lundi 24 septembre 2012

Course à l’espace pour les candidats à la Maison Blanche ?

J’interromps un instant la série « Surprise stratégique » pour vous entretenir d’un sujet plus stellaire. J’avais l’hiver dernier commis un billet sur la place du spatial dans la campagne présidentielle américaine. Un thème bien curieux avait alors fait son apparition lors de la course à la nomination républicaine, celui de l’installation d’une base sur la Lune. De l’eau a depuis coulé sous les ponts : finalement choisi pour incarner le camp républicain et débarrassé de son extravaguant et encombrant adversaire Newt Gingrich, Mitt Romney s’est lancé en croisade contre le candidat Démocrate au moment même où le spatial américain accumulait les succès, ainsi de l’arrimage de la capsule Dragon/SpaceX à l’ISS et de la mission Curiosity arrivée sur Mars dans les meilleures conditions possibles.
A moins de deux mois des élections, l’heure est donc venue de revenir sur notre problématique. Depuis le « missile gap » qui a favorisé l’élection de John F. Kennedy face au Républicain Nixon, le fait est que le programme spatial attire généralement peu l’attention des candidats au poste suprême. La chose est d’autant plus vraie aujourd’hui alors que l’économie fait la Une, suivie des enjeux sociaux et sociétaux et même parfois des questions de politique étrangère. Il peut néanmoins y avoir des exceptions, comme lors de la précédente campagne de 2008. On se souvient ainsi du document que l’équipe du candidat Obama avait rendu public, et dans lequel était par exemple inscrite l’opposition à l’arsenalisation de l’espace a priori défendue par l’administration Bush. On se souvient aussi du débat entre représentants de chaque camp qui avait enthousiasmé les « space advocates ». De ce point de vue, la campagne de 2012 n’atteindra certainement pas les mêmes sommets. Reste que certains développements récents méritent d’être étudiés.

OBAMA : DEFENDRE LE BILAN

En prévision d’un arrêt du bus présidentiel à Melbourne,  FL, résumé ici, l’équipe « Obama For America – Florida » a publié début septembre un document de trois pages décrivant quels avaient été les « Key Accomplishments for NASA and Space » de l’administration durant les quatre dernières années. L’introduction est signée par le président lui-même.
I am 100 percent committed to the mission of NASA and its future. Because broadening our capabilities in space will continue to serve our society in ways that we can scarcely imagine. Because exploration will once more inspire wonder in a new generation sparking passions and launching careers. And because, ultimately, if we fail to press forward in the pursuit of discovery, we are ceding our future and we are ceding that essential element of the American character. 
Le document met l’accent sur principalement quatre axes : 1) l’extension de la durée de vie des projets spatiaux existants (« Extended the Life of Existing Space Efforts »), ainsi de l’ISS pour laquelle le soutien américain est prolongé au moins jusqu’en 2020, de la navette spatiale dont la terminaison était prévue initialement pour 2010, ou des projets d’exploration spatiale lointain à l’image de Mars Curiosity ; 2) du soutien apporté au spatial commercial (« Support Growth Of Commercial Spaceflight ») ; 3) de la poursuite des investissements pour la science (« Continued Investments in Science ») ; et 4) de la préparation de la nouvelle génération de vol habité (« Built Support for Next Generation of Spaceflight »). 

 Aucun des candidats n’est toutefois à l’abri des exagérations ou du détournement des faits. Si Mitt Romney a tendance – nous pourrions même parler, dans le cas Républicain, de véritable amnésie comme le prouvent les discours de son colistier Paul Ryan ou de son expert en politique spatiale Scott Pace – à omettre le fait que la décision de mettre un terme au programme de la navette spatiale est imputable à l’administration Bush, Obama soutient quant à lui, sous la section « Supporting Development Of The Next-Generation Space Vehicle », que « Under President Obama, NASA is developing a new vehicle, the Space Launch System, which will serve as the backbone of its human space exploration program in the post-Shuttle era ». Cela n’est que partiellement correct : le SLS, dont il est ici question, n’est pas une idée originale de l’administration Obama. Il est au contraire le résultat d’un compromis passé avec le Congrès après que celui-ci a imposé à la NASA (2010 NASA authorization Act) le développement d’une nouvelle super-fusée en remplacement de celle prévue dans le cadre du programme Constellation.

De même, le document cite le soutien apporté à la science mais omet les importantes coupures subies par le budget de l’exploration planétaire cette année. A ce propos, il précise également que l’administration « forwarded efforts to foster international cooperation in space » en oubliant que suites aux réductions budgétaires la NASA a dû se retirer de la coopération prévue avec les Européens dans le cadre de la mission double ExoMars, jetant l’ESA dans le désarroi le plus total. Capitalisant sur le succès de SpaceX de mai dernier (le prochain vol est prévu pour le 7 octobre), le document ajoute que le président « provided key funding to spur private sector development and demonstration of safe, reliable and cost-effective space transportation vehicles capable of delivering cargo -- and eventually crew -- to Low Earth Orbit and the International Space Station ». Ce serait négliger un détail important, l’initiative de créer un transport spatial commercial de marchandises est à mettre au crédit de l’administration Bush.

