Cet astronaute a beau dire : de la guerre ou de la
paix, nul ne sait de quoi l’espace de demain sera fait. Après tout, si un
retour sur la Lune peut être motivé par le politique
et le symbolique, de même que par l’argument économique,
il n’est pas non plus impossible d’envisager que la prochaine expédition
lunaire soit plus belliqueuse en intention que les précédentes.
Stratégie spatiale…
C’est d’ailleurs cet argument que choisit de reprendre Jean-Luc
Lefebvre afin de justifier l’intégration de la Lune (i.e. le système Terre-Lune) à l’espace stratégiquement pertinent.
Si ce dernier ne doit pas être limité à l’espace circumterrestre, c’est parce
que « On peut très bien imaginer
d’installer sur la Lune des armements menaçant la Terre et l’espace
circumterrestre. Ce ne serait pas pour la domination de la Lune elle-même, mais
bien pour le contrôle de la Terre et de sa périphérie » (p. 65-6).
Cette affirmation cherche en réalité à trancher une question
importante que Serge
Grouard n’avait pas non plus éludée. Dans un paragraphe intitulé « De
l’utilité théorique de l’espace lunaire » (p. 39-43), l’auteur de La
guerre en orbite posait en effet comme principe la non-pertinence
d’un système Terre-Lune. Pour lui, « l’espace
lunaire n’est plus d’aucune utilité pour l’observation de la Terre, les
télécommunications terrestres ou encore le tir ». En conséquence,
« il ne fait pas partie du système
terre-air-mer-espace circumterrestre car son éloignement et son immensité le
détachent de notre système terrestre, créent le cloisonnement entre eux et
offrent peu d’intérêt à agir depuis l’espace lunaire vers les quatre domaines
terre-air-mer-espace circumterrestre » (p. 39).
L’auteur de Stratégie
spatiale soutient le contraire. S’« il est vrai que l’éloignement de la Terre […] ne rend pas ce site très
pratique pour l’observation et les télécommunications », en revanche,
pour ce qui concerne le tir, « il
est théoriquement concevable d’installer sur la Lune une arme à énergie dirigée
de grande puissance qui menacerait les satellites présents dans l’espace
circumterrestre, voire des cibles situées à proximité de la surface terrestre.
En tant que point haut naturel, la Lune domine la Terre. L’exclusion de la Lune
du théâtre stratégique terre-air-mer-espace circumterrestre restera une
disposition conjoncturelle acceptable tant qu’aucun armement sélène ne sera en
mesure de menacer la Terre, mais elle ne peut être posée comme principe »
(p. 67).
Et Lefebvre d’ajouter que l’argument militaire est
pertinent pour au moins deux raisons : 1) du point de vue offensif tout
d’abord, comme en témoignent les citations relevées plus haut mais aussi l’idée
psychologiquement puissante qu’une menace puisse exister sur un astre visible à
l’œil nu depuis la Terre (p. 215) ; 2) du point de vue défensif ensuite, puisque
la Lune, notamment sa face cachée, « peut
également être envisagée comme base arrière, véritable sanctuaire difficile à
atteindre par les armements terrestres et circumterrestres » (p. 68),
refuge idéale « pour une
civilisation cherchant un moyen ultime de survie en présence d’un danger mortel »
(p. 215-6). Naturellement, on se situe ici dans le cadre d’une « analyse
prospective » (p. 70) de « long terme », ou, à la limite, de « moyen
terme » (p. 69).
La base lunaire de 2001 : Lodyssée de l'espace |
… et effet de miroir
Pour ma part, j’avoue
prêter une oreille beaucoup plus attentive aux justifications politiques d’un
retour à la Lune – une sequel
de ce que la guerre froide a pu offrir – qu’aux motivations économiques et –
surtout – militaires que notre satellite pourrait inspirer. Serait-ce un manque
d’imagination de ma part ? Mon scepticisme est plus sérieux.
En effet, ces préoccupations me semblent refléter rien moins que ce qui a déjà été dit il y a quelques
décennies. Ainsi, la peur très actuelle que la Chine puisse prendre possession
d’une « red moon » et y installer
une base militaire communiste menaçant la Terre résonne facilement avec les
années 1950. « He who controls the
moon controls the earth » pouvait-on alors dire en reprenant l’image
classique du « high ground »,
passée du langage militaire bien terrien au vocabulaire spatial à la suite des
interventions de quelques-uns comme Lyndon Johnson. Ainsi du film Destination
Moon (1950) réalisé à partir d’une nouvelle de Robert A.
