Depuis quelques années, un nouveau genre hollywoodien, absent
jusqu’alors aussi bien des salles de cinéma que des ouvrages critiques spécialisés,
est apparu : le film de super-héros. X-Men,
Daredevil, Hulk, Spider-Man, Hellboy, Batman, Fantastic Four, The Green Hornet, Thor, Green Lantern, Captain America, la liste est longue et
ne saurait être exhaustive. Ce renouveau est cependant intéressant, je veux
dire géopolitiquement
parlant. Il l’est d’autant plus si l’on s’attache au phénomène Iron Man…
Iron Man premier
du nom (John Favreau, 2008) frappe en effet par une originalité certaine dans
le paysage des films de super-héros. De fait, l’action débute non pas aux
Etats-Unis, mais en Afghanistan. Par ailleurs, le principal fait d’arme du
héros ne concerne pas les rues criminelles de l’Amérique à l’intérieur
desquelles tout bon avenger se doit
de patrouiller, mais un territoire étranger dans lequel la population civile
est massacrée et l’armée américaine impuissante. Si le terrain de prédilection
de Super Man est Metropolis, celui de Batman, Gotham City, et celui de Spider
Man, New York, pour Iron Man, c’est d’abord la périphérie qui importe. Aussi
serait-il sans doute envisageable de proposer à partir du film une lecture
spécifique de la politique étrangère américaine après la fin de la guerre
froide : si l’histoire relate la transformation
(un classique du genre !) d’un playboy superficiel en super-héros
responsable, elle semble aussi renvoyer à la mission impériale que l’Amérique consommatrice, entrepreneuriale, riche et
futile se doit d’assumer.
C’est en effet par ces mots que Iron Man deuxième du nom (John Favreau, 2010) commence. Pour Iron
Man/Tony Stark, l’arme ultime doit être unique si elle veut être morale. Aussi
doit-elle rester un prototype à jamais réduit au stade de version béta. Ce qui
est d’ailleurs illustré par ses qualités artisanales (Stark invente Iron Man au
fond d’une grotte afghane, et il continue plus tard d’améliorer son invention
dans le garage/laboratoire de sa villa californienne). Dès lors, la
problématique ne peut être que celle de la prolifération.
Si jamais le thème de
l’empire américain est présent au cœur du message du film, celui-ci
n’est certainement pas interprété par Washington. Pour Stark, la technologie ne
doit pas être centralisée, elle doit rester privée. Or Iron Man 2 est non-seulement anti-fédéraliste, il est aussi
anticapitaliste. Le marché n’est en effet pas plus pertinent que ne l’est
l’Etat. De ce point de vue, Iron Man
s’oppose à l’ensemble des acteurs du Iron
Triangle du complexe militaro-industriel américain, qu’il s’agisse des
politiciens (le sénateur Stern, joué par Garry Shandling), des industriels (Justin
Hammer, interprété par Sam Rockwell) ou des militaires.
L’ultime étape de cette construction est incarnée par le
fait que le film ne fait pas davantage confiance à Tony Stark. Si Iron Man 1 donne à son personnage la personnalité d’un playboy qui se
réinvente une mission de « gendarme du monde », Iron Man 2 voit plutôt en lui un être narcissique, égoïste et
arrogant. Autant de termes qui dans notre monde qualifient souvent la
superpuissance américaine.
D’où la question présente au cœur du film : comment
résoudre cette instabilité multiple ?
Pour maintenir
une suprématie technologique, la stratégie généralement adoptée, ainsi de
l’Occident face à l’URSS, comporte deux volets, le premier se concentrant sur
la R&D (leap ahead), le second
préférant un système national et multilatéral de contrôle des exportations (keep them behind). Il en est de même
dans Iron Man 2 où la combinaison
joue le rôle de technologie duale : selon Stark lui-même, « not a weapon, it’s more of a highly advanced
prosthesis ».