ROMNEY : L’ANTI-OBAMA

Samedi, l’équipe de campagne du candidat Républicain Mitt Romney a publié un Livre blanc sur la politique spatiale intitulé « Securing U.S. Leadership in Space ». Disponible sur Scribd, ce document de huit pages est un mélange (pas très) savant entre l’opinion du candidat (« The Romney-Ryan Plan: Securing U.S. Leadership In Space ») et sa critique de l’approche obaminienne du spatial américain (« President Obama’s Failure: Without Leadership, Capabilities Erode »). Comme le note Jeff Foust, « The document features as much attention to the perceived failings of the Obama Administration’s space policy as its own plans ». L’introduction signée de la main de Romney illustre parfaitement cette analyse :
Unfortunately, President Obama has failed to deliver a coherent policy for human space exploration and space security. As a result, he has created uncertainty and confusion within U.S. industry and the international community. The President’s disjointed collection of scientific projects lack guiding principles, plausible objectives, or a roadmap for long-run success. They also have left American astronauts to hitch rides into space on Russian spacecraft. America’s capabilities are eroding, and with each passing year will become more difficult to rebuild.
I will reverse this course and set a clear roadmap for space exploration. NASA will retain the intellectual capital to conduct research and to develop new generations of spacecraft for government missions that are not commercially viable, but it will promptly transition out of routine space operations in low Earth orbit as private sector capabilities mature. In improving the competitiveness of U.S. industry, government can play important supporting roles as a steady patron of R&D, an enlightened regulator, and a first buyer or anchor tenant for space goods and services. We will have a space program worthy of a great nation — one that strengthens our national security, builds peaceful engagements with other space-faring nations, and promotes the creation of a growing private sector for space commerce that will make America even stronger in the 21st century.
Dans ce document, l’équipe Républicaine désigne quatre priorités. La première recommandation vise la NASA (« Focusing NASA ») et souligne que « A strong and successful NASA does not require more funding, it needs clearer priorities ». Il faut aussi mettre l’accent sur la coopération internationale (« Partnering Internationally ») : le candidat Romney sera « clear about the nation’s space objectives and will invite friends and allies to cooperate with America in achieving mutually beneficial goals ». Le troisième point met l’accent sur un programme de sécurité nationale spatiale, qualifié de « robust » (« Strengthening Security »). Il incluera notamment « the development of capabilities that defend and increase the resilience of space assets ». Enfin, Romney veut revitaliser l’industrie spatiale américaine (« Revitalizing Industry »). A cet effet, il « will work to ease trade limitations, as appropriate, on foreign sales of U.S. space goods and will work to expand access to new markets ».

Les activités commerciales font l’objet d’une discussion détaillée. Pour les Républicains, la NASA doit se concentrer exclusivement sur l’exploration spatiale humaine. Pour  le reste, elle « will look whenever possible to the private sector to provide repeatable space-based services  », comme le transport de marchandises et d’hommes en direction de la LEO, jouant ainsi le rôle de « constructive partner for private sector initiatives ». Quant au secteur privé, il sera organisé autour de « commercially viable activities — from satellite launches to space tourism to new businesses and industries that U.S. entrepreneurs will no doubt create if provided a friendly environment for doing so ». La position de Romney sur le spatial commercial était attendue. Pour cause, si traditionnellement les Républicains soutiennent le secteur privé contre le « Big » gouvernement, la chose n’est pas vraie pour le spatial où le scepticisme l’emporte. Reste qu’il n’est pas aisé de choisir entre une approche que l’on pourrait qualifier de « socialiste » (ce que l’historien Walter McDougall a joliment intitulé « Tsiolkovskia » en référence au modèle unique, soviétique et américain et suites, développé dans les années 60) et une autre idéologiquement plus saine mais paradoxalement défendue par Obama. Là est toute la difficulté des Républicains aujourd’hui : la Maison Blanche leur a coupé l’herbe sous les pieds. D’où les contradictions de Gingrich

