dimanche 20 mai 2012

Bilan : Pour l’exploration de l’espace ? (Partie 3)

Pour, contre l’exploration de l’espace ? Il n’y a sans doute pas de réponse définitive ni d’ailleurs exclusive. Les justifications sont de fait nombreuses et multidimensionnelles, certaines construites a posteriori, d’autres anticipées. Le blog allié Le Fauteuil de Colbert met par exemple en avant, non sans évoquer une certaine proximité intellectuelle avec la thèse astropolitique, une argumentation géopolitique sur la base du contrôle des ressources et des lignes de communication. Un tel schéma n’a rien d’inévitable. La coopération peut l’emporter sur la compétition, tout comme de nouveaux acteurs peuvent s’engouffrer dans la brèche et prendre le pas sur les Etats : le néomédiévalisme est après tout populaire aussi bien IRL qu’au cinéma (Alien, 1979-1997 ou Avatar, 2010 parmi ceux déjà cités, Dune, 1984 ou Blade Runner, 1982 parmi les autres).
File:Blade Runner poster.jpgFile:Duneposter.jpg
Des six raisons décrites précédemment, je vous l’accorde les trois premières peuvent aisément être balayées. Mais seulement parce que l’argument d’autorité, à la fois ad verecundiam (respect) et ad potentiam (pouvoir) si j’en crois mon Schopenhauer préféré, l’emporte. Qui suis-je en effet pour oser me mesurer au grand président américain, John F. Kennedy :
« But why, some say, the moon? Why choose this as our goal? And they may well ask why climb the highest mountain? Why, 35 years ago, fly the Atlantic? Why does Rice play Texas? We choose to go to the moon in this decade and do the other things, not because they are easy, but because they are hard, because that goal will serve to organize and measure the best of our energies and skills, because that challenge is one that we are willing to accept, one we are unwilling to postpone, and one which we intend to win, and the others, too »
 
Cette « can-do » attitude que l’Amérique projette face au reste du monde, les astronautes l’incarnent au niveau de la société. Tom Wolfe a su mieux que personne décrire ce dédoublement. Comme je l’indiquais dans un précédent billet, le personnage central de son ouvrage est en effet autant le groupe des « Original Seven » que l’Amérique elle-même : The Right Stuff s’adresse à la fois aux aviateurs et astronautes qui cherchent à « pushing the outside of the envelope » de leurs appareils et aux Américains « left behind » en lutte avec l’URSS pour la suprématie technologique et morale dans l’espace. Dès lors un héros peut-il avoir peur de mourir ? « They had volunteered to sit on top of rockets – which always blew up! They were brave lads who had volunteered for a suicide mission! […] And all the questions about wives and children and faith and God and motivation and the Flag… they were really questions about widows and orphans… and how a warrior talks himself into going on a mission in which he is bound to die ». De ce point de vue, le mythe de l’espace comme nouvelle frontière est validé par deux fois : l’expérience est à la fois collective(-iste), et individuelle(-iste). Ainsi, selon les propres mots du président Johnson, « If there is an ultimate truth to be learned from this historic flight, it may be this: There are few social or scientific or political problems which cannot be solved by men, if they truly want to solve them together ». Quant aux astronautes, confrontés à un danger pour leur propre vie, ne collent-ils pas à l’image du cowboy, un brin individualiste mais courageux et résolu, coupable en cela d’un « true grit » pour reprendre l’expression consacrée qui, récemment encore, était portée sur nos écrans. (Est-ce d’ailleurs pour cela que l’univers de la NASA et des autres agences spatiales est si profondément misogyne ?) 

Cette image est brillamment reprise dans Space Cowboys (2000) de Clint Eastwood. Très brièvement : le film montre un équipage de retraités prendre le chemin des étoiles afin de réparer un vieux satellite russe dont plus personne ne connaît les plans, et qui se révèle être, ultime vestige de la guerre froide, un magasin à têtes nucléaires. L’originalité est en effet ailleurs : Space Cowboys parvient à récréer la tension existante entre les vieux « frontiersmen » qui ont la connaissance et la compétence nécessaires à la « conquête » de l’espace, mais qui sont en dehors du système, et les jeunes « organization men » qui dominent le deuxième âge de l’espace. Seuls les premiers – les pionniers – montreront leur capacité à lutter contre les événements et, finalement, à « (re-)conquérir » l’espace, y compris au prix du sacrifice.


Ceci étant dit, il nous faut admettre que les trois arguments suivants sont a priori plus difficiles à opposer. Ce serait sans compter sur la science-fiction et le cinéma, aussi facilement coupables d’irresponsabilité lorsqu’il s’agit de traiter avec les « méchants aliens », qu’ils ne s’embarrassent des problématiques éthiques lorsqu’il est question des « gentils indigènes ». Et de fait, pour prendre deux exemples récents, ni Jake Sully (Avatar, 2010), ni John Carter (John Carter, 2012) ne semblent se préoccuper un seul instant de la réaction de la tribu locale ou de l’amoureux éconduit après le « ravissement » dont leurs femmes/princesses, Neytiri et Dejah Thoris, font l’objet. Au moins John Dunbar/Danse avec les Loups était-il plus « honnête » en prenant pour femme une indienne « blanche ».
Certes le héros intergalactique, un Pâris finalement plus sensé que l’original, finit par intégrer la nouvelle tribu, renonce et à sa patrie (John Carter est Warlord of Barsoom, ainsi que père d’un enfant né d’une union mixte) et à son humanité (Jack Sully fait plus fort et devient un Na’vi au sens physique du terme). Pour autant, c’est également ici que l’on voit comment le futur rejoint le passé, la science-fiction, la fiction pré-historique (qu’il s’agisse de la Guerre du feu, 1981, de 10 000 BC, 2008 ou de Pourquoi j’ai mangé mon père) et comment l’exploration du monde et de l’univers est une chose plus simple à comprendre que nous l’aurions crue. Alors, résumons : le goût du risque et du sexe faible ; est-ce tout ?

Que l’on me permette de finir sur une analogie avec le fameux épisode de la « grotte du Mal » dans Star Wars, épisode V : L'Empire contre-attaque (1980). « What’s in there ? » demande l’apprenti au Maître Jedi. « Only what you take with you! » (« Seulement ce que tu y apportes »). Ainsi, bien que Maître Yoda ait expliqué à son jeune apprenti l’attrait du côté obscur (« Anger, fear, aggression... easily they flow, quick to join you in a fight »), Luke Skywalker se décide à entrer dans la grotte armé de tout son équipement (sabre et pistolet), agressif et prêt à en découdre, d’où l’apparition de Dark Vador et le duel et la terrible découverte qui s’en suivent.


Il en est de même de l’exploration de l’espace. Aller dans l’espace, c’est découvrir l’humain qu’il y a en nous, au sens où « le faire est un révélateur de l’être » mais également parce que, pour reprendre les mots de Carl Sagan, « Spaceflight speaks to something deep inside us ». Il contient « a new recognition, still slowly overtaking us, of our coordinates, our place in the Universe – and how, even if the call of the open road is muted in our time, a central element of the human future lies far beyond the Earth ». 


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