Or voilà un paradoxe. Parmi l’ensemble des réalisateurs des
trois productions que j’ai sélectionnées, Clooney est sans doute le plus
susceptible d’inspirer un film politique. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui,
aux Etats-Unis, du moins à gauche, n’hésitent plus à parler ouvertement de
Clooney comme « our Ronald
Reagan ». Et ne s’est-il pas justement attribué le rôle d’un candidat à la
nomination Démocrate dans ce film qu’il a à la fois co-écrit et dirigé ?
Encore faut-il remarquer que le gouverneur Mike Morris – le
personnage interprété par Clooney – n’apparaît que rarement à l’écran. Ses
convictions, ses principes et ses compromis tragiques sont certes traités mais
restent toujours en arrière plan. Et pour cause, l’histoire est centrée sur
Stephen Myers (Ryan Gosling), le jeune adjoint du directeur de campagne qui est
persuadé que son candidat est le bon, celui dont l’Amérique a besoin. Les
choses changent lorsqu’il met la main sur des informations susceptibles de
bouleverser toute la campagne des primaires. Il doit alors choisir entre sa
carrière et ses principes. L’hésitation ne sera que de courte durée.
Ce faisant, les Marches
du Pouvoir ne s’avèrent être qu’une ultime reprise d’un thème classique : les individus,
y compris ceux en apparence idéalistes, font ce qu’ils doivent faire pour s’imposer,
même si cela signifie aller à l’encontre de leurs principes. Toutefois, il n’y
a rien de politique – entendue comme Démocrates vs. Républicains, Gauche vs. Droite
– dans cela. Et pour cause, le secret que Myers découvre est tout sauf idéologique.
Morris n’est pas un affreux « socialiste » qui tromperait le citoyen américain.
Non, ce qui intéresse, c’est le scandale. Le spectateur ne peut dès lors tirer
qu’une seule conclusion : ceux au gouvernement ne sont pas là pour changer
les choses ; ils sont là parce
qu’ils ont un appétit insatiable et corrupteur pour le pouvoir…
… ou est-ce bien le cas ? C’est ici que la comparaison avec le
nouveau film de David Soderbergh est intéressante. De prime abord, Contagion apparaît comme le « globalisation thriller »
du moment. Tout commence avec une femme d’affaire américaine (Gwyneth Paltrow)
qui contracte un virus à Hong Kong. Déjà deux minutes, et voilà qu’elle décède.
Qui sera le suivant parmi le casting des célébrités : Matt Damon, Kate Winslet,
Marion Cotillard ? Or justement, rien à voir avec le film catastrophe
classique dans lequel un virus emporte la moitié de l’humanité, les zombies s’occupant du
reste. Comme le montre le même commentateur, « Contagion is less a thriller than a medical
procedural that takes us step by step from the beginning of an epidemic to its
end ». Dès lors, il n’est pas étonnant d’entendre les spectateurs parler d’ennui
et les critiques évoquer un navet juste « bon pour la
santé ».
Pourtant il y a un intérêt réel dans ce film, et il
n’est pas que pédagogique. Car ici, non seulement le gouvernement n’est pas
corrompu, mais il est même efficace. Le trait ne serait-il pas un peu
forcé ? Le film précédent a en effet laissé au spectateur songeur une tout
autre vision, d’autant plus que celui-ci est naturellement méfiant envers ses
gouvernants comme l’indiquent les sondages américains et français. Mais la surprise est tout aussi forte du côté d’Hollywood
comme en témoigne le New York Times : « in
the 1970s it was the government that played the villain while this time it’s on
the side of right ».
De fait, pour Dan Drezner, « Soderbergh does not bother with the anti-government paranoia that […] earlier
films possessed in their DNA. Instead, the treatment of the Centers for Disease
Control, Department of Homeland Security, and World Health Organization
officials is fair. They are depicted as flawed but well-meaning bureaucrats,
getting some decisions right and some wrong ». Joshua Keating partage ce sentiment. « Steven Soderbergh's very good new film Contagion can […] be read as an argument for the necessity of strong states and
government intervention in an era of global threats ».
Dire que les
gouvernements ne peuvent pas tout faire ne doit donc pas revenir à dire qu’ils
ne peuvent rien faire. Voilà qui pourrait être une leçon de Contagion. Encore que Soderbergh en
profite pour glisser une autre critique. Une question reste en effet en
suspens : si les gentils sont les bureaucrates, qui est donc le
méchant ? Eh bien, il s’agit tout simplement d’un blogger interprété par Jude Law qui, détectant le virus avant tout
le monde, en profite pour s’enrichir. Non seulement son ascendant sur les gens
est du plus mauvais genre (comme le dit un personnage : « Blogging is not writing. It's graffiti
with punctuation » !!), mais encore répand-il des rumeurs tout
aussi dangereuses au sein de la population crédule.
En exprimant sa
foi dans les institutions et le gouvernement, Contagion ne pouvait de fait que s’opposer aux théories du complot
dont le succès dépend justement de la méfiance des populations envers le Big Government et dont Internet permet
aujourd’hui la diffusion massive. Tel est d’ailleurs le thème du dernier film
de Gonzalo López-Gallego sorti cet été après une campagne virale longue de
plusieurs mois.