Cela ne revient pas à dire que le document de Romney, bien qu’essentiellement négatif, soit inefficace dans sa critique de l’administration. A mon sens, l’idée la plus forte est celle que soulignent les lignes suivantes, le fait que « Today we have a space program befitting a President who rejects American exceptionalism, apologizes for America, and believes we should be just another nation with a flag ». Le concept de l’exceptionnalisme, au cœur du programme spatial américain depuis les origines – faire des choses dans l’espace que peu, sinon aucune, de nations seraient capables de faire – constitue un argumentaire puissant face au camp Démocrate. Un constat qui dépasse d’ailleurs le seul exemple du spatial et représente une vraie ligne de démarcation entre Démocrates et Républicains. « Restoring the U.S. space program to greatness will require the leadership, management skill, and commitment to American exceptionalism possessed by only one candidate in this race: Mitt Romney » indique une lettre publiée en janvier dernier et citée en détail dans le document paru samedi. Parmi les signataires, nous trouvons notamment Michael Griffin, ancien directeur de la NASA, et Gene Cernan, le dernier homme à avoir marché sur l’astre sélène.

Mais bien que précisant combien l’espace est « critical » pour l’innovation technologique, l’économie, la sécurité et le rang des Etats-Unis dans le monde, le document ne présente aucun élément susceptible d’expliquer en quoi le leadership Républicain serait différent de celui incarné par l’actuel président.  Comme le note Marcia S. Smith, ce n’est pas en soi une mauvaise chose : il est de notoriété publique que la politique spatiale américaine a avant tout besoin de stabilité. Il manque toutefois à « Securing U.S. Leadership in Space » une vision et des idées propres. Le fait est que le document ne prétend pas même le contraire : si élu, Romney rassemblera des experts de touts bords – NASA, USAF, universités, entreprises –  afin de demander et conseils et opinions, et ainsi « set goals, identify missions, and define a pathway forward that is guided, coherent, and worthy of our great nation ».
DOCUMENTS

« President Obama’s First Term: Key Accomplishments for NASA and Space », Obama for America – Floridaseptembre 2012, 3p.








dimanche 16 septembre 2012

Des surprises stratégiques (2) Le jour des morts-vivants

Que tes morts revivent ! Que mes cadavres se relèvent !
Ésaïe 26:19
It goes by many names: “The Crisis,” “The Dark Years,” “The Walking Plague,” as well as newer and more “hip” titles such as “World War Z” or “Z War One.” I personally dislike this last moniker as it implies an inevitable “Z War Two.” For me, it will always be “The Zombie War,” and while many may protest the scientific accuracy of the word zombie, they will be hard-pressed to discover a more globally accepted term for the creatures that almost caused our extinction. Zombie remains a devastating word, unrivaled in its power to conjure up so many memories or emotions, and it is these memories, and emotions, that are the subject of this book…

… au moment où le récit du narrateur commence, la fin « officielle » (dite « Victory in China Day ») de la guerre contre les morts-vivants n’a guère plus de dix ans. Bien que située dans un futur proche, World War Z: An Oral History of the Zombie War (2006), publiée en France en 2009, décrit un monde très lointain... dans lequel des millions de zombies continuent d’être actifs, parcourant le paysage géopolitique transformé de la Terre. Jugez plutôt : Cuba est devenue non seulement une démocratie mais également l’économie la plus dynamique de la planète et le siège du capitalisme international. La Chine s’est elle aussi convertie aux vertus de la démocratie après une guerre civile meurtrière et la mutinerie d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins. Le Tibet, désormais indépendant, abrite en son sein la ville la plus peuplée du globe, alors que la Russie, protégée par un Etat théocratique expansionniste, a retrouvé identité et sécurité. La Corée du Nord est plus que jamais un mystère. Quant à l’ONU, elle dirige les opérations de maintien de la paix en éliminant les hordes de zombies des régions encore infestées, tout en tuant ceux d’entre eux qui polluent nos mers ou qui, gelés – l’Islande est ainsi passée au statut de pays le plus dangereux de la planète – attendent les températures clémentes pour nous surprendre.
File:World War Z book cover.jpg
Construit à partir des témoignages des survivants de ces années apocalyptiques que l’auteur-narrateur, en mission pour le compte de l’ONU, a recueillis au fil de ses voyages, World War Z est un ouvrage aussi intriguant que passionnant. L’univers est certes alternatif. Il dégage pour autant un sentiment puissant de réalité tant les textes sont cohérents et les personnages crédibles. Il est vrai que l’auteur, Max Brooks, digne fils du génial Mel Brooks, n’en est pas à son coup d’essai. En 2003, il avait ainsi écrit un guide de survie en territoire zombie, The Zombie Survival Guide, produisant divers conseils en direction des citoyens désireux de sauver et leur peau et leur cerveau.


