A l’heure où se multiplient les séries labellisées « spatial » – une tendance nettement renforcée par les plateformes de streaming Netflix et Amazon Prime –, et puisque la coutume veut que l’entrée dans la saison estivale soit l’occasion d’offrir au lecteur quelques recommandations pour occuper son temps, sans doute pouvons-nous en profiter pour demander s’il existe une ou plusieurs productions sortant du lot et méritant (re)visionnage.
Avant de répondre, notons d’emblée que l’objectif derrière
cette question n’est pas de se limiter au seul critère du plaisir du
divertissement, mais plutôt d’ouvrir le classement à la « nourriture de
l’esprit ». En effet, le grand avantage des productions télévisuelles par
rapport notamment aux ouvrages que j’ai pour habitude de recenser ici n’est-il
pas de permettre de joindre
l’agréable à l’utile ? Or l’utile en l’occurrence, y compris s’agissant par exemple d’une chaîne comme SyFy n’ayant pas la réputation d’excellence d’HBO, peut être
découpé en au moins trois volets : 1/ informationnel,
en participant à notre compréhension par exemple de l’organisation et du
fonctionnement des institutions ou de la société américaines ; 2/ métaphorique, en fournissant des
analogies ou des illustrations à des problématiques complexes, comme la politique spatiale ; et 3/ intertextuel,
en servant de miroir grossissant révélant la façon dont une société se perçoit et
pense d’elle-même à un moment donné (réel influence la fiction) voire en
contribuant par les éventuelles critiques qu’elle formule à faire évoluer le
statu quo, en particulier dans le cas de la SF (fiction influence le réel).
Dans cette perspective, certains d’entre vous auront peut-être
découverts que suivant en cela le schéma tracé par toutes les grandes
franchises qui se respectent, l’univers Stargate avait eu droit cette année à son récit des origines. Intitulée Stargate
Origins et diffusée en ligne sous forme de mini-épisodes, la nouvelle
série reprend le fil de l’histoire commencée il y a plus de vingt ans avec le
film Stargate, la porte des étoiles de
Roland Emmerich, non pour le prolonger à l’image notamment des trois séries
dérivées qui ont suivi – Stargate SG-1
(1997-2007), Stargate Atlantis
(2004-2009) et Stargate Universe
(2009-2011) –, mais pour se concentrer cette fois-ci sur les événements s’étant
déroulés avant, lors de la découverte de la fameuse porte à Gizeh à la fin des
années 1920. Je m’arrêterai là s’agissant de ce nouvel opus de l’autre grande
production au préfixe en Star- dont
les ambitions très modestes pourront surprendre à l’heure où les machines Star Trek et Star Wars fonctionnent à plein régime et qui pourrait qui plus est
difficilement prétendre au statut de quality
television. Car si cette actualité me paraît aujourd’hui digne d’être
évoquée, c’est moins pour elle-même que comme réminiscence, nostalgie pour une production
qui a bercé mes jeunes années et qui avec le recul qu’autorisent le passage du temps
me paraît incarner la franchise spatiale
par excellence. Je m’explique.
A cela s’ajoute un autre élément distinctif qui est le fait
que la série se passe non pas dans un futur imaginé (l’elsewhere et elsewhen
illustrés notamment par Star Wars)
mais dans un présent ré-imaginé. Autrement
dit, Stargate invite le spectateur à
se projeter dans un réel différent se déroulant dans le monde contemporain.
Dans ce sens, la série est plus proche des films d’invasion extra-terrestre
comme Independence Day ou X-Files dont elle reprend certains des
thèmes de prédilection, qu’il s’agisse de l’asymétrie technologique ou de la
question du maintien du secret dans une société démocratique. Un des ressorts
principaux de l’intrigue qui reprend à son compte le système de répétition et
de variation propre à toute série à succès est d’ailleurs le décalage constant
qui existe entre le quotidien ordinaire du Stargate Command (localisé
physiquement dans la base de Cheyenne Mountain
aux Etats-Unis), lequel doit surtout gérer les retombées politico-militaires du
programme et permet à la série de conserver un « effet de réalité »
en racontant aussi des histoires humaines familières, et, de l’autre côté de la
porte des étoiles, la réalité extra-ordinaire
d’un conflit aux proportions interstellaires voire intergalactiques.