1) Le premier volet est illustré par la batterie qui maintient Stark en vie au prix d’un empoisonnement mortel, bien que graduel. Tony Stark doit trouver une nouvelle technologie – une métaphore des énergies renouvelables face aux énergies fossiles – basée sur une source d’énergie alternative. Mais le succès de cette opération, typique d’un quick fix à l’américaine, ne saurait être définitif. De fait, dans le film comme dans la réalité, une solution technologique ne peut pas résoudre un problème à l’origine politique.
2) Iron Man/Tony Stark doit donc envisager une autre méthode : ce dont il a besoin, c’est d’un partenaire. Loin d’être seulement un cliché du genre (Batman/Robin, Green Hornet/Kato, etc.), le sidekick est ici tout un programme : la puissance doit être partagée, car ce n’est qu’ainsi qu’elle peut être contrebalancée. Lutter contre la prolifération revient donc dans le film à faire confiance à des alliés, collaborateurs ou amis. Ce n’est que de cette manière que Iron Man pourra garder l’arme sous contrôle, non seulement de lui-même, mais aussi des autres. C’est aussi de cette façon que le film introduit cette société civile des super-héros qu’est l’initiative Avengers/S.H.I.E.L.D. dont on ne sait d’ailleurs pas trop si Iron Man/Tony Stark en est une nouvelle recrue.
Contrairement
à l’Amérique de la fin de la guerre
froide, notre héros parvient à répondre au défi de la prolifération en s’appuyant
sur un des deux piliers traditionnels (keep
them behind). Aussi Iron Man 2 finit-il sur une bien étrange
boucle : non seulement Iron Man/Tony Stark choisit de combattre avec un
partenaire, par ailleurs lieutenant-colonel de l’USAF (son ami James Rhodes,
joué par Don Cheadle), disposant d’une combinaison quasi-identique, mais encore
abandonne-t-il son aversion pour le gouvernement puisqu’il accepte de recevoir
une médaille pour acte de bravoure des mains du sénateur Stern. Quid enfin du
S.H.I.E.L.D., agence américaine, organisation onusienne, ou animal d’une espèce
inconnue ?
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Pour les curieux, je propose la lecture de Robert
Genter, « "With
Great Power Comes Great Responsibility": Cold War Culture and the Birth of
Marvel Comics », The Journal of
Popular Culture, 40, 6, p. 953–978, Décembre 2007… ainsi que le dernier
film de super-héros Avengers (Joss Whedon, 2012) sorti en salle mercredi dernier et déjà
un hit :
Chapeau bas pour le billet ! Je doute fort que 95% des spectateurs ne fassent plus de 5% de cette analyse !
RépondreSupprimerQue pense l'auteur de ce bloc notes du film "Avengers" auquel il fait référence et qui vient de sortir sur les écrans en France ?
JLL
Merci JLL. Avengers est un film de super-héros beaucoup plus classique dans le sens où le bien et le mal sont clairement distingués l'un de l'autre (il est vrai que le film tente ici et là de mettre en avant une certaine ambiguïté sur qui appartient à quel camps, mais cela ne dure - naturellement ! - qu'un temps). Néanmoins, il faut reconnaître que l'idée de réunir plusieurs super-héros est très séduisante. Et de ce point de vue la promesse est en partie tenue : le spectateur avide d'effets spéciaux et de duels explosifs rentrera chez lui satisfait. Quant à celui qui aurait voulu aller plus loin, il ne trouvera à mettre sous sa dent que le thème un peu pâle de l'union fait la force - que seul le jeu de Robert Downey Jr (je reviens à Iron Man) parvient selon moi à rendre intéressant. Cela n'est pas franchement étonnant : ni Thor, ni Captain America, ne font le poids face aux films que j'ai décrits dans ce billet. Bref, le résultat est sympathique, sans plus, et je ne suis pas emballé (inspiré?) au point d'écrire un billet sur le sujet.
RépondreSupprimerG.P