Le succès commercial de cette chronique des années de guerre contre Zack – l’expression utilisée pour désigner l’ennemi zombie – est l’expression d’une popularité du genre grandissante. Qu’il s’agisse de films, séries, chansons, jeux vidéos, comic books, ou romans, il n’a jamais été aussi apprécié. Le zombie est également un phénomène planétaire qui dépasse largement la culture américaine pour embrasser toutes les nationalités. L’on pourrait balayer cette tendance prétextant que le public est toujours avide de nouvelles étrangetés. Ce serait cependant oublier que, selon Daniel Drezner, blogger sur Foreign Policy et auteur d’un Theories of International Politics and Zombies (2010) – faisant de lui, si l’on en croit John Ikenberry, l’équivalent pour les attaques zombies de ce que « Thucydide is to the Peloponnesian War – he is its great chronicler » –, « Popular culture often provides a window into the subliminal or unstated fears of citizens, and zombies are no exception ».

Certes, les morts-vivants n’épuisent pas à eux seuls l’ensemble du spectre paranormal aujourd’hui si particulièrement apprécié. Contrairement aux vampires et autres créatures de la nuit toutefois, scientifiques, docteurs et philosophes reconnaissent que des variations de zombie peuvent exister dans le monde physique. Bien entendu, les possibilités évoquées sont plus proches de la tradition haïtienne du « zombi » comme individu esclave, que des goules dévorant les cadavres pour se régénérer chers à l’imaginaire populaire occidental. Le phénomène des morts-vivants rend cependant compte d’une plausibilité sinon certaine, du moins supérieure à celle dont pourront jamais se prévaloir les histoires de vampires, fantômes, sorcières, sorciers, ou autres. Pour cause, la création d’un zombie ne nécessite pas forcément d’acte surnaturel. Tout comme certains parasites existent dans la nature, de même la fiction a-t-elle donné au phénomène zombie la définition suivante, celle d’un être vivant biologiquement défini, occupant un hôte humain et le poussant à se nourrir de chair humaine. Selon Drezner, trois postulats doivent en outre être précisés : 1) les zombies se nourrissent exclusivement d’êtres humains ; ils ne mangent pas d’autres zombies ; 2) ils ne peuvent pas être tués, sauf à détruire leur cerveau : le fameux « double tap » ou encore « headshot » ; 3) tout être humain mordu par un zombie deviendra inévitablement un zombie. Pour nous dès lors, le zombie ne sera pas le travailleur docile cher au vaudou mais l’amateur de cervelle qui représente une menace pour l’humanité et un défi pour les relations internationales.

George Romero suggère dans Night of the Living Dead (1968) une contamination d’origine extra-terrestre introduite sur Terre par une sonde spatiale. Dans Dawn of the Dead (1978), l’origine privilégiée est surnaturelle et incarnée par l’explication selon laquelle « When there’s no more room in hell, the dead will walk the earth ». Pour la franchise Resident Evil et le roman World War Z,  le responsable est au contraire un virus. Pour certains, comme le film 28 Days Later, les zombies sont des sprinters nés. Pour d’autres, ils sont des marathoniens traînant les pieds, titubant, rampant parfois, mais, selon Brooks, « incapable of running. The fastest have been observed to move at the rate of barely one step per 1.5 seconds ». Cela importe peu : plus l’incubation est lente, plus sa diffusion non détectée sera grande et la réponse gouvernementale tardive ; plus elle est rapide, plus il y aura de zombies, plus les gouvernements répondront vite. Quelles que soient l’origine et les capacités, l’intrusion des morts-vivants dans le monde globalisé des hommes ne manquera pas de produire un impact majeur. Aucun pays ne sera à l’abri de la catastrophe.
Pour cette raison, le zombie est d’autant plus intéressant que contrairement aux créatures paranormales qui peuplent notre imaginaire, il n’y a pas de win-win envisageable. Sauf cas exceptionnel, comme dans Shaun of the Dead (2004), la coexistence pacifique entre goules et humains n’est en effet pas possible. A en croire la littérature, ce tout ou rien est beaucoup moins commun chez les vampires ou les sorciers. Si certains essayent de dominer le monde, la plupart sont toutefois satisfaits de leur sort, et donc enclins à se faire coopter dans les structures de pouvoir existantes du moment que leur existence demeure cachée. Le zombie est différent. Pour reprendre les mots de Drezner, « Zombie stories end in one of two ways – the elimination/subjugation of all zombies, or the eradication of humanity from the face of the earth ».

