Soutenu par la présidence Fouad Chehab et l’armée libanaise,
le projet culmine peu après 1962 à travers la naissance de la Lebanese Rocket
Society (LRS) et surtout le lancement l’année suivante de Cèdre 4 qui atteint
pour la première fois la thermosphère. Le succès de Cèdre 8, le 4 août 1967,
marque la fin de l’aventure spatiale du Liban. L’oubli lui succède alors que le
pays sombre à nouveau dans la guerre. Fruit de la parenthèse heureuse de 1958-1967,
cet épisode de la conquête de l’espace aurait pu rester un souvenir – présent
seulement à travers un timbre-poste, quelques rares photographies et coupures
de presse – s’il n’y avait eu les cinéastes-plasticiens
(italique requis, ils y tiennent !) pour s’interroger sur la façon
d’évoquer ce rêve évanoui. Film militant réalisé au moment où se profilent les
premières révolutions arabes, ce documentaire se veut ainsi avant tout une
démonstration performative : « How to do things with words », en
l’occurrence, comment agir sur le réel à travers le cinéma et l’art…
1) Le premier consiste à « redonner une matérialité à cette fusée oubliée » en prenant la
décision de reconstituer la fusée emblématique Cèdre 4, celle du timbre-poste,
pour la donner à l’université Haigazian. Fabriquée dans une usine de la région
de Dbayé, à quelque distance de la capitale, près de l’endroit même où
s’élevaient les fusées-sondes libanaises, elle est offerte symboliquement aux Beyrouthins qui voient très surpris cette forme
oblongue aux allures de missile traverser leur ville. « Sur son passage, les gens s’interrogeaient.
C’était l'idée... ». Mais si cette dernière est osée, elle est aussi le symbole
d’une époque révolue entrant en résonance avec des rêves plus contemporains,
d’un certain héritage (le panarabisme, la croyance en un nouvel horizon, la foi
en la science) qui prend immédiatement sens lorsque confronté à la réalité du
printemps arabe alors que le Liban paraît étrangement assoupi. « C’était incroyable. Comme un écho présent
des aspirations d’hier, cette capacité retrouvée à rêver ensemble donnaient
encore plus de sens à la fusée que nous construisions. »
2) Le second procédé, utilisé dans la toute dernière partie
du film, a recours quant à lui à l’animation. Justifiée initialement alors
qu’il fallait pallier le manque d’images et « prolonger » les photographies et que les cinéastes n’avaient
pas encore rencontré Manougian et découvert son trésor, l’animation a selon les
réactions que j’ai pu constater désarçonné lorsque projetée, en conclusion, à
grand renfort de navettes spatiales – couchées ! – et sondes
interplanétaires, au service d’une uchronie improbable. A quoi
ressemblerait Beyrouth en 2025, si le projet spatial avait continué au-delà de
1967 ? « La science-fiction est un genre quasi absent du monde arabe. Cela nous
a semblé intéressant d’y avoir recours pour interroger notre aptitude à nous
projeter ». Sens de la dérision sans doute. Fausse bonne idée et geste maladroit aussi.
Ce faisant, l’exercice intriguera à défaut de totalement
convaincre. Non pas qu’il soit inintéressant, bien au contraire ! –
J’invite d’ailleurs le lecteur à profiter du fait que le film soit encore en
salle pour se faire son propre avis. Le professeur Manoug Manougian est ainsi
un personnage fascinant. L’est tout autant cette Lebanese Rocket Society que je
m’autorise à personnifier. L’est encore le Liban, celui des années 1960 comme
celui d’aujourd’hui. Mais peut-être le film manque-t-il quelque peu de
subtilité. Pour ma part, j’aurais ainsi sans doute davantage apprécié un
documentaire qui ose laisser au spectateur la place pour respirer et penser.
Passif, simple laborantin sinon objet de l’expérience, celui-ci est en effet
totalement et explicitement soumis à la volonté des auteurs dont l’omniprésence
– présence active à l’écran, voix-off – empêchent toute appropriation
personnelle du sujet.
Je me permets d’ajouter un post-scriptum spatial à ce billet critique ; nous sommes après tout sur un blog dédié à la conquête de l’espace et je dois cela au lecteur habitué. Je trouve symptomatique que les références à l’espace présentes dans ce documentaire soient faites de manière aussi légère. Anecdote prétexte à quelque chose de plus grand (l’acte performatif lui-même) soit, mais pourquoi ces approximations et ces absences ?
- Ainsi parle-t-on sans cesse de fusées, méconnaissance
propice aux comparaisons les plus farfelues avec ce qui était fait ailleurs au
même moment et ce que cela présage pour l’avenir, lorsqu’il ne s’agit
« que » de fusées-sondes
développées en dehors ou presque de l’action de l’Etat. Je n’enlève évidemment rien à la
prouesse : les fusées-sondes sont de l’accord de tous un outil essentiel, une
étape primordiale qui permet de conjuguer accès aux altitudes spatiales (>
100 km) et très grande exigence technique.
- Rien ou en tout cas trop peu sur le programme lui-même (les
caractéristiques des fusées, les capacités induites ou révélées, la formation
d’ingénieurs et de chercheurs, les payloads développées, les expériences menées et les résultats atteints,
scientifiques et militaires), les raisons précises de sa terminaison (pressions
des voisins, les usual suspects que
sont la Syrie et Israël, ou de pays plus lointains, la France – selon Manougian
et Wikipedia – et les
Etats-Unis) et son impact possible direct ou indirect sur la dynamique régionale (programmes
spatiaux irakien, égyptien, etc.).
- Enfin, que dire des aspirations et des rêves des membres – en majorité, arméniens – de la Haigazian College Rocket Society (HCRS) puis Lebanese Rocket Society ? Jules Verne semble-t-il, les activités pionnières d’associations de passionnés de l’entre-deux-guerres aussi ?
- Enfin, que dire des aspirations et des rêves des membres – en majorité, arméniens – de la Haigazian College Rocket Society (HCRS) puis Lebanese Rocket Society ? Jules Verne semble-t-il, les activités pionnières d’associations de passionnés de l’entre-deux-guerres aussi ?
Pour en savoir plus :
« “The
Lebanese rocket society” : quand le Liban rêvait d’espace », Télérama.fr, 30 avril 2013, dont je tire
la plupart des citations ; « Des
Cèdres dans l’espace », Courrier
International, 2 mai 2013 ; « 3
questions à Khalil Joreige, co-réalisateur de "The Lebanese Rocket
Society" », CinéObs, 2
mai 2013 ; « Au
Liban, l'odyssée spatiale oubliée », LeMonde.fr, 5 mai 2013 ; « Lebanon’s
forgotten "Cedar" rocket program », 2012 ; « Lebanese
sounding rocket program in the 60ies (Arz / Cedar rockets) », 2011.
Source Images : © URBAN DISTRIBUTION
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