacifiques, est analysée comme le résultat d’un travail intense
de lobbying exercé par un petit nombre d’acteurs clés, publics et privés, dont
notamment la fédération des organisations économiques japonaises (Nippon Keidanren). Les quatre autres
chapitres s’essayent à dessiner le tableau capacitaire et technologique qui est
issu de cette nouvelle donne. Aujourd’hui, en plus de ses capacités de défense
antibalistique qu’il développe en commun avec les Etats-Unis, le Japon
s’emploie à promouvoir et à déployer tout un ensemble de technologies qu’il
juge centrales pour son effort de militarisation de l’espace, incluant aussi
bien des lanceurs et des satellites capables de détecter des missiles et
d’aider à la navigation, à la communication et au ciblage, que des technologies
avancées de rentrées atmosphériques et d’approfondissement de la connaissance
de la situation spatiale. Autant d’éléments qui témoignent selon les auteurs à
la fois d’une véritable appréciation conceptuelle du potentiel militaire de
l’espace et d’une préoccupation grandissante face à la menace de son
arsenalisation.
Le grand mérite de l’ouvrage est de rappeler que l’analyse
d’une politique étrangère nécessite de tenir compte du contexte international,
c’est-à-dire de la structure, mais aussi de saisir les intérêts des différents
acteurs nationaux et les relations qui les unissent. Cette approche pose la
question du bon équilibre entre facteurs internes et externes propres à tout
travail de relations internationales et Pekkanen et Kallender-Umezu cherchent en
définitive moins à trancher qu’à apporter une nouvelle pierre à l’édifice. Reste
que si les intérêts concrets des industriels ont contribué à influencer les
décideurs politiques, c’est bien, comme ils le confessent eux-mêmes, le « choc »
au sens presque (néo-)réaliste du terme créé par le survol du Japon par un
missile balistique nord-coréen en 1998 et renforcé par le test antisatellite
chinois en 2007 qui a provoqué
le changement décisif d’orientation de la politique spatiale japonaise. En
ce sens, l’analyse est plus réaliste/structurelle d’inspiration que les auteurs
ne veulent bien le prétendre dans le chapitre théorique un peu trop rigide
qu’ils dressent en introduction. Au-delà du rôle des acteurs domestiques, c’est
en réalité davantage le caractère dual des activités spatiales qui est mis en avant
dans cet ouvrage.
In fine, malgré
une histoire et un parcours distincts, le Japon est bien une puissance spatiale
militaire comme les autres. Une conclusion à laquelle In Defense of Japan n’aboutit malheureusement pas explicitement,
mais qui ne pourra pas échapper à quiconque jette un œil au reste de la
littérature sur le sujet de la « sécurité
spatiale ». Ceci dit, le travail réalisé en équipe par Paul Kallender-Umezu,
un expert capable d’envisager le spatial dans toute sa complexité et qui a le
mérite de reconnaître ses limites comme chercheur, et Saadia Pekkanen, une
universitaire qui quoique néophyte dans le domaine devine les enjeux et sait
comment les organiser/problématiser autour d’une idée organisationnelle unique,
impressionne par sa qualité et son originalité. Entre le
renard et le hérisson, il ne faut pas toujours choisir…
Notons que désormais, la Chine déclare à demi mot que le Japon à un programme nucléaire militaire avec ses stocks d'uranium:
RépondreSupprimerDe fait, il s'agit d'un pays du ''seuil'' comme l'Allemagne et bientôt l'Iran avec toute les capacités d'avoir la ''bombe'' et les vecteurs qui vont avec si elle le décide, mais même avec le gvt actuel, c'est improbable qu'elle se lance dans une telle aventure.