Surprise stratégique, le scenario du « jour des morts-vivants » l’est donc certainement. L’intention hostile de l’adversaire n’a en effet pour équivalent que l’impréparation des gouvernements et de l’humanité en général. Au scepticisme de départ (jusqu’à présent, du moins publiquement, seul l’Etat haïtien a pris des mesures contre la zombification des individus ; sans doute poussé par le succès de la série Walking Dead et l’optimisme du film Contagion à son égard, notons que le CDC américain envisage désormais la menace),  s’ajoute le fait que « Traditional tools of statecraft like nuclear deterrence, economic sanctions, or diplomatic démarches would be of little use against the living dead. Zombies crave human flesh, not carrots or sticks. A deep knowledge of zombies – and the possible policy response to zombies – is required in order to avoid both overactions and underreactions ». Dans World War Z, seuls Israël et l’Afrique du Sud, car représentants d’une posture sécuritaire historique particulière, parviennent au prix de grands sacrifices à s’isoler du monde et à sauver une portion de leur population. Les Etats-Unis, suivis en cela par une grande partie du monde, préfèrent adopter une attitude conservatrice incarnée par la bataille dite de Yonkers où l’armée s’oppose aux hordes de morts-vivants avec des tactiques datant de la guerre froide : « what if the enemy can’t be shocked and awed? Not just won’t, but biologically can’t! », « [Yonkers] proved the old adage that armies perfect the art of fighting the last war just in time for the next one ». Suite à l’arrêt des communications et au problème de la gestion des réfugiés fuyant les régions infestées, certains pays succombent même à la tentation nucléaire créant, au passage, la seule chose qui soit pire qu’une armée de morts-vivants : une armée mutante radioactive de morts-vivants. Les témoins passifs de l’apocalypse sont les astronautes de l’ISS que l’arrêt des activités spatiales oblige à rester en orbite durant toute la durée du conflit : tout en maintenant en bon état les satellites les plus utiles à la survie humaine, et ce malgré des péripéties avec la Chine, ils sont les seuls à s’autoriser une vision optimiste de long terme…

* - * - *
Zombies as a metaphor: a discussion on the undead in popular culture (photo)
L’étude de la menace zombie n’est pas gratuite. Elle constitue au contraire une tentative innovante permettant d’explorer l’efficacité des réponses que nos différents gouvernements et sociétés apporteraient lorsque placés dans une situation nouvelle, ici le cas fictif d’une épidémie… zombie. A en croire Drezner, « Zombies are the perfect twenty-first-century threat: they are not well understood by serious analysts, they possess protean capabilities, and the challenge they pose to states is very, very grave ». Beaucoup ne s’y sont pas trompés puisque le livre – 20 000 versions vendues et une seconde édition bientôt à paraître – a rapidement trouvé et son public et bien sûr ses critiques. Pour résumer l’opinion d’une certaine frange de la population IR habituée aux analyses plus critiques, ce n’est pas tant le ton satirique, parfois facile, employé qui est visé, non pas davantage le sujet, plus consensuel qu’il n’y paraît, que l’absence d’ambitions de l’auteur. Celui-ci concentre en effet son attention sur le « paradigme hégémonique » (réalisme, libéralisme, constructivisme) sans en remettre en cause les postulats tenus pour acquis, exception faite peut-être du stato-centrisme… 


dimanche 9 septembre 2012

Des surprises stratégiques et des « inconnus inconnus » (1) Introduction

… nous devons nous attendre à des surprises stratégiques, matérialisées par l’ampleur des violences ou des tentatives de blocage du fonctionnement normal de nos sociétés, là où nos moyens militaires ou de sécurité ne les attendent pas habituellement. L’interruption des flux de biens, de personnes, de richesses, ou encore d’informations, qui innervent aujourd’hui la vie nationale et internationale, peut prendre des formes imprévues et provoquer des retours en arrière inattendus dans telle ou telle partie du monde, y compris en Europe.
The lesson is that we should learn to expect to be surprised. The limits of intelligence—of both human intellect and the products of our government’s intelligence agencies—are a reality that should make us all humble. We need to be confident but also intellectually flexible to alter course as required. Being prepared for the unknown and agile enough to respond to the unforeseen is the essence of strategy.
Donald Rumsfeld, Known and Unknown: A Memoir, 2011
Répondant à la demande du ministre de la Défense d’alors, Alain Juppé, l’allié Egéa s’était lancé courageusement en 2011 dans l’étude de neuf « possibles », « neuf autres surprises stratégiques qui peuvent advenir dans la décennie ». Mon défi sera pour ma part plus modeste. Prétexte à l’analyse « non-sérieuse » des relations internationales, il se voudra aussi plus décalé, dans la continuité du billet de l’été que je réintroduis cette année.

1) Contexte n°1 : Les « inconnus inconnus »

Nous avons tous à l’esprit cette fameuse conférence de presse de 2002 durant laquelle Donald Rumsfeld donna l’énoncé philosophique suivant : 
… there are known knowns: there are things we know we know. We also know there are known unknowns: that is to say we know there are some things [we know] we do not know. But there are also unknown unknowns—the ones we don’t know we don’t know. And if one looks throughout the history of our country and other free countries, it is the latter category that tends to be the difficult one.

