Or, étant donné les plans américains concernant l’utilisation agressive du milieu spatial et l’objectif de « space dominance » telle que défini dans les années 1990, l’interrogation est certainement légitime. Quelles ont donc été les conséquences du 11 septembre sur l’évolution de l’espace ? Plus précisément, les attentats de New York ont-ils empêché le développement de l’arsenalisation de l’espace en concentrant l’attention des décideurs et du public sur l’Afghanistan, l’Irak et la guerre contre-insurrectionnelle, ou bien ont-ils au contraire servi d’aiguillon, ou, enfin, ont-ils été indifférents ?
Contrairement à ce qui est souvent dit, ces événements n’ont pas signé la fin de l’unipolarité américaine. Au contraire, les années suivantes ont montré que la suprématie des Etats-Unis était plus que jamais totale. Ainsi, de l’impact du « nine-eleven », ce qui a surpris, c’est moins les attentats eux-mêmes, que la vigueur et l’envergure de la réaction américaine. Les guerres d’Afghanistan et d’Irak ont illustré de manière encore plus spectaculaire ce que l’Amérique avait déjà montré lors de la guerre du Golfe en 1991. Clairement, militairement parlant, « there is only one player on the field that counts » et il s’agit des Etats-Unis.
L’utilisation sans cesse plus grande de la guerre intelligente peut en témoigner. Le nouveau paradigme qui s’appuie sur la multiplication des capacités militaires grâce aux nouvelles technologies de l’information que confèrent les satellites d’observation, de télécommunications et de navigation – ce que les Américains qualifient de Révolution dans les Affaires Militaires (RMA) – a plus que jamais gagné en profondeur durant les années 2000. La militarisation de l’espace dont l’utilisation tactique était déjà bien avancée s’est ainsi accentuée de manière spectaculaire, qu’il s’agisse des tirs de missiles guidés par GPS ou de la quantité d’informations relayées par satellites.
Si la place prise par l’espace dans la façon américaine de faire la guerre n’a pas diminué, mais s’est au contraire accentuée, la politique de « primauté » à laquelle était sous-entendue son utilisation n’a pas non plus changé. Même si l’espace n’a pas pour le président George W. Bush le même attrait qu’il a pu avoir pour d’autres de ses prédécesseurs, le contexte qui contribue à amplifier ce constat – la focalisation des Etats-Unis sur la menace terroriste – va en réalité en instrumentaliser l’usage.
La guerre globale contre le terrorisme (GWOT) a certes pu empêcher la formulation rapide d’une politique spatiale dont la publication est renvoyée à 2006, soit 10 ans après celle présentée par l’administration Clinton, mais elle a aussi conduit à l’émergence d’une nouvelle vision pour l’Amérique dans l’espace. Pour cause, l’élection de novembre 2000, parmi les plus controversées, a vu arriver au pouvoir une équipe dominée par des néoconservateurs et d’anciens représentants d’administrations précédentes qui tous avaient en tête un changement spectaculaire de politique.
Pour l’espace, l’exemple parfait est incarné par Ronald Rumsfeld. Secrétaire à la Défense sous Ford, membre fondateur du think tank néoconservateur Project for the New American Century, Rumsfeld est aussi l’auteur d’un Rapport remarqué, publié début 2001, et qui prévient les Etats-Unis d’un futur « Pearl Harbor de l’espace » et recommande l’arsenalisation américaine préventive de l’espace. Ronald Rumsfeld devient le nouveau secrétaire à la Défense de l’administration Bush et il saura influencer le nouvel occupant de la Maison Blanche, notamment en rapport avec son « dada » : la défense antimissile. Résultat, en 2002, Washington dit ne plus vouloir dépendre de Moscou ou du Traité ABM pour sa sécurité future.
Contrairement à l’époque Reagan où l’Initiative de Défense Stratégique avait été contrée par un Congrès Démocrate soucieux de stabilité internationale, l’opposition aux plans spatiaux de l’administration Bush se trouve littéralement émasculée en 2001. Pour cause, tel est ici l’effet indirect que les attentats du 11 septembre 2001 ont eu sur l’espace. Bien que la plupart des programmes militaires spatiaux n’aient rien à voir avec la protection contre de futures attaques terroristes, les Démocrates craignent que leur refus ne soit perçu négativement par l’opinion en ces temps agités où le patriotisme et l’union nationale sont de
rigueur.
3) L’arsenalisation de l’espace : des plans mais pas de fait accompli ?
rigueur.
Un exemple : le projet de Prompt Global Strike |
Malgré tout, l’ensemble de cette nouvelle vision pour l’espace s’écroule assez rapidement. Dès le second terme de la présidence Bush, la nature plutôt limitée des menaces dans l’espace, de même que le coût sans cesse croissant du double engagement dans les deux guerres simultanées en Irak et en Afghanistan et dans la lutte globale contre le terrorisme, rendent le financement de l’arsenalisation spatiale problématique. A cela il faut ajouter le départ de Ronald Rumsfeld, le principal défenseur de la « space dominance » au sein de l’administration, et le retour sur le devant de la scène publique des préoccupations sur les conséquences négatives d’une telle politique spatiale.
L’heure est désormais au réalisme. Ce qui est vrai au niveau domestique l’est aussi au niveau international. Ainsi, les Etats-Unis doivent rapidement revoir leur position lorsqu’en 2003 la Chine devient la troisième puissance spatiale à placer un individu en orbite. Le signal est d’autant plus fort que la navette spatiale américaine est alors clouée au sol suite à l’accident de Columbia. Pour beaucoup, les Etats-Unis ont perdu la face. La pression de la Chine s’accentue encore lorsqu’elle décide en 2007 de procéder à un tir antisatellite (ASAT) contre un satellite météorologique usagé. Désormais, les Etats-Unis ne sont plus seuls dans l’espace et leurs plans doivent intégrer la réaction potentielle des autres puissances… mais aussi la possibilité de voir un jour l’espace devenir inaccessible à cause de la formation de débris.
Le 11 septembre n’a pas eu de conséquences dramatiques sur l’évolution de l’espace. Tout au plus a-t-il provoqué un durcissement du discours américain. De mon point de vue, la fin de la guerre froide a joué un rôle beaucoup plus important : en faisant des Etats-Unis l’unique superpuissance, elle a favorisé l’émergence d’une politique de type hégémoniste dont l’espace s’est fait le véhicule emblématique à travers une « space dominance » que le Président Clinton a été le premier à inaugurer. Dans ces conditions, l’évolution du spatial militaire sous Bush perd son caractère exceptionnel pour retrouver une place normale aux côtés des autres administrations.
Dans cette logique encore, malgré l’élection d’une nouvelle présidence Démocrate en 2008, la remise en cause de cette stratégie paraît peu probable…
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