Cet
ancrage dans le présent qui place la série à part dans le paysage SF est
remarquable en ce qu’il situe le spectateur et les personnages – des pionniers
à la Right Stuff, des frontiermen plutôt que des explorateurs
de métier – dans une époque de transition où tout est à construire et où chaque
possible doit être motivé, contrairement à d’autres productions pour lesquelles
l’exploration spatiale apparaît comme une donnée acquise d’entrée de jeu. La
série n’hésite pas à jouer avec cette idée en mettant en scène la notion de
« multivers », c’est-à-dire de réalités parallèles (incluant les
sauts dans le temps) auxquelles la porte permet d’accéder. Ces présents
alternatifs sont importants pour le récit en ce qu’ils sont vus comme autant de
possibilités d’essais et d’erreurs permettant de comparer les mondes où la
porte n’existe pas ou n’a pas été correctement exploité avec l’ici et
maintenant de référence dont on peut/veut croire qu’il s’agit du nôtre et cela
afin d’en obtenir la meilleure version possible. L’élément récurrent est que,
de leurs multiples voyages, que ceux-ci aient lieu dans ce continuum
spatio-temporel ou dans un autre, les membres de SG-1 reviennent toujours avec
la conviction que la porte des étoiles est une bonne chose (non sans similitude
d’ailleurs avec les arguments circulaires employés pour justifier la présence
de l’homme dans l’espace…).
En résumé, le « pourquoi » est central : non
seulement il fait partie intégrante des contraintes d’écriture de la série,
mais encore, dessinant le champ des possibles que le spectateur intègre, il va
jusqu’à servir de base de communication en suscitant un questionnement sur
« qui nous sommes » ou plutôt « pensons/voulons être ».
Par comparaison, Star Trek, référence
incontournable du genre s’il en est, est entièrement construit autour du
postulat minimaliste et propre à exclure toute discussion prolongée sur le
sujet selon lequel la conquête de l’espace participe d’un élan humain naturel
et irrépressible suffisant à lui-même (le « boldly go where no one has
gone before » répété en début de chaque générique et que nous
retrouvons par exemple chez Carl Sagan pour qui « Exploration is in our nature »).
Comment pourrait-il en être autrement alors que la série dont la première
diffusion télévisée date de 1966 et qui a gardé avec les années la tonalité
optimiste voire idéaliste des origines a été produite à une époque où la
présence de l’homme (américain) dans l’espace était considérée comme allant de
soi ? Pour sa défense, ce n’est en effet que récemment après des années de
tergiversations et d’introspection que le tabou est finalement tombé et que la question
des objectifs – par opposition aux destinations – a été clairement et
explicitement posée.
Avec SG-1, le
débat est non seulement ouvert, mais en réalité il n’est jamais clos –
reflétant au passage le malaise
identitaire de la communauté spatiale de la fin des années 1990. Même la
sécurité qui semble parfois constituer le ressort N°1 de l’action demeure volontairement
ambiguë. Doit-elle être comprise comme la recherche maximaliste de la puissance
dans le cadre d’une guerre d’extermination à somme nulle qui ne laisse aucune
place à la diplomatie (les Goa’uld, les Réplicateurs,
les Oris…) ou comme une notion
plus défensive s’inscrivant dans une société galactique de type westphalienne
remplie de (formes de) vies et de civilisations différentes mais
tolérantes (les Tok’ras,
les Asgards, les Anciens…) ? Sa
poursuite effrénée et non-contrebalancée par la prudence ou d’autres motifs
d’action ne risque-t-elle pas d’ailleurs de provoquer un « retour de
bâton » (thème récurrent de la boîte de Pandore), ainsi que le montrent
les multiples dilemmes et références transparentes à la privatisation de
l’espace, la prolifération des technologies sensibles ou encore la militarisation
et « sécuritisation » de l’orbite ? Les quatre membres de l’équipe
SG-1 originelle reflètent cette incertitude de base en contribuant, par leurs
personnalités et leurs histoires, à alimenter la série en tensions dont la
résolution participe du développement de l’intrigue au même titre que les
péripéties des voyages. Cette capacité, qui n’est pas exempte du recours à
certains poncifs du genre, permet à la série de se distinguer à moindre coût de
la SF classique opposant les « méchants aliens » aux « gentils
humains ».