Prenant la forme d’un documentaire, le film raconte comment le fameux programme américain de vol habité en direction de la Lune a survécu, contrairement à ce que l’histoire officielle prétend, à Apollo 17. En 1974, une mission spatiale secrète est envoyée sur le sol sélène sous le prétexte – fallacieux – d’y installer un dispositif d’espionnage militaire. D’étranges phénomènes ne manquent cependant pas de se produire. Aux restes ensanglantés d’une expédition soviétique également secrète, s’ajoutent la rencontre des deux astronautes américains avec des formes bizarres cachées dans les roches lunaires et qui s’avèrent être le premier contact extra-terrestre jamais fait par l’homme, mortel qui plus est, et par voie de conséquence l’abandon par la hiérarchie militaire et le gouvernement américain. « In space no one can hear you scream » indiquait déjà Alien, en 1979.
Pour le critique, « Despite all its flaws, Apollo 18 deserves credit for the things it does get
right ». Au-delà du réalisme et du jeu des détails que les
passionnés d’espace ne manqueront pas d’apprécier, Apollo 18 impressionne par l’utilisation qu’il fait de la
« théorie du complot ». 1) Celle-ci est tout d’abord une expérience à
continuer en dehors de la salle de cinéma. Les spectateurs sont ainsi invités
par deux fois – au début et à la fin – à découvrir la vérité
« vraie » du programme Apollo en allant sur un site www.lunartruth.com. Qui plus est,
la conclusion ouverte s’achève sur un avertissement sinistre (« Apollo missions brought 840 pounds of lunar
rock samples back to earth. Hundreds were given away to
dignitaries of foreign countries. Many of those "gifs" were
stolen or are now missing ») qui paraît également
prémonitoire aujourd’hui que nous apprenons la gestion lamentable de la NASA !
2) Si la thèse
du complot fait montre ici d’une puissance inégalée, c’est aussi via le
renversement original qu’elle opère. En effet, loin des thèses habituelles qui
depuis quarante ans sèment le doute parmi 6% des
Américains, le film s’appuie sur l’idée selon laquelle le
programme d’expédition Apollo a bel et bien conduit des
hommes à marcher sur la Lune. Tout comme pour le dernier Transformers, ce sont désormais les motivations véritables qui sont
interrogées et non pas tant la réalité des faits eux-mêmes (« There is a reason we’ve never gone back to
the moon »). Pourquoi être allé sur la Lune dans le cas de Transformers III. Pourquoi ne pas y être
resté dans le cas présent. Dans ces conditions, les théories du complot se
complexifient et gagnent en diversité, tout en suscitant aussi des discours
contradictoires et peut-être mutuellement destructeurs.
Ce constat fait
dire à Drezner que l’influence d’Internet est sans doute exagérée dans le film
de Soderbergh. « Myths and rumors can spread on the Internet, but so can the corrections
of those myths. In the end, someone like Krumwiede [i.e. Jude Law] would affect a very narrow, already paranoid subculture -- the
larger effect would be minimal ». Il n’empêche
que, des trois films présentés ici, Contagion
s’avère certainement être le plus progressiste et le plus optimiste comme le
souligne un critique déjà cité. Cette analyse, faite à la lecture du premier
mandat Obama et de l’espoir auquel il ne semble pas avoir répondu, est sans
doute recevable. Si Clooney joue sur le cynisme de la vie politique, Soderbergh
croit encore que les gouvernements sont capables si ce n’est omnipotents…
Apollo 18 et les autres
théories complotistes auront donc toujours la possibilité de jouer sur les imperfections
des gouvernements. Si la bêtise peut parfois être ignorée, il est toutefois
difficile de rester stoïque devant l’ignorance et l’arrogance, surtout
lorsqu’elles sont combinées. La rigth
stuff elle-même ne peut y résister comme en témoigne l’ancien astronaute d’Apollo 11, Buzz Aldrin.
J'ai vu Apollo 18 et Contagion; Le premier m'a laisser une incohérence du scénario; si les vaisseaux se sont détruit en orbite lunaire, d'ou proviennent les bandes vidéos ? ;)
RépondreSupprimerQuand à Contagion, je le trouve ''réaliste'' avec cette ''désocialisation'' et le début d'anarchie dans les villes en proie à la pandémie, mais est ce que réellement des médecins effectueraient de tels procédures pour trouver un vaccin (le prof à San Francisco qui continue ses travaux malgré la demande d'Atlanta ?). Au niveau mondial, les conséquences d'une tel épidémie conduiraient à un ''repli sur soi'' au niveau national et locale avec quasiment l'arrêt des voyages internationaux.
Peut-être devons-nous en conclure que Apollo 18 n'est pas réservé au spectateur assidu et attentif que vous êtes ? A moins que le complot soit encore plus profond et qu'une autre mission (Apollo 19) soit allée sur la Lune... :p
RépondreSupprimerContagion est, comme je le dis dans le texte, optimiste. Mais malgré tout, effectivement, réaliste. Pour une approche pessimiste, je ne peux que conseiller World War Z. Très très bon, notamment parce que les relations internationales y sont intégrées intelligemment.
Bien à vous,
J'ai, au sens propre, une tonnes de bouquins chez moi mais toujours pas celui ci qui part aussitôt s'il est mit sur le marché de l'occasion.
RépondreSupprimerConcernant les ''quarantaines'' de zones touché par un ''fléau'' (toujours effrayant malgré qu'il date de plus de 30 ans...), avec les systèmes modernes de télécommunications (les téléconférences ne sont plus réservés à une élite comme il y a encore 15 ans) et l'automatisation des systèmes de transport ( ''Dans le port d'Amsterdam'', il n'y a plus de marins qui restent confiné à bort de leurs pétroliers au large), cela peut être effectué sans trop de problèmes graves pour les populations des pays développés, par contre, pour les autres...