jeudi 1 mars 2012

WikiLeaks et l’espace : ASATs, débris, tensions sino-américaines et européennes

Pour l’historien britannique Timothy Ash Garton, spécialiste d’histoire européenne, professeur à Oxford et Stanford, WikiLeaks est le rêve de l’historien, le cauchemar du diplomate. Si nous savons désormais que le second doit être relativisé au vu des conséquences finalement assez « modestes », pour reprendre le mot de Robert Gates, des fuites sur la politique étrangère américaine, peut-être nous est-il toujours permis d’espérer le premier, au moins de manière partielle, étant donné le fastueux banquet auquel se trouve naturellement convier le chercheur quelques vingt à trente ans avant la déclassification officielle. (Je ne sais pas si les dernières révélations peuvent prétendre à autant.)


Convenons en effet que les télégrammes de la diplomatie américaine réservent quelques bonnes surprises. A la différence toutefois que ces « surprises » ne reposent pas tant sur la nouveauté que sur la confirmation de ce qui est déjà de notoriété publique – ce que nous savons grâce aux sources ouvertes. A elle seule, cette perspective est déjà révélatrice et avec le recul très intéressante. Elle l’est d’autant plus si elle est couplée avec l’analyse des écrits journalistiques chargés d’interpréter et d’utiliser ce matériau d’un nouveau genre qu’est WikiLeaks. Ainsi par exemple du Guardian ou du New York Times. Tel est du moins la thèse que je soutiens dans le numéro de mars du magazine Défense & Sécurité Internationale au travers d’un article que la rédaction a eu l’amabilité d’accepter.

Pour l’auteur de ce blog, la (bonne) surprise WikiLeaks a d’abord été celle de découvrir que l’enjeu spatial pouvait émerger ici et là et… parfois même de manière étendue et détaillée.
Ainsi le lecteur pourra-t-il, du moins je l’espère, en apprendre davantage sur les relations sino-américaines dans la nouvelle dimension en s’en remettant à l’article cité ci-dessus. De fait, c’est au journal conservateur britannique The Telegraph que nous devons la publication en février 2011 d’une dizaine de télégrammes courant de 2008 à 2011 et traitant de la question des armes spatiales, notamment antisatellites (ASAT). Je rappelle que le 11 janvier 2007 la Chine a lancé avec succès un missile ASAT contre Feng Yun-1C, un satellite météorologique orbitant en LEO, qu’un an plus tard, en février 2008, les Etats-Unis ont détruit à leur tour un de leurs propres satellites-espions, USA-193, par le biais d’un missile SM-3 tiré depuis le croiseur Aegis USS Lake Erie dans le Pacifique, et qu’en janvier 2010 la Chine a confirmé avoir procédé à un tir antimissile. Ce que j’en conclus est à lire dans DSI.

