samedi 27 janvier 2018
Hermès : quand l’Europe se voyait pousser des ailes
Reconnaissons-le d’emblée ce livre, publié en 2017 par Springer, a été écrit par et pour la communauté spatiale. Du propre aveu de l’auteur qui a bénéficié pour l’occasion de la primeur de l’ouverture des sources (techniques) de l’Agence spatiale européenne (ESA), l’objectif est d’abord de raconter une « histoire », celle du programme Hermès, cet avion spatial qui « aurait pu être » si les Européens et surtout son premier promoteur qu’était la France n’avaient pas après 10 ans d’études décidé sa réorientation, puis son annulation à partir de 1992. De fait, postule-t-il, celle-ci se devait d’être rappelée et posée sur le papier avant que ses principaux témoins ne disparaissent et surtout que ses « leçons » ne soient oubliées.
Spaceplane HERMES s’inscrit à ce titre dans une littérature spécialisée d’acteurs qui, pour instructive et utile qu’elle soit, n’en est pas moins focalisée à outrance sur son (bel) objet, avec le risque de fonctionner en vase-clos et de négliger les éléments extra-programmatiques. Plus volontiers descriptive qu’explicative, elle vise aussi l’érudition comme but en soi, laquelle est difficilement compatible avec un effort de synthèse et surtout d’analyse. Cette monographie ne fait pas exception, et pour toutes ces raisons, force est de constater qu’elle ouvre plutôt qu’elle ne clôt le sujet. Les limites inhérentes à la nature de la démarche de l’auteur – à l’évidence un passionné avant tout – n’empêchent toutefois pas de saluer le travail accompli comme une contribution bienvenue au débat historiographique (peu documenté et quasiment inexistant), qui vient qui plus est combler une lacune majeure, dans un contexte marqué par l’omniprésence des études sur la navette spatiale américaine et a priori peu portées sur les comparaisons.
Certes, en dépit des sommes qui ont été dépensées (total estimé à 1065 millions d’unités de compte), Hermès – qui se voulait être selon les plans d’origine (l’auteur comptabilise jusqu’à 74 ébauches différentes entre 1984 et 1993) un véhicule de transport habité autonome, capable, en interaction avec une fusée Ariane 5, de transporter jusqu’à six membres d’équipage pour des missions à basse altitude et notamment des rendez-vous avec une station orbitale avant de retourner sur Terre en planant – n’a guère pu aller au-delà de la phase préliminaire de définition. De manière paradoxale, il a néanmoins laissé derrière lui une impressionnante masse de documents et d’études techniques (ainsi que de vestiges plus ou moins bien conservés, sous forme de maquettes), qui illustrent malgré tout l’ampleur du chemin parcouru. Aussi l’auteur n’hésite-il pas à parler « d’héritage » (chapitres 16 à 24), lequel serait visible notamment à travers le module ATV de ravitaillement de la station spatiale internationale (arrêté en 2014) et surtout le démonstrateur de rentrée atmosphérique IXV (qui a effectué un vol suborbital en 2015), deux briques technologiques clefs pour que l’Europe puisse un jour voler dans l’espace de ses propres ailes.
Encore que le legs pourrait être d’une nature plus immatérielle. Fort justement, la chronique qui est faite de la naissance, de la vie et de la mort du programme (étalée sur les 15 premiers chapitres) rappelle que la décision de développer l’appareil sous pavillon européen en 1987 s’inscrivait dans un programme global (un « package deal »). Ce dernier, négocié entre les grands Etats contributeurs de l’ESA – en premier lieu la France, à l’origine de son concept et par ailleurs nation leader sur la filière Ariane, et l’Allemagne, responsable du laboratoire Colombus et qu’il a fallu convaincre –, constituait de fait un véritable condensé des ambitions et des espoirs des Européens dans les années 1980 (après la décennie de construction de la décennie précédente) à mi-chemin entre indépendance et coopération avec les Etats-Unis. Ceci explique pourquoi en réalité la meilleure trace que nous trouvons d’Hermès, seul grand programme de l’ESA à n’avoir pas été conduit jusqu’à son terme, réside dans le traumatisme toujours visible que son annulation vécue comme un abandon a suscité. Sans doute est-ce un peu à son corps défendant que l’ouvrage vient étayer cette hypothèse mais telle est bien la conclusion qui transparaît en filigrane. Initiative peut-être lancée trop tôt du point de vue des capacités technologiques européennes et certainement trop tard eu égard aux nouvelles réalités post-Challenger, Hermès demeure pour beaucoup aujourd’hui la manifestation d’un renoncement (l’autonomie en matière de vol habité), qui parce qu’il est singulier sur la scène spatiale internationale parmi les grandes puissances spatiales (Etats-Unis, Russie, Chine) est d’ampleur historique. De ce point de vue, la faute mise habituellement sur le compte de l’Allemagne (chute du mur de Berlin, réunification et contrainte financière consécutive) reviendrait en fin de course selon l’auteur à la France, laquelle aurait surtout démontré à cette occasion (manquée) qu’elle n’avait plus la volonté ni la capacité de dicter l’agenda spatial européen et d’entraîner ses partenaires.
Ce malaise persistant vis-à-vis d’Hermès, et plus largement, au moins en Europe, de l’homme dans l’espace n’est ici jamais analysé en tant que tel, le récit par construction étant centré sur le comment de l’échec de l’acquisition à travers ce programme d’une capacité autonome d’accès habité à l’espace, et non sur son pourquoi. Preuve en est du dernier chapitre, lequel se veut consacré aux raisons de cette décision, mais arrive un peu tardivement dans la réflexion en se contentant qui plus est d’énumérer, sans donner aucune priorité ou ordre de classement quant aux facteurs responsables (technologiques, financiers, organisationnels, industriels, politiques). Il aurait pourtant été fondé de commencer cette « histoire » par une analyse des motivations au vu de la recherche constante de cette fameuse mission ou raison d’être qu’a été l’aventure Hermès. D’autant qu’il est symptomatique que la difficulté rencontrée durant ces années par la communauté spatiale française et européenne pour faire entrer son programme en résonance avec la société ait pris une forme similaire aux Etats-Unis, un phénomène que la littérature spécialisée a pour habitude de qualifier de « piège du prestige ».
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