mardi 15 mars 2016

The Other Space Race

Le « Dynamic Soarer », dit aussi plus communément « Dyna-Soar », ou encore X-20 comme ses partisans l’ont rebaptisé en 1962 dans leur tentative avortée de pérenniser le programme, représente un pan essentiel de l’histoire du programme spatial américain. Or, pour l’historien Nicholas Sambaluk, auteur d’une thèse sur le sujet publiée en 2015 chez Naval Institute Press, ce projet de bombardier spatial piloté, qui devait selon les plans de l’US Air Force traverser les cieux de manière dynamique (contrairement à une simple capsule), mais qui n’a jamais été conduit à son terme, a fortiori amené à voler, n’a pas reçu l’attention qu’il méritait.

Ce ne sont pourtant pas les études de qualité qui manquent. Reste que celles-ci sont, pour reprendre les termes de l’auteur, ou indifférentes sinon méprisantes, comme l’ouvrage de référence de Walter McDougall peut en fournir l’exemple, ou défensives et à la limite de l’advocacy, ainsi que l’illustrent les travaux de Roy Houchin et en particulier son livre très complet consacré à « l’ascension et au déclin de Dyna-Soar ». Il ne s’agit pas pour autant pour Sambaluk de choisir un improbable camp intermédiaire, mais bien d’explorer le programme d’une façon qui soit plus à même d’appréhender sa véritable signification historique. The Other Space Race se donne ainsi pour objectif non seulement de rappeler à quel point Dyna-Soar représente dès 1954 à la fois les espoirs et les rêves des généraux de l’USAF et le pire des cauchemars des décideurs politiques civils, mais aussi d’expliquer pourquoi l’élément décisif dans cette compétition institutionnelle a relevé finalement d’un acteur tiers, en l’occurrence, la NASA.

Nicholas Sambaluk déploie de grands efforts pour montrer que Dyna-Soar du fait même de son existence oppose dès son origine deux grandes visions dont il contribue à cristalliser l’antagonisme. D’où d’ailleurs le titre, qui évoque non pas la course à l’espace entre les Etats-Unis et l’URSS mais une seconde course qui s’est développée de manière parallèle, à l’intérieur des Etats-Unis eux-mêmes, et le sous-titre, qui se fait plus explicite encore, « Eisenhower and the Quest for Aerospace Security ».

L’auteur nous fait part des aspirations spatiales de l’Air Force et nous indique pourquoi celles-ci se sont identifiées à Dyna-Soar au point où toute remise en cause du programme est devenue une menace existentielle pour l’institution elle-même. De fait, Dyna-Soar occupe une place cruciale dans la vision à long terme de l’USAF en ce qu’il constitue la pierre angulaire d’un ensemble de projets grandioses dits « aérospatiaux » du nom de la philosophie qui fait alors son apparition aux Etats-Unis en tirant profit de l’aura dont bénéficie l’air power. Cette vision « aérospatiale » (aerospace), qui est élevée au rang de doctrine officielle en 1959, quoique jamais clairement définie, énonce une continuité opérationnelle parfaite entre les différentes couches et altitudes constitutives – et allant au-delà – de l’atmosphère, et attribue à l’USAF, principe de l’unité de commandement oblige, la direction des affaires. Dans ce contexte, Dyna-Soar émerge comme le véhicule créé pour conduire au sens littéral comme figuré l’Air Force dans les portions spatiales encore inexplorées du domaine aérospatial.

Il y a un prix à payer au lien intime qui est établi entre Dyna-Soar et ses successeurs et les armements stratégiques déjà à disposition de l’USAF en cela que toute politique nationale excluant l’utilisation d’armes spatiales est susceptible de constituer un obstacle infranchissable. La chose peut paraître inenvisageable pour les militaires au milieu des années 1950 et jusqu’au lendemain de la mise en orbite de Spoutnik, mais quelques tensions se dessinent déjà avec l’administration sur la perception du devenir de l’espace extra-atmosphérique. Pour les généraux de l’Air Force, la puissance aérienne trouve une extension naturelle dans l’espace et celui-ci deviendra nécessairement, inévitablement, une zone de combat en cas de conflit. Du point de vue du pouvoir civil, le raisonnement est tout autre puisque l’objectif premier est non pas de chercher des cibles (pour gagner une guerre) mais des réponses sur les capacités et intentions adverses (pour en éviter une). Pour Dwight Eisenhower, la solution réside dans des satellites de reconnaissance dont le recours mutuel doit être garanti par la liberté d’accès et d’utilisation de l’espace.

Cette incompatibilité de vue est facilitée par la décision prise par l’exécutif de limiter au maximum l’échange d’informations relatives au programme des satellites de reconnaissance. Laissée sur la touche, l’USAF est lente à voir que l’environnement a changé, et que, même si elle contrôle le programme Dyna-Soar et reste déterminée à défendre son existence face à la Maison blanche grâce aux relais dont elle dispose au Congrès et dans les médias, le rythme de son développement ne lui appartient déjà plus. Elle tarde ainsi à comprendre que son principal compétiteur est la NASA à laquelle Eisenhower a confié notamment le programme de vol habité. Les deux derniers chapitres de l’ouvrage – qui sont consacrés à la fin de la présidence Eisenhower avec le point d’orgue qu’a été le discours de fin de mandat sur le complexe militaro-industriel et aux débuts de l’administration Kennedy – confirment ainsi que l’USAF n’a jamais emporté qu’une victoire à la Pyrrhus en assurant la survie durant toutes ces années de son programme. L’année 1961 marque un renouveau trompeur pour Dyna-Soar dont le budget est nettement augmenté : moins de trois plus tard le programme est annulé, tandis que les rêves aérospatiaux de l’USAF sont définitivement enterrés en 1969 avec l’annulation du projet MOL de laboratoire orbital habité.

Ajout bienvenu à la littérature « révisionniste » sur la genèse du programme spatial américain, l’ouvrage de Sambaluk est une critique sinon de la stratégie du moins de la tactique au cœur de la hidden-hand policy du président républicain qui n’a pas réussi à s’adapter au contexte socio-culturel pré- et post-Spoutnik. Eisenhower a fait avec raison son maximum pour contenir les efforts de l’US Air Force et empêcher ceux-ci de perturber sa politique spatiale ; Kennedy a choisi de faire évoluer sa posture spatiale pour la mettre en conformité avec les demandes du public, quitte ensuite, une fois parvenu au pouvoir, à s’inscrire dans la continuité de son prédécesseur et à infléchir l’attention de la nation vers certains éléments de l’effort spatial du pays plutôt que vers d’autres jugés incompatibles. Pour l’auteur, les capsules civiles de la NASA l’ont emporté sur les projets militaires de l’USAF parce que les programmes habités de l’agence et en particulier Apollo répondaient aux besoins exprimés par les décideurs américains en faveur d’un espace stable et non-arsenalisé, ce à quoi Dyna-Soar ne pouvait par définition pas prétendre. Ironie de l’histoire, c’est un vétéran du X-15 et pilote pressenti du programme, Neil Armstrong, qui a posé le premier le pied sur la Lune. 








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