Pour Rumsfeld, ces « inconnus inconnus » ne sont pas les faits et lois – par exemple la gravité qui attire les objets vers le sol – que nous connaissons avec certitude (« connus connus »), ni même ces éléments qui échappent encore à notre connaissance – l’état du nucléaire iranien – mais dont nous savons au moins qu’ils existent (« inconnus connus »). En fait, il s’agit d’éléments échappant non seulement à notre connaissance, mais plus formidablement à notre compréhension même : nous ne savons tout simplement pas qu’ils existent. Selon l’ancien Secrétaire à la Défense, le 11 septembre rentre dans cette dernière catégorie. Le lecteur habitué des questions spatiales pourra également se référer au « Pearl Harbor spatial » que R. D. a popularisé au début des années 2000. Ce rappel se prête d’autant plus ici que Rumsfeld indique dans ses mémoires avoir imaginé ce concept après lecture de la préface du livre de Roberta Wohlstetter, Pearl Harbor: Warning and Decision, dans laquelle son auteur, Thomas Schelling, jugeait que l’Amérique avait alors été fautive d’une « poverty of expectations » : « There is a tendency in our planning to confuse the unfamiliar with the improbable. The contingency we have not considered seriously looks strange; what looks strange is though improbable; what is improbable need not be considered seriously ». La persistance du phénomène lui fut révélée en tant que président de la Commission Rumsfeld (la première, celle de 1998), ce qui acheva de conforter sa réflexion. Pour R. D., les « inconnus inconnus » évoquent en effet notre finitude humaine mais sont aussi un rappel constant en faveur de l’humilité intellectuelle chère à Socrate et à Clausewitz. A noter qu’un quatrième terme a été catégorisé par Slavoj Žižek : les « unknown known », soit ce que nous refusons intentionnellement de reconnaître comme connu. 

2) Contexte n°2 : Vous avez dit « surprise stratégique » ?

Après cette présentation, il est sans doute utile de rappeler quelques éléments supplémentaires de définition. A partir des efforts de conceptualisation qui se sont déroulés à l’intérieur de la blogosphère française l’année passée, voici donc ce que nous croyons pouvoir noter :

Pour Olivier Kempf, toute scénarisation d’une « surprise stratégique » doit prendre en compte 1) la plausibilité (des données objectives, des faits et des situations observables dès à présent sur lesquelles il est possible d’extrapoler), 2) un caractère surprenant (venant heurter le sens commun). Sur la surprise, peu de chose à dire. Sur l’élément stratégique, beaucoup plus : une surprise peut être considérée comme stratégique à partir du moment où elle vient modifier les conditions de la décision stratégique (cela peut dépendre de l’innovation, ou d’un changement environnemental, etc.). Le cas du Japon illustre cela.

Pour Corentin Brustlein,  auteur de « La surprise stratégique. De la notion aux implications », Focus n°10, IFRI, le tsunami japonais et la catastrophe nucléaire qui en a résulté ont, certes une portée géopolitique, mais aucune répercussion stratégique. A l’évidence, c’est la présence ou non de l’intention hostile qui change tout :
On dira d’une surprise qu’elle est stratégique non seulement en raison de sa portée majeure, mais également et uniquement si celle-ci résulte d’un acte hostile de l’adversaire. […] une surprise stratégique peut être entendue comme la situation de choc ou de sidération psychologique et organisationnel(le) résultant d’une action offensive adverse, révélant une impréparation relative de la victime et lui imposant d’ajuster les moyens, voire les objectifs, de sa posture stratégique. 
Dans cette perspective, la surprise stratégique devient le produit d’une négligence et d’une « misperception » de la réalité dont le « surprenant » pourra prendre avantage le cas échéant, conduisant alors le « surpris » à revoir ses attentes sous l’effet du choc. Le concept de « surprise stratégique » incarne ainsi l’idée d’une menace mal ou non anticipée frappant un Etat de manière inattendue et ébranlant ses conceptions stratégiques.

3) Conclusion

Dans le cadre purement ad hoc que je veux donner à ma série, l’analyse de la « surprise stratégique » entretiendra avec le « plausible » une relation large, souple et ouverte à l’imagination. Contrairement au « possible » qui spécifie ce quelque chose qui peut arriver. Le « plausible » implique une hypothèse ou un énoncé à l’apparence logique susceptible d’être vérifié (ou non). Pour exemple, le Livre Blanc précise que « L’hypothèse la plus grave actuellement identifiée est celle d’une attaque terroriste majeure sur le territoire européen, utilisant des moyens non conventionnels, de type nucléaire, chimique ou biologique, couplée à une situation de guerre dans l’une des zones d’intérêt stratégique pour l’Europe ». Pour le lecteur de ce blog prêt à pousser à l’extrême la théorie des « inconnus » de Rumsfeld, l’avenir sera probablement tout autre…