Heinlein et dans lequel un personnage déclare à la 18e min :
We are not the only ones who know that the Moon can be reached. We’re not the only ones who are planning to go there. The race is on – and we’d better win it, because there is absolutely no way to stop an attack from outer space. The first country that can use the Moon for the launching of missiles... will control the Earth. That, gentlemen, is the most important military fact of this century.
Ou encore des illustrations terrifiantes accompagnant
l’article au titre explicite « Rocket Blitz From the
Moon » (1948) du magazine Collier’s (voir aussi ici).
Si ces projets n’ont jamais été réalisés, c’est tout
simplement parce que la dissuasion est beaucoup plus efficace depuis la Terre.
Les missiles y sont plus rapides et plus précis, et moins prévisibles si embarqués
à bord de sous-marins.
Reste que la vision imaginée d’une Lune militarisée fait
toujours recette. Parmi les exemples les plus récents, citons donc le cas de
George Friedman dans The Next 100 Years. A Forecast for the 21st Century. Le discours, actualisé, tient
évidemment compte de l’apparition d’un espace circumterrestre militarisé voire
– pour l’époque qu’il veut décrire – arsenalisé. Plantons le décor.
2030 : les Etats-Unis construisent un système orbital
de trois « Battle Stars »
élaborée de façon à ce qu’il soit « invulnerable,
that no other country has the ability to attack and destroy it » (p. 169). De fait, « The main Battle Star will be located in geosynchronous
orbit over the equator near the coast of Peru. A second will be placed over
Papua New Guinea, and a third over Uganda. The three will be arrayed at almost
exact intervals, trisecting the earth » (p. 168).
Battle Star... Galactica |
Mon cher Guilhem,
RépondreSupprimerPour les lecteurs de ton bloc-notes, je vais livrer le fond de ma pensée.
À mon sens, une course est engagée entre la mise en place d’une véritable gouvernance pacifique de l’humanité sur notre bonne vieille Terre et l’arsenalisation de l’espace, incluant celle de la Lune.
Si les grandes nations s’entendent pour éradiquer la guerre ici-bas, elles n’auront aucune raison de projeter des armes dans l’espace, à l’exception notable d’un système défensif pour se prémunir des ravages que pourrait causer la rencontre d’un géocroiseur de grande taille.
Dans le cas contraire, si la compétition et l’affrontement militaire entre grandes puissances renaît au XXIe siècle en dépit des leçons des trois guerres mondiales (la Guerre Froide, gagnée par l’Occident sans avoir dégénéré en « guerre chaude » thermonucléaire était potentiellement la plus mortifère), les armements contourneront les milieux traditionnels – terre, mer, air – pour utiliser les milieux accessibles aux technologies modernes, notamment l’espace extra-atmosphérique, le cyberespace et le bio-espace. Dans cette perspective, lorsque la technologie le permettra, il n’y a aucune raison stratégique de se passer de l’avantage de position procuré par la Lune et les points de Lagrange.
Bien évidemment, il est possible de défendre un avis contraire en réaction à celui-ci, n’est-ce pas le principe même d’un bloc-notes électronique ?
Bravo Guilhem pour ton animation du débat stratégique, continue en phase propulsée par ton intelligence, ton imagination et ton ouverture au débat…
Jean-Luc Lefebvre
Je signale que la dernière photo illustre un vaisseau Cylon, non le Galactica ;)
RépondreSupprimerNotons un petit manga sur une ''course à la Lune'' basé sur l'Helium 3 qui dans ''Moonlight Mile'' est perçu comme le nouvel ''or noir''; Après sa découverte en grande quantité dans les années 2010, une coopération entre les pays riches (USA, Japon, Russie, Europe) se met en place pour exploiter ce nouveau filon mais les USA en profite pour développer leur militaire spatial avec la mise en place d'une ''space force'' avec chasseurs spatiaux, base orbitale et base lunaire - tout cela sans que le public n'en sache rien - et la Chine, exclue du jeu, se met à faire de même, d’où une guérilla secrète dans l'espace entre ces 2 géants; Ce n'est qu'une fiction avec des avancées technologiques plausibles et dégâts d'un tel conflit bien imaginé avec des débris provenant de combats percutants l'ISS mais construire une station militaire de centaines de mètres de diamètre sans que des télescopes la voient m'a fait sourire.
Oui, les images que Google Image me proposait pour le Battlestar ne me convenaient pas :)Merci pour ce petit conseil de lecture, ça pourrait être l'occasion de me mettre aux mangas... que je connais très mal.
RépondreSupprimerBien à vous,