Qu’on me permette toutefois une digression. Concernant le tir ASAT de 2007, une des principales critiques faites alors à Pékin, outre un silence plutôt gênant, a concerné le problème des débris spatiaux, sujet sur lequel Olivier Kempf revient après la discussion stimulante qui nous a été offerte chez L’Harmattan. La destruction du satellite est apparue en effet d’autant plus spectaculaire que sa capacité de nuisance s’est mesurée aux 2 500 nouveaux gros débris (> 10 cm) créés (sans parler des plus petits qui, contrairement à ce que dit OK, sont également très dangereux). L’événement est en soi historique puisqu’il s’agit de la plus grosse collision spatiale jamais occasionnée. N’en reste pas moins que la question des débris, pour réelle qu’elle soit, est également sujette à certaines instrumentalisations. Si l’on regarde les chiffres d’un peu plus près, c'est-à-dire si l’on ne focalise pas seulement sur le nombre de débris mais aussi sur leur masse, on se rend compte que le problème concerne en premier lieu les Etats-Unis et la Russie responsables à 85% des débris présents en LEO. (Ou lorsque le thème des débris rejoint la problématique du réchauffement climatique.)
L’autre information révélée par WikiLeaks, au travers du journal norvégien Aftenposten, nous concerne directement puisqu’elle témoigne des relations troubles existant entre l’Allemagne et la France sur la question du spatial européen. Xavier Pasco et François Heisbourg l’ont très brièvement mentionnée (une ou deux occurrences) dans leur ouvrage (voir la fiche de lecture). Aussi vais-je m’attarder quelque peu sur cette fuite que je cite telle quelle, laissant au lecteur le soin de conclure. Nous pouvons d’abord lire que la France s’est opposée au projet de partenariat entre l’Allemagne et les Etats-Unis à propos de HiROS. Pour information, ce programme entre en concurrence avec le projet européen MUSIS. Selon WikiLeaks, « Germany’s plan exclude any reliance on other EU members (i.e. France) and reflects Germanys desire to build this competency independent of EU interest ». De fait, « Presently, Germany is wholly dependent upon foreign sources of high resolution EO imagery. Germany would very much like to remedy this and DLR believes it now has the knowledge, skill, and ability to field an operating 0.5 meter resolution HiROS constellation within three years (2012) at a price tag of about 200 million euro ».

Le Monde avait à l’époque repris l’information en la complétant d’une autre note indiquant combien les Allemands craignaient l’espionnage économique de la France, « an evil empire in stealing technology » pire que la Chine ou la Russie. Qui plus est, à en croire Berry Smutny, l’homme par qui le scandale est venu, le désormais ex-dirigeant de l’entreprise allemande OHB-System qualifié par la revue Foreign Policy de « first private-sector casualty to make headlines », bref un « WikiLoser », Galileo est « a waste of EU tax payers money championed by French interests », de même qu’une « stupid idea that primarily serves French interests ». Je cite toujours le télégramme américain, « the EU desire to develop a redundant but alternative to GPS was spearheaded by the French after an incident during the Kosovo Conflict when the US military "manipulated" GPS to support military operations (NFI). Since this time, he said France has aggressively corralled EU support to invest in Galileo development -- something Smutny said France wants to ensure their missile guidance systems are free of any GPS reliance. Smutny added, the irony for German investment in Galileo is that some of Frances nuclear missiles are aimed at Berlin ».

Ces deux exemples constituent à ma connaissance le cœur des fuites WikiLeaks concernant l’espace. D’autres sujets sont bien sûr traités. Je pense par exemple au partenariat, toujours d’actualité, entre l’Ukraine et le Brésil au niveau de la base d’Alcantara – WikiLeaks ayant rapporté que les Etats-Unis s’étaient opposés à une proposition ukrainienne de lobbying et ce alors qu’aucun Technology Safeguard Agreement n’a encore été signé avec le Brésil.

2 commentaires:

  1. Attention à l'anti francisme de base des diplo américains. Quant à une tête nucléaire braquée sur Berlin, cela fait assez rire. Plus sérieusement, l'espace est bien n lieu de puissance pour demain, et il est intéressant de voir que les Allemands ne renâclent pas, là, à s'y investir alors que les Britanniques, par exemple, le négligent.

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  2. Les choses pourraient être en train de changer pour la GB. Depuis 2010, on sent en effet un vent nouveau souffler de l'autre côté de la Manche. Il y a eu tout d'abord la création d'une Agence spatiale britannique (UKSA). Désormais, les activités ne se feront plus en ordre dispersé. On commence également à voir les militaires discuter de plus en plus vivement la dépendance spatiale britannique à l'égard de pays tiers, clairement pas une solution optimale. Enfin, la dernière Strategic Defence and Security Review réévalue explicitement l'intérêt du spatial pour le pays (p. 65). En termes de budget, la tendance - il est vrai toute relative en comparaison avec la France, l'Allemagne ou l'Italie - est également à la hausse.

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