… à suivre

dimanche 2 septembre 2012

Pause estivale et mise en orbite : quelques nouvelles de la Sun Belt (2)

Suite et fin de nos tribulations américaines

Une grande partie de l’aventure s’est déroulée, comme la fin du premier billet le laissait supposer à travers le lancement de la fusée Atlas V, sur Merritt Island et le Centre spatial Kennedy (KSC), ainsi que sur l’aire de lancement de la station de l’USAF de Cape Canaveral. Aussi m’attarderai-je tout d’abord – et en photos s’il vous plaît – sur les installations historiques que j’ai eu le loisir de visiter. 
Première étape, le Vehicle Assembly Building (VAB). Cet énorme bâtiment situé au centre de la carte interactive copiée ci-dessus (n°23) présente des dimensions impressionnantes : troisième plus grande construction par le volume, le VAB mesure 160m de haut, pour 218m de long et 158m de large. Et pour cause, il a servi dans le cadre du programme Apollo pour l’assemblage vertical des étages de la mythique fusée Saturn V qui a amené Neil Armstrong et ses fellow astronautes sur la Lune. Utilisé jusqu’à l’année dernière pour assembler la navette spatiale américaine (réservoir externe, fusées d’appoint et orbiteur, le tout posé sur le gigantesque crawler), il se prépare désormais à accueillir le futur Space Launch System (SLS).
Début de soirée au VAB et panorama Est sur les sites de lancement
Panorama N-E et S-O depuis le toit du VAB
C’est également à proximité que j’ai pu assister aux lancements des fusées. Voilà donc pourquoi le son arrive en décalé, distance oblige, comme en témoignent les vidéos réalisées : plus d’une minute – précision : ce n’est pas moi qui commente – dans le cas du tir, inédit, de la dernière version de la Delta IV Heavy pour le compte de la NRO (n°11 sur la carte). 
Non pas que les navettes soient très loin. Du moins pour deux d’entre elles, comme ce face-à-face récent a pu le prouver. Aussi notre deuxième étape prend-elle place à quelques mètres seulement, entre le VAB et les différents hangars de maintenance des orbiteurs, appelés Orbiter Processing Facility 1, 2 et 3 (OPF). 
Exactement un an après la fin du programme Shuttle (ci-dessus la piste d’atterrissage de la navette – n°20 sur la carte – et l’emplacement où la dernière mission STS-135 s’est immobilisée), me voici donc en train de contempler la navette Atlantis être déplacée d’un bâtiment à l’autre (voir vidéo) avant son admission définitive au Complexe des visiteurs du KSC en 2013.
Et quelques jours plus tard, voilà que je croise également le chemin de la navette Endeavour à l’abri de son hangar, attendant elle-aussi, une fois « nettoyée », son départ pour Los Angeles le 17 septembre prochain.
Je n’apprendrai rien au lecteur de ce blog : ma relation avec le spatial est avant tout « politique », non pas « technique ». J’étudie le contexte politique, qu’il soit domestique ou international, le monde des perceptions et le rôle de l’imagination, l’histoire, les succès comme les échecs des différentes politiques/stratégies spatiales… Aussi avoir sous les yeux, toucher parfois, des composants réels, tangibles, de l’effort spatial humain – ici américain – a-t-il été pour moi une manière nouvelle et émotionnellement puissante d’appréhender l’objet Espace. La poussière spatiale recouvrant les navettes, les tuiles thermiques célèbres depuis l’accident de 2003, les rencontres avec ceux qui vivent la conquête des étoiles, l’environnement lui-même, autant d’éléments concrets qui donne un sens réel à l’aventure spatiale.

La chose est d’autant plus exacte que le KSC fêtait cette année son 50e anniversaire. Dans le contexte de l’année 1962, soit quelques mois à peine après le vol orbital historique de John Glenn (20 février) et la récidive de Scott Carpenter (24 mai), le centre spatial était en effet officiellement reconnu le 1 juillet sous le nom de Launch Operations Center, modifié plus tard après la mort de John F. Kennedy. 