- Ainsi, Samantha Carter (Amanda Tapping) et Jack O’Neill (Richard Dean Anderson), ont beau appartenir tous deux à l’USAF, ils n’en représentent pas moins deux visions radicalement différentes de l’armée. Carter, unique femme de l’équipe, est astrophysicienne et, quoique officier expérimenté et exemplaire, est avant tout intéressée par la science pure, davantage la connaissance pour elle-même que pour ses éventuelles retombées militaires.
- O’Neill (interprété dans le film originel par Kurt Russell) est quant à lui un vétéran des forces spéciales. Soldat d’élite courageux et prêt au sacrifice à qui ont été confiés le commandement et la responsabilité de l’équipe, il considère que la défense contre la menace extra-terrestre constitue la raison d’être première du programme et à ce titre est à la recherche avant tout d’alliés et de nouvelles technologies.
- Seul membre civil de l’équipe, Daniel Jackson (Michael Shanks, relativement proche du personnage créé par James Spader dans le film) est anthropologue et linguiste de formation. Cet équivalent de Carter pour les humanités à qui le programme doit son existence joue le rôle de caution morale voire mystique dans une équipe dont il réfute régulièrement le biais sécuritaire au cœur de la mission qui lui a été confiée.
- Enfin, Teal’c (Christopher Judge), alien au physique imposant, est guerrier de profession (jaffa). Symbole de l’oppression extra-extraterrestre – à la fois victime criant vengeance et ancien tortionnaire désireux de se racheter –, il véhicule une conception généreuse et éthique de la guerre, que vient renforcer un mélange de stéréotypes classiques du genre (l’acteur est afro-américain).
Reste
que pour tout un pan de la littérature SF dite
astrofuturiste – en particulier aux Etats-Unis compte tenu de l’interpénétration à l’œuvre avec les valeurs
propres à ce pays –, l’espace est aussi le « lieu d’avenir » par
excellence, cette « nouvelle frontière » qui nous donne la
possibilité de résoudre nos querelles, que celles-ci soient politiques,
sociales ou encore raciales. SG-1,
produit de son temps, ne déroge pas à la règle en prenant soin de montrer des
équipes d’exploration mélangées où la différence est in fine effacée. Ces dignes « envoyés de l’humanité »
autorisent ce faisant des comparaisons souvent flatteuses avec les sociétés
extra-terrestres, lesquelles au contact de l’hégémonie bienveillante de la
Terre (c’est-à-dire des Etats-Unis) sont amenées (parfois sans leur
consentement) à être libérées du joug alien voire de croyances et conceptions sociales
perçues comme rétrogrades et à évoluer vers le meilleur, c’est-à-dire, à nous
ressembler. Cet « universe-building » suggère ainsi que « l’impérialisme
sans empire » orienté par le souci de l’autre plutôt que le seul self-help peut aider à résoudre la
pluralité en apparence irréductible des motivations. Pour caricatural qu’il
soit, il n’en offre pas moins de nouvelles occasions de questionner la mission
de SG-1, reproduisant et popularisant en cela les controverses contemporaines
sur la space dominance (et plus largement la « responsabilité de
protéger » et le « devoir d’ingérence » dans un monde tragique).
Stargate de ce point de vue véhicule
un message plus ambivalent et complexe qu’il n’y paraît au premier regard, car s’il confirme in fine les avantages interstellaires,
et donc en retour par définition bel et bien terrestres, de la pax americana, il ne laisse pas pour
autant de côté les contradictions de l’unipolarité.
vous connaissez PLANETES, l'anime et le manga ? je vous le recommande (chaudement, évidemment)
RépondreSupprimerhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Planetes