Ce ne sont pourtant pas les études de qualité qui manquent.
Reste que celles-ci sont, pour reprendre les termes de l’auteur, ou
indifférentes sinon méprisantes, comme l’ouvrage
de référence de Walter McDougall peut en fournir l’exemple, ou défensives
et à la limite de l’advocacy, ainsi
que l’illustrent les travaux de Roy Houchin et en particulier son livre
très complet consacré à « l’ascension et au déclin de
Dyna-Soar ». Il ne s’agit pas pour autant pour Sambaluk de choisir un
improbable camp intermédiaire, mais bien d’explorer le programme d’une façon
qui soit plus à même d’appréhender sa véritable signification historique. The Other Space Race se donne ainsi pour
objectif non seulement de rappeler à quel point Dyna-Soar représente dès 1954 à
la fois les espoirs et les rêves des généraux de l’USAF et le pire des
cauchemars des décideurs politiques civils, mais aussi d’expliquer pourquoi
l’élément décisif dans cette compétition institutionnelle a relevé finalement
d’un acteur tiers, en l’occurrence, la NASA.
Nicholas Sambaluk déploie de grands efforts pour montrer que
Dyna-Soar du fait même de son existence oppose dès son origine deux grandes
visions dont il contribue à cristalliser l’antagonisme. D’où d’ailleurs le
titre, qui évoque non pas la course à l’espace entre les Etats-Unis et l’URSS
mais une seconde course qui s’est développée de manière parallèle, à
l’intérieur des Etats-Unis eux-mêmes, et le sous-titre, qui se fait plus
explicite encore, « Eisenhower and the Quest for Aerospace Security ».
L’auteur nous fait part des aspirations spatiales de l’Air
Force et nous indique pourquoi celles-ci se sont identifiées à Dyna-Soar au
point où toute remise en cause du programme est devenue une menace
existentielle pour l’institution elle-même. De fait, Dyna-Soar occupe une place
cruciale dans la vision à long terme de l’USAF en ce qu’il constitue la pierre
angulaire d’un ensemble de projets grandioses dits « aérospatiaux » du nom
de la philosophie qui fait alors son apparition aux Etats-Unis en tirant profit
de l’aura dont bénéficie l’air power.
Cette vision « aérospatiale » (aerospace),
qui est élevée au rang de doctrine officielle en 1959, quoique jamais
clairement définie, énonce une continuité opérationnelle parfaite entre les
différentes couches et altitudes constitutives – et allant au-delà – de
l’atmosphère, et attribue à l’USAF, principe de l’unité de commandement oblige,
la direction des affaires. Dans ce contexte, Dyna-Soar émerge comme le véhicule
créé pour conduire au sens littéral comme figuré l’Air Force dans les portions
spatiales encore inexplorées du domaine aérospatial.
Il y a un prix à payer au lien intime qui est établi entre
Dyna-Soar et ses successeurs et les armements stratégiques déjà à disposition
de l’USAF en cela que toute politique nationale excluant l’utilisation
d’armes spatiales est susceptible de constituer un obstacle infranchissable. La
chose peut paraître inenvisageable pour les militaires au
milieu des années 1950 et jusqu’au lendemain de la mise en orbite de Spoutnik,
mais quelques tensions se dessinent déjà avec l’administration sur la
perception du devenir de l’espace extra-atmosphérique. Pour les généraux de
l’Air Force, la puissance aérienne trouve une extension naturelle dans l’espace
et celui-ci deviendra nécessairement, inévitablement, une zone de combat en cas
de conflit. Du point de vue du pouvoir civil, le raisonnement est tout autre
puisque l’objectif premier est non pas de chercher des cibles (pour gagner une
guerre) mais des réponses sur les capacités et intentions adverses
(pour en éviter une). Pour Dwight Eisenhower, la solution réside dans des
satellites de reconnaissance dont le recours mutuel doit être garanti par la
liberté d’accès et d’utilisation de l’espace.
Cette incompatibilité de vue est facilitée par la décision
prise par l’exécutif de limiter au maximum l’échange d’informations relatives
au programme des satellites de reconnaissance. Laissée sur la touche, l’USAF
est lente à voir que l’environnement a changé, et que, même si elle contrôle le
programme Dyna-Soar et reste déterminée à défendre son existence face à la
Maison blanche grâce aux relais dont elle dispose au Congrès et dans les
médias, le rythme de son développement ne lui appartient déjà plus. Elle tarde
ainsi à comprendre que son principal compétiteur est la NASA à laquelle
Eisenhower a confié notamment le programme de vol habité. Les deux derniers
chapitres de l’ouvrage – qui sont consacrés à la fin de la présidence
Eisenhower avec le point d’orgue qu’a été le discours de fin de mandat sur le
complexe militaro-industriel et aux débuts de l’administration Kennedy – confirment
ainsi que l’USAF n’a jamais emporté qu’une victoire à la Pyrrhus en assurant la
survie durant toutes ces années de son programme. L’année 1961 marque un
renouveau trompeur pour Dyna-Soar dont le budget est nettement augmenté :
moins de trois plus tard le programme est annulé, tandis que les rêves
aérospatiaux de l’USAF sont définitivement enterrés en 1969 avec l’annulation
du projet
MOL de laboratoire orbital habité.
Ajout bienvenu à la littérature « révisionniste » sur
la genèse du programme spatial américain, l’ouvrage de Sambaluk est une
critique sinon de la stratégie du moins de la tactique au cœur de la hidden-hand policy du président
républicain qui n’a pas réussi à s’adapter au contexte socio-culturel pré- et post-Spoutnik.
Eisenhower a fait avec raison son maximum pour contenir les efforts de l’US Air
Force et empêcher ceux-ci de perturber sa politique spatiale ; Kennedy a
choisi de faire évoluer sa posture spatiale pour la mettre en conformité avec
les demandes du public, quitte ensuite, une fois parvenu au pouvoir, à
s’inscrire dans la continuité de son prédécesseur et à infléchir l’attention de
la nation vers certains éléments de l’effort spatial du pays plutôt que vers d’autres
jugés incompatibles. Pour l’auteur, les capsules civiles de la NASA l’ont
emporté sur les projets militaires de l’USAF parce que les programmes habités
de l’agence et en particulier Apollo répondaient aux besoins exprimés par les
décideurs américains en faveur d’un espace stable et non-arsenalisé, ce à quoi
Dyna-Soar ne pouvait par définition pas prétendre. Ironie de l’histoire, c’est
un vétéran du X-15 et pilote pressenti du programme, Neil Armstrong, qui a posé
le premier le pied sur la Lune.
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