samedi 17 octobre 2015

In Defense of Japan

Cover of In Defense of Japan by Saadia M. Pekkanen and Paul Kallender-Umezu
Au-delà de ses succès bien connus dans les domaines technologiques et scientifiques, le Japon, c’est plus rarement mentionné, est également un acteur de premier plan dans le domaine du spatial militaire. Telle est la révélation à laquelle cet ouvrage écrit en 2010 aboutit au bout d’une argumentation séduisante. Pour les co-auteurs, Saadia M. Pekkanen, professeur de relations internationales à l’université de Washington, et Paul Kallender-Umezu, correspondant à Tokyo du journal d’informations spatiales de référence SpaceNews, la réalité, précisée dès la préface, est que « Japan has the technical wherewithal to be marked as a military space power and now has placed national security as the centerpiece of its space development strategy ». Ceux qui s’en étonneront et demanderont comment cela peut être possible au vue de l’orientation pacifiste voire antimilitariste supposée guider les activités militaires du pays depuis 1945 et notamment son programme spatial pourront lire avec profit les 400 pages du livre. Quoique le traitement de la question puisse paraître trop spécialisé pour captiver le lecteur lambda – la quinzaine de pages d’acronymes pourrait même avoir tendance à provoquer l’inverse –, le style journalistique avec lequel l’ouvrage est rédigé rend la lecture très accessible. On appréciera également l’effort rafraichissant d’analyse qui est accompli : avec une puissance aux ambitions régionales exacerbées de l’autre côté de la mer de Chine orientale et une menace nucléaire encore plus proche dans la péninsule coréenne, la logique stratégique derrière une telle transformation peut sembler évidente, elle ne convainc pourtant pas les auteurs de In Defense of Japan dont la préférence va aux facteurs Innenpolitik, à commencer par l’influence de l’industrie spatiale japonaise.

Les grands groupes industriels japonais – aux premiers rangs desquels se trouvent Mitsubishi, à la fois dans sa filiale lanceur MHI et manufacturière dite Melco – ont selon les auteurs joué un rôle prépondérant dans la transition « from the market to the military ». Confronté à l’absence de perspectives commerciales sur le marché aussi bien intérieur, soumis à la faiblesse de la demande, que sur le marché international, hautement compétitif et dominé par les Européens et les Américains, le complexe industriel aérospatial japonais a en effet à partir des années 1990 exercé une pression constante auprès du gouvernement pour transformer le cadre normatif traditionnel de la politique spatiale japonaise et pousser ses alliés politiques à demander le développement de projets spatiaux militaires susceptibles d’aboutir à d’importants contrats. Comme le notent Pekkanen et Kallender-Umezu, « To be clear, the market was the driver not because of corporate success, but because of corporate setbacks. […] With investments already in the commercial space industry that were not turning a profit, corporations looked to salvage or bolster their bottom lines by pushing their allies in the government to develop military space projects ».

Les contradictions que cette transition a causées, encore patentes aujourd’hui, comme tend à le montrer la remise en cause de la JAXA de plus en plus enfermée dans un rôle de R&T et donc du MEXT, constituent le fil rouge des trois premiers chapitres de l’ouvrage. C’est ainsi que l’adoption en 2008 de la loi fondamentale sur la politique spatiale, qui a entériné une interprétation non agressive plutôt que non militaire de la clause d’utilisation de l’espace à des fins pacifiques, est analysée comme le résultat d’un travail intense de lobbying exercé par un petit nombre d’acteurs clés, publics et privés, dont notamment la fédération des organisations économiques japonaises (Nippon Keidanren). Les quatre autres chapitres s’essayent à dessiner le tableau capacitaire et technologique qui est issu de cette nouvelle donne. Aujourd’hui, en plus de ses capacités de défense antibalistique qu’il développe en commun avec les Etats-Unis, le Japon s’emploie à promouvoir et à déployer tout un ensemble de technologies qu’il juge centrales pour son effort de militarisation de l’espace, incluant aussi bien des lanceurs et des satellites capables de détecter des missiles et d’aider à la navigation, à la communication et au ciblage, que des technologies avancées de rentrées atmosphériques et d’approfondissement de la connaissance de la situation spatiale. Autant d’éléments qui témoignent selon les auteurs à la fois d’une véritable appréciation conceptuelle du potentiel militaire de l’espace et d’une préoccupation grandissante face à la menace de son arsenalisation.

Le grand mérite de l’ouvrage est de rappeler que l’analyse d’une politique étrangère nécessite de tenir compte du contexte international, c’est-à-dire de la structure, mais aussi de saisir les intérêts des différents acteurs nationaux et les relations qui les unissent. Cette approche pose la question du bon équilibre entre facteurs internes et externes propres à tout travail de relations internationales et Pekkanen et Kallender-Umezu cherchent en définitive moins à trancher qu’à apporter une nouvelle pierre à l’édifice. Reste que si les intérêts concrets des industriels ont contribué à influencer les décideurs politiques, c’est bien, comme ils le confessent eux-mêmes, le « choc » au sens presque (néo-)réaliste du terme créé par le survol du Japon par un missile balistique nord-coréen en 1998 et renforcé par le test antisatellite chinois en 2007 qui a provoqué le changement décisif d’orientation de la politique spatiale japonaise. En ce sens, l’analyse est plus réaliste/structurelle d’inspiration que les auteurs ne veulent bien le prétendre dans le chapitre théorique un peu trop rigide qu’ils dressent en introduction. Au-delà du rôle des acteurs domestiques, c’est en réalité davantage le caractère dual des activités spatiales qui est mis en avant dans cet ouvrage.

In fine, malgré une histoire et un parcours distincts, le Japon est bien une puissance spatiale militaire comme les autres. Une conclusion à laquelle In Defense of Japan n’aboutit malheureusement pas explicitement, mais qui ne pourra pas échapper à quiconque jette un œil au reste de la littérature sur le sujet de la « sécurité spatiale ». Ceci dit, le travail réalisé en équipe par Paul Kallender-Umezu, un expert capable d’envisager le spatial dans toute sa complexité et qui a le mérite de reconnaître ses limites comme chercheur, et Saadia Pekkanen, une universitaire qui quoique néophyte dans le domaine devine les enjeux et sait comment les organiser/problématiser autour d’une idée organisationnelle unique, impressionne par sa qualité et son originalité. Entre le renard et le hérisson, il ne faut pas toujours choisir…



1 commentaire:

  1. Notons que désormais, la Chine déclare à demi mot que le Japon à un programme nucléaire militaire avec ses stocks d'uranium:

    De fait, il s'agit d'un pays du ''seuil'' comme l'Allemagne et bientôt l'Iran avec toute les capacités d'avoir la ''bombe'' et les vecteurs qui vont avec si elle le décide, mais même avec le gvt actuel, c'est improbable qu'elle se lance dans une telle aventure.

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