Il y a quelques
mois, De la Terre à la Lune s’était
emparé du dernier succès télévisé de la chaîne américaine HBO. Aujourd’hui que Game of Thrones (GoT) est de retour sur
les écrans, je n’ai pas l’intention de vous incommoder une fois encore avec mes
lectures (géo)politiques de la saga. Que l’on me permette toutefois certaines
remarques.
Je dois constater que 16 ans après la publication du premier
livre par George R. R. Martin, GoT est devenu un vrai phénomène mainstream dont témoignent de multiples
publications aussi bien culturelles, allant de The
Atlantic jusqu’à The
New Yorker, que - du moins nous concernant - de relations internationales
à l’image du magazine Foreign
Policy et… de manière plus surprenante la très vénérable revue Foreign
Affairs publiée par le Council on
Foreign Relations (CFR) depuis 1922. Il faut de fait reconnaître à GoT une réelle
profondeur qu’un simple résumé scénaristique, aussi excellent qu’il puisse
être, ainsi de celui commis par l’allié Electrosphère que je salue, ne
rend que difficilement compte. De ce point de vue Foreign Affairs a eu raison de mettre les bouchées doubles avec :
- « Game
of Thrones as History. It's Not as Realistic As It Seems -- And That's Good »,
de Kelly DeVries
- « Game
of Thrones as Theory. It’s Not as
Realist as It Seems -- And That’s Good »,
de Charli Carpenter, par ailleurs bloggeuse sur le Duck
L’internationaliste que je suis a bien entendu apprécié le
jeu de mot, du « réalisme » comme théorie de RI, et du « réalisme »
comme posture historique et littéraire. A propos du second, à regarder le
premier épisode intitulé « The North Remembers », on ne pourra que louer le sérieux des
techniciens, ouvriers et artisans qui apparaît sous un nouveau jour lorsque nous est offerte, à la dixième minute, une scène avec à l’arrière fond quelques
reproductions peintes évocatrices de la fameuse Bataille de San Romano du peintre italien Paolo Uccello.
En ce qui concerne l’appréciation des « leçons »
de la série, sujet du second article, le premier épisode n’élude pas la
question. Ainsi lorsque Petyr « Little Finger » Baelish (interprété
par Aidan Gillen) lance à la Reine (joué par Lena Headey) que « Knowledge is Power », celle-ci n’a
aucun mal à lui rappeler, à la pointe de l’épée, que « Power is Power » (1:47)
Ce thème constituera certainement le fil directeur de la
saison 2 de Game of Thrones. J’en
veux pour preuve l’allégorie dite du « prêtre » que l’on peut lire
dans le deuxième
tome de la saga et qui est illustrée par la bande annonce suivante :
In a room
sit three great men, a king, a priest, and a rich man with his gold. Between
them stands a sellsword, a little man of common birth and no great mind. Each
of the great ones bids him slay the other two. "Do it," says the
king, "for I am your lawful ruler." "Do it," says the
priest, "for I command you in the names of the gods." "Do
it," says the rich man, "and all this gold shall be yours." So tell
me—who lives and who dies?
Il est facile d’interpréter ces quelques lignes sous l’angle
réaliste. Néanmoins une lecture constructiviste
n’est pas non plus à rejeter. Le lecteur curieux pourra toujours jeter un œil à
mes précédents billets sur le sujet :
En attendant, le « Game of Thrones » va continuer
son cours. Le plateau de jeu s’est étendu pour englober l’ensemble de Westeros,
ses marges littorales et ses confins nordiques, ainsi qu’une grande partie du
continent oriental. Les pions – soldats ou chevaliers – sont plus
nombreux, de même que les rois – et les reines – aux prises avec le « Clash of Kings » qu’ils servent. Aucun volonté de spoiler de ma part,
néanmoins, et pour empêcher toute illusion après ce premier épisode de la saison
2, j’offre cet avertissement gratuit : Ned
Stark n’était que le premier…
Mon cher Guilhem,
RépondreSupprimer« Power is power », c’est au nom de cette tautologie que les dictateurs se maintiennent au pouvoir…
…jusqu’à ce qu’ils soient éliminés par un autre pouvoir opportuniste.
La scène de « Game of Thrones » que tu proposes est très pédagogique à ce sujet. La reine qui a le
pouvoir de commander utilise ses gardes du corps pour menacer le prêtre. Ces mêmes gardes du
corps pourraient très bien se retourner contre elle pour l’éliminer et s’emparer du pouvoir (scénario
très classique).
Mais allons plus loin : ces soldats tiennent leur propre pouvoir de l’usage de leur épée. Le maniement
de l’épée et les techniques de combat sont du savoir. La fabrication de l’épée est également
du savoir. Aussi derrière le pouvoir brutal de la force, se cache le pouvoir beaucoup plus subtil
du savoir. Ce fût l’originalité d’Alvin Toffler de hiérarchiser les pouvoirs dans les années 70 en
développant la théorie des vagues de développement de l’humanité. Cette théorie fût à l’origine de la
Revolution in Military Affairs (RMA) aux États-Unis dans les années qui suivirent.
Mais au dessus du pouvoir du savoir, il y a encore le pouvoir spirituel incarné par le prêtre, au nom
duquel les hommes sont capables de donner leur vie. Que de victimes ce dernier pouvoir n’a-t-il pas
à son passif !
Le bonjour cordial à tous les lecteurs de cet excellent bloc-notes.
Jean-Luc Lefebvre