Une histoire riche, comme en témoignent les photos suivantes : du monument à la mémoire du programme Mercury…
… en passant par le souvenir de l’accident qui a coûté la vie aux trois astronautes de la mission Apollo 1 en janvier 1967 : passé et présent se mêlent ici, avec au premier plan ce qui reste du site de lancement (rendu célèbre par le film Armageddon), au second le Launch Complex-37 de la Delta IV.
… sans oublier enfin les musées – celui de l’USAF comme ceux du KSC (1 et 2) –, la fameuse Astronaut Beach House, les multiples rencontres avec les astronautes – comme ici, avec Ken Bowersox, Chiaki Mukai, Garrett Reisman, Kent Rominger, Winston Scott, Nicole Stott, et Jim Voss, et Jean-Jacques Favier présent dans l’assistance – ainsi que le lancement inoubliable de fusées « amateurs » au pied du Launch Complex-39A du programme Shuttle, etc.
Chaque SSP est aussi l’occasion de produire différents rapports qui alimenteront en discussions un certain nombre de conférences et forums du secteur spatial de l’année. Quatre documents ont été ainsi rédigés durant cet été :

Le premier, intitulé Space: One Giant Leap for Education, a pour sujet les quatre disciplines dites STEM (pour « science », « technology », « engineering », et « mathematics ») et comment le spatial peut contribuer à leur développement.
"What can space contribute to global STEM education?" This report describes ways to use space to improve STEM education and reach a broader audience. Space-related content can be integrated into existing academic curriculum and into non-school materials. The report suggests some programs and interventions like space workshops and competitions, a space debris game or a video outreach program among others.
BLISS: Beyond LEO and Into the Solar System se concentre sur le développement d’une station spatiale de seconde génération, dite ISS 2.0 ou plus précisément NGSS (Next Generation Space Station). Un ExSum est également disponible ici.
The report investigates the key motivations for building a next generation space station (scientific endeavors, exploration, and commercial development) and recommends the optimal locations for such a station. Attention is given not only to issues of engineering, but also international cooperation and policy, education and public outreach, station science, finance, and commercial applications.
Le troisième rapport, commandé par l’ISU et le KSC, porte sur le concept de spatio-port et décide intentionnellement d’orienter sa réflexion sur le projet en réseau OASIS : Operations and Service Infrastructure for Space : soit la LEO, puis la Lune, puis l’orbite martienne avec l’installation d’un point nodal sur Phobos.
To provide easy and affordable access into orbital and deep space destinations, creating a network of spaceports is an option to provide a more economical solution [...]. This report details the different phases of a project for developing a network of spaceports throughout the Solar System in a timeframe of 50 years. The requirements, functions, critical technologies and mission architecture of this network of spaceports are outlined in a roadmap of the important steps and phases.
Last but not least, le dernier rapport – auquel j’ai contribué – est intitulé simplement Space Debris. L’ExSum est disponible ici. Avec 16 744 débris catalogués (juillet 2012) et quelques trillions encore non inventoriés, l’espace est devenu en quelques décennies une véritable poubelle. L’encombrement est tel que le franchissement du seuil de non-retour (dit syndrome de Kessler) dans les années à venir n’est plus un scénario de science-fiction. Bien que le problème soit criant, conséquence logique de la tragédie des biens communs, aucune solution concrète n’a toutefois encore été apportée. Identifiant les aspects à la fois de mitigation (prévention, atténuation = passif) et de removal (élimination = actif), ce rapport propose de manière pluridisciplinaire une solution technique préférée, de même qu’un cadre politique, légal et financier au sein duquel celle-ci pourra être développée. A noter que le caractère éminemment politique de la question – qu’il s’agisse de l’aspect dual classique ou des conséquences sur la réputation et le leadership d’un pays « fautif » ou « responsable » –, de même que la qualité internationale de notre équipe (15 nationalités), ont fait de la rédaction de ce rapport un exercice réel de négociation internationales. Ce qui ne constituait pour certains qu’une simple date – un fait historique et donc objectif – fût ainsi l’occasion de maints débats. Je pense évidemment à la référence à la destruction intentionnelle du satellite météorologique chinois FY-1C de 2007, voire à l’ASAT américain de 2008, et aux conséquences que cela soulève pour ce qui est des difficultés d’engagement d’un dialogue entre les Etats-Unis et la Chine. 
Outre le KSC, la NASA, le FIT et l’ISU, je tiens à remercier chaleureusement le CNES et l’ESA pour m’avoir permis de participer à cette extraordinaire aventure. J’ajoute que si le lecteur est intéressé pour participer à ce programme (dont les éditions 2013 et 2014 auront lieu, respectivement, à São José dos Campos, Brésil, et à Montréal, Canada), qu’il n’hésite surtout pas à me contacter pour tous renseignements. Plus d’informations d’ores et déjà disponibles ici.

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Voir aussi :



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Je n’ai malheureusement pas eu le temps d’y faire mention plus tôt, mais je tenais en tant que prix « René Mouchotte » 2011 à saluer les lauréats du prix de l’armée de l’air 2012. Toutes mes félicitations ! J’en profite également pour préciser que Penser les ailes françaises publie dans son dernier numéro un article signé par votre serviteur : « La rencontre du Janus américain avec l’espace : une lecture internationaliste de la politique spatiale aux Etats-Unis ».

Bonne rentrée à vous !